Laurent Mourguet, Théâtre lyonnais de Guignol : Tu chanteras, tu ne chanteras pas (1865)


TU CHANTERAS
TU NE CHANTERAS PAS

POCHADE EN UN ACTE
Une place publique.

Scène I

BONNARD, CHALAMEL.
BONNARD.


Comment, Docteur, tu me quittes ?… Ma femme souffre beaucoup.

CHALAMEL.

Ne t’inquiète pas, mon ami ;… Madame Bonnard n’accouchera pas avant demain. Je serai de retour ce soir, entre huit & neuf.

BONNARD.

C’est égal… je suis contrarié de te voir partir.

CHALAMEL.

Ne crains rien. Je t’apporterai un lièvre.

BONNARD.

Comment ! tu vas à la chasse ?

CHALAMEL.

Oui, mon ami. C’est une partie projetée depuis huit jours… Nous sommes nombreux… La plaine de Montluel retentira de nos exploits… Je ne veux pas qu’il y reste une pièce de gibier.

BONNARD.

Au moins, reviens de bonne heure.

CHALAMEL.

D’ici là ne néglige pas mes prescriptions… Surtout prends tes mesures pour éviter tout tapage sur cette place. Dans l’état où est ta femme, le bruit peut lui être funeste.

BONNARD.

Comment veux-tu que je fasse ? Cette place est une des plus bruyantes de la ville. Les marchand, le matin… les orgues de Barbarie & les musiciens de toute espèce, au milieu du jour… & les ivrognes, le soir.

CHALAMEL.

Il n’est pas bien difficile de te débarrasser de ces gens-là. Si c’est un ivrogne, donne-lui vingt sous, en le priant d’aller chanter au cabaret ; il t’obéira avec enthousiasme… Un musicien ? Donne-lui dix sous à condition qu’il s’éloignera c’est toute la recette qu’il peut faire sur cette place… il ira ailleurs… Un marchand ? Fais-lui une petite emplette, sous la même condition.

BONNARD.

Tu as raison, Docteur. Tu as un esprit de ressources admirable.

CHALAMEL.

Allons, mon cher Bonnard, je te quitte. Tu auras ce soir de mes nouvelles… & de mon gibier. (Il sort.)


Scène II

BONNARD, seul

C’est un charmant médecin que mon ami Chalamel… Il prend le plus grand soin de ses malades. Il leur fait manger plus de cailles & de perdrix qu’il ne leur ordonne de juleps & de médecines… C’est sa méthode à lui… elle ne manque pas d’originalité… C’est aussi un homme d’esprit & de bon conseil… Allons donner à mes domestiques les ordres nécessaires. (Il entre chez lui.)


Scène III

LE SERGENT, seul.

(À la cantonade.) Fiez-vous à moi, camarades… La noce sera majestueuse… je vais faire les choses superlativement. (Il vient en scène) Trois promotions dans le régiment ! Il s’ensuit conséquemment une fête, ou plutôt trois fêtes, où nous nous amuserons comme quatre… approximativement. C’est moi qui suis l’ordonnateur… J’ai choisi le cabaret du père Bajazou, à l’enseigne du Chien à trois pattes… Allons ! vive la gaîté française ! Plaisir & bombance !