Jean Perrin, Le Monde des atomes et l’agitation moléculaire dans La Science et la Vie début du xxe siècle


PHYSIQUE. — Le monde des atomes et l’agitation moléculaire
Jean Perrin, La Science et la Vie


En poussant à outrance la décomposition des diverses espèces chimiques, qui se chiffrent par centaines de mille, on aboutit à un petit nombre de corps simples tels que l’oxygène, l’hydrogène, le carbone ou l’azote, qui peuvent, en se combinant, reproduire toute matière, si complexe soit-elle.

On sait que si, pour former de l’eau, ou du gaz carbonique, ou du sucre, on a employé 26 gr de corps simple oxygène, on peut retrouver exactement ces 26 gr sans gain ni perte, en redécomposant l’eau, le gaz carbonique ou le sucre.

Il est bien difficile alors de ne pas supposer que cet oxygène subsistait réellement dans ces composés, et par suite dans leurs molécules, dissimulé, mais cependant présent. Ceci nous prépare à comprendre l’intuition géniale qu’on doit à Dalton, intuition qui a donné aux théories moléculaires une importance capitale dans la compréhension et dans la prévision des phénomènes chimiques.

Dalton suppose que, par exemple, l’oxygène subsiste dans les molécules d’eau, de gaz carbonique ou de sucre sous forme de particules rigoureusement identiques et que de même à chaque corps simple correspond ainsi une sorte déterminée de particules identiques, particules qui traversent sans altération les diverses transformations physiques ou chimiques que nous avons provoquées[1], et qui, insécables par ces moyens d’action, peuvent être appelées des atomes, dans le sens étymologique.

Une molécule quelconque renferme nécessairement, pour chaque corps simple présent, un nombre entier d’atomes. Sa composition ne peut donc varier de façon continue (c’est la loi des proportions définies) mais seulement par bonds discontinus correspondant à l’entrée ou à la sortie de au moins un atome (et ceci entraîne la loi des proportions multiples de Dalton). Ainsi l’hypothèse atomique rend compte, et, jusqu’à ce jour, rend seule compte des lois de discontinuité de la chimie.

Bref, tout l’univers matériel serait obtenu par l’assemblage d’éléments de construction appartenant à un petit nombre de types, les éléments d’un même type se ressemblant autant ou plus exactement que des objets fabriqués en série d’après un modèle.

Il ne peut entrer dans le plan de cette esquisse d’expliquer comment physiciens et chimistes ont réussi, depuis plus de cinquante ans, à déterminer les rapports des masses (ou des poids) des molécules et des atomes, montrant que, par exemple, la molécule d’eau, l’atome d’oxygène, et l’atome d’hydrogène, ont des poids qui sont entre eux comme 18, 16 et 1. Et je ne peux non plus dire comment, une fois ces rapports connus, on a pu atteindre aux formules de constitution qui ont permis le merveilleux développement de la chimie organique.

Mais je puis, utilement peut-être, revenant à des considérations physiques, prouver que les molécules d’un fluide quelconque, liquide ou gaz, sont en mouvement incessant.

  1. Cette restriction est essentielle (transmutation spontanée de l’atome de radium). Ce qui définit l’atome, c’est sa solidité vis-à-vis de certains moyens d’action.