Étienne-Jules Marey, Le Fusil photographique dans La Nature - Revue des sciences vol. 18 no 464 22 avril 1882

Le Fusil photographique

Les expériences que je vais décrire se rattachent aux études que j’ai faites il y a une douzaine d’années sur la locomotion animale[1], études que j’ai dû suspendre, mais que je compte reprendre aujourd’hui en les développant davantage.

Mes premières expériences sur la locomotion étaient faites au moyen de la chronographie ; elles traduisaient fidèlement les rythmes des allures de l’homme et des animaux, c’est-à-dire l’instant et la durée des appuis de chaque membre sur le sol. Plus tard, par une méthode déjà plus délicate, j’inscrivais les phases d’élévation et d’abaissement des ailes d’un oiseau qui vole, la trajectoire décrite dans l’espace par la pointe de l’aile, les changements du plan alaire, les oscillations du corps dans leurs rapports avec les mouvements du vol[2].

Les renseignements donnés par la méthode graphique étaient d’une grande précision ; ils corrigeaient bien des erreurs d’observation et résolvaient certaines questions litigieuses de mécanique animale ; mais les notions fournies par cette méthode étaient encore incomplètes. Ainsi, en ce qui concerne les allures du cheval, j’ai essayé de faire représenter les attitudes de cet animal à différents instants du pas de chaque allure ; or, les figures faites d’après les données de la chronographie, parfaitement correcte pour la position des membres à l’appui, présentaient parfois des incorrections pour celle des membres au levé. J’en eus la preuve lorsque parurent les belles photographies instantanées de M. Muybridge, de San Francisco. L’image d’un cheval saisie en 1/500 de seconde donnant, même aux allures les plus rapides, l’attitude réelle de l’animal presque aussi nettement que s’il eût été immobile.

Le journal la Nature venait de publier quelques-unes des figures de M. Muybridge ; je m’empressai d’écrire au rédacteur en chef, mon ami G. Tissandier, pour lui exprimer mon admiration pour ces belles expériences et pour le prier d’engager leur auteur à appliquer la photographie instantanée à l’étude du vol des oiseaux. J’émettais alors l’idée d’un fusil photographique à répétition analogue au revolver astronomique imaginé par mon confrère M. Janssen pour observer le dernier passage de Vénus. Ce fusil donnerait une série d’images successives prises à différents instants de la révolution de l’aile. Enfin, ces images, disposées sur un phénakistiscope de Plateau, devrait reproduire l’apparence du mouvement des animaux ainsi représentés.

Cette lettre me valut, de la part de M. Muybridge, l’envoi d’une

  1. Voy. N°278 du 28 septembre 1878, page 273.
  2. La Machine animale, 1re édition, 1873.