Voyages Liturgiques/Préface

Florentin Delaulne (p. iii-ix).

PRÉFACE


Le goût que j’ai toujours eu pour les Rits & les anciens Uſages des Égliſes de France, m’a engagé à faire pluſieurs voyages dans les Provinces de France ; j’ai viſité la plus grande partie des Égliſes & des Cathédrales les plus célèbres, & j’ai cru y avoir fait des Découvertes ſur l’Antiquité eccléſiaſtique & payenne, qui pouvoient être de quelque utilité au public & ſur tout à l’Églife. Je me ſuis attaché principalement à marquer les différents Rits & les pratiques particulières des Égliſes que j’ai vûes ; & j’ai tout lieu de croire qu’on les lira avec quelque ſorte de ſatisfaction, & que ceux qui voyageant dans les mêmes lieux que je cite, voudront bien s’arrêter à entendre la grand’Meſſe ou les Vêpres dans les Égliſes Cathédrales, ſeront édifiez des cérémonies qui s’y font, parce qu’ils ſeront inſtruits & prévenus, & qu’ils auront appris les raiſons littérales des pratiques & des cérémonies de l’Église, & ſon eſprit dans ſes prières. Au reſte on trouvera dans ces Voyages la forme des Cryptes ſouterraines qui étoient les premières Égliſes du Chriſtianiſme ; celle des anciens Autels, des Rideaux & des Paremens qui les environnoient ; l’origine & l’uſage de ces Paremens, des Lampes, des Cierges, des Chandeliers. On y verra des Chanoines Prêtres, des Archidiacres ou d’autres Dignitaires, qui chantent encore aujourd’hui la Meſſe à l’Autel conjointement avec l’Évêque, & qui y communient avec lui ſous les deux espèces ; douze Curez Cardinaux en pluſieurs Égliſes de France, & d’où vient ce mot de Cardinaux ; les differens Habits des Chanoines, des Chapelains ou Chantres, des Clercs & des Enfans de chœur ; leurs Aumuſſes ſur la tête, ſur les épaules, ſur les bras ; leurs Aumuſſons, Mitres, Mitelles, Calottes, Bonnets ronds, Bonnets quarrez ; les quatre différentes ſortes de Surpelis, les Aubes, Tuniques, Chaſubles ; des Mouchoirs & Manipules attachez au bras gauche des Religieuſes confacrées & des Enfans de chœur, & paſſez entre leurs doigts, & pourquoi : l’origine de l’Habit & du Capuchon des Moines, du Voile des Religieuſes conſacrées encore aujourd’hui par l’Évêque ; la participation de la ſainte Hoſtie, dont elles ſe communioient elles-mêmes durant l’Octave de leur Conſécration, de celle dont ſe communioient les nouveaux Prêtres pendant les quarante premiers jours d’après leur ordination ; l’origine des nappes de la Table de la Communion, le baiſer de paix & la Communion sous les deux espèces qu’on trouve encore en usage en différentes Églises ; la Confirmation donnée par l’Evêque aux petits enfans nouveaux baptisez, la sainte Communion du Calice donnée aux mêmes enfans au jour de leur Baptême, & à ceux qui étoient portez par leurs mères & par leurs nourrices : le Scrutin ou Examen des Catécumenes, & quatre ſortes d’inclinations, quatre ſortes de proſternemens ou proſtrations encore aujourd’hui en usage parmi les Eccleſiaiſtiques & les Religieux & Religieuſes : la rigueur exercée à Lyon & à Rouen contre les Chanoines & les Chantres qui manquent en tour d’office à faire leurs fonctions, ou qui pechent contre les mœurs : les différentes ſortes d’inclinations, de révérences & de génuflexions, la révérence à la mode des Dames, faite par les Cardinaux ſaluans le Pape lorsqu’il tient Chapelle, par les Ambaſſadeurs étrangers ſaluans le Roi, par les Chanoines & autres Eccleſiaſtiques de plusieurs Églises, & par tous les Enfans de chœur de toutes les Églises Cathédrales de France : l’usage de la Pénitence publique dans les principales Églises : des Cendres, des Verges & le Cilice exposez dans les Églises au Mercredi des Cendres : la couche de cendres sur laquelle expiroient les mourans, tant Eceleſiaſtiques & Moines, que laïques : des Lavatoires pour laver les morts avant que de les enſevelir, &c. avec les anciens uſages, rits, pratiques, & les cérémonies les plus considérables de l’Égliſe Gallicane, que j’ai retrouvées par parties : l’origine de la Collation aux jours de jeûnes : des Meſſes ſeches, des Messes des préſanctifiez ; des Agapes encore aujourd’hui en usage dans les Égliſes : des pains fondez pour les pauvres, distribuez aux pauvres dans les Obits & Enterremens : des Maisons, Terres, & Vignes données à l’Église pour fournir le pain & le vin nécessaires aux Sacrifices des Autels ; pain & vin offerts aux Meſſes pour les morts, & portez sur l’Autel anciennes Fondations pour avoir part aux prières de l’Égliſe : Chartres de Donations faites aux Égliſes & aux Monastères, miſes sur l’Autel : Serfs ou Eſclaves de l’un & de l’autre ſexe donnez aux Égliſes ; manumiſſion ou affranchiſſement de ces Serfs ; Prisonniers délivrez par les Évêques : Serment de fidélité & d’obéissance rendu par les Évêques Suffragans aux Metropolitains, & par les Abbez & Abbesses à l’Évêque Dioceſain : Religieux & Religieuses qui ſont encore aujourd’hui sous la dépendance de l’Évêque Dioceſain, & qui font l’Office du Dioceſe : Proceſſions publiques auſquelles les Religieuses aſſiſtoient autrefois avec le Clergé & les Moines, ou l’on porte des baguettes, des cannes, des bâtons, & où pluſieurs Chanoines & autres Eccleſiaſtiques vont encore nuds pieds : les Proceſſions des grandes Fêtes avant la Meſſe & Vêpres pour conduire l’Évêque de son Hôtel Episſcopal à l’Églises ; celle des Dimanches avant la grand’Meſſe faite pour aſperſer les Autels, l’Église, le Clergé & le peuple, le Dortoir, l’Infirmerie, le Cimetière, le Cloître, le Puits, le Refectoir, & en benir la Table : l’Annonce de la Pâque au jour de l’Épiphanie : la description des Églises & des Monastères les plus considerables, avec leurs pratiques ſingulières : les plus beaux Mauſolées du Royaume, d’anciens Cercueils, Tombeaux & Sépulcres des Chrétiens & des Payens : des Urnes dans leſquelles on mettoit les cendres des corps des Payens qu’on avoit brûlez : des Amphithéâtres, des Arènes, des Grottes, des Aqueducs, des Bains publics, des Pyramides, des Aſyles, d’anciennes Inſcriptions tant Payennes que Chrétiennes, & les quartiers & les endroits des Villes, Églises & Places où tout cela se trouve, & dont on verra plusieurs Figures gravées dans cet Ouvrage.

On pourra peut-être me blâmer d’y avoir mêlé des Antiquitez profanes avec des choses eccleſiaſtiques. Mais il ſera fort aiſé, si l’on veut, d’en tirer de l’utilité & quelque inſtruction. N’est-ce pas ſur les ruines du Paganisme que l’Église a été édifiée ? Et quel danger peut-il arriver de faire voir que les Payens adoroient de fauſſes Divinitez qu’ils mettoient toute leur gloire à des édifices superbes, à des Statues & à des Inſcriptions pour éterniſer par là leur nom & leur mémoire ; qu’ils ſe repaiſſoient de jeux, de ſpectacles & d’autres divertiſſemens publics qui faiſoient quelquefois horreur, puisque parmi ces divertiſſemens affreux il y avoit des combats d’Athlètes, de Gladiateurs & de bêtes féroces, auſquelles on expoſoit quelquefois les Martyrs pour être dévorez : ce qui ſe faiſoit dans les Arènes au milieu des Amphitheatres. Doit-on trouver mauvais que je marque ceux que j’ai vûs, que j’en faſſe en paſſant la deſcription, auſſi bien que des Pyramides, des Urnes, & autres choses de cette nature ? Cela ne ſervira qu’à nous faire mieux concevoir combien notre Religion eſt plus ſpirituelle & plus excellente que celle des Payens, & combien il a fallu que les Apôtres & leurs succeſſeurs ayent travaillé pour réduire l’orgueil de ces Sages du monde ſous le joug de l’Évangile, & aux humbles maximes d’un Jesus crucifié.

En faiſant la deſcription des Villes je ne me ſuis point amuſé à raconter les fables anciennes qu’on debite ſur la fondation & l’étimologie de quelques-unes, & je crois qu’on ne doit pas les regretter puisqu’il n’y a en tout cela preſque rien de certain. Mais auſſi je n’ai pas négligé de rapporter certains mots qui leur font propres, & leurs privileges & prérogatives.

Le ſtyle de ces Voyages est ſimple, naturel & sans affectation, tel qu’il convient à un voyageur, & le plus concis que j’ai pû. J’ai tâché d’y joindre l’utile à l’agréable, de sorte qu’il n’y ait personne qui n’y trouve de quoi ſe ſatisfaire. J’ai marqué à chaque endroit ce qu’il y a de plus curieux & de plus digne de remarque, & j’y ai mis en latin les noms de Villes, de Pays, de Rivières, en faveur des gens de lettres. Ils les trouveront diſpoſez par ordre alphabétique à la fin du Livre, auquel j’ajouterai aussi une table des principales matières, pour la commodité d’un chacun.

Comme la plûpart de ces Voyages ont été faits il y a dix ans, & quelques-uns même encore huit ou dix ans auparavant, je prie le Lecteur de les ſupposer de ce tems-là, afin qu’on ne m’accuſe point de fauſſeté, s’il eſt arrivé quelques changemens depuis, n’en pouvant pas être garant. Plusieurs Ouvrages dont j’ai été chargé, & quelques affaires qui me ſont ſurvenues, m’ont empêché de les publier plutôt.