Paul Regnaud, Le Rig-Véda et les origines de la mythologie indo-européenne (conférence) 1889


LE RIG-VÉDA


ET LES


ORIGINES DE LA MYTHOLOGIE
INDO-EUROPÉENNE


Conférence prononcée au Musée Guimet, le 20 mai 1889[1].

I


En prenant la parole dans ce bel édifice où se trouvent réunis tant d’objets qui intéressent la science à laquelle mes conférences seront consacrées, je dois avant tout adresser des remerciements à l’amateur généreux et éclairé dont je suis l’hôte. Je n’ai pas à rappeler les lointains voyages de M. Guimet, ses goûts d’artiste, ses curiosités intellectuelles, toutes les initiatives hardies et toutes les dispositions heureuses qui l’ont si bien engagé, dirigé et secondé dans le dessein formé de bonne heure par lui de consacrer la meilleure partie de son temps et de sa fortune à créer en France un Musée des religions de l’Orient. Mais comment ne pas célébrer au moment où je vais en profiter et où j’en sens particulièrement tout le prix, le couronnement qu’il a mis, pour ainsi dire, à son œuvre en gratifiant l’État et la ville de Paris de la collection magnifique et unique dans son genre qu’il a réunie dans ce palais ? En présence de tant de générosité jointe à tant de zèle scientifique, il n’y a que justice à le proclamer le Mécène de de nos études : c’est un titre auquel il a d’autant plus de droit que, meilleur appréciateur de tous ces trésors, il aurait pu davantage être jaloux d’en réserver pour lui seul, au lieu de nous y faire participer tous, la pleine et entière jouissance.

J’aurai garde d’oublier dans l’expression de ma gratitude M. de Milloué, l’excellent collaborateur de M. Guimet. Depuis dix ans je suis le témoin et le bénéficiaire de son amabilité, de son ardeur, de son savoir. Il a apporté autant d’intelligence et de talent à organiser et à administrer le Musée que M. Guimet lui-même a mis de persévérance et de goût à le composer. Pourrait-on taire cet éloge en ayant sous les yeux un spectacle qui le sollicite si vivement ?


Ici, hommes et choses me convient donc à la tâche que j’entreprends devant vous, et pour laquelle je sollicite toute votre indulgence, celle de débrouiller, autant que le permet l’état actuel de la science, les origines de la mythologie indo-européenne d’après le Rig-Véda.

Je ne dois pas me dissimuler toutefois que les termes mêmes dont je viens de me servir pour résumer mon programme, peuvent provoquer de prime abord des questions qui ressemblent beaucoup à des objections. Le moment est-il venu de se livrer à l’étude d’un groupe mythologique spécial avec quelque chance d’en comprendre les causes premières ? Une pareille tentative faite en vue d’un pareil but ne doit-elle pas être précédée et préparée par la possession d’une science encore dans l’enfance et qui en est la préface nécessaire, celle de la mythologie générale, tronc primitif et fécond d’où dérive à titre de rameaux chaque groupe mythologique particulier ? En un mot, la mythologie indo-européenne, même sous sa forme la plus ancienne, n’est-elle pas le stage secondaire d’un développement antérieur qui en contient à la fois le germe et l’explication ?


  1. M. Paul Regnaud a inauguré, le lundi 20 mai, les cours et conférences que la direction du Musée Guimet se propose d’organiser pour compléter l’œuvre d’instruction et de vulgarisation à laquelle est destinée la fondation de M. Guimet. Le directeur, M. de Milloué, a ouvert la séance en prononçant les paroles suivantes :

    « Le Musée Guimet est, comme vous le savez, destiné à l’étude des religions des civilisations de l’antiquité et de l’Orient. Mais, malheureusement, ses dieux sont muets, et pour les faire parler, pour leur arracher le secret des antiques civilisations auxquelles ils ont présidé, nous avons besoin du concours de leurs éloquents interprètes, les savants qui ont voué leur vie à l’étude de l’histoire, de la langue et des dogmes des peuples qui nous ont précédés. Tel est le but des conférences que nous inaugurons aujourd’hui. M. Regnaud a bien voulu répondre à notre appel. Nous lui en sommes profondément reconnaissants. »