Alexandre Piédagnel, L’île Enchantée dans Pastels et Fusains s.d. (1888 ?) (p. 1-8).


L’ÎLE ENCHANTÉE



Ma grand’mère, autrefois, filant sa quenouillée,
Nous parlait longuement d’un monde merveilleux,
Où des sylphes dansaient, le soir, sous la feuillée ;
Où tout était plaisir pour l’âme et pour les yeux.

La haine, assurait-elle, en fut toujours bannie,
Et le mensonge aussi. — Se couronnant de fleurs,
Sous un ciel azuré, chacun passait sa vie
À chanter, à rêver, ignorant les douleurs.

On croyait, à l’amour, et l’on s’en faisait gloire :
Les cœurs épanouis battaient à l’unisson.
Chez ce peuple béni — qui n’avait pas d’histoire, —
L’égoïsme impassible eût donné le frisson !

La douce paix régnait, féconde et radieuse :
On n’enviait personne, on se prêtait appui ;
Dans les bois verdoyants courait, franche et rieuse,
La jeunesse, — narguant le pâle et morne ennui…

Cet étrange pays était bien loin du nôtre.
Ô naïfs, ô charmeurs ! Qu’êtes-vous devenus ?
On aurait beau chercher