Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, Le Meilleur Amour (1893)


LE MEILLEUR AMOUR


Entre les êtres destinés non pas au bonheur convenu, mais au réel bonheur, nous devons compter un jeune Breton nommé Guilhem Kerlis. On peut dire qu’il naquit sous une étoile heureuse, et que peu d’hommes, en leur amour, furent plus favorisés que lui. Cependant, combien simple fut son histoire !

Ce fut en 1882, à la brune d’un beau soir de septembre, qu’Yvaine et Guilhem se rencontrèrent dans la campagne de Rennes, près d’une barrière de prairie. Yvaine, fort jolie, avait seize ans ; c’était la fille unique d’une métayère presque pauvre ; elles habitaient le gros bourg de Boisfleury, près de la ville.

Ce soir-là, suivie de deux génisses et d’une demi-douzaine de brebis, tout son troupeau, elle rentrait.

Guilhem, beau gars de dix-huit ans, était le fils d’un garde-chasse du baron de Quélern : il rentrait aussi, son gibier en gibecière. Tous deux, s’étant regardés, s’étonnèrent de ne pas s’être vus plus tôt, car le bourg n’était pas à plus de deux lieues de la chaumière du garde. Autour d’eux, les champs de luzerne, les avoines fauchées, encore mêlées de fleurs, et, venues du lointain, les senteurs des bois embaumaient l’air vespéral. Ils se dirent quelques paroles.

Yvaine offrit à Guilhem des bluets qu’elle avait au corsage. Guilhem lui fit présent d’une belle perdrix rouge, et l’on se sépara sur un rendez-vous que la jeune fille accorda sans hésiter, car on avait parlé mariage — et Guilhem, tout de suite, lui avait plu.

Ils se revirent le lendemain, non loin de Boisfleury, dans un sentier que l’automne parsemait déjà de feuilles dorées ; — ce fut la main dans la main qu’ils échangèrent de naïves confidences, sans même penser qu’ils s’aimaient. — Puis,