Voyage scientifique de M. Virlet

SMYRNE.Voyage scientifique de M. Virlet. — M. Virlet, membre de la commission scientifique de Morée, vient d’arriver ici, après avoir visité Constantinople et ses environs, la Troade et les îles de Thrace. Parmi les nombreuses observations scientifiques qu’il a été à même de faire dans le cours de ce voyage, il cite surtout les îles de Tasso, Tassopoulo et les deux îles Fanox, comme lui ayant offert la solution d’un problème intéressant pour la géologie ; il paraîtrait aussi que la Troade renferme des richesses minérales jusqu’à ce jour peu connues. Mais c’est surtout d’une question qui intéresse à la fois l’histoire ancienne, la géographie physique, la topographie et la géologie de ces contrées, qu’il paraît s’être le plus occupé : suivant M. Virlet, l’opinion des anciens et des modernes sur l’origine et la formation du Bosphore de Thrace et du détroit des Dardanelles est tout à fait gratuite.

Partout, sur les côtes de la mer Noire, du Bosphore, de la Bithynie, de la mer de Marmara et des Dardanelles, ce jeune voyageur a reconnu qu’aucune catastrophe de la nature de celle qui aurait permis aux flots long-temps resserrés du Pont-Euxin de s’ouvrir un passage par le détroit des Cyanées, d’envahir la plaine qui forma ensuite la Propontide et de se précipiter de là dans la mer Blanche ou Égée, en s’ouvrant un passage à travers l’Hellespont, n’avait pu avoir lieu qu’antérieurement à la dernière révolution ou cataclysme qui a bouleversé notre globe, et en admettant toutefois que ces détroits aient eu un tel événement pour origine, ce qui, selon lui, n’est nullement probable.

Ainsi l’ancienne tradition dont parlent Strabon, Diodore de Sicile et quelques autres historiens de l’antiquité, conservée dans l’île de Samothrace, du prétendu malheur dont ses habitans avaient été menacés, par suite de la submersion d’une partie de leur île, lors de l’irruption de la mer du Pont, doit être rangée parmi les nombreuses fables que l’antiquité nous a transmises.

M. Virlet, en visitant l’isthme d’Examilia, qui réunit la Chersonèse de Thrace au continent et par où le débordement aurait dû naturellement avoir son cours, s’est assuré que rien n’y démontre que cela ait pu avoir lieu. Cependant une telle irruption ne se serait certainement pas faite sans y laisser des traces irréfragables. Il s’est également assuré que l’île de Samothrace n’offrait pas plus d’apparence de cet événement. Nous ne le suivrons pas dans les autres preuves qu’il tire soit de l’observation des lieux, soit de l’histoire ancienne, en faveur de son opinion, quoiqu’elles ne nous aient pas paru moins bien fondées ; il nous suffit d’ajouter quelques mots relatifs à l’opinion des modernes.

Ce système, appuyé en partie sur les traditions anciennes et confirmé ensuite par Tournefort, ne peut pas plus soutenir l’épreuve d’un examen impartial. Comment admettre en effet que l’ouverture de ces détroits soit due, comme le pense Tournefort, à une dénudation successive du sol ? que cette dénudation, pour une aussi grande étendue, n’aurait eu lieu que dans un espace aussi resserré et à travers des terrains d’une consistance telle que celle du calcaire de transition, qui, avec des schistes argileux, constituent une partie des rives du Bosphore ? Quelques connaissances géologiques et un examen plus attentif des lieux eussent évité à cet auteur d’émettre son opinion, basée sur de simples conjectures. Quant à celle qui l’attribue à une irruption ou à un enfoncement subit de volcan, elle se détruira facilement d’elle-même lorsqu’on saura qu’à peine un tiers des rives du Bosphore, vers son embouchure dans la mer Noire, est formé de roches volcaniques ; que ces rochers appartiennent à des volcans anciens, et bien évidemment d’une formation antérieure à celle des vallées, et par conséquent aussi antérieure au dernier cataclysme.

Outre les collections de roches que M. Virlet a faites dans le cours de son voyage, il a rapporté une collection assez nombreuse des poissons du Bosphore, il a également récolté toutes les plantes qu’il a rencontrées dans ses courses, et enfin il y a joint une réunion de divers genres de poteries destinées à la manufacture royale de porcelaine de Sèvres. Il se rend d’ici directement en Morée pour y achever sa mission, qu’il compte terminer et compléter en visitant les Cyclades et les Sporades.

Smyrne, 25 avril 1830.
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