Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/13


CHAPITRE XIII.

M. de Préval. Mademoiselle Rivière ; description de son tombeau, et de celui de madame Guyot.


J’avance vers l’est, en suivant la ligne des sépulcres rangés contre la haie qui se prolonge depuis le mur de l’ouest jusqu’à celui de la terrasse du palais. J’ai d’éjà parcouru toutes leurs inscriptions ; mais il en est une que je regrette de n’avoir point rapportée sur mes tablettes. C’est celle qui concerne M. de Préval, qu’un trépas prématuré enleva, il y a deux ans, à son épouse, à ses enfans et à ses nombreux amis. Cette inscription, qui est en langue latine, donne une juste idée de la perte que firent la société et le barreau, par la mort de cet excellent homme.


HIC JACET
Petrus-Elias Seguineau de Préval,
Cæsaroburgensis,
vir probus, pater optimus ;
ingenii, animique dotibus excellens ;
innocentiæ præsidium, amicitiæ deditus,
Lutetiæ obiit, an. 1806,
æt. an. 46.
Uxor mœrens, filii lugentes, amici memores,
hoc pietatis, dolorisque monumentum
posuere.




Sur le derrière et autour de la maison, s’étend une vaste esplanade sur laquelle je monte après avoir jeté quelques brins d’herbe sur la tombe de M. de Préval. J’entre d’abord dans une avenue bordée des deux côtes d’une épaisse charmille, et à l’extrémité de laquelle j’aperçois une pierre perpendiculairement placée au sommet d’une tombe inclinée. Ce monument lugubre, et par sa situation, et par sa forme, est entouré d’une grille de fer, à hauteur d’appui. A ses quatre coins, quatre cyprès balancent tristement leur symbolique feuillage devant quatre tilleuls qui paroissent n’avoir été plantés dans cette solitude, que pour favoriser par leur ombre ou les méditations de la sagesse, ou les rêveries de l’amour.

Sous ce monument qui offre le portrait d’une jeune personne, sculpté dans la pierre qui fait face à l’avenue, repose la dépouille de Caroline Rivière, décédée le 12 juin 1807, âgée de 14 ans.


Hélas ! pourquoi cette jeune vierge vint-elle s’asseoir au banquet de la vie pour ne s’y montrer qu’un instant, et jeter dans une douleur éternelle les tendres parens qui lui avoient donné le jour ? Sans doute cette courte apparition l’ayant empêchée de s’attacher au plaisir de l’existence, elle ne vit point s’approcher le fatal instant de sa dissolution avec cet effroi qui tourmente les ames qu’un long séjour attache à ce souffle toujours renaissant que l’on nomme la vie ; peut-être aussi un génie prévoyant et bon, ayant découvert dans le lointain de ses années ses chagrins, ses peines, ses douleurs, voulut-il j en l’arrêtant au commencement de sa carrière, lui épargner, avant son troisième lustre, les orages des passions et les tourmens d’un cœur sensible. Ce n’est donc point sa destinée qui doit exciter nos larmes et nos douleurs. Caroline, pure comme le premier rayon de l’aurore, pure comme l’ange qui préside à la virginité, a pris son essor vers les cieux, et s’est réunie triomphante aux chœurs de ces vierges qui ne firent que traverser la vie pour arriver à la félicité. Mais, vous, parens infortunés, qui jouîtes, pendant quatorze printemps, de l’éclat de cette rose naissante, que vous reste-t-il pour vous dédommager du trésor que vous avez perdu ? Où retrouverez-vous ces charmantes espérances, ces rêves si flatteurs et si doux du bonheur qui attendoit votre aimable fille. Que de liens se sont brisés par son trépas ! Que de caresses, que de tendres baisers ensevelis dans sa tombe ! Que de jours de fêtes qui devoient éclore pour vous, qui ne seront rem placés que par des jours de tristesse, d’ennui et de regrets !




Quelle immense et ravissante perspective ! Avec quel étonnement mes regards planent sur la capitale du monde, et se promènent sur tous ses environs du levant au midi, et du midi au couchant ! Comme la vie est répandue Sur cette vaste surface ! Comme tout paroît animé jusqu’aux confins de ces belles campagnes qui ne se terminent que là où la pensée supplée à la foiblesse de mes regards ! Quel mouvement dans ce séjour habité par tout un peuple ! quel bruit confus et sourd des voix humaines, et des chars, s’élève jusqu’à mon oreille attentive ?… C’est, assis sur le gradin d’un tombeau, que je me livre à cette extase ; et c’est appuyé contre des ossemens, que je jouis des scènes pittoresques de la vie et des charmes enchanteurs de la nature.

Ce sépulcre qui présente fièrement ses larges côtés à trois des principaux points de l’horizon et dont la hauteur est de sept pieds, est isolé, et ne porte aucune inscription. On lit seulement, sur un des côtés de celui qui fait face au Panthéon, cette courte et modeste notice qui contraste éminemment avec ses vastes dimensions.


Dame Adélaïde-Jacques
Leboucher,
épouse
de Michel-Pierrot Guyot,
décédée le 13 messidor an 13.


Il est certain que ce tombeau, placé pour être remarqué de toutes les routes qui aboutissent de l’Est, du Sud et de l’Ouest à la capitale de l’Empire, sera revêtu sur ses quatre côtes de marbre noir, et à son sommet, ainsi que sur ses angles, de marbre blanc. Oh ! combien l’époque où la piété élève les tombeaux à la cime du premier département de l’Empire français, est différente de celle où une féroce impiété les renversoit, et en plongeoit les vénérables débris dans la fange des campagnes et de la cité ! Combien sont changées les mœurs de ce peuple qui, naguère, nommoit vaine superstition, la religion des sépulcres ! Si jamais ses ennemis doutoient de sa croyance et de ses vertus, qu’ils contemplent les monumens que les fils élèvent à leurs pères, les époux à leurs épouses, les amis à leurs amis ! C’est quand vous approcherez des tombeaux de nos pères, que vous apprendrez à nous connoitre, dirent à Darius les envoyés des Scythes.