Voyage religieux et sentimental aux quatre cimetières de Paris/Lachaise/1


MAISON
DU PÈRE LA CHAISE,
À MONTLOUIS.

PARTIE II


CHAPITRE PREMIER


Description de la maison du père Lachaise, et de ses environs.


C’étoit le quatorze octobre, jour anniversaire de cette bataille mémorable qui couvrit les champs d’Iéna des débris de tant de bataillons, et porta un coup si funeste à la domination du monarque prussien. Un brillant soleil éclairoit les campagnes, et donnoit à ce jour d’automne les charmes d’une belle journée de printemps.

Je profitai de cette occasion pour visiter le Champ de Mort qui fut autrefois ce jardin de délices où un moine ambitieux méditoit de sang-froid des plans de persécution, et les moyens de faire tourner la puissance de son auguste pénitent à la ruine et à la destruction des hommes dont la vertu, la science et le crédit contrarioient les vues de son ambition et de son hypocrisie.

La maison qui commande ce vaste enclos, et qui est située sur une colline que l’on appelle Montlouis, à la proximité de la folie Renaud, fut construite par les ordres de Louis-le-Grand, pour le père Lachaise, son confesseur. Il en est peu dans les environs de Paris, dont la perspective soit aussi étendue et aussi variée. Au sud, elle domine la capitale ; à l’ouest, elle regarde les hauteurs de Belleville, de Montmartre et de Meudon ; à l’est, elle étend son point de vue sur la plaine de St.-Mandé, de Vincennes, sur les rives populeuses de la Marne : presque de niveau avec le dôme de Ste.-Geneviève, elle montre sa solitude et ses tombeaux aux voyageurs qui arrivent à Paris par les routes du levant, du midi et du couchant. C’est ainsi que le trépas s’annonce de loin à ceux qui viennent chercher dans la superbe capitale de l’Empire français, ou la fortune ou les plaisirs.

C’est à l’extrémité des nouveaux Boulevards, à l’est, qu’est situé ce vaste et nouveau dépôt des dépouilles humaines. On y arrive par plusieurs rues étroites qui conduisent à une belle porte, après laquelle est une grande cour où, sans doute, s’arrêta souvent le char de madame de Maintenon, cette ardente protectrice des opinions du père Lachaise, et son amie. Après avoir traversé cette cour, on entre dans un superbe enclos de quatre-vingts arpens, lequel forme, par sa vaste étendue et son agréable situation, un contraste frappant avec le Champ du Repos sous Montmartre, dont j’ai fait la description. C’est sans doute par un acte de sage prévoyance, que le préfet du département de la Seine a fait l’acquisition de cet immense terrain pour la sépulture des habitans du Marais, et de ce faubourg St.-Antoine dont la population surpasse celle de plusieurs grandes villes de province.

A droite s’étend, jusques sur la hauteur, un beau verger dont les arbres attendent, chaque jour, la coignée qui doit les abattre pour laisser l’espace libre au choix des familles et à la pioche du fossoyeur. Une avenue de tilleuls sépare ce verger où la mort ne préside encore qu’à trois sépulcres, de l’emplacement où les générations du faubourg St.-Antoine viennent chaque jour s’acquitter de quelques tributs, et où, le long de la muraille qui le borne à l’ouest et au nord, un grand nombre de familles ont déjà élevé des monumens funèbres aux personnes que soit la tendresse, soit la reconnoissance leur fait un devoir de regretter.

Au sommet de la colline où s’élève, avec un aspect mélancolique, la maison déserte et solitaire, est un vaste plateau devant lequel se présente le coup d’œil le plus magnifique. Quelques tombeaux en ont déjà pris possession : ces tombeaux aujourd’hui isolés, auront bientôt des voisins ; et dans quelques années leur grand nombre, aperçu d’une distance considérable, ainsi que le dôme du Panthéon, rappellera à l’étranger le souvenir du trépas, avant que les palais des grands, les monumens des arts et les salles de spectacles ne l’aient fasciné par les pompes de l’opulence, ou par l’enchantement des plaisirs.