Librairie de L. Hachette et Cie, (IX. Voyages en Suisse et en Italie, p. i-xv).
INTRODUCTION.
On peut considérer les lettres que Goethe a écrites de Suisse et d’Italie comme une suite de son autobiographie ; mais les voyages qu’il fit dans ces deux pays sont séparés par un assez long intervalle de l’époque ou finissent les Mémoires. Un exposé succinct des faits intermédiaires était donc indispensable. C’est l’objet de cette introduction1.
On a va à la fin de notre huitième volume comment Goethe se rendit à l’invitation du duc et de la duchesse de Weimar, malgré les sinistres avertissements de son père et les conseils passionnés de Mlle Delf. Il arriva à Weimar le 7 novembre 1775. Il avait alors vingt-six ans.
Weimar est une petite ville, agréablement située dans la vallée de l’Ilm. Elle a plutôt l’apparence d’une bourgade attenante à un parc, que celle d’une capitale, siége d’une cour princière, sur laquelle commençait à se porter l’attention de l’Europe. La ville n’offrait alors aucune construction remarquable ; le château, qui présente aujourd’hui un aspect assez imposant, avait été consumé par le feu. Le pays était sans commerce, sans manufactures. Il avait joué un
1. J’ai suivi principalement la biographie dont M. Lewes est l’auteur. J’ai des obligations à d’autres écrivains, particulièrement a M. Julien Schmidt, quia donné une excellente Histoire de la littérature allemande depuis la mort de Letting, mais j’ai cru inutile d’indiquer en détail mes emprunts, dans un travail qui n’est qu’un simple extrait de sources bien connues. Le défaut d’espace ne me pennettant pas de discuter les points controversés, je me suis borné, en g néral, à énoncer l’opinion qui m’a paru la plus juste et la plus vraie. rôle important à l’époque de la réformation ; mais le souvenir en était bien effacé, quand Goethe parut dans la ville où avait prêché Luther.
Les environs de Weimar ont beaucoup gagné depuis ce temps-là : cependant la contrée avait déjà un caractère gracieux et champêtre, fait pour plaire à notre poète. Les mœurs étaient simples et les usages rappelaient le bon vieux temps. A plusieurs égards, Goethe put continuer à la cour la vie bourgeoise à laquelle il était accoutumé. L’accueil plein de cordialité que lui firent le duc et la duchesse, ainsi que leur entourage, le mit d’abord à son aise, et, dans ce cercle bienveillant, il put se’croire en famille.
Il existait cependant des préjugés nobiliaires très-tenaces et trèsprononcés : mais la volonté énergique de Charles-Auguste et le mérite éclatant de Goethe en triomphèrent. On vit d’année en année s’accroître le crédit du bourgeois de Francfort, qui finit par devenir le premier ministre du prince.
En appelant Goethe auprès de sa personne, Charles-Auguste n’avait fait que suivre l’impulsion déjà donnée par sa mère, la duchesse Amélie de Brunswick. Cette princesse remarquable, nièce de Frédéric le Grand, ne partageait point son mépris pour la littérature nationale. Restée veuve dès l’année 1758, après deux ans de mariage, elle attira les gens de lettres à sa cour ; elle confia à Wieland l’éducation de son fils aîné, à Knebel celle du second. Versée dans la connaissance des langues anciennes, elle aimait la conversation des hommes instruits. Elle était bonne musicienne et se connaissait en tableaux. D’un caractère enjoué, elle aimait le mouvement et les plaisirs. Son indignation, que Goethe avait encourue en s’attaquant à son fidèle Wieland, ne tint pas contre le charme séducteur du jeune poète. Elle se lia d’amitié avec sa mère, et entretint avec elle une correspondance sur le ton de la plus intime familiarité.
Wieland lui-même fut bientôt gagné. Non-seulement il pardonna à Goethe ses épigrammes, mais il exprima avec un naïf enthousiasme son admiration pour cette riche et brillante natuce. Il en fut de même des autres hommes marquants qui vivaient à Weimar : Einsiedel Seckendorf, Musœus, Bertuch, Knebel, individualités intéressantes à divers titres, qui entouraient notre poète et prirent une part active au mouvement littéraire et aux ingénieux amusements de la cour.
Parmi toutes ces figures se distingue, par des traits plus sévères et plus imposants, la duchesse Louise de Darmstadt, femme de Charles-Auguste. Cette princesse, qui montra, comme Louise de Prusse, un grand caractère dans l’une et l’autre fortune, et qui souffrit patiemment les torts de son époux, inspirait h Goethe un tendre et profond respect.
Charles-Auguste, alors âgé de dix-huit ans, avait déjà le sérieux désir de rendre ses sujets heureux, et, malgré la fougue de son âge et de son tempérament, il faisait entrevoir à l’observateur attentif le prince qui se montra plus tard digne de gouverner de plus vastes États. Il aima Goethe comme un frère, et cette liaison eut pour tous deux les suites les plus importantes. Elle dura près de cinquante ans, et quelques orages, qui survinrent durant cette longue période, n’empêchèrent pas leur amitié de subsister tout entière jusqu’à la mo.-t du prince.
Parmi les femmes qui figuraient à la cour de Weimar et qui eurent de l’influence sur notre poète, la première place appartient à la baronne de Stein, dame d’honneur de la duchesse Amélie. Elle fut longtemps aimée de Goethe. Aucune de ses premières liaisons, dont il nous a fait l’histoire, ne peut être comparée à celle qu’il forma avec Mme de Stein. Agée de trente-trois ans, et déjà mère de sept enfants, quand elle fit la connaissance de Goethe, cétte dame était fort négligée de son mari, et ses relations avec le poète ne pouvaient, soit par leur nature, soit par les circonstances, donner prise à la critique dans le monde oti ils vivaient. Goethe oublia près de cette femme aimable, instruite, séduisante, les jeunes filles qui avaient autrefois ému ses sens et touché son cœur. Il eut avec elle une longue et vive correspondance ; c’est à elle qu’il adressa la plupart des lettres qu’il écrivit de Suisse et d’Italie, et qu’il publia plus tard, mais revues et modifiées.
« Tel était, dit M. Lewes, le cercle dans lequel Goethe parut, avec tout l’éclat de la beauté, de la jeunesse et de la gloire. Est-il étonnant qu’il ait conquis tous les cœurs ? » — « Tout le monde fut charmé, dit Knebel, et particulièrement les dames. » Sous son coslume à la Werther, qui fut adopté aussitôt par le duc et par son entourage, il parut l’idéal du poète.
Dans cette cour amie du plaisir, il donna l’essor à ses goûts de jeune homme, et il fut bientôt l’âme de toutes les fêtes. Les sérénades, les mascarades, la chasse, les divertissements de tout genre se succédaient sans cesse. L’hiver étant venu, Goethe mit à la mode l’exercice du patin, qui devint une véritable fureur. L’étang des Cygnes était illuminé pendant la nuit, et il devint le théâtre de scènes pittoresques et de joyeux ébats.
Nous ne parlerons pas de certaines excentricités auxquelles les deux amis se livraient à l’envi, et qui étaient dignes de folâtres étudiants plutôt que d’un prince régnant et d’un poête déjà célèbre. Mais, après quelques semaines passées dans le tourbillon des plaisirs, Goethe éprouva le besoin de se recueillir, et il courut àWaldeck chercher la solitude et le silence des bois. Là les souvenirs de sa vie passée se réveillèrent, et il se demanda s’il ne ferait pas mieux de retourner à Francfort ; mais le duc le gagna par de nouvelles marques de son affection.
Ce prince avait l’humeur indépendante et une volonté forte : il en donna la preuve lorsque, s’élevant au-dessus du préjugé, il nomma Goethe (11 juin 1775) conseiller de légation, avec siége et voix dans le conseil, et avec un traitement de douze cents thalers.
Cette position, qui peut nous sembler modeste, souleva contre le favori la colère et l’envie. Le duc daigna justifier son choix par une déclaration explicite, qui fait le plus grand honneur à l’esprit élevé et sérieux d’un prince de dix-neuf ans. C’est qu’il avait su voir autre chose dans Goethe qu’un aimable compagnon de plaisirs. Cependant leurs amusements, parfois un peu fous, avaient fait sensation, et le bruit s’en était répandu au dehors. Klopstock crut devoir en écrire à son jeune ami, pour lui reprocher ses écarts et ceux du prince. La remontrance fut mal reçue et une rupture s’ensuivit. Bien résolus à poursuivre leurs plans de réformes sociales et politiques, les deux amis ne souffraient pas qu’on voulût réformer leur vie privée et s’ingérer dans leurs plaisirs.
Déjà l’Allemagne parlait de la haute faveur dont Goethe jouissait à Weimar ; on disait merveilles de sa verve et de son esprit. Le vieux Gleim voulut en être témoin. Voici en quels termes il raconte sa visite à la cour : « Il n’y avait pas longtemps que Goethe avait écrit son Werther, quand je me rendis à Weimar. Je désirais faire sa connaissance. Je fus invité le soir chez la duchesse Amélie, où l’on m’avait dit qu’il se rendrait aussi. J’avais apporté, comme nouveauté littéraire, le dernier Almanach des Muses de Gœttingen. J’en lus quelques morceaux à la compagnie. Cependant un jeune homme, auquel je fis à peine attention, vint se mêler parmi les auditeurs. Sauf une paire d’yeux noirs italiens, rien ne me frappa dans sa personne : mais j’allais apprendre à le connaître. Pendant une petite pause, dont les hommes et les dames profitèrent pour exprimer leur opinion sur telle et telle pièce, cet élégant chasseur (il ne m’avait pas semblé autre chose) se leva de son siége, et, en me faisant une révérence polie, il offrit de me soulager quelquefois dans ma lecture. J’acceptai sa proposition obligeante et je lui remis le livre à l’instant. O Apollon ! ô Muses ! ô Grâces ! Quelle surprise m’était réservée ! Il commença sans bruit et sans éclat : « Les zéphyrs étaient aux « écoutes, les ruisseaux murmuraient, le soleil versait sa riante lu« mière…. » II lut ensuite quelques morceaux plus forts de Voss, de Léopold Stolberg, de Burger, de telle façon que nul n’aurait eu à se plaindre. Tout à coup il sembla que le démon de la témérité l’eût pris aux cheveux, et je crus voir devant moi en propre personne le chasseur sauvnge. Il lut des poésies qui n’étaient pas dans \’Almanach ; il passa par tous les tons et tous les genres : hexamètres, iambes, rimes, tout ce qui se présentait, tout pêle-mêle ; il secouait la branche et les fruits tombaient. Quelles inspirations ! quels heureux caprices ! Il lui échappait souvent des traits sublimes, dont les auteurs auxquels il les attribuait auraient rendu grâce à Dieu, s’ils les avaient trouvés à leur pupitre.
« Quand la ruse fut découverte, cela répandit dans la compagnie une gaieté générale. Il trouva quelque chose à l’adresse de chacun. Il loua la bienveillance avec laquelle je me faisais le Mécène des savants, des poètes et des artistes naissants ; mais il me fit entendre par un apologue en rimes improvisées que la poule d’Inde, qui couve patiemment ses œufs et ceux d’autrui, laisse parfois glisser sous son aile un œuf de craie au lieu d’un véritable.
« C’est Goethe ou c’est le diable ! dis-je à Wieland. — C’est l’un « et l’autre, me répondit-il. Il a aujourd’hui le diable au corps, et le « voilà comme un ardent poulain qui rue des quatre pieds. On fait « bien alors de ne pas en approcher de trop près. »
Cependant Wieland sut apprécier des premiers, avec une sagacité bienveillante, tout ce qu’il y avait de « conduite et de savoir-faire » sous les airs impétueux de son jeune émule. Il signale le changement heureux qui se fit graduellement dans ses manières et son genre de vie. « Dès le moment où il se fut décidé à se vouer au duc et aux soins du gouvernement, il se conduisit, dit Wieland, avec une irréprochable <i<«xppo<j<jVT) et avec toute la prudence convenable. »
Goethe se vif exposé à des reproches d’un autre genre. Ses admirateurs, tout comme ses envieux, le blâmaient d’avoir sacrifié son génie aux faveurs de la cour. Mais, comme il le fait observer dans ses Mémoires, à cette époque, un poète pouvait moins encore que de nos jours se borner à être poète. Il lui fallait une position sociale, qui réclamait nécessairement une partie de son temps et de ses forces. Goethe n’aurait pas dû faire moins de sacrifices à la pratique du droit, s’il l’avait continuée à Francfort, qu’il n’en fit aux affaires de Charles-Auguste et à la vie de cour. D’un autre côté, le poète gafrnait infiniment, pour la connaissance du monde et du cœur humain, dans la nouvelle carrière où il venait de faire une entrée si brillante.
Il avait eu, dès sa jeunesse, ce qu’on appelle des goûts aristocratiques. Si disposé qu’il fût i> communiquer avec tous les rangs de la société, à pénétrer dans toutes les conditions humaines, il avait laissé voir (en cela bien différent de son père) que l’air des cours ne lui faisait point de peur. H suivit donc son inclination naturelle en se rendant à Weimar. Et qui osera dire que ses instincts l’égarèrent, qu’il aurait fourni une carrière plus belle et plus féconde, s’il fût demeuré dans la condition bourgeoise, homme de lettres dans la pure acception du mot ? M. Lewes dit très-sensément que le Tasse, Iphigénic, Hermann et Dorothée, Faust, Williclm Mcister et tant d’autres ouvrages parlent éloquemment pour leur auteur, et le justifient du reproche inconsidéré d’avoir dissipé ses forces et perdu son temps à Weimar.
On parle des distractions de Weimar ; cependant il y trouva aussi de féconds et studieux loisirs. Le duc, empressé de satisfaire ses goûts pour le fixer auprès de sa personne, lui donna une charmante et modeste retraite, entourée de prairies que l’Ilm arrose, et qui, située aux portes de la ville, en était séparée par des ombrages touffus. Goethe fut si charmé de son Gartenhaus, qu’il y demeura sept ans, été et hiver, et lorsqu’on 1782 le prince lui donna la maison du Frauenplan, il ne put se résoudre à se défaire de son habitation champêtre ; il s’y retirait encore avec le même plaisir, fermant les portes des ponts qui menaient à la ville, si bien, dit \Vieland, qu’on ne pouvait pénétrer chez lui qu’avec des pinces et des crochets.
C’est là qu’il entretenait dans son âme les sentiments tendres et délicats en songeant ou en écrivant à sa chère baronne ; c’est là qu’il observait la nature et qu’il préparait ces travaux scientifiques qui font tant d’honneur à sa mémoire. Le duc y passait souvent de longues heures avec son ami, à discourir sur les sciences et la philosophie, et plus d’une fois il vint à l’improviste avec la duchesse y partager le frugal repas du poete.
Nous savons par ses Mémoires combien l’aspect des champs, le grand air, la vie sous le ciel étaient nécessaires à cet adorateur de la création. Il lui arriva de passer la nuit, couché dans le coin de son talcon, enveloppé dans son manteau, pour jouir des aspects du ciel chaque fois qu’il venait à se réveiller. Il prenait avec délices le plaisir du bain dans l’Ilm, et se livrait a l’exercice de la natation avec une ardeur qui fait souvenir de lord Byron.
On peut maintenant se représenter quelle était la vie de Goethe à Weimar, et l’on voit disparaître ces fantômes qui nous le figuraient peut-être comme un esclave des grandeurs et un soucieux courtisan. Merck n’est pas un témoin suspect. Il avait craint pour son ami le séjour de Weiinar : il vint le voir et il fut rassuré. « Goethe vit à la cour, nous dit-il, selon ses propres habitudes. L’intimité est grande ; il est vrai, eatre le serviteur et le maître, mais où.est le mal ? Goethe dirige tout, et chacun est content de lui, parce qu’il rend service à beaucoup de gens et ne nuit à personne. Qui peut résister au désintéressement de cet homme ? »
Dès l’année 1776, il fit appeler Herder à Weimar comme prédicateur de la cour, et il souffrit patiemment son humeur parfois aù»a1 pilaire. Mais c’est surtout aux intérêts du peuple qu’il songeait. Il fit rouvrir les mines d’Ilmenau, dès longtemps abandonnées ; il organisa les secours contre l’incendie. Sous ses inspirations, le gouvernement du prince fut véritablement paternel.
En 1774, le théâtre de Weimar avait été consumé par le feu : vif sujet de regrets pour la société, qui, suivant le goût de l’époque, avait la passion du spectacle. Berlin, Dresde, Francfort, Augsbourg, Nuremberg, Foulda avaient des troupes d’amateurs dont on vantait les mérites. Celle de Weimar les surpassa toutes. Elle eut ses poetes, comme Goethe et Einsiedel, ses compositeurs, ses costumiers, ses peintres décorateurs. Quiconque montrait quelque talent pour le chant, la déclamation ou la danse, était mis en réquisition, comme s’il avait dû trouver dans ces exercices un gagne-pain. Les répétitions presque journalières des ballets et des opéras occupaient, amusaient les hommes et les dames, charmés d’avoir aussi quelque chose à faire. La troupe était choisie : c’étaient la duchesse Amélie, Charles-Auguste, le prince Constantin, avec Bode, Knebel, Einsiedel, Musœus, Seckendorf, Bertuch, Goethe, Amélie, sœur de Kotzeboue, la spirituelle demoiselle Gœchhausen ; enfin, la belle Corona Schrœter, actrice remarquable, que Goethe fit appeler à Weimar et qui fut la perle de ce petit théâtre.
La société dramatique se transportait souvent dans les châteaux du voisinage, à Ettersbourg, à Tiefourt, au Belvédère, même à lena, à Ilmenau, à Dornsbourg. De grand matin, la troupe joyeuse, munie des objets et des provisions nécessaires, traversait les forêts antiques, effrayant au passage le faucon endormi sur la cime des arbres, le chevreuil qui disparaissait soudain derrière la cabane du charbonnier.
La scène était bientôt construite. A Eltersbourg, on voit encore la place où l’on jouait quand le temps était beau. Une aile du château fut aussi disposée en théâtre,’ mais les représentations en plein air étaient préférées. Pour les répétitions et les représentations à Ettersbourg, les acteurs, quelquefois au nombre de vingt, étaient transportés dans les voitures de la cour, et, le soir, après un joyeux banquet, animé souvent par des chants, on revenait aux flambeaux, escorté par les hussards du prince. Ainsi fut donné, avec une vérité surprenante, l’opéra des Bohémiens d’Einsiedel. Les arbres illuminés, les bohémiens épars dans le bois, les chants et les danses sous la voûte étoiltje formaient des tableaux d’un effet magique.
Les sujets des représentations étaient aussi divers que les lieux de la scène. On donnait quelquefois des comédies françaises, quelquefois des ouvrages sérieux, souvent des pièces bouffonnes. On jouait aussi des charades, dont le plan était tracé d’avance et le dialogue laissé à l’inspiration du moment. Une allégorie mythologique, la Naissance, la vie et les exploits de Minerve, fut représentée à Tiefourt pour célébrer le jour de naissance de Goethe.
Mais, de toutes les pièces qu’on donna dans ce lieu champêtre, ce fut la Pêcheuse, par Goethe, qui laissa les plus vifs souvenirs. Le lieu de la scène était en partie sur les bords de l’ilm, en partie sur la rivière même. Sous les grands aunes, au bord de l’eau, étaient éparses les cabanes des pêcheurs ; on voyait les harques, les filets, les instruments de pêche ; près du foyer, Dorothée (Corona Schrœter) attisait le feu. Au moment où les pêcheurs, appelés au secours, allumaient leurs flambeaux et se jetaient dans les nacelles, ou se répandaient sur les rives, pour chercher la jeune fille perdue, les collines qui s’abaissent jusqu’à l’ilm parurent tout à coup illuminées, et tous les objets voisins se reflétèrent dans l’eau rayonnante, tandis que les groupes d’arbres plus éloignés étaient plongés dans l’ombre. Les spectateurs s’étaient amassés en grand nombre sur le pont de bois pour voir ces effets étranges ; tout à coup le pont se brise sous la charge, et tous les curieux tombent dans l’eau. Il n’y eut personne de blessé, et ce bain forcé provoqua des rires joyeux : on le considéra comme un intermède.
Les Complices furent aussi joués. Les acteurs étaient Goethe, Bertuch, Musœus et Gorona Schrœter. Quand l’étudiant de Leipzig composait cette comédie, il ne s’attendait guère à la produire un jour devant la cour de Weimar.
Cependant le principal événement dramatique dont nous ayons à parler ici est la représentation d’Iphigénie, qui fut donnée dans sa première forme, c’est-à-dire en prose. Les rôles étaient distribués de la manière suivante : Oreste, Goethe ; Pylade, le prince Constantin ; Thoas, Knebel ; Arcas, Seidler ; Ipliigénie, Corona Schrœter. « Je n’oublierai jamais, écrivait Houfeland, l’impression que Goethe produisait dans le rôle d’Oreste. On n’avait jamais vu réunis tant de beauté et de génie. » Cependant il parait que son jeu avait les défauts des amateurs, c’est-à-dire de l’exagération et de la froideur. Goethe déployait sa belle voix sonore, sans faire sentir toutes les nuances du sentiment. Il était beaucoup mieux dans les rôles comiques et surtout dans la farce. .
Voilà comme on passait les jours : de grand matin, la chasse au sanglier ; vers midi, les affaires ; puis les répétitions théâtrales ; le soir, les plaisirs. La muse se taisait, mais elle n’était pas oisive ; elle préparait sa moisson.
An mois de juillet 1777, Goethe icçut -une funeste nouvelle : Cornélie, sa sœur bieu-aimée, était morte. Quiconque a lu ses Mémoires peut se figurer quels durent être sa douleur et ses regrets.
C’est dans ce temps qu’il se chargea du sort d’un jeune enfant de la Suisse, Pierre Iinbaumgarten, que son ami, le baron de Lindau, qui l’avait adopté, laissait sans soutien par sa mort. Goethe, qui avait d’ailleurs pour les enfants une tendresse toute particulière, prit la place de son ami.
La manie sentimentale que Werther avait développée au point d’effrayer et d’indigner Goethe lui-même, lui inspira plus d’une satire, et il fit souvent des efforts pour la combattre chez les jeunes hommes qui en étaient affectés. Le jeune Plessing lui avait écrit de Wernigerode une lettre où ces sentiments exaltés étaient exprimés d’une manière intéressante : Goethe alla le voir à l’iinproviste dans une promenade aventureuse qu’il fit sur le Harz. Il se présenta chez lui comme un peintre de paysage et sous un nom supposé ; il lui donna d’excellents conseils. Plessing rencontra plus tard Goethe à Weimar, et il put lui témoigner sa reconnaissance. Il finit par surmonter sa mélancolie. Nommé professeur de philosophie à l’université de Douisbourg, il y reçut en 1792 la visite de Goethe. Il a laissé un nom estimé dans la science allemande.
Au mois de janvier 1778, Goethe, qui avait couru la veille un danger de mort à la chasse du sanglier, patinait avec Charles -Auguste lorsqu’il vit retirer de l’eau le corps de Mlle de Lassberg, qu’un désespoir amoureux avait poussée à se noyer dans l’Uni. Et comme on trouva, dit-on, sur elle un exemplaire de Werther, notre poete fut doublement ému de cette catastrophe. Sa répugnance pour le sentimentalisme en fut augmentée, et c’est alors qu’il composa la Manie du sentiment, satire dramatique qui a beaucoup perdu de sa verdeur et de sa vivacité dans la forme sous laquelle on la trouve parmi ses œuvres théâtrales. C’est une de celles que nous avons cru devoir supprimer dans notre traduction. Au mois de mai 1778, Goethe fit avec le duc un voyage à Berlin.
Il n’y resta que peu de jours. Il vit le roi au milieu de ses singes, ses chiens et ses perroquets. Il ne communiqua avec personne et se tint enfermé. Qu’avait-il de commun, a-t-on dit, avec un Nicolaï, un Ramier, un Engel, un Zoellner et leurs pareils ? Il vit à Tegel Huinboldt, qui n’était encore qu’un jeune homme de grande espé-" rance. Frédéric ne témoigna à Goethe aucune estime. N’avait-il pas traité de dégoûtante platitude Gœtz de Berlichingen ?
A son retour, le poete fit quelques études d’architecture qui avaient rapport à la reconstruction du château de Weimar. Il mit la preniière main à la transformation du parc, qui n’avait été jusqu’alors qu’un jardin à la française, et qui devint, par ses soins, un lieu admirable par la fraîcheur, la beauté des ombrages et la gracieuse variété des promenades.
Au milieu de ces travaux, il trouvait le temps de se livrer à ses inclinations bienfaisantes. Un homme d’un caractère irritable et soupçonneux fut réduit à la misère par les circonstances et aussi par sa faute. Comme bien d’autres, il implora l’appui de Goethe et lui peignit sa situation avec l’éloquence du désespoir. Goethe lui répondit avec beaucoup de sagesse et d’humanité ; il s’intéressa à son sort, et, pendant plusieurs années, il consacra la sixième partie de ses revenus à tirer cet homme de la détresse, déployant, dans l’accomplissement de cette œuvre charitable, autant de persévérance que de délicatesse et de générosité. Lewes en donne le détail, et il ajoute : « J’éprouve une émotion douloureuse à la pensée qu’un tel homme a été longtemps décrié chez nous, et même dans sa patrie, comme froid et sans entrailles. Des manières un peu réservées, un certain défaut d’enthousiasme politique dans sa vieillesse, voilà les faits sur lesquels on a voulu établir l’idée bizarre qu’à la manière d’un Jupiter Olympien, il avait trôné sur l’humanité et abaissé ses regards sur la vie sans y prendre intérêt. Comment un tel homme aurait-il pu être le premier poete de son temps ? Aurait-il pu écrire Egmont, Faust, Wilhehn Mcislf.r, Hermann et Dorotlice, sans avoir connu et senti les joies et les douleurs de l’humanité ? Ajoutons qu’on ne pouvait connaître Goethe sans l’aimer. Enfants, femmes, professeurs, poetes, princes, tous le chérissaient. Herder lui-même, aigri contre tout le monde, parlait de Goethe avec un respect qui jetait Schiller dans l’étonnement. Hercler lui attribue une sensibilité vraie et profonde, un cœur d’une pureté parfaite. On aurait pu le conclure de ses ouvrages, si l’opinion préconçue de sa froideur et de son indifférence n’avait pas égaré les esprits. « Il n’y a pas, dit Carlyle, une ligne dans Goethe où il parle durement d’une personne, et à peine d’une chose. » Mais une rumeur née de l’ignorance et de l’irréflexion fut propagée par la méchanceté et adoptée en dépit de toutes les preuves contraires.
Goethe venait d’entrer dans sa trentième année ; une page de son journal de cette époque annonce la ferme résolution de renoncer aux folles distractions de la jeunesse. « Dieu veuille, ditril, me soutenir et m’éclairer, pour que, du matin au soir, je fasse ce que je dois, et que je me forme des idées claires sur les conséquences des choses. » C’est dans ce temps qu’il composa Iphigénie, et il ne pouvait donner une preuve plus éclatante de son progrès intellectuel et moral. Cette pièce fut d’abord écrite en prose, comme Gœtz, Egmont, le Tasse, comme Schiller écrivit les Brigands, Fiesco, la Cabale et l’Amour. C’était la mode alors, et les amis de Goethe furent très-mécontents lorsqu’il leur envoya de Rome Iphigénie en vers ïambiques.
Le 28 août 1779, anniversaire de sa trentième année, il fut élevé par le duc à la dignité de conseiller intime, « en récompense de ses services ; » et Goethe s’étonne lui-même d’être arrivé si tôt « à la position la plus élevée à laquelle un bourgeois puisse atteindre en Allemagne. » Les cris de l’envie en redoublèrent : le duc n’y fit aucune attention.
Le 12 septembre, il partit pour la Suisse avec Goethe et de Wedel, grand maître des eaux et forêts. On trouvera dans la deuxième partie des lettres écrites de Suisse un compte détaillé de ce voyage, entrepris et exécuté sans le moindre appareil et dans le plus strict incognito. Les voyageurs se rendirent premièrement à Francfort. Le vieux conseiller eut la joie de revoir ce fils, dont il devait être si fier, et d’héberger le prince dans sa maison bourgeoise. Mine la conseillère fut, comme on l’imagine, au comble de la joie.
De Francfort ils se rendirent à Strasbourg. Le souvenir de Frédériqne entraîna Goethe à Sesenheim. Il y retrouva la bonne et simple famille telle qu’il l’avait laissée huit années auparavant. Voici en quels termes Goethe rend compte de cette visite dans sa lettre à la baronne de Stein : « J’ai été amicalement reçu. La fille cadette m’avait aimé autrefois plus que je ne le méritais et plus que d’autres auxquelles j’ai voué beaucoup d’amour. Je dus la quitter dans un moment où iL faillit lui en coûter la vie. Elle a passé légèrement sur ce qui lui restait d’une maladie de ce temps-là, et, dès le premier moment où nous nous sommes rencontrés sur le seuil de la porte, elle m’a montré une cordialité parfaite. Elle n’a pas fait la moindre tentative pour éveiller dans mon cœur une ancienne flamme. Elle m’a conduit sous chaque berceau ; elle m’a fait asseoir auprès d’elle : voilà tout. Le clair de lune était magnifique. Nous avons parlé de nos anciens amusements. J’ai retrouvé les chansons que j’avais composées, la voiture que j’avais peinte. Mon souvenir était là aussi vivant que si mon absence n’avait duré que six mois. Les parents m’ont fail le meilleur accueil. J’ai passé la nuit chez eux, et, au départ, le lendemain, je n’ai vu que des visages gracieux. Je puis donc penser désormais avec satisfaction à ce coin de terre, et vivre en paix avec les images de ces amis réconciliés. »
A Strasbourg, Goethe retrouva Lili mariée et mère d’un enfant de sept semaines. Le mari était absent. Lili avait sa mère auprès d’elle. « Je fus ravi, dit-il, de la voir bien établie. Son mari est, à ce qu’on m’assure, honnêle et sage ; il est riche, d’une famille honorable ; il possède une belle maison ; enfin elle a tout ce qu’il lui fallait. »
Quelle différence entre ces deux relations, et l’on peut dire aussi entre ces deux femmes ! La noble et fidèle Frédérique ne connut jamais d’autre amour. Après ie départ de Goethe, elle fut aimée et recherchée par Lenz et par d’autres encore : elle refusa toutes les propositions. » Le cœur qui a aimé Goethe, disait-elle, ne peut appartenir à aucun autre. »
De Strasbourg il se rendit à Emniendingen pour visiter le tombeau de sa sœur.
En Suisse, il vit Lavater et passa de belles heures avec lui. Ce voyage lui inspira au retour Jéry et Baetely, fraîche et naïve pastorale où le souffle des Alpes a passé, et que Goethe aima jusque dans sa vieillesse.
Les lettres de Suisse diront le reste. On y verra surtout un homme frappé des merveilles de la nature et qui sait se rendre compte do ce qu’il voit.
Les voyageurs étaient de retour à Weimar le 13 janvier 1780. Dès cette époque, Goethe travaille toujours plus à se rendre maître de lui ; sa passion pour Mme de Stein se calme et se modère ; il s’applique assidûment aux sciences naturelles ; il élabore le plan du Tasse, et commence à écrire ce drame en prose.
Le 27 mai 1782, il perdit son père, qui fut peu regretté. « Mme Goethe peut respirer désormais, » disait le duc en annonçant à Merck cette nouvelle. Le 1" juin, Goethe vint habiter à la ville sa maison du Frauenplan. La duchesse Amélie lui donna une partie du mobilier. Il ne quitta pas sa demeure champêtre sans un vif regret ; elle fut toujours sa retraite favorite.
A la même époque (juin 1782), le grand-duc lui fit conférer par l’empereur le titre de baron, et il l’éleva en même temps à la dignité de président du conseil.
Nous avons dit que la liaison du prince et du poète fut sujette à quelques orages. Les écarts de jeunesse et les façons un peu rudes de Charles-Auguste affligèrent quelquefois son ami, qui ne craignit pas de lui représenter son devoir. Il prit peu à peu avec son maître des manières plus réservées, et se ménagea ainsi les moyens d’exercer sur lui l’influence d’un conseiller fidèle. Goethe admirait avec une tendre vénération la duchesse Louise, et il se permit de reprocher plus d’une fois à l’époux les brusqueries dont elle avait à souffrir.
Il sut se soustraire lui-même par degrés aux exigences du prince, quand elles lui paraissaient excessives. Ce ne fut pas toujours sans combats, et nous pouvons croire que le président du conseil regretta plus d’une fois la vie privée. Mais ces moments orageux, dans une vie d’ailleurs si sereine et si belle, prouvent seulement que le parfait bonheur n’était pas plus à Weimar que nulle part sur la terre. L’étude, la poésie avaient hientôt rasséréné son âme, et il revenait a son cher duc avec sa tendresse accoutumée. « Je pardonne au prince ses folies, écrivait-il, parce que je nie souviens des miennes. »
Vers ce temps-là, il entreprit une nouvelle édition de Werther, et, au bout de dix ans, il relut pour la première fois cet ouvrage de sa jeunesse. Tout ne lui plut pas, et il fit quelques changements, entre autres dans les rapports d’Albert et de Charlotte….
Au mois de février 1783, la grande-duchesse mit au monde un fils, et cet événement, qui inspira au père une joie solennelle et des pensées salutaires, fut célébré par tout Weimar avec enthousiasme. Goethe garda le silence, pour laisser le champ libre aux autres poêtes ; mais, la même année, il composa pour l’anniversaire de Charles-Auguste son poeme d’Ilmenau, dans lequel, en retraçant, avec toute la magie de son pinceau, une scène de leurs plaisirs passés, Goethe en prend occasion d’adresser à son jeune maître les plus graves conseils.
En général, il s’appliquait alors aux affaires avec une ardeur si grande, que son humeur parut assombrie et sa santé compromise. Sa mère en fut informée, et il s’empressa de la rassurer. « Vous ne m’avez jamais vu, lui dit-il, une vaste corpulence ; et qu’on devienne sérieux dans les affaires sérieuses, c’est une chose naturelle, surtout quand on est, par tempérament, disposé à la méditation, et qu’on voudrait voir régner dans le monde le bien et la justice. Recevez donc gracieusement cette année comme un don du ciel, ainsi que nous devons considérer toute notre vie ; que chaque année écoulée soit pour nous un sujet de reconnaissance. Je suis bien selon ma constitution ; je puis présider à mes affaires, goûter la société de bons amis, et il me reste du temps et des forces pour quelques occupations favorites. Je ne saurais imaginer pour moi une situation meilleure, sachant ce qu’est le monde et ce qu’on voit derrière les mon tapies. Vous, de votre côté, soyez heureuse que je vive. Si je devais quitter avant vous ce monde, du moins je ne vous aurai pas fait rougir ; je laisserai de bons amis, une bonne renommée, et vous aurez cette consolation excellente, que je ne mourrai pas tout entier. Cependant vivez tranquille ; peut-être le sort nous donnera-t-il de passer ensemble une agréable vieillesse, dont nous jouirons aussi jusqu’à la fin avec reconnaissance. »
La tendresse filiale exprime peut-être ici une sécurité plus grande que Goethe ne l’éprouvait. Le duc lui-même fut alarmé, et il engagea son ministre à faire un voyage dans le Harz. Goethe le fit en compagnie du troisième fils de son amie, le jeune Fritz de Stein, pour lequel il avait la sollicitude et la tendresse d’un père, et qui habita longtemps chez lui.
Ce voyage fut favorable à sa santé, et, dès cette année (1784), le théâtre d’amateurs ayant fait place à une troupe régulière, Goethe, moins occupé de ce côté, se voua surtout aux sciences naturelles et à l’étude de l’antiquité. Dans l’un et l’autre objet, il avait en vue le voyage qu’il se préparait secrètement à faire en Italie.
En 1785, le duc augmenta son traitement de deux cents thalers ; en sorte qu’avec les dix-huit cents de son héritage paternel, il jouit dès lors d’un revenu de trois mille deux cents thalers, qui lui permit de satisfaire ses goûts studieux et son humeur bienfaisante.
Cependant son genre de vie plus Calme et plus sérieux influa sur la cour : la duchesse Amélie se plaignait que tout le monde dormait ; Charles-Auguste trouvait la société insipide. Goethe sut inspirer au prince des goûts plus solides et l’attira vers les sciences naturelles, Herder lui-même y prit intérêt. Jacobi, qui parut alors à Weimar, ne reçut pas de ces objets une impression aussi favorable. Goethe ’ avait, de son côté, déclaré la guerre à la métaphysique. Ce n’était plus le temps des épanchements intimes dont il parle avec tant de charme dans ses Mémoires1. Toutefois les choses n’en vinrent pas à une rupture comme avec Lavater, dont Goethe ne pouvait plus souffrir l’exaltation mystique et l’aveugle foi aux jongleries de Cagliostro et d’autres thaumaturges.
Au milieu de ses préoccupations scientifiques, Goethe n’oubliait pas la poésie : Wilhelm Meister était porté jusqu’à la fin du cinquième livre ; l’idée des Mystères* était conçue et le commencement exécuté, ainsi que les deux premiers actes à’Elpfnor ; un grand nombre des poésies détachées datent de cette époque, entre autres : Connaistu le pays ?… Goethe cultivait assidûment la langue italienne, et, avec le concours de Herder et de Wieland, il revoyait soigneusement ses ouvrages, dont il préparait une nouvelle édition.
Au mois de juillet 1786, il accompagna le grand-duc, Herder et Mme de Stein aux eaux de Carlsbad. Il avait pris avec lui ses ouvrages, dont la révision semblait être l’unique pensée du moment ; mais, aussitôt que Herder et Mme de Stein furent repartis, il fit secrètement ses derniers préparatifs, et, le 3 septembre 1786, il s’échappa furtivement de Carlsbad : il était sur la route d’Italie.
Le duc semble avoir été seul dans le secret. Goethe ne pouvait partir sans son agrément. Mais il paraît avoir caché son dessein à Mme de Stein elle-même. Il n’aimait pas les scènes sentimentales ; il craignait des obstacles, et peut-être les offres importunes qu’on pourrait lui faire de partir avec lui.
Je n’insisterai pas sur les motifs qu’il avait de visiter l’Italie, sur le penchant irrésistible qui l’entraînait vers cette belle contrée : il s’en expliquera lui-même dans ses lettres, qui sont assurément au nombre des écrits les plus intéressants que l’Italie ait jamais inspirés *.
1. Tome VIII, page 536. — 2. Tome I, page 240.
3. Je les donne au complet, à l’exception de quelques passages dont l’équivalent se trouve ailleurs ou dont l’olijet est étranger aux impressions de voyage de l’illustre touriste. J’ai cru devoir omettre également quelques détails purement scientifiques, sur la valeur desquels on trouvera tous les éclaircissements désirables dans le volume que M. Ernest Faivre a consacré à l’analyse des œuvres scientifiques de Goethe : excellent travail , qui forme le complément nécessaire de ma traduction.