Chez Jean-François Bastien (Tome cinquième. Tome sixièmep. 2-4).



CALAIS.


Je dînai. Je bus, pour l’acquit de ma conscience, quelques rasades à la santé du roi de France, à qui je ne portois point rancune ; je l’honorois et respectois au contraire infiniment, à cause de son humeur affable et humaine ; et quand cela fut fait, je me levai de table en me croyant d’un pouce plus grand.

Non… dis je, la race des Bourbons est bien éloignée d’être cruelle… Ils peuvent se laisser surprendre ; c’est le sort de presque tous les princes ; mais il est dans leur sang d’être doux et modérés. Tandis que cette vérité se rendoit sensible à mon ame, je sentois sur ma joue un épanchement d’une espèce plus délicate, une chaleur plus douce et plus propice que celle que pouvoit produire le vin de Bourgogne que je venois de boire, et qui coûtoit au moins quarante sous la bouteille.

Juste Dieu ! m’écriai-je, en poussant du pied mon porte manteau de côté, qu’y a-t-il donc dans les biens de ce monde pour aigrir si fort nos esprits, et causer des querelles si vives entre ce grand nombre d’affectionnés frères qui s’y trouvent ?

Lorsqu’un homme vit en paix et en amitié avec les autres, le plus pesant des métaux est plus léger qu’une plume dans sa main. Il tire sa bourse, la tient ouverte, et regarde autour de lui, comme s’il cherchoit un objet avec lequel il pourroit la partager. C’est précisément ce que je cherchois…… Je sentois toutes mes veines se dilater ; le battement de mes artères se faisoit avec un concert admirable ; toutes les puissances de la vie accomplissoient en moi leurs mouvemens avec la plus grande facilité ; et la précieuse la plus instruite de Paris, avec tout son matérialisme, auroit eu de la peine à m’appeler une machine.

Je suis persuadé, me disais-je à moi-même, que je bouleverserois son Credo.

Cette idée qui se joignit à celles que j’avois, éleva en moi la nature aussi haut qu’elle pouvoit monter… J’étois en paix avec tout le monde auparavant, et cette pensée acheva de me faire conclure le même traité avec moi-même.

Si j’étois à présent roi de France, me disais-je, quel moment favorable à un orphelin, pour me demander, malgré le droit d’aubaine, le porte-manteau de son père !