Chtchedrine, Le Pomèchtchik sauvage dans Trois Contes russes
Traduction Ed. O’Farell 1881
LE POMÈCHTCHIK SAUVAGE
Il y avait une fois un empire. Dans cet empire il y avait un pomèchtchik[1].
Or ce pomèchtchik se sentait heureux de vivre. Il avait tout à souhait : des paysans, du blé, du bétail, des terres, des jardins.
C’était d’ailleurs un être stupide, dont toute la nourriture intellectuelle consistait dans la lecture du Moniteur des intérêts pomèchtchikaux.
Quant à sa constitution naturelle, il avait une complexion lymphatique et la peau blanche.
Un jour il se mit à implorer la bonté divine : « Seigneur, s’écria-t-il, vous m’avez donné tout en abondance, vous m’avez comblé de bienfaits ! Cependant vous avez permis que mon cœur fût attristé par une affliction que je ne suis pas en état de supporter : mon pays est infesté de moujiks.
« Seigneur, délivrez-moi de cette plaie ! »
Dieu, dans son omniscience, n’ignorait pas que ce pomèchtchik était stupide. Aussi
- ↑ Pomèchtchik signifie littéralement « propriétaire d’un domaine ». Autrefois, jusque vers l’époque de l’émancipation des serfs, on ne comptait que des nobles parmi les pomèchtchiks. Aujourd’hui il existe des bourgeois propriétaires de domaines. Néanmoins « gentilhomme campagnard » est le terme français qui répond peut-être le mieux à l’idée russe. Cependant on ne dit point « Monsieur le gentilhomme campagnard », tandis qu’en russe on dit « Monsieur le pomèchtchik ». On a trouvé plus simple de conserver le mot russe. Les exemples des mots « boyard, lord », etc., empruntés aux langues étrangères peuvent excuser cette liberté du traducteur.