Paul Drouot, Eurydice deux fois perdue , 1921


Je vous ai toujours attendue dans l’obscurité, comme si vous étiez toute la lumière ; aujourd’hui, pour la dernière fois, je vous attends. La forêt, autour du pavillon de chasse, étouffe les rumeurs du jour qui finit. Puissent ces intolérables moments, où je crois tour à tour que je meurs et que la porte s’ouvre, se prolonger jusqu’à l’aurore !

* * *

Je ne vous attends pas depuis l’heure fixée pour notre rendez-vous, ni depuis le quart d’heure qui la précède, ni depuis l’heure d’avant, ni depuis midi !

Je vous attends bien avant de me mettre à vous attendre.

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Je le sais bien, vous ne pouvez pas être à l’heure, même ce soir !

* * *

Je vous attends debout, non qu’une excessive fatigue ne me commande de m’asseoir. Je vous attends contre la porte, je fais presque corps avec elle, ma main tient la serrure, mon front bat. Le plancher sous mes pieds vacille, comme si des charrois passaient au loin.

Mon cœur aspire à soi l’étroit espace qui vous entoure et le chemin qui vous amène.

* * *

Je vous attends. J’attends. Ce que j’attends, comme le bond sur moi du sphinx, et l’accomplissement de ma destinée, ce petit geste, quoi ! ne le ferez-vous pas : de frapper à la porte, de gratter à la persienne ?

Qu’avez-vous à tourner comme une folle par la chambre ?

L’arc de votre sourcil s’est-il retroussé vers la tempe ?

Peut-être vous êtes-vous laissé distraire par un songe ?