Voyage pittoresque dans le Brésil/Fascicule VIII

VOYAGE PITTORESQUE

DANS LE BRÉSIL.

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PORTRAITS ET COSTUMES.


La race africaine compose une portion si notable de la population des États d’Amérique et surtout du Brésil, elle forme un élément si essentiel de la vie civile et des relations de ce pays, que nous n’aurons, sans doute, pas besoin d’excuse, si, proportion gardée, nous consacrons une grande partie de cet ouvrage aux Nègres, à leurs habitudes, à leurs mœurs. On est surtout plus autorisé à en agir ainsi quand on écrit un voyage pittoresque : d’abord, la couleur des Nègres se présente au premier aspect comme un trait caractéristique à marquer dans l’image de ce pays ; en second lieu, les habitudes et le caractère particulier des Nègres offrent encore, en dépit de cette couleur et de leur physionomie, beaucoup de côtés vraiment dignes d’être observés et décrits. Toutefois, s’il se trouvait quelqu’un qui pensât que dans un pareil voyage c’est trop de deux cahiers entièrement remplis de portraits de Nègres, qu’il veuille bien considérer que le seul endroit de la terre où l’on puisse faire un pareil choix de physionomies caractéristiques parmi les différentes tribus de Nègres, est peut-être le Brésil, et notamment Rio-Janeiro, et que dans tous les cas c’est le lieu le plus favorable pour ces observations. En effet, la singulière destinée de ces races d’hommes amène ici sur un même marché des membres de presque toutes les tribus d’Afrique. L’artiste peut d’un seul coup d’œil obtenir des résultats qu’en Afrique même il n’atteindrait qu’en faisant dans toutes les contrées de cette partie du monde de longs et périlleux voyages. L’Amérique même ne lui offre dans aucun autre lieu les mêmes avantages à cet égard, le Brésil ayant dans ce moment le déshonorant privilège d’être le seul pays où, de fait, le commerce des esclaves se continue sans aucune espèce de restriction.

Si donc l’artiste a saisi l’occasion que lui offrait son séjour dans ce pays, s’il offre au public un choix des physionomies de Nègres les plus intéressantes, il aura d’autant plus lieu d’espérer son suffrage, que c’est pour la première fois qu’on a entrepris quelque chose de semblable. Malheureusement tous les ouvrages de ce genre, ou du moins la plupart d’entre eux, sont exécutés avec fort peu de conscience et avec une négligence égale des traits caractéristiques, tant en ce qui concerne les formes humaines ou les traits du visage, qu’en ce qui regarde la création végétale : on y chercherait aussi infructueusement une bonne physionomie de Nègre qu’un palmier bien fait.

Le commerce des esclaves d’Afrique, celui qui donne aux Nègres, une place dans cet ouvrage, est, sans contredit, l’un des phénomènes les plus importants et le plus mémorables de l’histoire de l’humanité, tant par sa mesure, que par ses conséquences, et plus encore par les résultats qu’on peut se promettre de sa cessation. L’observateur reporte toujours avec un nouvel intérêt ses regards vers ce commerce ; il peut ainsi découvrir dans le passé la liaison des causes avec les effets, il peut en séparer les élémens qui appartiennent au temps présent, afin de calculer pour l’avenir les conséquences possibles de nouveaux développemens progressifs. Ce n’est qu’en apercevant clairement la possibilité d’atteindre à un but et à une destinée plus nobles, qu’il lui devient possible de s’élever au-dessus de la décourageante impression que l’on reçoit des cruelles misères du moment et des infortunes particulières : peut-être celles-ci ne sont-elles nulle part ailleurs plus propres à produire cette impression que dans la traite et l’esclavage d’Afrique et d’Amérique.

Le sort paraît avoir destiné l’Amérique à fournir une suite à l’histoire de l’ancien monde. Mais, quoique sous plusieurs rapports elle commence là où peut-être un jour nous nous arrêterons, elle a conservé dans l’esclavage l’un des principaux élémens de cette barbarie que l’Europe, après des milliers de combats et de révolutions, a enfin anéantie avec effort et qui paraît absolument incompatible avec le degré de civilisation d’où partent, en Amérique, les sociétés politiques. On ne peut nier non plus que l’esclavage ne soit l’un des écueils les plus dangereux de la plupart des États de ce continent : ils ont, au moyen de leur population d’Afrique, introduit chez eux le véritable principe tragique de leur histoire ; c’est là cette teinte noire qu’Aristote veut trouver dans son héros. L’esclavage, le commerce des esclaves, et la question de leur abolition, sont de la plus haute importance par leur influence sur l’agriculture de l’Amérique, sur le prix de ses produits, sur le commerce des Européens non-seulement avec cette partie du monde, mais encore (par suite d’une inévitable réaction) sur leurs relations avec l’Asie ; enfin, ces questions sont importantes encore par l’influence du commerce sur la politique des états de l’Europe, influence toujours croissante dans un siècle qu’on pourrait appeler exclusivement celui de l’industrie. Elles touchent plus ou moins tous les grands intérêts de l’Europe et même ceux des nations qui n’y participent point immédiatement. Quel est l’état, on pourrait dire quelle est la famille, quel est l’individu en Europe qui ne soit pas, d’une manière ou d’une autre, soumis à l’immense cercle d’action de commerce anglais et au système industriel ? Ses changemens et ses crises exercent dans leurs diverses agitations et dans leur réaction une influence marquée sur les points les plus éloignés de la circonférence. Combien est important dans ce cercle d’industrie le sort de l’Afrique et de ses noirs enfans ! Qu’il nous soit permis, en indiquant brièvement cet enchaînement de causes et d’effets, de gagner l’intérêt de nos lecteurs pour les physionomies africaines que nous leur soumettons.

Quel est l’état actuel des Nègres en Afrique ? Quels ont été les changemens et les époques qui l’ont modifié, puis amené au point où il est maintenant ? Ce sont là sans contredit des questions de la plus haute importance, non-seulement pour le savant, mais encore pour l’homme d’État ; une solution satisfaisante permettrait d’en conclure quelque chose de vraisemblable sur la marche que prendra la civilisation en Afrique, contrée que, bon gré mal gré, il faut de plus en plus faire entrer dans les calculs de la politique européenne. Les connaissances que nous possédons aujourd’hui sur l’Afrique, sur ses habitans et sur son histoire, sont beaucoup trop incomplètes, malgré les peines que se sont données les voyageurs anglais, pour qu’il soit possible de répondre d’une manière satisfaisante à ces questions. Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons dans ces cahiers en faire même le simple essai.

En général, ce qui paraît certain, c’est qu’il n’y a pas à présent une seule des tribus de Nègres qui habitent l’Afrique, qui soit restée dans l’état sauvage, si toutefois l’on veut appliquer ce mot au premier degré de civilisation connu, à celui qu’on remarque chez les habitans primitifs du Brésil ; et même les tribus les plus grossières de Noirs vivent sous l’empire des formes et des usages qui constituent des sociétés civilisées ; on trouve chez eux des chefs dont l’autorité est reconnue, des lois, des différences de castes, des hommes libres et des esclaves, des grands et des petits, enfin des prêtres et des laïques, toutes choses qui sont les conséquences nécessaires de ces formes de la vie sociale. On aperçoit à la tête de la civilisation africaine de puissans empires, des cités populeuses, où se présentent tous les besoins et toutes les jouissances amenées par la splendeur du chef, de sa suite et de son armée, et qu’un commerce étendu peut seul satisfaire. On ne manque pas non plus de dispositions légales propres à régler cette masse de possessions et d’intérêts ; enfin, les institutions religieuses, capables de consolider les lois elles-mêmes, existent aussi chez ces peuples. Presque toutes les tribus de Nègres paraissent avoir des demeures fixes, à l’exception peut-être des Cafres et des Hottentots ; toutes aussi, sauf la même exception, connaissent l’agriculture, l’éducation des bestiaux, et possèdent les premiers élémens des arts industriels. Des caravanes, régulièrement organisées, et souvent pour le commerce des routes déterminées, entretiennent des communications plus ou moins directes entre les divers points de cette partie du monde. Ce degré de civilisation paraît être en Afrique fort ancien à la fois et stationnaire : du moins il serait fort difficile de dire avec précision quelle influence a exercée sur cette civilisation tel ou tel événement important de l’histoire. D’ailleurs la civilisation européenne semble être elle-même beaucoup trop jeune pour avoir pu conserver un souvenir quelconque des premiers pas de celle de l’Afrique. Les descriptions que fait Léo Africanus d’un âge d’or des Noirs pourraient bien ne pas mériter plus de foi historique que les contes que nous transmet Hérodote, en nous les donnant toutefois pour tels. Il ne paraît avoir existé de relations fréquentes et immédiates avec les Nègres d’Afrique, ni de la part des Phéniciens et de leurs colonies, ni de la part des Grecs ; et les conquêtes des Romains sur la côte septentrionale ne s’étendirent pas au-delà des peuplades de la Mauritanie ou d’autres qui ne font pas partie non plus de la race nègre. Le peu d’essais que les Romains firent pour pénétrer plus avant dans l’intérieur, demeura sans succès. Alors, comme de nos jours, on amenait sur les marchés d’Europe des esclaves noirs de l’intérieur de l’Afrique, mais sans avoir acquis sur leur patrie des connaissances plus particulières. La conquête que firent les Arabes de l’Egypte, de la Nubie, d’une partie de l’Abyssinie et de la côte orientale, enfin de toute la côte du nord, fut, sans nul doute, d’une bien plus grande importance pour les Noirs. La soumission et la conversion des habitans de la Mauritanie mirent bientôt leurs fanatiques conquérans en contact avec les tribus nègres de l’intérieur. Les unes furent repoussées plus loin dans les terres, les autres furent converties et subjuguées. C’est là, sans doute, de toute l’histoire des Nègres l’époque la plus importante que nous connaissions ; elle eut pour suite la civilisation de plusieurs empires considérables, qui prirent les lois, les mœurs et les arts des Mahométans. Ces empires furent d’abord placés sous la domination des conquérans arabes qui s’établirent dans ces contrées ; mais peu à peu, et à différentes reprises, les Nègres s’affranchirent de cette domination, sans répudier toutefois les mœurs, la foi, ni la forme de gouvernement qu’ils avaient reçues de leurs vainqueurs. Les Nègres se divisent encore aujourd’hui en deux grandes classes, celle des Mahométans et celle des idolâtres. Les premiers se distinguent par une civilisation plus perfectionnée ; ils sont répandus sur une grande partie de l’Afrique centrale, tandis que les idolâtres occupent vers le sud la côte occidentale, ainsi que la partie méridionale de celle d’orient.

L’époque la plus marquante de l’histoire des Nègres après celle-là, commence à la fondation de colonies européennes sur la côte d’occident et sur celle d’orient. Quoique le christianisme soit beaucoup plus ancien en Afrique que le mahométisme, il ne paraît pas qu’avant le 14e siècle les États européens du nord de ce continent, non plus que l’Abyssinie, qui était également chrétienne, aient exercé sur les Nègres une influence notable. Après l’expulsion des Arabes de l’Espagne, les Portugais et les Espagnols, et surtout les premiers, portèrent en Afrique une guerre de représailles et de religion : dans ce choc ils ne tardèrent pas à heurter les empires des Noirs mahométans, et pendant des siècles il y eut sur la côte du nord-ouest une lutte accompagnée de nombreuses vicissitudes de domination et d’influence de la part des Portugais et du christianisme, de conversions et d’apostasie, de soumissions et de révoltes de la part d’une multitude de petits États nègres. Les principales forces du Portugal furent prodiguées dans ces combats sans but, jusqu’à ce qu’enfin la bataille d’Alcazar mit à jamais fin à la domination des Portugais sur l’intérieur du pays, en ne leur laissant que quelques points fortifiés de la côte. Néanmoins les découvertes que l’on avait tentées, et la nouvelle route de l’Inde que l’on suivait en longeant la côte occidentale et une partie de celle d’orient, avaient beaucoup multiplié ces points. Pendant ces guerres l’achat et la vente des prisonniers, le commerce d’esclaves, fut constamment l’un des résultats du combat, et souvent il en fut le but. La découverte de l’Amérique donna à ce commerce une importance nouvelle, inouïe jusqu’alors. Bientôt toutes les nations européennes qui possédaient une marine se sentirent entraînées par l’appât du gain à y prendre part. Les anciens établissemens des Portugais sur la côte d’Afrique passèrent en grande partie entre les mains des Hollandais, des Anglais, des Français et des Danois ; on en fonda de nouveaux, et tous eurent désormais pour but avoué et presque exclusif le commerce des esclaves. On peut discerner deux mouvemens opposés à travers l’innombrable multitude de guerres et de dévastations qui, durant les trois derniers siècles, ont porté leurs fureurs sur toute la côte occidentale et fort loin dans l’intérieur des terres. D’une part, et sous l’influence européenne, le commerce des esclaves, les guerres et les violences de tout genre qui en découlent, s’étendent de la côte vers l’intérieur, tandis que de l’autre on voit à différentes époques des tribus de l’intérieur, conduites par des chefs belliqueux, soumettre leurs voisins, et, leur nombre croissant toujours, porter leur domination jusqu’à la côte. Les Nègres du littoral sont pressés entre ces deux mouvemens contraires, et les commencemens de leur civilisation sont peu à peu dispersés et écrasés ; car bientôt les conquérans partagent le sort des vaincus par suite d’une irruption nouvelle, venue de l’intérieur. Ces guerres, ces victoires et ces dominations ont un caractère de fureur et de cruauté poussées jusqu’à la démence et telles qu’aucune autre partie du monde n’en offre d’exemple. Souvent on est tenté de regarder l’eau-de-vie des marchands d’esclaves comme le seul mobile, le seul principe moral de l’histoire de ces peuples. Un récit détaillé de ces événemens, une énumération suivie des tribus de Nègres qui parurent sur ce vaste champ de bataille, ne serait susceptible d’aucun intérêt : nous rappellerons seulement les conquêtes des Giagas au commencement du 17e siècle, et leur reine Jem-ban-Dunba, faisant piler dans un mortier son propre fils, afin d’en composer un onguent qui devait la rendre invincible, elle et ses guerriers.

Ce qui importe le plus aux destinées futures de l’Afrique, ce sont évidemment les essais récens tentés par l’Angleterre pour rendre la civilisation de ce continent possible et pour parvenir, au moyen de la suppression du commerce des esclaves, à mettre fin à un état aussi violent. Les hommes qui les premiers, en Angleterre, se déclarèrent au nom de l’humanité contre ce commerce, furent long-temps un objet de dérision ; on les regarda comme des rêveurs égarés par une folle sensibilité, jusqu’à ce qu’enfin les publicistes qui dirigeaient le gouvernement se fussent convaincus du désavantage qui résultait de ce trafic et du bien qu’entraînerait sa suppression. En excluant l’Angleterre de l’Europe, le système continental lui donna une domination illimitée sur toutes les mers ; il lui fournit à la fois le prétexte et les moyens d’éloigner de la côte africaine les pavillons européens et d’arrêter la marche du commerce des esclaves. Ce peu d’années de repos commençait à produire les plus heureux effets : à la place des dévastations et des violences on voyait partout se développer un germe d’industrie ; les nombreux produits de ces contrées étaient échangés contre les marchandises anglaises, et les deux parties pouvaient en attendre des avantages toujours croissans. Le christianisme commençait à se répandre dans l’intérieur du pays au moyen des missionnaires ; il amenait à sa suite la paix, puis de nouveaux besoins et de nouvelles jouissances.

Par une réaction singulière, la chute de Napoléon eut pour l’Afrique les plus fâcheuses conséquences. La plupart des possessions de la côte retournèrent à leurs anciens maîtres : leur réintégration, la fin de la suprématie que le pavillon anglais tenait du droit de la guerre, laissèrent revivre ce commerce des esclaves et toutes ses suites désastreuses ; elles détruisirent en peu de temps tous les germes de civilisation que l’époque précédente avait fait naître et fomentés. Ce fut partout avec une véritable fureur que les marchands d’esclaves excitèrent les princes et les chefs de la côte contre les missionnaires ; ils prodiguèrent les présens, ils promirent des gains rapides, enfin ils employèrent l’eau-de-vie, ce poison auquel le Nègre ne résiste jamais, et bientôt ces missionnaires furent obligés d’abandonner ces peuples à la perte à laquelle ils semblent être condamnés pour toujours. La suppression du commerce des esclaves fut l’un des engagemens sacrés contractés par les maîtres de l’Europe envers l’humanité aux congrès de Paris, de Vienne et d’Aix-la-chapelle ; mais jusqu’à ce jour, en dépit de l’infatigable activité et des représentations de l’Angleterre toujours reproduites de la manière la plus pressante, rien d’essentiel n’a été fait pour l’accomplissement de cet engagement. Il y eut des demi-mesures, des lois et des ordonnances insuffisantes pour le fond des choses, ou bien dont le but apparent était manqué par suite de la négligence volontaire apportée dans l’exécution. Tout cela n’eut d’autre effet que de rendre le commerce des esclaves plus lucratif et par conséquent d’en augmenter l’attrait, de le livrer entre les mains d’hommes qui sont le rebut des nations maritimes, enfin de lui donner une extension et un caractère de violence et de cruauté qui n’avait jamais été poussé au même point. Les bâtimens négriers sont la plupart disposés de manière à pouvoir opposer de la résistance aux vaisseaux anglais qui croisent dans ces parages pour faire exécuter, autant que le permet le droit mutuel de visite, les lois prononcées contre la traite des esclaves. Ces négriers ne craignent point, lorsqu’il s’agit de compléter leur cargaison, d’enlever les habitans de la côte et les riverains des grands fleuves ; il est prouvé aussi que souvent ces bâtimens exercent la piraterie. Les combats entre eux et les croisières anglaises sont très-fréquens. Toutefois là où la résistance à force ouverte n’est pas possible, il existe, pour éluder les lois, un système organisé de parjure et de fraude qui passe toute croyance, et dont l’impudence a gagné depuis le dernier matelot jusqu’au fonctionnaire le plus éminent dans les colonies des nations qui déshonorent leur pavillon par ce trafic.

Après tant de preuves palpables et réitérées du peu de foi que l’on peut accorder aux paroles trompeuses des autres puissances, on ne fonde l’espérance de voir enfin cesser ce déplorable état que sur la possibilité d’une crise politique quelconque, qui rendrait au pavillon britannique la domination exclusive de la côte africaine. Le gouvernement anglais, pendant une longue suite d’années et dans une multitude de circonstances, a démontré que ses intentions sur l’abolition de la traite des Nègres étaient sérieuses, et quoique nous ne puissions avoir une grande confiance dans la générosité et dans l’humanité de ce gouvernement, nous trouvons une garantie sûre de la continuation de ses efforts dans l’intérêt bien entendu de l’Angleterre. À la vérité, l’intérêt des peuples et des États pourrait dans tous les cas s’accorder avec les lois de l’humanité, et l’on ne saurait rendre de plus grand service au genre humain que de démontrer la liaison qui existe entre ces choses. C’est le seul moyen d’amener et l’opinion publique et ceux qui gouvernent à des mesures dont les déclamations des philantropes ne suffiront jamais à leur démontrer la nécessité, leurs propres intérêts étant toujours, sans qu’on puisse les en blâmer, ce qu’ils mettent en première ligne.

On se convaincra facilement que les mesures prises jusqu’à présent par l’Angleterre pour l’abolition de la traite des Noirs, sont parfaitement en harmonie avec la vaste politique commerciale de cette nation ; politique qui se dégage de plus en plus des entrave qui s’opposaient à ses développemens. Que l’on réfléchisse seulement que le but principal et la première règle de cette politique doit être d’ouvrir à l’industrie britannique de nouveaux marchés et d’étendre encore les anciens. Si jusqu’à ce jour l’exportation des produits anglais vers l’Afrique a été si peu considérable, la cause en était uniquement dans le commerce des esclaves qui exclut toute espèce de culture, d’industrie, de sécurité dans les propriétés, enfin qui paralyse tous les élémens qui constituent des relations amicales, tandis qu’il ne peut apporter pour compensation à une nation industrielle que de très-petits avantages car les marchandises avec lesquelles on a coutume de payer le prix des esclaves sont de la plus mauvaise et de la plus grossière qualité. Le gouvernement anglais ayant interdit le commerce des esclave à ses sujets et par là ayant empêché totalement le mince débit de marchandises que pouvait offrir ce commerce, il faut de toute nécessité qu’il mette d’autant plus de zèle à contraindre les autres nations à cesser aussi ce trafic, afin que les grands avantages que l’industrie anglaise a droit d’attendre de cette cessation en compensation de la traite, ne se fassent pas plus long-temps attendre. On comprendra facilement l’étendue de ces avantages si l’on songe qu’ils reposent sur deux conditions principales ; savoir : d’une part sur les besoins de ces peuples, et sur les commandes qu’ils font, par suite de ces besoins, des produits de l’industrie anglaise de l’autre, sur leur aptitude à se gouverner et à se conduire par eux-mêmes, et sur leurs moyens de solder le prix des marchandises. Toutefois ces choses agissent mutuellement et sans cesse les unes sur les autres, leurs avantages peuvent s’accroître à l’infini au moyen de la paix et des relations amicales : chaque pas dans la civilisation amène un nouveau besoin, et tout besoin accompli amène à son tour un nouveau pas. Grâce à la nature du sol et au climat, il ne faut que peu d’efforts de culture de la part des habitans pour pouvoir offrir à l’industrie anglaise, en échange de ses marchandises, non-seulement tout ce qu’elle trouvait dans les deux Indes, mais encore une foule de produits particuliers à cette partie du monde. Il est vrai que le développement complet de ces avantages ne peut être que le résultat de beaucoup d’années ; mais ce doit être précisément un motif de ne pas perdre un instant et d’écarter de suite tout ce qui s’opposait jusqu’à présent à ces progrès. L’abolition de la traite est et demeurera toujours la condition essentielle de ce mieux-être.

Parmi les mesures que les Anglais ont prises pour parvenir à ces avantages, la plus digne d’être citée est l’établissement d’une colonie de Nègres libres à Sierra-Léone : sa prospérité, sous l’empire des circonstances les plus défavorables, autorise à concevoir les plus belles espérance pour l’avenir. Les traités conclus à Madagascar avec Radama, le plus puissant prince des Noirs, ne sont pas moins importans : dans tout ce qu’on a de relations sur ce Radama, il est représenté comme un homme vraiment extraordinaire ; il a fait faire en peu d’années des progrès surprenans à la civilisation de son peuple, et bien que de pareils germes de civilisation de quelques tribus sauvage de Nègres n’excitent souvent que les railleries d’un vulgaire léger et frivole, tout homme qui, dans l’histoire de l’esprit humain, juge sans prévention la naissance et la marche des révolutions, considérera ces commencemens sous leur véritable jour. On peut les comparer avec les premières et maigres formations de végétaux qui s’établissent sur la roche de granit, et qui s’enlacent par d’imperceptibles mousses, jusqu’à ce qu’enfin elles fassent éclater le roc et le changent en terreau fertile.

Le système que l’Angleterre a suivi dans cette circonstance relativement à la côte occidentale d’Afrique, promit sous tous les rapports des avantages plus durables que ceux qu’on obtiendrait par une implantation immédiate de la civilisation ou par des établissemens anglais proprement dits, tels que ceux de la côte orientale. Favoriser le développement libre de tous les élémens qui se trouvent dans le pays, pour constituer l’ordre civil, la richesse, la civilisation ; apporter dans toutes les relations avec les naturels la plus exacte justice, la plus grande humanité ; éviter soigneusement chaque occasion de vaincre ou de conquérir : tels sont les principes auxquels doit s’attacher la politique commerciale anglaise, et l’on a tout lieu d’espérer que le gouvernement les a reconnus, qu’il les observera ; enfin, que l’histoire de la domination anglaise dans l’Inde orientale servira de leçon pour la politique future à suivre envers l’Afrique. La guerre contre les Ashantès a déjà montré clairement combien il est difficile, combien il est impossible même à une puissance qui, proportion gardée, s’est montrés aussi supérieure que l’Angleterre, de conserver toujours ses avantages après la prise de possession et les premiers pas de la conquête, de dominer sans cesse les événemens, ses propres ressources, la fortune et la mer. Quiconque juge impartialement la conduite du gouvernement anglais, et surtout dans les Indes orientales, doit demeurer convaincu que ce gouvernement désire sérieusement : éviter toute conquête. Toutefois en Asie cela ne lui est plus possible, et la force des circonstances l’entraînera toujours d’un envahissement à l’autre, jusqu’à ce qu’enfin cette avalanche atteigne le rocher sur lequel elle doit se briser.

Il n’y a peut-être qu’un moyen d’empêcher que la même chose n’arrive en Afrique, ce serait de renoncer sur-le-champ à toutes les possessions de la côte, de s’assurer, par des traités et par des avantages réciproques, le commerce avec les Nègres, en le protégeant par une croisière imposante. Entre la prise de possession d’un pied de territoire en Afrique et la conquête de la moitié de ce continent, il n’y a nul point qu’une puissance humaine puisse déterminer en disant : on ira jusque-là et l’on ne dépassera point cette limite.


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NÈGRE & NÉGRESSE DANS UNE PLANTATION.


NÈGRESSES DE RIO-JANEIRO.


NÈGRE & NÉGRESSE DE BAHIA.


BENGUELA.


CONGO.

CABINDA. QUILOA.
REBOLLA. MINA.