Wagner à Bayreuth
L.-A. Bourgault-Ducoudray

Revue des Deux Mondes tome 115, 1893






WAGNER À BAYREUTH








Wagner a dit avec raison : « Que ceux auxquels mes œuvres paraissent dignes d’attention viennent à Bayreuth ! » Il est tout à fait impossible ailleurs de se faire une juste idée de l’effet de ses drames musicaux. Wagner n’est pas seulement un poète-musicien ; il est encore architecte, metteur en scène, machiniste. Aucun détail dans l’organisme complexe d’un théâtre musical n’a échappé à son esprit de réforme ; toutes les pièces de cet immense outillage ont été fondues à nouveau dans le creuset de sa volonté implacable ; il a su organiser toutes les forces, les diriger à son gré et les coordonner afin d’assurer la manifestation exacte de sa pensée et la représentation véridique de ses conceptions.

D’ordinaire le compositeur dramatique subit, dans la mise au jour de son œuvre, des conditions qu’il n’a pas créées : celles du milieu, du local, de l’acoustique ; sans parler du concours obligé d’interprètes plus ou moins dévoués et de collaborateurs nombreux, serviteurs plus ou moins respectueux de sa pensée. Il dépend de son librettiste : la plus belle musique ne saurait faire vivre un opéra dont le poème est condamné ; — des chanteurs : l’absence d’une « étoile » sympathique au public peut compromettre ou retarder le succès d’un ouvrage ; — du chef d’orchestre : il suffit d’une altération dans les mouvemens ou d’un défaut d’ardeur dans l’interprétation pour dénaturer l’esprit d’une œuvre ; — du metteur en scène : la mise en scène d’opéra a sa tradition, ses « précédens, » et il est souvent impossible à l’auteur de ne pas s’y conformer, même s’il est convaincu qu’une infraction à ces conventions serait nécessaire pour assurer la complète réalisation de sa pensée ; — du machiniste : il est arrivé qu’une fausse manœuvre a compromis le succès d’une scène et même celui d’une pièce. Dans les conditions ordinaires, la production d’un opéra, — je prends le mot production au double sens de « création » et de « représentation, » — est le résultat d’une coopération d’activités et de volontés ; si une seule de ces activités est inhabile ou une seule de ces volontés rebelle, c’en est fait du succès de l’œuvre d’art.

Wagner, plein d’une confiance absolue dans sa force, s’est affranchi de toutes les servitudes, a supprimé toutes les collaborations et assumé toutes les responsabilités : il est à la fois son musicien, son poète, son architecte, son metteur en scène, son machiniste. Ne pouvant se passer du concours des interprètes musicaux, il a su les « fasciner. » De plus, il a réformé le milieu où la musique dramatique a coutume de se produire, et « imposé » à son public des mœurs spéciales, conformes à sa tendance et à sa volonté.

Wagner est son propre architecte. Dès 1851, il eut la conception du plan de son théâtre : rompant avec les nécessités « pratiques, » il venait de donner un plein essor à son idéal dans ses écrits « théoriques » et portait déjà en lui la tétralogie des Nibelungen, pour la représentation de laquelle il rêvait une salle construite dans des conditions toutes nouvelles. La réalisation de ce plan ne devait se faire que vingt-cinq ans plus tard, quand la fortune, longtemps ennemie, changea ses persécutions en faveurs. En novembre 1871, Wagner choisissait Bayreuth pour la construction de son théâtre modèle, dont la première pierre était posée en 1872, et dont l’inauguration avait lieu en 1876 avec la Tétralogie.

À l’extérieur, le théâtre de Bayreuth n’offre rien de remarquable que son emplacement, très heureusement choisi sur la pente d’une colline boisée. Quand on regarde l’édifice, on comprend que l’architecte n’a pas visé à faire un très beau monument, mais un édifice utile, répondant à sa destination. En pénétrant dans la salle, on éprouve quelque surprise. Pas d’étages, pas de galeries, pas d’orchestre visible, mais de simples rangées de banquettes formant un vaste amphithéâtre qui monte jusqu’à une galerie unique (galerie des princes) placée au fond. Rien sur les côtés que des pilastres fort simples supportant les appareils d’éclairage ; et, entre ces pilastres, des portes dont la disposition rappelle les vomitorium du théâtre antique.

Ceux qui, en venant au théâtre, tiennent avant tout à contempler une « belle » salle, trouveront au public de Bayreuth l’aspect un peu froid d’un auditoire de concert. Mais le spectateur qui demande au théâtre des émotions d’art ne regrettera ni ces galeries trop élégamment peuplées pour ne pas créer une concurrence au spectacle, ni ces loges qui, en rapprochant des amis, — souvent trop expansifs, — mettent à la torture ceux qui voudraient écouter. À Bayreuth, l’intérêt pour le spectateur n’est pas dans la salle, mais sur la scène. Pas plus au dedans qu’au dehors, l’architecte n’a sacrifié au plaisir des yeux les légitimes exigences de l’art.

Certains architectes de renom ont émis l’opinion, parfois intéressée, que la bonne acoustique d’une salle est un simple effet du hasard. Sans être architecte, chacun peut observer que les salles très richement décorées, surchargées de tentures, à parois présentant des surfaces peu simples, à plafond extrêmement élevé, sont en général défavorables à la musique. L’acoustique du théâtre de Bayreuth vient confirmer la justesse de ces observations : pas luxueuse, très peu décorée, très simple dans ses contours, d’une hauteur de plafond modeste, elle est en même temps d’une sonorité idéale. Ajoutons qu’elle est de dimension « modérée. » Certains théâtres, celui de la Scala entre autres, contiennent plus de 3 000 personnes. Dans celui de Bayreuth il y a place seulement pour 1 650 spectateurs, mais toutes les places sont bonnes ; de partout l’on voit et l’on entend excellemment : si, sur les gradins du bas, on a l’avantage d’être plus rapproché de la scène, en revanche sur les gradins supérieurs on est plus isolé et plus soumis encore à l’attraction et à l’illusion dramatiques. Dès les premières mesures attaquées par l’orchestre, on reconnaît qu’au point de vue acoustique l’autocratie de Wagner ne l’a pas mal servi et que le « hasard » ne lui a pas joué de mauvais tour.

L’orchestre de Bayreuth est entièrement invisible pour le spectateur. La partie antérieure (celle qui touche à la salle) est masquée par une sorte de toiture en zinc qui recouvre le chef d’orchestre et les premiers rangs du quatuor. La cavité où sont placés les instrumentistes s’étend en se creusant jusque sous la scène. Entre la scène et le toit de zinc il y a un espace vide, donnant issue aux ondes sonores. Les instrumens bruyans sont placés tout au fond, dans la partie entièrement recouverte par le plancher de la scène qui forme la mâchoire supérieure de cette bouche sonore. Le grand avantage de cette disposition est de permettre aux instrumentistes de jouer fort, sans que jamais la voix du chanteur cesse d’être entendue. À Bayreuth, même dans ses emportemens et ses colères, l’orchestre de Wagner, aux intensités inouïes, aux sonorités ultrasomptueuses, ne couvre jamais la voix. Cette subordination de l’élément instrumental à la partie vocale, qu’il faut des trésors de volonté de la part du chef et d’attention de la part des artistes pour réaliser dans les conditions ordinaires, se produit à Bayreuth tout naturellement, par ce seul fait que la situation même de l’orchestre en atténue toutes les violences. Non-seulement l’invisibilité de l’orchestre favorise le chanteur en lui épargnant l’obligation de crier et en lui permettant de faire comprendre les paroles, elle a encore pour avantage d’accroître le prestige de l’illusion. Si l’orchestre est indispensable à la vie du drame musical, est-il utile que cet organe soit visible ? Un basson qui souffle, un contrebassiste qui frotte, un chef d’orchestre qui se démène, ne présentent pas un coup d’œil précisément enchanteur. La vue de l’orchestre nous rappelle que les plus mystiques sonorités sont produites par des agens matériels dont l’aspect n’a absolument rien d’éthéré. Si ce spectacle intéresse le dilettante au point de vue de la curiosité technique, il peut distraire l’attention du spectateur de l’objectif principal et nuire à l’illusion dramatique[1].

Wagner a voulu que toutes les facultés du spectateur fussent tendues vers la scène ; pour atteindre ce but, il emploie un moyen radical, mais efficace : au commencement de chaque acte on supprime la lumière, la presque obscurité se fait dans la salle, la scène seule reste éclairée.

Quand un amateur véritablement épris d’art entre au théâtre, c’est dans l’espoir de dépouiller sa propre existence pour vivre d’une vie idéale. Si nous étions sûrs, en prenant notre place, de pouvoir échanger notre personnalité pour « une autre » créée par la fantaisie de l’artiste, le but de l’art serait toujours atteint… à moins pourtant qu’un voisin gênant ne vînt brutalement faire évanouir notre rêve. Il suffit parfois d’une parole, d’un mouvement, d’un rien pour distraire notre attention. Alors, adieu l’illusion ! Le charme est rompu et le plaisir s’envole. L’obscurité dans la salle supprime la résistance qu’opposent les impressions extérieures à l’illusion scénique, à peu près comme la machine pneumatique, en faisant le vide, supprime la résistance de l’air. L’âme du spectateur qui se trouve ainsi arrachée au monde réel se précipite avec ardeur vers la fiction, se plonge avec amour dans l’irréel. En même temps qu’elle isole le spectateur et nourrit son attention en l’absorbant, la concentration de la lumière sur le point unique où le drame se déroule donne à l’illusion scénique une puissance irrésistible. Tout a disparu pour le spectateur, sauf la fiction, qui, en acquérant une extraordinaire intensité de relief et de vie, devient vraiment pour lui la seule « réalité. » Si on le voulait, cette innovation serait d’une application facile et immédiate dans tous les théâtres. Elle n’entraînerait aucune dépense, au contraire ; et elle n’exigerait aucun aménagement spécial.

Une dernière particularité reste à mentionner dans l’organisation matérielle du théâtre de Bayreuth : la toile ne se lève pas suivant l’habitude consacrée, mais deux portions de rideau qui étaient jointes s’écartent et rentrent à droite et à gauche dans la coulisse. Cette façon de découvrir la scène est usitée, paraît-il, en Suisse, dans les théâtres populaires. Que ce soit ou non une invention de Wagner, cette innovation ne me paraît avoir qu’une médiocre importance. Heureusement pour sa renommée de novateur, Wagner a fait de plus précieuses trouvailles.

Wagner est son propre metteur en scène. D’ordinaire, dans l’opéra, la mise en scène est un compromis entre les exigences du drame et celles de la musique. Certaines conventions que l’Italie nous a léguées comme des vestiges de « l’opéra-concert » sont encore en usage dans les théâtres musicaux. Très souvent le chanteur, préoccupé d’obtenir le maximum d’effet vocal, choisit sur la scène non pas la place qu’il devrait y occuper logiquement, mais celle d’où sa voix portera le mieux. Si parfois il est forcé par les exigences du drame de chanter à une grande distance du public, bientôt après il se ménage de douces compensations. Il y a des passages entiers qu’il chantera « au public, » beaucoup plus préoccupé de ce dernier que du drame lui-même. Il pourra pendant quelque temps oublier les autres personnages, pour se mettre en communication plus intime avec le spectateur. S’il réussit à le charmer, il en sera aussitôt récompensé : le public applaudira, l’artiste saluera ; en cas de rappel, il réapparaîtra. Après avoir échangé cette poignée de main lointaine, acteurs et public reprendront leurs positions : le spectateur se replongera, s’il le peut, dans l’illusion ; l’artiste se rappellera qu’il a un rôle à représenter et songera de nouveau à remplir son devoir « dramatique » momentanément sacrifié à la recherche exclusive de « son » effet. Cet échange continuel d’impressions et de sentimens entre l’auditeur et l’acteur peut exalter l’amour-propre de ce dernier, mais il présente ce grave inconvénient que l’artiste est moins préoccupé de « vivre » son rôle que de conquérir les bonnes grâces du public et de récolter des témoignages immédiats de sa sympathie. Il compromet gravement l’illusion scénique et engendre tout ce qu’il y a de conventionnel et de factice dans la mise en scène d’opéra. Ainsi l’acteur, animé d’une sollicitude constante et d’une déférence minutieuse pour le public, aura une tendance à surveiller les impressions de ce dernier, à guetter et à briguer ses regards. Il évitera de prendre certaines positions comme nuisibles à l’effet ou pas assez révérencieuses. Il chantera le moins possible en se posant de profil ou même de trois quarts. Il ne tournera jamais le dos au spectateur. Il s’abstiendra de « courir : » sa gravité et les convenances s’y opposent.

Wagner a aboli toutes ces conventions. Et pourquoi les aurait-il maintenues, puisque la plupart reposent sur un échange d’impressions entre l’artiste et le public et qu’il a rendu cet échange impossible en interdisant les applaudissemens pendant l’action et en faisant la nuit dans la salle ? En même temps que l’obscurité garantit le spectateur des distractions que fait naître la vue de la salle, elle soustrait les acteurs à l’influence du public. Les acteurs ne risquent plus d’être rappelés par lui au sentiment de leur propre personnalité ; ils peuvent s’oublier en l’oubliant ; tout entiers à la représentation de leur personnage, ils peuvent s’absorber dans la vie du drame en se préoccupant exclusivement de la vérité scénique. Des conditions nouvelles devaient engendrer une mise en scène nouvelle. Les artistes de Bayreuth ne chantent plus « au public, » parce qu’ils l’ignorent ; ils n’occupent jamais sur la scène une position conventionnelle, mais chantent à la place précise qu’assigne la convenance dramatique, seul guide auquel il faille obéir. Ils ne se soucient pas s’ils sont éloignés ou rapprochés du spectateur, s’ils se trouvent par rapport à lui de face, de profil ou de trois quarts. Ils osent lui tourner le dos, si la situation l’exige, et ne s’abstiennent pas de courir, si la vraisemblance le réclame. En un mot, la mise en scène nouvelle n’est plus basée sur les rapports entre les acteurs et le public, mais sur une vraisemblance rigoureuse, sur une exacte représentation de la vie.

Une pareille mise en scène serait probablement impraticable dans un théâtre trop vaste ou dont l’acoustique serait défectueuse. À Bayreuth, comme la salle est de dimension moyenne et de sonorité exquise, il n’en résulte aucune déperdition de l’effet musical ; la voix du chanteur, ménagée par l’orchestre invisible, s’entend toujours assez, quelle que soit la position qu’il occupe sur la scène.

Si dans l’état actuel de nos mœurs artistiques on est parfois choqué de voir de véritables artistes se dérober aux exigences de la vérité dramatique, que dire de l’attitude du « chœur » demeurant invariablement immobile, impassible et figé, quand il devrait gesticuler, remuer et agir ? De loin en loin, quelques infractions heureuses à la théorie de l’immobilité ont pu faire entrevoir de quel puissant renfort serait pour le drame musical l’intervention d’un chœur vivant et agissant à la façon d’un personnage ; mais, après quelques résultats trop passagers, la routine venait de nouveau l’emporter sur l’art. Les représentations de Bayreuth démontrent que ces exceptions heureuses peuvent devenir la règle. Là, le chœur ne concourt pas seulement à l’interprétation musicale, il s’intéresse à l’action ; il exprime les sentimens qu’il ressent non-seulement par le moyen des sons, mais par la mimique et par le mouvement. Il n’afflige plus le regard en lui offrant la régularité automatique d’un régiment divisé en quatre sections : sopranos, contraltos, ténors et basses. Son attitude est plus variée, plus souple et plus libre. Les lois du pittoresque ou de la vraisemblance scénique l’emportent sur le classement par numéro matricule ou par catégorie de voix. Le second acte de Tannhäuser m’en fournit un exemple. Quand les invités du landgrave arrivent, ils se présentent successivement par groupes : chaque groupe représentant une famille, la vraisemblance exige qu’il contienne différentes natures de voix ; pour assister à la lutte des chanteurs, tous les groupes vont se ranger sur l’estrade, « sans se confondre ; » il en résulte dans l’ensemble du personnel choral un mélange des différentes espèces de voix. L’interprétation de la « marche » n’en est pas moins admirable de sûreté et de vigueur. Pendant l’exécution de ce morceau, les choristes ne chantent pas « face au public. » Il en est de même au dernier acte des Maîtres Chanteurs, où le chœur est entièrement tourné vers l’estrade occupée par les juges et chante placé « de profil » par rapport au spectateur. La sonorité ne s’en trouve pas pour cela amoindrie : on ne saurait la rêver plus nourrie et plus éclatante. Il est vrai, je le répète, que l’acoustique de la salle est excellente, sa grandeur moyenne ; et de plus les choristes ne chantent jamais mollement.

Après avoir signalé les améliorations apportées à la mise en scène des artistes et des chœurs, il serait injuste de ne pas mentionner l’importance toute nouvelle que Wagner a réservée à la pantomime dans ses productions. Des passages parfois développés, où la symphonie intervient seule, soulignant et commentant les gestes des personnages, sont d’un effet saisissant. Rien ne saurait égaler l’éloquence de ces conversations « muettes : » justifiées par la situation, elles vous impressionnent plus que ne le feraient les plus belles phrases de chant.

Wagner est son propre machiniste. Le grand réformateur qui s’est proposé pour but de rendre sa conception sensible et irrésistible, en empruntant le secours de tous les arts, ne pouvait négliger aucun des engins dont dispose le riche outillage de la machinerie moderne. Mais les engins de machiniste, les décors et les « trucs » deviendront entre ses mains des agens d’expression concourant à l’unité dramatique. Le « truc » ne sera plus un hors-d’œuvre, juxtaposé à l’action : plus de patineurs de Munster, plus de cascade de Ploërmel. Il acquerra une valeur esthétique, il servira directement la pensée du poète en donnant une plus-value d’impression à l’œuvre d’art. Dans la scène du Graal, de Parsifal, au moment où la lumière miraculeuse descend de la coupole et embrase d’une pourpre éclatante le calice sacré, l’effet produit par les rayons lumineux est d’une très grande intensité, parce qu’il coïncide avec l’apogée de l’impression dramatique et musicale. Plus ingénieux et plus nouveau est le truc du « décor qui marche » dans le même opéra. À la fin du premier tableau, lorsque Gournemans et Parsifal paraissent cheminer vers le burg du Graal, ils piétinent sur place, et c’est le décor qui se met en mouvement. Le spectateur voit se dérouler devant lui une succession de sites grandioses : forêts, masses rocheuses, galeries taillées dans le roc. La scène s’assombrit graduellement, et, des ténèbres qui l’envahissent, on voit se dégager peu à peu l’architecture du temple. Une musique inouïe accompagne la marche des deux voyageurs ; mais elle ne suffirait pas, malgré sa prodigieuse beauté, à mettre le spectateur « au point » sans le prestige du décor. L’étonnement, l’effroi religieux où nous plongent ce déplacement merveilleux, cette lumière décroissante et ces ténèbres s’associent à l’impression musicale pour nous donner l’appétit du mystère. Il fallait le moyen matériel imaginé par Wagner pour préparer le spectateur aux sublimités de la scène du Graal et l’élever à la compréhension du divin.

L’apparition de la lune à la fin du deuxième acte des Maîtres Chanteurs est d’un à-propos dramatique non moins saisissant. Après le formidable tohu-bohu de ce quartier réveillé en sursaut dont tous les habitans affolés se poursuivent par les places, par les rues, se ruant les uns sur les autres, se bousculant, se battant ; après que chacun est rentré chez soi et que le calme est enfin revenu, le veilleur de nuit paraît, il souille dans sa trompe ; et, par-dessus les grands toits pointus, la lune de Nuremberg se montre, stupéfaite du vacarme insolite qui s’est produit dans la plus paisible des cités d’Allemagne. C’est là une trouvaille ! c’est là un truc vraiment génial !

Là où sa propre activité pouvait se produire, Wagner a supprimé toutes les collaborations et endossé toutes les responsabilités. Mais s’il est devenu son propre architecte, son metteur en scène, son machiniste, il ne lui était pas permis de se substituer aux interprètes musicaux : instrumentistes et chanteurs. Ne pouvant se passer d’eux, il a su en faire les organes obéissans d’une volonté toute-puissante et unique. Il a exigé et obtenu de ses chanteurs que leur personnalité s’effaçât complètement devant l’intérêt supérieur de l’œuvre. Leur mission consiste à traduire strictement ce qui a été senti, pensé et formulé par le maître. Pour donner à leur personnage son caractère et son esprit, ils s’attacheront à comprendre l’œuvre dans son ensemble, au lieu de se cantonner étroitement dans l’étude de leur rôle. Toute ambition égoïste, toute recherche d’effet « personnel » leur est rigoureusement interdite. Sous aucun prétexte il ne leur est permis de rien ajouter ni retrancher au texte poétique et musical. Défense de presser la mesure si la phrase exige une longue respiration, ni de la ralentir pour mieux arrondir la période ou s’étendre complaisamment sur un son filé ! D’ailleurs à quoi leur servirait de flatter le public et de chercher l’effet, puisque les concessions les plus grandes, les condescendances les plus humbles ne leur rapporteraient rien, puisqu’ils ne seraient pas applaudis, puisqu’ils sont isolés du spectateur par l’obscurité et parle silence ? Wagner a coupé le mal dans sa racine, en supprimant jusqu’à la tentation à laquelle l’artiste pourrait succomber, s’il savait qu’en faussant l’intention de l’auteur, il produira un « effet. »

Il faut le dire, une autre cause s’oppose, à Bayreuth, aux abus de pouvoir du chanteur et à sa convoitise immodérée de l’effet. Dans les œuvres de sa dernière manière, Wagner a entièrement subordonné les voix à l’orchestre. S’il réserve à ce dernier les phrases éloquentes, les élans passionnés, les expansions lyriques, en revanche la ligne de chant n’a trop souvent qu’un intérêt secondaire. Le rôle du chanteur se réduit parfois à être un simple agent de l’expression « littéraire, » le porte-parole d’une situation dont les instrumens expriment l’effluve dramatique et l’intensité passionnelle. Aussi les chanteurs de Bayreuth s’appliquent-ils avant tout à bien articuler, à prononcer distinctement les paroles dont l’audition lucide est nécessaire à la pleine intelligence du drame. Les nombreuses consonnes dont l’allemand est hérissé, la rudesse de certaines aspirations, le rendent peu propice aux inflexions douces et au style lié. La dureté de la langue réagit sur le chant, et ce défaut de flexibilité et de douceur est encore accru, lorsque la diction est mise en évidence par une articulation presque exagérée. Ma première impression m’avait conduit à douter que le chant allemand pût se prêter à des effets de douceur et de charme : je changeai bientôt d’avis en entendant Mme  Sucher dans le rôle d’Iseult, et M. Scheidemantel dans celui de Wolfram. Mme  Sucher unit à des qualités plastiques et tragiques supérieures un organe superbe et un talent de cantatrice de premier ordre. Tantôt elle sait rugir comme une lionne ; tantôt elle se montre séduisante comme une sirène. La fascination est également irrésistible dans l’emportement de la passion et dans les plus douces expansions de la tendresse. M. Scheidemantel est doué d’une voix de baryton au timbre enchanteur dont les inflexions moelleuses sont une caresse pour l’oreille, il prête au personnage de Wolfram une mélancolie sereine dont rien n’égale la sympathie pénétrante et la poétique suavité. Les émotions puissantes et douces dont je suis redevable à ces deux artistes éminens m’ont convaincu que le chant allemand, — et même le chant wagnérien, — ne sont point incompatibles avec les effets vocaux. Chez tous les interprètes de Bayreuth on trouve, à défaut d’un talent égal, un esprit d’abnégation, une conscience, un respect de l’œuvre et une ferveur artistique dignes des plus grands éloges. Ces qualités si précieuses, qui donnent l’harmonie et l’unité à l’ensemble d’une représentation, se rencontrent non-seulement chez les solistes, mais chez les choristes et les instrumentistes.

Tous reçoivent l’impulsion unique du chef d’orchestre, dépositaire de la pensée du maître, mandataire intègre et scrupuleux qui, du regard et du geste, donne la vie à l’exécution. Sauf la sonorité des instrumens de bois qui laisse un peu à désirer au point de vue de la transparence et de la finesse, l’orchestre de Bayreuth est admirable de puissance et de chaleur communicative. L’attaque de certains accords par les instrumens à cordes a une énergie telle qu’elle vous donne le frisson. La sonorité des chœurs est décuplée par la conviction et l’enthousiasme. Il n’existe dans cette légion d’interprètes ni indifférence, ni réticence, ni scepticisme. Chefs d’orchestre, instrumentistes, chanteurs et choristes, tous ont la religion du maître ; tous possèdent l’ardeur, la volonté et la foi.

Wagner a su hypnotiser son public et le convertir à des mœurs artistiques spéciales. En adoptant l’emplacement de Bayreuth pour construire son théâtre, il savait bien ce qu’il faisait. « La ville choisie, écrivait-il à un ami, ne devait pas être une capitale avec un théâtre déjà existant, ni une ville d’eaux amenant en été un nombreux public absolument impropre à pareil spectacle. » Wagner ne voulait pas de spectateurs d’occasion ; il était nécessaire qu’ils fissent le voyage expressément pour assister à ses représentations : ils devaient venir là « en pèlerinage. » Il ne fallait pas que les pèlerins pussent trouver, à côté du théâtre modèle, soit des distractions trop vives, soit un autre théâtre dont les anciens erremens et les mœurs artistiques fussent contraires aux tendances du nouvel art.

Toutes les conditions requises par le réformateur, Bayreuth les réunit à souhait. C’est une ville non pas insignifiante, mais dénuée d’attractions assez grandes pour que l’attention du voyageur soit distraite de son but unique : Wagner ! Le théâtre, situé à une petite distance de la ville, est construit sur une colline et adossé à une forêt. Les représentations commencent à quatre, heures. Avant chaque acte, des fanfares placées à droite et à gauche du théâtre annoncent au public qu’on va commencer. Ces fanfares lancent aux coins de l’horizon un des thèmes typiques de l’œuvre représentée. Cinq ou six minutes s’écoulent pour laisser aux spectateurs le temps de se placer, avant que l’obscurité, remplaçant les trois coups traditionnels, ne se fasse dans la salle. Aussitôt que la lumière a disparu, l’orchestre commence, et un silence religieux s’établit. Le profond recueillement du public ne se dément pas pendant toute la durée de l’acte : personne ne cause, personne ne bouge. Le spectateur est si bien pris par l’illusion scénique, qu’il n’éprouve pas d’autre désir que de s’y laisser aller. Les applaudissemens sont interdits avant la fin de l’acte et réservés surtout pour la fin de la pièce. Pendant les entr’actes, — il y en a deux et leur durée est d’environ trois quarts d’heure, — ceux que n’attirent pas les séductions de la bière et de la saucisse allemandes, mais qui éprouvent le besoin de digérer leurs impressions musicales, trouvent dans la forêt l’occasion d’une promenade ravissante. Du haut de la colline, dont les pentes ombreuses s’étagent derrière le théâtre, on embrasse un large et pittoresque horizon. Les représentations ayant lieu dans les plus beaux mois de l’année, d’ordinaire le soleil éclaire et vivifie ce séduisant paysage. Les entr’actes se font, l’un vers cinq heures et demie, l’autre vers sept heures, un peu avant le coucher du soleil, à l’heure la plus poétique du jour. Lorsque les fanfares retentissent de nouveau, le promeneur se dirige vers le théâtre, rafraîchi et reposé. À dix heures le spectacle finit, et ceux qui n’ont pas « consommé » pendant les entr’actes s’en vont souper gaiement, en causant de leurs impressions. Parfois les émotions artistiques se prolongent jusque dans le sommeil, ou le contrarient ; mais aucune affaire urgente ne sollicite le pèlerin-amateur : le lendemain il lui sera permis de se lever tard, et il aura une demi-journée de loisir pour se détendre, avant de recommencer l’ascension vers le temple. Parmi tous les prodiges accomplis par Wagner, le plus étonnant peut-être est d’avoir fourni aux admirateurs du beau l’occasion de vivre cinq jours entiers sans autre préoccupation que celle de l’art et le loisir de savourer leurs impressions « sans se hâter. »

J’ai pu faire cette année le pèlerinage de Bayreuth : mes impressions ont été profondes ; je voudrais les dire ici afin d’inspirer à ceux qui ne l’ont pas encore fait, le désir de suivre mon exemple. Voici quel fut l’emploi de mon temps et l’ordre des représentations auxquelles j’assistai : premier jour, Parsifal ; second jour, Tristan et Iseult ; troisième jour, « repos » ; quatrième jour, Tannhäuser ; cinquième jour, les Maîtres Chanteurs de Nuremberg. J’éprouvai d’abord un sentiment de contrariété en apprenant que Parsifal ouvrait ma série : la dernière œuvre de Wagner étant considérée comme l’expression la plus complète de son génie, j’aurais préféré la voir représenter en dernier, afin de m’élever jusqu’à la plus haute cime par une ascension progressive. Je ne regrette plus aujourd’hui l’ordre des représentations. L’impression que laisse Parsifal est si profonde, si grandiose, elle déracine si bien toute résistance de la volonté qu’il vaut mieux la goûter de prime-saut, avant de s’être familiarisé avec le milieu où elle se produit. L’initiation, pour être plus rapide, n’en est que plus complète.

Dans Lohengrin, l’ouvrage précurseur de Parsifal, Wagner s’est inspiré de la pieuse légende du Graal : le saint Graal ! le vrai sang du Rédempteur, recueilli par Joseph d’Arimathie, dans un calice d’or que garde à Monsalvat une confrérie de chevaliers. Lohengrin, fils de Parsifal, en quittant la montagne sainte pour venir défendre l’innocente Elsa, nous apporte dans son poétique incognito comme un reflet de mystère, comme un parfum d’au-delà. Mais nous ne voyons que par la pensée la patrie mystique qu’il a quittée pour se mêler à des intérêts terrestres. Dans Parsifal, le mythe est abordé de front ; Wagner transporte le spectateur à Monsalvat, en plein sanctuaire du Graal, et découvre à ses yeux la profonde poésie des mystères chrétiens.

Du sujet de Parsifal, qui semble convenir à l’oratorio plutôt qu’au théâtre, Wagner a su dégager l’élément tragique en représentant la lutte des deux forces qui se combattent partout dans le monde : le mal et le bien. Les pouvoirs conjurés contre les gardiens du Graal sont le magicien Klingsor et la sorcière Koundry, sa vassale. La mission de Parsifal, le héros au cœur « simple et pur, » est de triompher d’eux et d’opérer le salut de Koundry en domptant sa force séductrice. Ce duel donne à l’ouvrage un caractère dramatique et son côté profondément humain. Le personnage d’Amfortas, — cette victime de Koundry, — que son incurable blessure rend inapte à remplir ses fonctions de roi, a fourni également à Wagner des épisodes dramatiques d’un effet puissant.

Tout d’abord, aussitôt que le rideau s’est ouvert après le prélude grandiose, on est saisi par la religiosité d’une mise en scène qui est une révélation. Tous les personnages, — même de simples figurans, — se meuvent avec une conviction, un respect de la situation et de la couleur qui vous étonne et vous subjugue. Vous n’êtes point ici dans un théâtre ordinaire ! La tenue, la démarche, les gestes, les attitudes, tout est calculé et réglé avec minutie, avec amour, en vue d’une impression religieuse à produire. Les écuyers de la suite d’Amfortas vous ont une façon de s’agenouiller et de faire leur prière qui impose aux plus indifférens. En présence du cortège funèbre rendant les derniers honneurs à l’oiseau sacré qu’a frappé étourdiment la flèche de Parsifal, nul ne sent le sourire lui monter aux lèvres : chez les plus blasés et les plus sceptiques, le prestige du spectacle a maté la gouaillerie impuissante. Ce premier tableau, consacré tout entier à l’exposition du sujet, paraîtrait un peu long peut-être… Mais il contient de si belles envolées musicales ! En même temps que se posent poétiquement les premières assises du drame, l’orchestre expose dans une langue éloquente, au coloris chatoyant, aux entrelacemens ineffables, les principaux thèmes de l’ouvrage ; celui du Dieu caché dans le mystère d’amour ; celui de la séduction et du rire sarcastique de Koundry ; celui qui caractérise le héros attendu ! ..

Ce début est gros de promesses : il fait pressentir qu’on va s’acheminer bientôt vers le pays des merveilles, en pleine révélation, en plein idéal.

J’ai dit l’immense impression produite à la fin du premier tableau par le « truc » qui conduit le spectateur jusqu’à Monsalvat en lui faisant traverser des montagnes solitaires et de sauvages régions. La fusion de l’effet musical et de l’effet du décor inspire au spectateur une angoisse sacrée ; il est bouleversé par ces perspectives inconnues, par ces sonorités inouïes, par le timbre des cloches, entendu d’abord dans le lointain, qui se rapproche peu à peu et annonce le voisinage du sanctuaire. De l’obscurité profonde où la scène est plongée surgissent des contours indécis, des formes vagues… Puis l’apparition prend corps : l’œil distingue de plus en plus nettement la colonnade supportant la coupole du temple ; et la salle mystérieuse du Graal émerge des ténèbres, comme si l’imagination du spectateur en engendrait la merveilleuse vision. Tout ce qui va suivre jusqu’à la fin de l’acte est indescriptible et sublime. La scène du Graal est d’un bout à l’autre l’expression la plus transcendante de l’art lyrique moderne. Tout est prodigieux et nouveau : conception, musique, mise en scène. Dans maint opéra se rencontrent des scènes que j’admire profondément ! Jamais, selon moi, avant Wagner, on n’avait compris si bien ce qu’un geste, une pose ou une évolution collective coïncidant avec telle intention musicale, soulignant et ponctuant telle phrase d’orchestre ou de chant, peut donner de renfort à l’expression dramatique. Il y a dans la scène du Graal une combinaison d’effets pour l’oreille et pour l’œil qui hypnotise le spectateur. On sent que Wagner a « vu » la mise en scène en même temps qu’il a entendait » sa musique. Une conception unique a présidé à l’agencement si complexe de tous les élémens de l’illusion théâtrale. Tous les arts différens, concourant à l’expression du drame, et qui s’emparent du spectateur par l’intelligence et le sentiment, par l’audition et la vision, obéissent à lui seul ; il a fait à chacun sa part ; il a réglé d’avance leurs relations réciproques, il les a tous subordonnés au but suprême : créer l’illusion de la vie ! Ces tables circulaires où prennent place les chevaliers divisés en deux groupes qui débouchent d’un côté différent de la scène et se croisent en s’avançant d’un pas solennel, ces chants d’un caractère vraiment céleste, la mimique expressive qui accompagne les péripéties du divin sacrifice, le baiser de paix que les chevaliers se donnent à la fin de la cérémonie, tout conspire à faire naître l’impression la plus religieuse et la plus haute, et en même temps la plus humaine. Toute la partie musicale qui accompagne cette scène a une valeur « plastique, » indépendante de son admirable connexité avec le drame ; elle serait belle, même sans l’attrayante variété des « timbres, » rien que par sa substance mélodique et harmonique ; elle vaut, non-seulement par l’expression et la couleur, mais par la proportion, la symétrie, le plan si ferme et nettement défini de l’ensemble. Goethe a dit de l’architecture qu’elle est comme une « musique rigide ». En retournant la pensée, on pourrait dire que la musique de la scène du Graal est une architecture vivante et fluide. Et, dans cette scène prodigieuse, la musique n’emprunte pas seulement de l’architecture le noble dessin, l’impeccable contour, la pure silhouette, les belles relations d’harmonie, d’ordonnance et d’équilibre ; elle présente un échafaudage matériel de quatre foyers de sonorité qui se superposent. Wagner a vraiment édifié une construction sonore : au-dessus de l’orchestre invisible chantent le chœur et les acteurs visibles sur la scène ; à mi-hauteur de la coupole se fait entendre un chœur de jeunes gens invisibles, et tout en haut de la coupole, des voix d’enfans également cachés semblent venir directement du ciel. De partout les ondulations sonores enveloppent l’auditeur. On dirait que le temple s’anime et que son âme chante et prie en présence du grand mystère qui s’accomplit véritablement grâce au génie tout-puissant de l’artiste créateur.

Au point de vue esthétique, on ne sait qu’admirer le plus de la plainte tragique d’Amfortas, quand il refuse de découvrir le Graal dont l’aspect redouble ses tortures ; des mélodies vraiment divines qui accompagnent la consommation du sacrifice ; des chants mystiques émanant des hauteurs de la coupole, ou de l’hymne entonné par les chevaliers qui traduit avec une si mâle noblesse la robustesse morale conférée par le sang du Sauveur. On ne saurait trop le remarquer chez Wagner : cette musique n’a pas une valeur purement esthétique ; elle exerce une influence pacifiante et saine, elle est douée d’une haute efficacité morale. Wagner a eu véritablement, en l’écrivant, la révélation directe de ce qu’il y a dans le principe eucharistique de vivifiant et de régénérateur.

Malgré tout le génie de Wagner qui a su rencontrer ses effets les plus intenses dans le domaine religieux, la conception de Parsifal eût été impossible à réaliser dramatiquement sans l’élément de contraste du deuxième acte où il a concentré l’expression des forces malignes de Klingsor et de la puissance séductrice de Koundry. Le chœur célèbre des Filles-Fleurs, qui ouvre le second tableau du second acte, est un morceau d’une suavité infinie, à la séduction duquel ajoute encore une interprétation d’une perfection presque invraisemblable. Mais, par une exception regrettable, le décor, qui devrait, conformément aux habitudes de Bayreuth, corroborer le charme et concourir à la fascination, m’a paru d’un goût exaspérant. Le décorateur a représenté, sous prétexte de « splendeur florale, » un ramassis de fleurs obèses rappelant vaguement les expositions de légumes monstres. Rien n’égale la répugnante lourdeur de ces plantes-phénomènes, dont la vue afflige le regard, tandis que la voix délicieuse des Filles-Fleurs enivre l’oreille. Quant à ces dernières, si leurs accens expriment le maximum de charme et de séduction que puisse revêtir la vie, je souhaiterais je ne sais quoi de plus aérien, de plus féerique et de plus rare à leur costume, qui rappelle un peu trop la prose de l’existence. Le duo très développé où Parsifal triomphe des séductions de Koundry m’a paru plus captivant par l’expression des angoisses terribles du lutteur que par les accens mêmes de la voluptueuse tentatrice. L’acte se termine sans grand éclat ; et l’on se demande si l’absence d’effet à la fin de « l’acte du milieu » n’est pas un parti-pris chez Wagner, car elle se remarque dans plusieurs de ses ouvrages. Y aurait-il là un procédé destiné à mieux lier l’action et à ne pas rompre la pente de l’intérêt dramatique par une arête trop vive ?

Dans le tableau d’intérieur qui ouvre le troisième acte, l’auditeur ressent une impression d’accalmie complète ; mais il est envahi par une poésie ambiante qui le tient en haleine, même quand l’action paraît stagnante. L’entrée de Parsifal, en chevalier noir, qui cause d’abord quelque surprise, prépare une des scènes les plus grandioses qui se soient produites au théâtre, entre Gournemans, Parsifal et Koundry.

Le personnage de Koundry a un double caractère, à la fois surnaturel et humain. Au second acte, Koundry est « magicienne, » elle tient son pouvoir du sorcier Klingsor dont elle subit la domination. Dans les autres actes, elle est « femme » et aspire à être délivrée de la servitude du démon. Ainsi, son rôle se trouve lié à l’action dans toutes les parties du drame. Un grand poète seul était capable de créer ce personnage double, qui, par une opposition puissante, déploie au second acte toutes les ruses de la séduction et au troisième concourt à la représentation la plus pathétique de l’idéal chrétien. Dans cette dernière scène, Wagner s’élève aux plus hautes régions de la pensée et y transporte avec lui le spectateur fasciné. Au moment où Parsifal a dévêtu sa sombre armure et apparaît dans les longs plis de sa robe blanche, quand Koundry, humiliée et repentante, lui lave les pieds avec l’eau trempée des larmes de son cœur, nous sommes transportés à deux mille ans en arrière : nous vivons au jour du premier vendredi saint.

Si Wagner, renouvelant les drames du moyen âge, avait mis directement Jésus sur la scène, peut-être le spectateur, effarouché par l’idéalité presque inaccessible du personnage, eût trouvé l’œuvre d’art inférieure au sujet. Avec Parsifal, c’est le contraire qui arrive. L’impression produite par cette scène dépasse tellement ce que le spectateur attendait que son imagination électrisée s’élance bien au-delà du sujet. Les mystères sacrés se dévoilent dans leur majesté primordiale ; les personnages visibles ne sont plus que des symboles ; à la place de Parsifal et de Koundry, c’est Jésus le Rédempteur et Madeleine la rachetée que le spectateur voit vivre devant lui. Quelle musique enchanteresse Wagner a trouvée pour cette scène ! On raconte que cette mélodie divine, dont l’audition vous laisse si rafraîchi, si renouvelé, fut composée par lui un vendredi saint pendant une première sortie de convalescence. Il faisait doux, le soleil brillait, la nature renaissait ; le poète se sentait revivre. Son imagination fut tellement frappée de la coïncidence entre les souvenirs évoqués par ce grand jour et cette résurrection de la nature qu’il condensa cette impression poétique dans une phrase musicale qui est un trésor. Plus tard, il s’en souvint en écrivant la scène de Parsifal désignée sous le nom « d’enchantement du vendredi saint. »

Le contraste créé par Wagner entre cette scène et le duo du second acte le place au premier rang des poètes tragiques. La sorcière tentatrice, l’être diabolique dressé à la séduction, nous apparaît transformée, pécheresse purifiée par le repentir, créature régénérée par l’eau du baptême qu’elle reçoit de celui-là même qu’elle n’a pas pu corrompre. Ce qu’il y a de plus profond et de plus humain dans le christianisme, Wagner a su l’exprimer dans Parsifal par la forme la plus sensible et la plus irrésistible : celle du drame musical.

Le dernier tableau nous ramène, grâce au mécanisme ingénieux du décor mouvant, au temple du Graal. Nous revoyons avec une impression délicieuse le même décor qu’au premier acte, — moins les tables de la communion ; — nous réentendons les mêmes harmonies supra-terrestres ; nous nous laissons bercer par les concerts mystérieux qui planent au plus haut de la coupole : et, quand le rideau nous dérobe la scène, il semble que ce soit le ciel qui se ferme, le ciel un instant entrevu avec sa perspective radieuse de paix infinie et de joie éternelle. Si le spectateur s’arrache avec regret à la contemplation du monde idéal créé par la pensée de Wagner, du moins il emporte avec lui une impression sereine de paisible extase et de douce béatitude. Il sort du théâtre pacifié et raffermi. Parsifal n’est pas seulement un chef-d’œuvre, c’est une œuvre de paix, de clémence et de foi ; sa création ne pouvait être possible que dans la période d’accalmie victorieuse dont a joui le grand lutteur pendant les dernières années de sa vie. Parsifal, c’est plus qu’une entrée triomphante dans la gloire ; c’est déjà une prise de possession de « l’au-delà. »

Ma première soirée de Bayreuth m’avait plongé dans un tel ravissement que je croyais impossible de goûter une émotion aussi vive deux jours de suite. Ce n’est pas sans une certaine défiance que je me rendis le lendemain au théâtre pour assister à la représentation de Tristan et Iseult. Je ne connaissais cette partition que pour l’avoir lue et en avoir entendu des fragmens dans les concerts : malgré mon admiration pour Wagner, Tristan m’inspirait une certaine répugnance, presque de la répulsion ; je ne voyais dans cette œuvre qu’une efflorescence maladive, qu’un cas pathologique de delirium chromaticum, qu’une intoxication de la pensée musicale… Après la représentation, je sortis du théâtre, je ne dirai pas plus enchanté, mais aussi enthousiasmé de Tristan que je l’avais été la veille de Parsifal. Ce qui prouve une fois de plus qu’il faut s’abstenir de juger Wagner comme un simple compositeur de musique. Wagner est un dramaturge avant tout : sa musique, hors de la scène et présentée par fragmens détachés, ne peut donner qu’une idée très incomplète et souvent très fausse de son génie.

Tristan est une œuvre maîtresse ; c’est peut-être la plus personnelle des œuvres de Wagner. Sa composition date de 1859 : — « Je conçus et j’achevai cet ouvrage, dit-il, lorsque j’avais déjà fait la musique d’une très grande partie de ma Tétralogie des Nibelungen. Ce qui m’amena à interrompre ce grand travail, ce fut le désir de donner un ouvrage de proportions plus modestes et de moindres exigences scéniques, plus facile, par conséquent, à exécuter et à représenter. » — Plus loin, il ajoute : — « On peut apprécier cet ouvrage d’après les lois les plus rigoureuses qui découlent de mes affirmations théoriques. Non pas qu’il ait été modelé sur mon système, car j’avais alors oublié absolument toute théorie ; ici, au contraire, je me mouvais avec la plus entière liberté, la plus complète indépendance de toute préoccupation théorique, et, pendant la composition, je sentais de combien mon essor dépassait même la limite de mon système. Croyez-moi, il n’y a pas de félicité supérieure à cette parfaite spontanéité de l’artiste dans la création, et je l’ai connue, cette spontanéité, en composant mon Tristan[2]. »

Tristan est un drame dans toute l’acception du mot : la plus rigoureuse et la plus vigoureuse. L’action est concentrée, ramassée, tendue comme l’attitude d’un athlète qui ménage à son adversaire un coup décisif. Dans ce drame, il n’y a de personnages que le nombre strictement nécessaire à l’action ; de chœurs, il en existe à peine. Tout hors-d’œuvre, tout ornement étranger en est sévèrement proscrit. L’ouvrage a une cohésion telle qu’on ne peut en détacher aucune partie, même par la pensée : si l’on évoque le souvenir d’un acte isolé, l’image des deux autres se dresse en même temps et s’impose irrésistiblement à la mémoire. Tristan est une création spontanée émanant d’une poussée unique et géniale ; c’est un monolithe dramatique. Sa formation peut être comparée à celle des roches volcaniques produites par éruption. Malgré la simplicité de sa contexture et la sobriété de sa charpente, l’œuvre est essentiellement plastique et théâtrale ; mais c’est surtout par la prodigieuse richesse avec laquelle sont décrites les dispositions intérieures qui précèdent et engendrent les actes que Tristan mérite une place unique dans l’histoire de l’art. Gagner a exprimé dans cet ouvrage des choses qu’on n’avait encore jamais dites et qu’on ne redira probablement jamais.

La pièce débute en pleine crise, et l’exposition se fait en pleine ébullition dramatique. Nous sommes sur le navire qui mène en Cornouailles la sombre et douloureuse fiancée. Meurtrie dans son orgueil et dans son amour, Iseult se répand en imprécations contre l’homme qu’elle aimait, — qu’elle aime encore, — bien qu’il ait osé demander sa main pour un autre. Et quel entourage pittoresque encadre ce tableau ! Quand la tente où Iseult abrite sa colère s’entr’ouvre, on aperçoit le tillac du navire, les marins étendus sur le pont ou travaillant dans les cordages ; les chants des matelots, les cris de la manœuvre se mêlent avec un réalisme poignant au développement du drame. Avec quelle puissance les personnages sont sculptés ! Iseult frémissante, appelant la vengeance, — Tristan d’abord impassible, retranché dans une réserve que sa loyauté lui commande, — Brangœne, la nourrice d’Iseult, tantôt affolée et tantôt caressante, redoublant de câlinerie et de zèle familier ! Le drame se précipite fiévreusement à mesure que le navire approche du but ; sa marche même est un ressort dramatique, car chaque minute qui s’écoule nous achemine vers une catastrophe. L’orage qui s’est amoncelé et qui gronde dans le cœur d’Iseult est près d’éclater ; elle compte éperdue les instans qui la séparent du rivage, c’est-à-dire du supplice d’appartenir au roi Marke et d’être conduite dans ses bras séniles par ce Tristan qu’elle adore. Dans la belle scène où Iseult se montre si impérieuse que Tristan consent enfin à l’écouter, la catastrophe est imminente ; on la sent fatale, inévitable… et elle serait « finale, » si Brangœne, pour sauver sa maîtresse, ne substituait le breuvage d’amour au philtre de mort… Surpris de vivre encore, après avoir cru boire le poison, les deux amans, qu’une influence magique entraîne, se précipitent furieusement dans les bras l’un de l’autre. À ce moment le rivage est en vue ; le roi Marke s’approche, le canot qui le conduit vers le navire est tout près d’aborder. Au milieu des cris de joie des matelots, des hurrahs frénétiques lancés au roi et au sol natal, Tristan et Iseult restent enlacés, inconsciens, isolés du monde, ensevelis, murés dans leur amour. Quel tableau ! Et par quelle musique Wagner l’a vivifié !

Dans tout ce premier acte, l’action marche avec une rapidité vertigineuse, comme emportée à toutes voiles. Dans l’acte suivant, je n’ai pu me défendre de quelques impressions de longueur. Si la scène très pittoresque et très vivante qui ouvre le second acte (entre Iseult et Brangœne) est admirablement comprise au point de vue de la mimique et de l’optique théâtrale, le duo d’amour, d’une intensité poétique inouïe, me paraît se dérober par ses proportions aux exigences de variété plastique que requiert toute représentation scénique. Le discours du roi Marke, malgré la noblesse de sentimens dont Wagner a paré son infortune, me semble trop retarder un dénoûment violent. On devine que le sang va couler, et le discours du roi est si long que le bras de Mélot aurait vingt fois le temps de s’engourdir. J’en demande pardon à l’ombre de Wagner ; mais dans cette fin d’acte j’échappe à l’illusion dramatique, et, ce sentiment si pénible quand on assiste à la représentation d’une œuvre qui vous dompte, je n’ai pas été seul à l’éprouver. Mais, si les reproches adressés par l’oncle au neveu paraissent interminables, qu’elles sont exquises, les phrases d’amour échangées entre Tristan et son amie, sans souci de la présence du roi et de sa suite, et dont l’inexcusable liberté provoque enfin l’agression de Mélot !

La moralité de Tristan est dans l’inflexible logique du drame. Le philtre d’amour, en jetant les deux amans dans les bras l’un de l’autre, leur donne la soif irrésistible de la mort. La vie, pour eux, c’est l’obstacle au désir, c’est la prison cellulaire de l’amour ; la mort, c’est l’élargissement suprême, l’embrassement définitif de deux êtres unis, soudés, fondus en un seul !

Le décor du troisième acte, où nous revoyons Tristan, que le fidèle Kurwenal a ramené blessé dans le manoir familial, est d’une poésie intense. La scène représente la cour de ce manoir : à droite, une tour ; de chaque côté, à l’horizon, la mer ! .. On entend les sons d’une mélodie rustique jouée par un pâtre. Ce refrain n’est point un hors-d’œuvre : s’il revêt un caractère épisodique la première fois qu’il se présente, il revient ensuite, associé à l’orchestre, et s’unit profondément à la vie même du drame. La « vieille mélodie, » Tristan la reconnaît ; elle évoque en lui de lointains et mystérieux souvenirs. Il l’a déjà entendue plusieurs fois : quand son père est mort, quand il a perdu sa mère. Et voilà qu’elle résonne encore comme l’écho d’un passé douloureux ravivé par les angoisses présentes ! L’aspect placide de l’antique demeure et son poétique horizon contrastent d’une manière poignante avec la crise intérieure du personnage, avec l’intimité d’une souffrance dont la puissance de Wagner nous fait ressentir l’acuité presque intolérable. Tristan est là, gisant sur un lit de douleur. Plus encore que sa blessure corporelle, l’incurable plaie de son âme lui inflige les tortures d’une soif inextinguible ; un seul cri s’échappe de ses lèvres : Iseult, Iseult ! Mais plus haut que le désir de revoir Iseult, de sentir encore son souffle et son baiser, parle son aspiration à une étreinte éternelle que la mort seule peut donner. Après la scène où la seconde vue de la passion lui montre le navire qui ramène Iseult, quand il touche enfin à l’objet du désir, qu’il sent le retour de l’amante, qu’il entend sa voix, il se lève malgré sa faiblesse, il reste debout par un effort surhumain, il se traîne, il veut devancer d’une seconde l’instant de la félicité, dût-il en mourir ; et il veut vraiment en mourir, car il arrache l’appareil de sa blessure et tombe inanimé dans les bras d’Iseult, afin que cette réunion soit définitive, sans séparation possible, afin qu’il sente mieux sa présence et qu’il la sente éternellement dans la mort. Le drame se termine par un cantique d’actions de grâces, hosanna suprême qu’Iseult, avant de mourir, entonne triomphante et dressée près du corps de Tristan : jamais l’union de la voix humaine et de l’orchestre n’a produit d’aussi ineffables accens. C’est bien la félicité de l’au-delà qu’exprime cette musique, c’est bien l’union de deux âmes affranchies de l’obstacle du corps et de la vie, frémissantes et enivrées d’une possession éternelle.

Après l’audition de deux ouvrages comme Parsifal et Tristan, on est heureux d’avoir une journée entière pour se remettre. Ce jour de repos, je l’employai délicieusement à visiter Nuremberg. Il est très doux, après les grands drames wagnériens, de pouvoir savourer les poétiques créations d’Albert Dürer. Le génie du peintre délasse merveilleusement de celui du poète-musicien.

On comprend que Wagner ait choisi Nuremberg comme « milieu » d’une action dramatique. S’il existait un musée assez vaste, la ville entière serait digne d’y figurer ; on ne trouverait pas dans tout Nuremberg un seul coin qui ne pût fournir le motif d’un très pittoresque décor. Dans l’antique cité où l’on croirait revivre en plein moyen âge se dresse, au milieu d’un parterre de roses et de résédas, le monument du poète-cordonnier Hans Sachs. Fort renommé de tout temps dans son pays, Hans Sachs doit aujourd’hui à Wagner d’être universellement connu et visité, car tous les pèlerins de Bayreuth viennent saluer le doyen des Maîtres Chanteurs de Nuremberg. Le maître d’autrefois a inspiré au maître moderne un type ravissant de délicatesse tendre et de bonhomie fine. Le milieu nurembergeois, la vie du moyen âge, la légende locale, ne sont dans l’œuvre de Wagner que le vêtement d’une idée abstraite : la lutte du génie contre la routine, de la libre inspiration contre le pédantisme. On ne trouve, dans la contexture de cette comédie lyrique, ni les arêtes puissantes, ni les escarpemens profonds qui guident le spectateur dans la compréhension d’un drame. L’intelligence du « mot, » qui n’est pas indispensable pour apprécier Parsifal et Tristan, devient nécessaire à qui veut ne rien perdre d’une action tempérée dont l’intérêt s’éparpille en détails familiers et en causeries intimes. Pour bien juger les Maîtres Chanteurs à Bayreuth, il faut posséder la langue allemande à fond. Ce n’est pas mon cas : aussi je ne considère pas mon impression comme définitive et je ne la donne que sous toute réserve et sans développemens.

L’ouvrage m’a paru contenir de nombreuses beautés, de la grâce, du charme, de la verve comique, un finale prodigieux, des mélodies étincelantes et « faciles à retenir, » sans parler de l’orchestration, qui est d’une opulence surprenante et parfois d’une délicatesse inouïe. Pourtant, j’ai ressenti à la représentation des Maîtres Chanteurs plus de fatigue que ne m’en ont causé les autres ouvrages de Wagner. À quoi cela tient-il ? Peut-être à une exubérance de richesses, à une surabondance d’effets. Dans cette partition très compacte, où l’on voudrait les doses plus légères, l’habileté dans le maniement des procédés techniques va jusqu’à la satiété et la science polyphonique jusqu’à la pléthore. Après l’audition des Maîtres Chanteurs, j’avais soif d’une simple mélodie populaire, chantée « sans accompagnement. »

Les Maîtres Chanteurs ont joué un rôle si important dans la vie de l’ancienne Allemagne que Wagner, jaloux de créer un art sorti des entrailles du sol, devait s’en préoccuper avec une véritable prédilection. Il les a mis en scène dans deux ouvrages écrits à un assez long intervalle l’un de l’autre. Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg ont été conçus en 1861 et achevés en 1867. Tannhäuser, commencé en 1842, était terminé en 1845, deux ans avant l’achèvement de Lohengrin. C’est le seul opéra de la jeunesse de Wagner qui ait été représenté à Bayreuth ; au point de vue du choix du sujet et de la conception poétique, c’est l’une de ses créations les plus élevées et les plus attachantes. À l’époque où il entreprit cet ouvrage, Wagner balançait encore entre l’histoire et la légende ; à partir de Tannhäuser, son choix se fixa définitivement sur les sujets légendaires. Il en explique les raisons dans l’opuscule que j’ai déjà cité : « Tout le détail nécessaire pour écrire et représenter le fait historique et ses accidens, tout le détail qu’exige, pour être parfaitement comprise, une époque spéciale et reculée de l’histoire, et que les auteurs contemporains de drames et de romans historiques déduisent pour cette raison d’une façon si circonstanciée, je pouvais le laisser de côté… La légende, à quelque époque et à quelque nation qu’elle appartienne, a l’avantage de comprendre exclusivement ce que cette époque et cette nation ont de purement humain et de le présenter sous une forme originale très saillante, et dès lors intelligible au premier coup d’œil. »

Le fond de la légende de Tannhäuser est, comme dans Parsifal, la lutte entre le mal et le bien, l’appétit et l’âme, la chair et l’esprit : les Grecs auraient pu dire entre Bacchus et Apollon ; mais, dans l’idéal antique, les deux principes antagonistes étaient conciliés, tandis que, suivant l’esprit chrétien, ils demeurent incompatibles. Dans la légende dont Wagner s’est inspiré, Tannhäuser, le fougueux maître chanteur de la Wartbourg, obéit alternativement aux deux forces contraires ; l’un d’elles l’entraîne du côté de Vénus qui l’a initié aux voluptés maudites, l’autre vers Élisabeth qui lui a révélé les joies du chaste amour. Le personnage de Wolfram, type de l’abnégation suprême et de la plus haute idéalité dans l’amour, apporte dans l’ouvrage une note mélancolique et sereine qui contraste excellemment avec le caractère tourmenté du personnage principal. La partition de Tannhäuser est fort inégale ; à côté de grandes beautés, elle contient des traces d’imitations nombreuses de l’école allemande et de l’école italienne. Wagner déploie déjà sa toute-puissance de symphoniste dans l’ouverture, dans la scène du Vénusberg, dans le beau récit du Voyage à Rome ; mais dans l’ensemble de l’œuvre, il reste sous l’influence de son maître Weber. L’expression musicale est le plus souvent concentrée dans la ligne de chant ; Wagner n’a pas encore arboré la devise : « Tout à l’orchestre ! » qui fait le caractère original et personnel de sa seconde manière. Il ne pouvait pas non plus à cette époque posséder cette maîtrise dans l’art de la mise en scène qui l’a tant servi plus tard. On s’aperçoit de suite à l’audition que Tannhäuser n’a pas été écrit en vue de l’organisation spéciale du théâtre de Bayreuth. La disposition de l’orchestre enfouie sous la scène, si favorable aux puissantes sonorités de Parafal et de Tristan, est préjudiciable à l’instrumentation de Tannhäuser, qui s’en trouve souvent par trop atténuée et assourdie. En entendant cet ouvrage après les deux autres, on constate les progrès immenses réalisés par Wagner à mesure que l’expérience mûrissait son génie.

Tannhäuser est le seul ouvrage joué à Bayreuth qui contienne de la danse. Rien que pour ce motif, sa représentation devait avoir un vif attrait pour moi. J’avais eu l’occasion d’admirer à Paris les résultats surprenans obtenus par Mlle Fonta dans ses tentatives de restitution des danses anciennes. Maintes fois, en voyageant en Italie, en Grèce, en Suisse même, j’avais remarqué la puissance expressive des danses populaires. Convaincu de l’appoint précieux que l’art chorégraphique apporterait à l’opéra, le jour où il se proposerait pour but, non la difficulté vaincue, mais l’expression du beau, non la recherche de la virtuosité, mais la traduction des sentimens, j’espérais voir au théâtre modèle de Bayreuth mon rêve réalisé. Je l’avoue, cet espoir a été déçu. La bacchanale où les nymphes et les amans du Vénusberg s’efforcent d’exprimer avec le plus de réalisme possible les emportemens ou les langueurs de la passion m’a paru, comme intensité expressive, bien au-dessous des danses égyptiennes de notre dernière exposition. La scène où devant Tannhäuser et Vénus, demeurés seuls, trois danseuses viennent exécuter des poses plastiques, m’a laissé complètement froid. Sous le rapport de la danse, on ne trouve pas réalisés à Bayreuth les perfectionnemens merveilleux apportés aux autres élémens du théâtre musical. Même après Wagner, la réforme de la danse, dans ses rapports avec le drame, reste à accomplir.

Dans les deux premiers actes de Tannhäuser, l’inspiration mélodique, — sauf le chœur des pèlerins, — n’est pas à la hauteur de la création poétique ; mais le troisième acte tout entier me paraît un chef-d’œuvre au point de vue musical.

Dès l’ouverture du rideau, nous sommes pris par la vie du drame. Dans un site automnal d’une mélancolique poésie, Élisabeth et Wolfram attendent le retour de Tannhäuser, qui est allé à Rome en pèlerinage pour implorer l’absolution papale.

Les pèlerins arrivent et font retentir la campagne de leurs joyeux hosannas ! Élisabeth les compte avec angoisse : Tannhäuser n’est pas avec eux ! Rien n’est émouvant comme cet hymne de pèlerins au troisième acte. Au premier acte, où la même mélodie chorale se produit presque identique, elle ne cause pas à beaucoup près la même impression. C’est qu’au troisième acte elle a une signification dramatique qu’elle n’avait pas au premier. Là elle est en relation directe avec l’action ; elle exprime l’ivresse religieuse des pèlerins qui reviennent de Rome « pardonnés. » Seul, Tannhäuser a été excepté de la clémence divine, et sa condamnation est un coup de mort pour Élisabeth, qui n’a plus qu’un espoir : aller au ciel intercéder pour le maudit. C’est alors, tandis qu’elle s’élève vers les hautes sphères, que Wolfram chante la romance de l’Étoile, ce chef-d’œuvre incomparable de poésie. Tannhäuser arrive enfin désespéré, l’œil hagard. Il raconte son voyage à Rome, son repentir, ses prières, le refus inflexible auquel il s’est heurté. C’en est fait, puisque le monde l’a frappé d’anathème, il retourne au Vénusberg ! Aussitôt, dans des vapeurs transparentes éclairées d’une lueur rose, la déesse de l’amour apparaît, souriant à Tannhäuser qui lui tend les bras. En vain Wolfram veut détourner son ami du chemin de la damnation éternelle, Tannhäuser le repousse, il va s’élancer… À ce moment, on entend un chant religieux : c’est le cortège funèbre d’Élisabeth qui s’approche. L’intervention de la sainte a obtenu le pardon du pécheur ; l’enfer est vaincu, le mirage de perdition s’évanouit : Tannhäuser meurt, mais il est sauvé !

Jamais l’idée de la lutte du bien et du mal, — selon l’esprit du moyen âge et de la légende, — n’a été révélée par le théâtre d’une manière aussi foudroyante qu’à l’instant où le chant sacré du cortège d’Élisabeth chasse l’apparition de Vénus. À ce moment du drame, la même commotion qui foudroie Tannhäuser et déracine en lui le péché remue le spectateur jusqu’aux moelles. Dans ses chairs, jusqu’à l’os, pénètre le tranchant du glaive qui purifie. En même temps que l’émotion du beau l’étreint et le bouleverse, son esprit, inondé de clartés, sent pénétrer en lui le sens de la légende, avec son enseignement éternel.

Ce qui appartient bien en propre à Wagner, c’est le don de nous transporter dans un état d’âme particulier et nouveau, de nous arracher à nous-même pour nous faire vivre de la vie de ses personnages ; et cela, non-seulement dans les situations violentes et pathétiques, mais dans les momens d’accalmie et de détente dramatique. Certaines impressions de longueur, ressenties à la lecture, disparaissent à Bayreuth en vertu de l’émotion « acquise. » Ailleurs qu’à la scène, la prière d’Elisabeth, accompagnée d’un bout à l’autre par des « tenues, » sans aucune figure rythmique, et succédant à deux autres mouvemens lents, paraîtrait interminable. Il n’en est pas de même à la représentation : l’auditeur, préparé par l’admirable prélude, ressent, quand le rideau s’entr’ouvre, une impression indéfinissable provenant à la fois de la situation, de la musique et du décor. Un courant irrésistible de sympathie l’envahit ; toute sa sensibilité se trouve absorbée par celle des personnages, il est magnétisé : chez lui, plus de volonté, plus de résistance, plus d’extériorité par rapport au drame. Wagner a soutiré son individualité et substitué à son existence propre une vie « autre » que sa fantaisie crée et gouverne despotiquement. Et cela dure ainsi depuis la première note de l’acte jusqu’à la dernière. Dites-moi qui vaut le mieux, d’être empoigné ainsi, ou de rester paisiblement assis dans sa stalle, goûtant en dilettante toujours maître de lui le froid plaisir de l’analyse ?

Dans ce troisième acte, le style de Wagner ne diffère pas sensiblement de la manière de Weber : ce n’en est pas moins du théâtre « nouveau. » Pourquoi ? C’est que chez Wagner la conception philosophique du poète-penseur prime tout. C’est la profondeur de la pensée abstraite, incarnée dans les formes vivantes du drame lyrique, qui produit la nouveauté de ces scènes sublimes. Wagner a voulu que les forces de l’opéra lussent appliquées « à arracher un peuple aux intérêts vulgaires qui l’occupent tout le jour pour l’élever au culte et à l’intelligence de ce que l’esprit humain peut concevoir de plus profond et de plus grand. » Pour donner un corps à ses conceptions de penseur, il a recours à la légende. La légende sert de lien à une race ; elle est en quelque sorte le point d’appui moral d’une collectivité, le centre de gravité de l’intelligence d’un peuple. Wagner a su s’approprier cet apport collectif et national, et s’y tailler des créations bien personnelles. Les légendes exploitées par lui n’appartiennent point toutes à l’Allemagne : plusieurs, et ce ne sont pas les moins belles, sont françaises ou celtiques ; mais sa façon de les dramatiser leur a donné une couleur bien allemande. Wagner n’est pas entièrement préoccupé, comme on l’est trop exclusivement en France, de la « forme. » Il a un souci égal du « fond » et peut-être un souci plus grand encore. Il exalte les souvenirs légendaires et les paysages poétiques du pays dont il consolide l’unité dans l’ordre esthétique : la Wartbourg, le Rhin, Hans Sachs, Nuremberg. Il agite tous les grands problèmes qui passionnent l’humanité : les mystères religieux, la lutte du bien et du mal, la fatalité dans l’amour… En même temps qu’il est très Allemand, il reste profondément humain ; car il s’inspire du mythe. Or le mythe, bien qu’il paraisse revêtir une origine nationale, n’a pas de frontières : la légende appartient à tous, elle est le patrimoine éternel et universel de l’humanité.

L’importance qu’a aux yeux de Wagner le fond même de la conception, et l’extraordinaire puissance avec laquelle il la réalise par tous les moyens d’expression que le théâtre lui donne, font que la partie musicale de l’œuvre d’art, tout en conservant une très grande importance, est loin d’être son unique mérite. La musique proprement dite n’est plus « qu’un des moyens » employés pour faire valoir la conception d’ensemble ; elle y demeure subordonnée et ne conserve plus une prépondérance exclusive. Il s’ensuit qu’on peut aimer le « théâtre » de Wagner sans être un partisan fanatique de son « système » musical. On aurait tort d’attribuer la grandeur des impressions produites par Wagner à l’emploi de tel ou tel procédé ; la preuve, c’est qu’il obtient des effets immenses en se servant de procédés diamétralement opposés, dans Tannhäuser et dans Tristan et Iseult. Il y a dans la réforme de Wagner deux parts bien distinctes : le but et le système. Le but, qui consiste à relever la dignité de l’opéra, à faire de la musique un agent expressif, très puissant sans doute, mais serviteur respectueux de la pensée du poète, ce but n’a pas été poursuivi uniquement par Wagner. Né grand poète en même temps que grand musicien, il a pu réaliser l’unité dans ses créations lyriques à un degré plus élevé que tous ses devanciers. Mais d’autres avant lui avaient eu la pensée généreuse de réconcilier la musique avec le drame. Le premier venu des compositeurs dramatiques, le Florentin Péri, et plus tard les Vénitiens Cesti et Cavalli, avaient ressenti, aussi eux, le désir d’introduire la vraisemblance scénique dans l’opéra. La « bonne doctrine, » apportée sur le sol français par Cavalli, fructifia avec Lulli et Rameau, ces ancêtres trop oubliés de notre théâtre musical. La vocation de la France pour la vérité dramatique permit à Gluck de réaliser chez nous sa réforme et d’appliquer dans cinq chefs-d’œuvre les principes éternels méconnus par l’école italienne dégénérée. Son influence féconde domina, pendant la fin du XVIIIe siècle et le commencement du xixe, notre école nationale, qui devait retomber un peu plus tard sous l’influence dissolvante de l’Italie. Wagner, avec des moyens nouveaux et le puissant levier d’un talent poétique supérieur, a apporté à la solution du problème sa forte volonté et aussi cette âpre intransigeance qui fait le fond de sa nature. Il a secoué la léthargie. Le problème ardu s’impose actuellement à la méditation de tous les compositeurs qui ont l’ambition d’écrire pour le théâtre. Il n’est plus possible aujourd’hui de travailler « selon la formule. » Ceux qui croiraient pouvoir échapper à l’obligation de réfléchir, en copiant servilement Wagner, tomberaient dans une bien dangereuse erreur. Ce n’est pas à l’application d’un système, quel qu’il soit, que Wagner doit les prodigieux effets qu’il produit, c’est à la puissance de ses conceptions poétiques et aux réformes qu’il a apportées à l’organisation matérielle du théâtre musical. C’est sans doute aussi beaucoup à son génie de musicien, mais ce n’est pas à l’emploi d’un « procédé » musical.

En subordonnant l’élément simple, la « monodie, » aux combinaisons polyphoniques, la voix humaine aux instrumens, Wagner a obéi à un besoin de sa nature, à une vocation impérieuse de symphoniste. Ses premiers opéras, vraiment originaux (sauf Rienzi) par la conception poétique et le coloris instrumental, sont souvent, au point de vue de l’invention « monodique » ou mélodique, entachés de réminiscences et parfois de vulgarités. Wagner n’a secoué le joug de l’imitation, son génie n’a été vraiment émancipé et n’a battu son plein que le jour où il a osé reléguer au second plan la monodie vocale. Wagner est un géant : ce qu’il a fait est bien fait, puisqu’il nous a mis à même de jouir de ses conceptions d’une grandeur parfois surhumaine. Tout artiste a non-seulement le droit, mais le devoir de travailler à conquérir la plus haute spontanéité dont sa nature soit capable. Ce libre développement, Wagner ne pouvait l’atteindre qu’en subordonnant ses facultés limitées de créateur monodiste à ses facultés presque illimitées de symphoniste. Est-ce à dire que la relégation de la voix comme interprète direct du sentiment soit une condition sine qua non de la vérité dans le drame lyrique et de l’unité dans l’œuvre d’art ? Nous ne le croyons pas. Tous les leitmotiv du monde ne vaudront jamais une belle phrase mélodique originale, inspirée, adéquate aux paroles, confiée directement au chanteur. Le plus éloquent interprète du sentiment humain, c’est la voix : on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Si Wagner, outre ses dons incomparables, avait reçu en partage l’invention mélodique d’un Rameau, il eût certainement modifié son système, en faisant une part plus large à l’élément vocal. La preuve, c’est que dans tous les cas où la Muse lui a suggéré une idée simple, une pensée originale, d’un contour saisissable et défini, il apaise son orchestre, il subordonne ses accompagnemens, il fait comme les autres. Et ce ne sont pas les parties de ses œuvres où il gouverne le moins sûrement le sentiment du spectateur !

Le Français a reçu en partage le goût littéraire, ce qui lui fait attacher une grande importance à la valeur intrinsèque du drame et à sa mise en valeur par la composition musicale. La réforme de Wagner devait trouver plus d’écho en France que partout ailleurs ; car c’est chez nous qu’a été de tout temps poursuivie avec le plus de passion et de vigueur la solution du problème lyrique, du mariage de la musique avec le drame. Mais si le Français a une prédisposition à devenir wagnérien au point de vue de l’harmonieuse unité à réaliser dans l’œuvre d’art, il ne doit pas non plus abdiquer les qualités originales de son tempérament et de son génie : le don naturel et primesautier, la spontanéité qui est le fond de sa nature. Il ne doit pas mépriser l’élément simple, l’apport divin, l’idée, la monodie, la ligne de chant. Car c’est par une concentration de l’expression dans la ligne de chant que nos ancêtres ont réussi à fonder notre art national ; c’est par là que valent tant de belles œuvres, — oubliées — peut-être, — vieillies — jamais ! Ces titres de gloire de l’école française doivent servir de gouvernail aux plus hardis. Ne délaissons pas cette tradition sacrée pour un système : un système vieillit ; cette tradition est l’essence même du pur génie de notre race.

Ce que nous pouvons imiter de Wagner sans péril, c’est l’unité plus grande à réaliser dans l’œuvre d’art, c’est l’agencement très perfectionné de son théâtre : son excellente acoustique, l’obscurité dans la salle, l’orchestre invisible, la logique de la mise en scène, le mouvement et l’animation expressive chez les masses chorales. Mais gardons-nous bien de copier ses procédés servilement, nous perdrions nos qualités, sans gagner les siennes. Restons nous-mêmes ! N’oublions pas que si Wagner s’est élevé si haut, c’est en suivant la voie la plus conforme à sa nature et à son génie !

L.-A. Bourgault-Ducoudray.

  1. Longtemps avant Wagner, Grétry avait conçu l’idée d’une salle d’opéra dont l’orchestre serait « invisible. » On en trouvera la description dans ses Essais sur la musique, t. III, ch. IV.
  2. Lettre sur la musique publiée en tête des Quatre poèmes d’opéras traduits en prose française. Paris, 1861.