Charles Deulin, Les Contes de ma mère l'Oye avant Perrault : Introduction 1879



INTRODUCTION

I



Mon intention n’est pas de donner au public un simple recueil de contes, encore moins de lui présenter un pur travail d’érudition sur un sujet qu’il est de mode aujourd’hui de traiter au point de vue philologique et ethnographique. Je laisse à MM. C.-A. Walckenaer, Alfred Maury, Charles Giraud, etc., le soin de chercher d’où viennent les fées, les ogres et la Mère l’Oye elle-même ; je ne veux pas non plus m’inquiéter de savoir, après MM. Gaston Paris, Angélo de Gubernatis, Loys Brueyre, André Lefèvre, Hyacinthe Husson, etc., etc., quels mythes solaires sont renfermés dans Peau d’Âne, la Barbe bleue et Cendrillon.

Cette science est trop haute pour moi ; de plus, elle me paraît encore un peu trop vague et hypothétique. L’avouerai-je, d’ailleurs ? C’est sans enthousiasme que j’ai lu dans la Chaîne traditionnelle de M. Husson que le petit Chaperon Rouge est une aurore, et la Belle au bois dormant, « l’image d’une belle nuit calme et sereine, ou, si l’on veut, de la lumière céleste envahie par la Nuit ou par l’Hiver. » J’aime les contes pour eux-mêmes ; aussi bien que l’allégorie, le symbole me glace, et je serais vraiment fâché que M. Paris me prouvât jusqu’à l’évidence que le Petit Poucet n’a jamais existé qu’au ciel, sous la forme d’un dieu aryen.

Mon but est seulement d’examiner les différentes versions des contes publiés par Charles Perrault, sous le titre de Contes de ma mère l’Oye qui, avant lui ou de son temps, couraient en France et chez nos voisins. Afin que cette étude critique soit le plus exacte et le moins ennuyeuse possible, je produirai in extenso les traditions qui se rapprochent le plus de ces historiettes. Je les comparerai entre elles et je tâcherai d’y retrouver le génie des nations qui les auront fournies.

Je ne prétends pas, notez-le bien, que ces récits soient les sources où a puisé l’auteur de la Barbe bleue ; je suis convaincu, malgré l’opinion contraire de F. Génin et d’A. Maury, qu’il n’a guère consulté que les nourrices ; je crois même qu’on peut regarder comme une des versions du Petit Poucet qui couraient de son temps, la fiaoue qu’Oberlin a donnée dans son Essai sur le patois lorrain. Elle me servira peut-être à faire voir que l’interprétation si ingénieuse et si savante de M. Paris laisse quelque chose à dire et pèche par un certain côté.

Bien que Charles Perrault soit l’objet de cette étude, je n’écrirai point sa biographie. Ce travail a été fait dernièrement par M. André Lefèvre de façon à ce qu’on ait pas à y revenir. L’édition des Contes de ma Mère l’Oye, que le poëte érudit vient de publier dans la Nouvelle Collection Jannet, me paraît être l’édition définitive, et mes lecteurs me pardonneront de les y renvoyer pour tout ce qui n’a pas directement trait à mon sujet.


II


L’auteur du Petit Poucet n’était point en son temps un mince personnage. Membre de l’Académie des Inscriptions et de l’Académie française, il avait su s’élever à l’emploi de premier commis ou, comme nous dirions aujourd’hui, de secrétaire général du ministère des finances. Par Colbert il avait