Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/11


CHAPITRE XI.


M. Baculard d’Arnaud. Louise de Lorraine, femme de Henri III, reine de France et de Pologne.


Quel nom ai-je lu ! quel sentiment me pénètre ! de quelle émotion mon ame est saisie ! C’est une longue pierre sépulcrale, à chaque côté de laquelle s’élève une tige de ces fleurs que l’on nomme immortelles, devant laquelle je m’arrête pour méditer.

CI-GIT
François-Thomas
de Baculard d’Arnaud,
Auteur du Comte de Comminge,
des Epreuves du Sentiment, etc.
né le 15 septembre 1718,
mort le 9 novembre 1805.


Au bas de cette inscription, on lit celle-ci :
« La plupart de nos gens de lettres
« écrivent avec leur tête et leur main ;
« mais M. d’Arnaud
« écrit avec son cœur ».
J. J. Rousseau.


Que ce peu de mots d’un des plus grands écrivains que la France ait produits, fait bien l’éloge des ouvrages de M. d’Arnaud ! Qui oseroit s’inscrire en faux contre le témoignage d’un homme qui savoit si bien apprécier le génie, et qui étoit si avare de louanges ? Pourquoi donc M. d’Arnaud vécut-il sans gloire, et presque délaissé ? Pourquoi cet écrivain si sensible, et qui posséda dans un degré si éminent le rare talent d’émouvoir et d’arracher des larmes à ses lecteurs, n’inspira-t-il qu’un foible intérêt dans sa longue vieillesse, et n’obtint-il aucune de ces récompenses littéraires, qui furent souvent prodiguées à la médiocrité intrigante et orgueilleuse ? C’est que, se connoissant bien lui-même, et doué d’une ame aussi élevée que sensible, il renonça aux succès, parce qu’il falloit les demander, et courir la chance des refus ; c’est que, passionné pour cette indépendance dont la plupart des gens de lettres ignorent le prix et les douceurs, il crut que chaque démarche qu’il feroit pour se procurer un sourire de l’autorité, et une promesse de la fortune, seroit un chaînon qu’il se forgeroit, en attendant cette longue et humiliante chaîne des récompenses et des faveurs. Ce fut par ce même amour de l’indépendance que, dédaignant ces moyens vulgaires qu’emploie le commun des écrivains pour se faire annoncer par les trompettes de la renommée, il ne voulut devoir qu’à ses ouvrages le maintien de son ancienne célébrité. Mais il connoissoit mal la fin du siècle dont le commencement l’avoit vu naître ; et il ignoroit sans doute qu’aujourd’hui, pour être lu et admiré, il faut faire antichambre chez un journaliste, comme chez, le ministre dispensateur des places et des pensions.

O d’Arnaud ! puisse ton intelligence applaudir à l’hommage que je rends aujourd’hui à ta cendre et à ta mémoire ! Puissent tes ouvrages faire long-temps encore le charme des cœurs sensibles ! Puissent nos écrivains marcher sur tes traces, et devoir leurs triomphes au sentiment bien exprimé de l’honnête et du beau !

Qui croiroit qu’à côté des restes de M. d’Arnaud, repose l’auguste dépouille d’une souveraine, la seule, peut-être, qui ait échappé aux recherches des profanateurs des tombeaux de l’ancienne maison royale de France ? Pourtant, rien n’est plus vrai ; et cette souveraine, dont le cercueil n’est séparé que de quelques pouces de celui d’un auteur modeste et pauvre, est Louise de Lorraine, femme de Henri III, reine de France et de Pologne, qui mourut à Moulins en 1601, et dont les restes furent transfères, en 1688, à Paris, dans l’église des Capucines qu’elle avoit fondées. Quand cette église fut démolie, les ouvriers trouvèrent dans un caveau plusieurs cercueils de plomb, sur l’un desquels on lut le nom de cette princesse. Informé de cette découverte, le préfet du département de la Seine ordonna que ce cercueil seroit transporté au Champ de Montlouis, et déposé dans l’endroit où il se trouve aujourd’hui.

Que l’homme sensible, que le sage, qui viennent visiter les tombes du Champ de l’Est, ne s’attendent point à trouver là un magnifique et pompeux monument. Une petite croix de bois, sans inscription, qui s’élève tant soit peu au-dessus de l’herbe, est la seule marque distinctive qui apparaisse sur le tombeau d’une princesse de cette illustre maison de Lorraine qui règne encore sur une partie de l’Europe.

Je ne ferai aucune réflexion au sujet de ce simple gazon qui couvre les restes d’une reine de France, et de l’oubli auquel ces restes paroissent être condamnés. Que d’autres, conduits par une vaine et profane curiosité, aillent admirer, dans le Musée français, ces tristes mausolées devenus étrangers au sentiment, parce qu’ils ont perdu, l’odeur du trépas, et qu’ils ne renferment plus rien de ce qui les rendoit si respectables, plus rien de ce qui avoit appartenu à l’humanité, à la grandeur, à l’infortune, à la vertu ; pour moi, je ne trouve rien de plus éloquent, ni de plus inspirateur, que cet espace inconnu ou sont ensevelis tous les titres, toutes les pompes de la dignité royale, avec tous les respects des peuples et tous les souvenirs de la postérité. Que me diroit une pompeuse inscription ? Ah ! sans doute elle me diroit beaucoup moins de choses que je n’en sens, et que je n’en pense dans ce moment.