Michel Carré et Léon Battu, Le Mariage aux lanternes 1857
LE
MARIAGE AUX LANTERNES
Une place de village. — À gauche la maison de Guillot ; à droite, l’entrée d’une grange devant laquelle se trouve un gros arbre dont le pied forme banc de gazon ; une petite table rustique devant la maison.
Scène PREMIÈRE
Denise est debout auprès de l’arbre, elle est pensive. — Guillot entre par la gauche.
GUILLOT, brusquement. Eh bien ! qu’est-ce que tu fais là, plantée comme une image ?
DENISE. Moi, mon cousin, je ne fais rien.
GUILLOT. Je le vois bien ! … à quoi que tu penses ?
DENISE. Dame ! mon cousin…
GUILLOT. À pas grand’chose de bon, bien sûr. Les poules ont-elles à manger seulement ? je parie que tu ne leur z’as pas encore donné leur grain d’aujourd’hui !
DENISE. Non, mon cousin, mais…
GUILLOT. Là ! qu’est-ce que je disais ! … As-tu fini de tricoter la paire de bas que tu as commencée avant-z’hier ?
DENISE. Oh ! pour ça non, mon cousin…
GUILLOT. J’en étais sûr ! et il est déjà sept heures du matin ! — Mais quoi que t’as fait aujourd’hui, je vous le demande ? … À quoi que tu passes ton temps ? à dormir debout, à rêvasser comme une demoiselle ! … ça n’peut pas marcher comme ça, d’abord ! … avec ta mine triste à porter le diable en terre…
DENISE. Oui, mon cousin…
GUILLOT.
- Que dirait l’oncle Mathurin,
- S’il te voyait l’air si chagrin ?
- Toi qui jadis toujours rieuse,
- Étais d’ici la plus joyeuse !
- Allons, je veux te voir soudain
- Riante, gaie, heureuse, enfin !
GUILLOT.
- À quoi passes-tu la journée ?
- Trouverai-je en rentrant la basse-cour gavée ?
DENISE.
- Oui, mon cousin.
GUILLOT.
- As-tu rentré dans l’écurie
- Le foin ? As-tu mené les bœufs dans la prairie ?
DENISE.
- Oui, mon cousin.
GUILLOT.
- Et la soupe est-elle trempée ?
- As-tu mis au grenier la luzerne coupée ?
DENISE.
- Oui, mon cousin.
GUILLOT.
- Trouverai-je enfin, je te prie,
- Tout en ordre en rentrant dans notre métairie ?
DENISE.
- Oui, mon cousin.
GUILLOT.
- Alors, tu dois être contente ?
- Pourquoi donc n’as-tu plus la mine souriante ?
- Que dirait l’oncle Mathurin
- S’il te voyait, etc., etc., etc.
- Que dirait l’oncle Mathurin
GUILLOT.
- Tu ne fais rien depuis deux heures
- Eh bien !… en vérité, l’on dirait que tu pleures !
DENISE, s’essuyant les yeux.
- Non, mon cousin.
GUILLOT.
- Ne suis-je pas la bonté même ?
- Et, pour toi, ma douceur n’est-elle pas extrême ?