Vues Scripturaires sur la Question des Anciens/VI

Georges Kaufmann, Libraire (p. 58-66).
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VI.

Je me contente maintenant de la question relative à Genève, bien que je croie qu’il serait impossible de le faire avec réalité dans un seul endroit pendant la dispersion générale des brebis. Mais bornons-nous à considérer un seul endroit. Si je reconnais ceux que Dieu a fait travailler à cette œuvre excellente avec les qualités exigées, je ne fais que me soumettre à ce que Dieu a manifesté, l’appuyer et l’honorer. Mais si je dis : Vous ne pouvez obéir, à moins que nous ne les établissions officiellement, dans ce cas, tout dépend de l’autorité qui établit, et de ce que l’œuvre corresponde réellement à ce que nous trouvons dans la Parole. Nos frères de Genève, et l’auteur anonyme avec eux, ont-ils pu rétablir le troupeau de Dieu ? Sinon, de quoi leurs Anciens sont-ils Anciens ? Peuvent-ils, en vertu de leur nomination officielle, dire : « Sur lequel le Saint-Esprit nous a établis Évêques ? » Car ils disent qu’on ne peut obéir qu’en vertu de cette nomination. Pour ma part, je puis agir sans crainte et sans hésitation selon le principe que j’ai exposé, tout en reconnaissant que nous sommes dans la faiblesse ; et je le puis, parce que je suis sur le terrain des preuves morales et de l’œuvre faite par le Saint-Esprit ; et c’est ma joie de reconnaître son œuvre là où elle se trouve.

Vous, frères de l’Église évangélique à Genève, vous ne le pouvez pas. Vous vous fondez absolument sur la nomination et sur l’établissement officiel. C’est, nous dites-vous, à cause de cela qu’on peut dire que le Saint-Esprit les a établis sur le troupeau de Dieu. Où est-il ce troupeau ? Est-ce vous, poignée de fidèles ? Où est l’autorité du Saint-Esprit ? C’est nous exclusivement, dites-vous, qui l’exerçons, qui la mettons en mouvement, et, sans cela, il n’existe rien à quoi vous puissiez obéir. Nous voilà jetés dans l’étroitesse de l’ancienne dissidence[1], plus le clergé ; et, si nous ne vous reconnaissons pas, et que nous ne reconnaissions pas ce que vous faites comme obligatoire pour nos âmes, nous rejetons la Parole de Dieu ? Lequel est-ce de vous, ou de nous, qui prête le flanc au système romain ? ou bien vous, qui nous dites que l’obéissance est impossible, si ceux à qui l’obéissance est due n’ont été officiellement établis par l’Église sur la terre ; ou bien nous, qui acceptons ce que Dieu nous donne au milieu de la ruine qui nous entoure, et qui agissons selon la précieuse promesse que, là où deux ou trois sont réunis au nom du Seigneur Jésus, il sera au milieu d’eux ?

Frères, sachez que nous avons fait l’expérience de la fidélité de notre bon Maître à sa divine promesse, et que, pour en jouir, tout faibles que nous sommes, il ne nous a pas été nécessaire d’attendre votre commodité, ni d’adhérer à vos prétentions à rétablir l’Église de Dieu.

§.

Afin de faire disparaître ce schisme affligeant, vous voulez, et M. Merle insiste là dessus, que nous venions à vous, que nous soyons un avec nos frères. Depuis quand ce besoin pressant de nous avoir au milieu de vous ? Depuis quand avez-vous fait cette découverte que le clergé est du Diable ? Depuis quand avez-vous fait, et M. Merle a-t-il fait, la découverte qu’il faut absolument avoir ces Anciens, dont on s’était passé jusqu’ici ; que, ne pas venir se soumettre à eux, c’est saper les fondements de toute obéissance et de toute moralité ; et, enfin, que ne pas nous ranger à votre œuvre, c’est nous constituer coupables de tous les péchés ? Vous faites des Anciens, je pense, parce que vous n’en aviez point. Que pensez-vous donc de votre obéissance et de votre moralité jusqu’au moment présent ? Frères, de pareilles prétentions et de si gros mots arrivent un peu tard. Est-ce depuis votre convocation pour nommer une commission préparatoire que « la morale chrétienne est compromise dans cette affaire » ?

L’auteur anonyme nous dit : « C’est pourquoi nous relevons, à leur exemple (d’Esdras et de Néhémie), dans la mesure du possible, ce qui est tombé ».

Ah ! qu’est-ce donc qui est tombé ? Il ne s’agit pas ici du « point de vue des frères ». Vous relevez, vous faites quelque chose, vous. Vous relevez l’Église tombée, et c’est bien là ce que vous prétendez faire, ainsi que Néhémie l’a fait à l’égard d’Israël. C’est l’analogie dont vous vous prévalez. C’est donc l’Église tombée, c’est donc l’économie déchue que vous relevez.

Ah ! me direz-vous, nous parlons seulement au point de vue des frères.

Il ne s’agit pas uniquement de parler. Vous faites quelque chose ; vous agissez. Et, dites-le-nous, agissez-vous au point de vue des frères ? Dans ce cas-là, ce point de vue est donc vrai à vos yeux. Vous relevez ! Comment relever, si rien n’est tombé ? L’Église, l’économie donc, vous les croyez en chute ! Et vous prétendez les relever avec une telle autorité de la part de Dieu, que, si nous ne reconnaissons pas ce que vous faites, nous ne pouvons obéir, ou, selon le langage de M. Merle, nous sommes coupables de tous les péchés possibles selon le principe posé par St.-Jacques, si nous n’obéissons pas à ce que vous faites.

Mes frères, pardonnez-nous, si nous n’admettons pas des prétentions aussi exorbitantes. Nous trouvons qu’en admettant la ruine (et vous l’admettez, car vous ne pouvez relever ce qui me serait pas tombé, ni agir comme Néhémie, si, de fait, tout n’est pas en ruine), vous exigez trop ; vous élevez des prétentions trop exagérées.

C’est le romanisme tout pur.

L’obéissance, dites-vous, est impossible en dehors de votre système ; et, pensez-y, d’un système qui n’est pas encore établi. Et vous nous tenez ce langage, vous qui, jusqu’à aujourd’hui, avez vécu dans la désobéissance, car vous n’aviez pas ces Anciens indispensables, puisque vous allez en établir !

Je déclare devant Dieu que, si, à Genève, j’avais trouvé de véritables Anciens, qui, sans prétentions, soignassent l’Église de Dieu à Genève, pour autant que le Saint-Esprit l’avait rassemblée, j’en aurais béni Dieu, et je m’y serais soumis de tout mon cœur.

Ainsi que je l’ai déjà dit, j’ai essayé de le faire.

Mais, lorsque, pour m’attirer, l’on vient me dire que ce clergé, auquel on a si opiniâtrément tenu jusqu’à hier, est du Diable, et qu’en outre, l’on affirme que je ne puis obéir sans l’établissement humain, officiel d’un corps à part ; lorsqu’on raisonne comme si ceux qui agissent dans ce nouveau mode formaient à eux seuls le troupeau de Dieu, et qu’on représente tous ceux qui n’y marchent pas comme en péché de schisme, j’avoue qu’une prétention semblable éveille en moi une profonde défiance. Je crains qu’on ne relève, non pas l’Église, non pas l’économie déchue, je révoque en doute leur capacité pour une telle œuvre, mais ce qui est tombé, ce qu’ils savent très bien être tombé, et, aux yeux de ceux qui sont enseignés de Dieu, tombé à tout jamais.

Nous le répétons : nous ne supprimons rien. Preuve en est qu’au moment où j’écris, vous n’avez pas encore créé l’ordre auquel vous voulez que nous nous soumettions.

Vous créez quelque chose, et, en le faisant, vous avez compromis l’existence de l’église réformée depuis son origine ; car l’obéissance y a été impossible ; ce à quoi elle avait été soumise est du Diable ; vous nous le dites. Elle a été coupable de tous les péchés à la fois. La morale chrétienne y a été compromise. On a touché à la prunelle de l’œil, au trône de Dieu ; car ces Anciens, que vous allez établir, en relevant ce qui est tombé, n’y existaient pas. C’est bien le clergé, qui s’y trouvait, dont vous ne voulez plus.

Je crois bien que de telles prétentions ne se retrouveront pas dans un grand nombre de cœurs ; mais ils n’en seront pas moins soumis à ceux qui les affichent[2].

§.

M. Merle déclare, il est vrai, qu’il se fait gloire d’appartenir à l’église réformée. À laquelle ? Où est-elle cette église réformée ? Je le demande avec un profond sentiment de douleur (car, quelles que soient les attaques de nos adversaires, l’état de l’Église et le résultat actuel du beau témoignage du seizième siècle, ou plutôt de l’infidélité de l’homme à l’égard de ce témoignage, ont été pour moi une leçon apprise avec des pleurs, et dans une angoisse profonde) : À quelle église réformée est-ce que l’écrivain brillant de l’Histoire de la Réformation appartient ? Il en fait une nouvelle. Il prête la main à établir des institutions qui s’opposent à celles que Calvin a établies à Genève. Appartient-il au Synode de l’église réformée de France, ou à ceux qui, par des convictions que chacun respectera, s’en sont séparés ?

Hélas ! tout est en ruine. Nous dépendons de la fidélité de Celui que la ruine ne peut atteindre. M. Merle a attaqué fièrement ceux qui en ont eu la conviction. Maintenant il y croit, il établit quelque chose de nouveau, en nous disant : Il faut que vous veniez ! Et cela tout en disant qu’il se fait une gloire d’appartenir à ce qui n’existe plus, à ce qu’il a abandonné, pour autant que cela existe, et abandonné par des convictions consciencieuses, pour lesquelles je serais le dernier à le blâmer ; mais il l’a de fait abandonné. Car, en définitive, au milieu des églises libres, qui surgissent de tous côtés pour faire respecter les droits de Christ, pour maintenir la saine doctrine, pour établir des Anciens qui n’existaient pas et sans lesquels on ne pouvait obéir, où est cette église réformée à laquelle M. Merle appartient ?

Non. La vérité perce malgré eux. Ils veulent relever ce qui est tombé, et ils veulent que ce soit à eux et à leur commission préparatoire que nous en confiions la tâche.

Venez à nous, s’écrient-ils, et ainsi vous ferez cesser un schisme qui afflige l’Église.

Vous êtes donc l’Église dans son unité ; et, hors de vous, c’est le schisme.

Eh bien ! je ne le crois pas. Le langage que vous faites entendre est celui de Rome. Je suis venu à Christ. Je ne vois pas encore le besoin d’aller plus loin ; ce serait quitter Christ.

Et qui est-ce qui nous adresse une telle invitation ?

C’est l’écrivain qui publiait naguère que le ministère, c’est-à-dire le clergé, était cette gloire qui devait durer, dont il est fait mention 2 Cor. III, 11, et qui termine l’exhortation, dont nous parlons, en se demandant des choses qui, malgré les talents que je lui reconnais très sincèrement, trahissent, quant aux voies de Dieu, et particulièrement à l’égard de ce qui nous occupe en ce moment, une ignorance qu’on aurait eu de la peine à supposer chez lui. Voici ses paroles : « Quand on voit comment les chrétiens évangéliques se sont fermement casés dans des dénominations différentes, on se demande si cette grande union « d’un seul troupeau sous un seul berger » s’accomplira sur cette terre avant quelque période future, enveloppée encore de mystère ; et si, pour fondre toutes les petites cloches des églises particulières en une grande cloche de l’Église universelle de Christ, qui par ses sons majestueux appelle le monde à croire en Celui que le Père a envoyé, il ne faudra pas une intervention immédiate de Celui qui, au jour où il paraîtra, sera comme le feu de celui qui raffine. »

En ajoutant le dernier paragraphe du rapport, qui demande la venue de Jésus dans les termes d’Apocalypse, XXII, pour venir habiter au milieu de l’Église, comme Celui qui seul peut multiplier au milieu de nous de cordiales affections, je le demande à ceux qui ont des idées sobres et réfléchies sur les révélations de la Parole de Dieu : que pouvons-nous penser d’une déclaration qui lie les passages qu’il cite au désir de fondre les églises particulières dans l’Église universelle de Christ sur la terre, et de produire cette grande union d’un seul troupeau sous un seul berger, pour appeler le monde à croire en Celui que le Père a envoyé ? Et, sans parler des détails, je demande si ce n’est pas ignorer les premiers éléments de la révélation de Dieu, telle que nous l’avons dans la Parole, confondre la grâce avec le jugement, l’Évangile avec le règne personnel de Jésus, la gloire avec la patience des saints et la grâce de Dieu, le ciel avec la terre ?

Et, dans un moment critique et sérieux, on se pré sente, pour nous conduire, comme possédant l’intelligence des voies de Dieu ! Et on le fait, en exprimant des pensées où il règne une incroyable confusion ! Cela est-il propre à commander notre confiance en vers ceux qui s’avancent pour relever ce qui est tombé, et pour donner une direction au mouvement du jour ?

§.

Oui. Il s’agit de relever et de rétablir non-seulement des Anciens, mais le troupeau de Dieu auquel, selon eux, ces Anciens doivent être préposés. Ils ne nient pas que ce qui est résulté du premier établissement des Anciens ne soit sous la puissance de l’ennemi. Ils font une nouvelle Église, un nouveau presbytère, un presbytère tellement nouveau qu’ils ont institué une commission préparatoire pour savoir comment il faut y procéder. Que puis-je y voir, sinon une secte avec de plus grandes prétentions que d’autres ?

Ils commencent la chose. Ceux qui imposent les mains, d’où viennent-ils ? Est-ce l’ancien clergé qui le fera ? Tout le monde peut-il le faire ? Cela importe, car il s’agit d’une autorité si nécessaire et si obligatoire que, sans elle, les Anciens ne peuvent exister ni les fidèles obéir.

  1. Congrégationalisme à part, il n’existe aucune différence quelconque entre les principes émis par ces Messieurs, et ceux de M. Rochat. Ce qu’ont dit l’auteur anonyme et M. Merle a été dit par M. Rochat, seulement avec moins de prétention. Voyez la brochure de M. Rochat, intitulée : Réponse à l’écrit anonyme, etc., p. 14-18.
  2. Je n’ai jamais rien lu de plus parfaitement pareil aux prétentions romaines que les pages 36 et 37 du Rapport de M. Merle.