Elizabeth Gaskell, Cousine Phillis 1864
Traduction Émile Daurand Forgues 1879
COUSINE PHILLIS
I
Que d’angles dans cette mansarde ! Un géomètre y eût retrouvé toutes les figures du cours le plus complet, mais c’était mon premier domicile de libre garçon, et j’en pris possession avec un orgueil, une joie indicibles.
Mon père l’avait choisie en bon air, donnant sur la place du marché, au-dessus d’une boutique de pâtisserie tenue par deux antiques demoiselles, comme nous de la secte des indépendants, avec l’arrière-pensée que ma conduite et mes principes religieux seraient sévèrement contrôlés par les misses Dinah et Hannah Dawson, en compagnie de qui je devais prendre mes repas. Lui-même, faisant trêve à ses obstinés travaux et endossant pour la première fois, je crois, son habit des dimanches un jour ouvrable, était venu me présenter au patron sous les ordres duquel je devais débuter.
C’était un jeune ingénieur nommé Holdsworth, qui m’avait accepté dans ses bureaux en reconnaissance d’un utile renseignement à lui fourni par mon père.
Mon père… Je m’aperçois que ces mots reviennent à chaque instant sous ma plume ; qu’on me pardonne cet orgueil filial ! L’Angleterre est heureuse de produire de tels hommes. Celui-ci, né pauvre, sans aucunes ressources d’éducation, s’était créé lui-même de toutes pièces, et de par la vertu d’un génie secret qui le poussait aux investigations mécaniques. À l’époque dont je parle, il n’était pas connu comme il l’est maintenant ; mais dans un certain cercle d’hommes pratiques, personne n’ignorait le nom de Manning, attaché désormais à une véritable découverte, la fameuse « roue de propulsion, » le rouage-Manning, disent les gens du métier.
La vie que je menai à Eltham pendant les premiers mois de mon installation ne répond pas à l’idéal d’une jeunesse folâtre. On travaillait dur sous la direction de M. Holdsworth, alors chargé de construire un petit embranchement de chemin de fer entre Eltham et Hornby. Dès huit heures du matin, il fallait