Pétrarque, Sonnets et Canzones pendant la vie de Madame Laure 14e siècle

Traduction Francisque Reynard 1883


LES RIMES
DE
FRANÇOIS PÉTRARQUE

PREMIÈRE PARTIE
SONNETS ET CANZONES
PENDANT LA VIE DE MADAME LAURE

SONNET I.

Il demande qu’on ait compassion de son état, et avoue la vanité de son amour.

Vous qui écoutez dans ces rimes éparses, le son de ces soupirs dont je nourrissais mon cœur, au seuil de ma première erreur juvénile, quand j’étais en partie un autre homme que je suis ;

Pour le style varié dans lequel je pleure et raisonne, entre les vains espoirs et la vaine douleur, j’espère trouver pitié non moins que pardon, partout où il y aura quelqu’un qui connaisse l’amour pour l’avoir éprouvé.

Mais je vois bien à présent comment j’ai été longtemps la fable de tout le peuple ; aussi, souvent, je rougis à part moi de moi-même ;

Et de mes vaines rêveries la honte est le fruit, ainsi que le repentir et la claire connaissance que tout ce qui plaît en ce monde est un songe rapide.


SONNET II.

Resté fort contre tant d’embûches de l’Amour, il n’a pu se défendre contre cette dernière.

Pour se faire une belle vengeance, et punir en un jour bien mille offenses, Amour reprit furtivement son arc, comme un homme qui, pour nuire, attend le lieu et le moment.

Ma force s’était concentrée dans mon cœur pour y faire ses défenses, ainsi que dans mon cœur, quand le coup mortel descendit frapper à l’endroit où avaient coutume de s’émousser toutes les flèches.

Mais troublée dès le premier assaut, elle n’eut pas assez de vigueur ni de temps, pour prendre les armes selon qu’il en était besoin,

Ou pour m’entraîner prudemment hors du champ de carnage, sur le mont pénible et élevé, dont elle voudrait — mais elle ne le peut — faire aujourd’hui mon point d’appui.


SONNET III.

Il traite Amour de lâche, pour l’avoir frappé un jour où il devait être sans défiance.

C’était le jour où les rayons du Soleil s’assombrirent, par pitié pour son Créateur, quand je fus pris sans que je me gardasse, et quand vos beaux yeux, ô dame, m’enchaînèrent.

Il ne me semblait pas que ce fût le moment de me garer des coups d’Amour ; j’allais donc tranquille et sans crainte ; aussi mes peines commencèrent au milieu de la commune douleur.

Amour me trouva complètement désarmé, et s’ouvrit le chemin de mon cœur par mes yeux qui sont devenus une porte et un passage pour les larmes.

Mais, à mon avis, cela ne lui fut pas un honneur de me frapper de flèches en cet état, et de ne vous avoir pas même montré son arc, à vous qui étiez armée.


SONNET IV.

Il glorifie le lieu où Laure naquit.

Celui qui montra dans son œuvre admirable une prévision et un art infinis ; qui créa l’un et l’autre hémisphère, et fit Jupiter plus doux que Mars,

Venant sur la terre pour révéler le sens des Écritures qui avaient, pendant de longues années, tenu la vérité cachée, délivra Jean et Pierre de leurs liens, et dans le royaume du Ciel leur donna leur place,

Il ne fit pas à Rome la grâce de naître chez elle, mais bien à la Judée ; tant il lui plut toujours d’exalter l’humilité par-dessus tout.

Et, de nos jours, il nous a donné d’une petite bourgade un Soleil tel, qu’on rend grâce à la Nature et au lieu où une si belle dame vint au monde.


SONNET V.

Il joue ingénieusement sur le nom de Laure, pour célébrer ses louanges.

Lorsque j’applique mes soupirs à vous appeler et à prononcer le nom qu’Amour écrivit dans mon cœur, c’est la syllabe lau que l’on entend tout d’abord retentir parmi les doux accents de ma voix.