Pierre de Ronsard, À Cupidon 1550


À Cupidon.

Ode XXI.

Le jour pousse la nuit,
Et la nuit sombre
Pousse le jour qui luit
D’une obscure ombre.
L’Autonne suit l’Esté,
Et l’aspre rage
Des vents n’a point esté
Apres l’orage.
Mais la fièvre d’amours
Qui me tourmente,
Demeure en moy tousjours.
Et ne s’alente.
Ce n’estoit pas moy, Dieu,
Qu’il falloit poindre.
Ta flèche en autre lieu
Se devoit joindre.
Poursuy les paresseux
Et les amuse,
Mais non pas moy, ne ceux
Qu’aime la Muse.
Helas, délivre moy
De ceste dure,
Qui plus rit, quand d’esmoy
Voit que j’endure.
Redonne la clarté
A mes tenebres.
Remets en liberté
Mes jours funèbres.
Amour sois le support
De ma pensée.
Et guide à meilleur port
Ma nef cassée.
Tant plus je suis criant
Plus me reboute,
Plus je la suis priant
Et moins m’escoute.
Ne ma palle couleur
D’amour blesmie
N’a esmeu à douleur
Mon ennemie,
Ne sonner à son huis
De ma guiterre,
Ny pour elle les nuis
Dormir à terre.
Plus cruel n’est l’effort
De l’eau mutine
Qu’elle, lors que plus fort
Le vent s’obstine.
Ell’ s’arme en sa beauté.
Et si ne pense
Voir de sa cruauté
La recompense.