XVIII

LE VERCORS

Les ours de Romeyer. — En route pour le col de Rousset. — Chamaloc. — Ascension nocturne. — Passage du tunnel. — La vallée de la Vernaison, — Le Vercors et ses forêts. — Saint-Aignan et la Chapelle-en-Vercors. — Les grands et les petits goulets.


Pont-en-Royans, juin.


Je suis arrivé à Die à 6 heures et demie. En cette saison, la nuit ne sera guère complète avant 9 heures du soir. Je puis donc espérer faire l’ascension du col du Rousset et atteindre le refuge à une heure pas trop tardive. Je comptais accomplir la course à pied, mais un ami de Die a cru à une gasconnade et il a commandé une voiture pour me conduire au col. Il m’attend à la gare et cherche à calmer mon indignation bien légitime en me parlant de la longueur du trajet et me faisant un effrayant récit des apparitions d’ours venus de la vallée de Romeyer. Depuis le temps où Louis XI, encore dauphin, faillit être mangé par un de ces plantigrades dans la vallée de Quint, les histoires les plus fantastiques courent sur ces animaux.

Récemment, un habitant du Vercors, ayant bu quelques verres de vin blanc à Chamaloc et faisant l’ascension du Rousset, vit une forme lourde apparaître sur la route. Il crut à un frère en Bacchus et alla vers lui ; en approchant, il sentit une chaude haleine, pendant qu’une lourde patte s’appuyait sur son épaule. Dégrisé subitement, il reconnut Martin et redégringola éperdument sur Chamaloc.

— Voilà ce qui vous attend ! me dit mélodramatiquement mon ami — comme si j’avais bu du vin blanc de Die !

Un autre Diois appuya, il fit une charge à fond de train contre l’administration des forêts, l’accusant de conserver les ours au lieu de les détruire, sous prétexte que ces bêtes sont herbivores, ne font de mal à personne et, par l’effroi qu’elles causent, préservent les vastes forêts du Vercors des déprédations des hommes et des animaux.

La conversation dura longtemps, bref, il était 7 heures et demie et je n’étais pas encore parti. Cette fois, la voiture était nécessaire si je voulais arriver avant l’aurore. Il y a 20 kilomètres de route, dont 13 toujours montant à partir de Chamaloc. Et je me résigne à prendre place sur une sorte d’araignée à deux places. Je serre la main à mes obligeants compagnons et nous voici en route. Un peu après la gare ou tourne à droite pour suivre un chemin étroit, bientôt très rapide, montant entre des mûriers pour redescendre dans la vallée de la Comane, près des ruines d’une église. On s’engage alors dans les gorges parcourues par le torrent. Les montagnes sont déjà hautes de chaque côté, mais leur aspect n’a rien de bien grandiose, de maigres taillis couvrent par place le mont Chabraret à droite, le mont de Baise à gauche. On court au pied de ce dernier et l’on arrive en vue de Chamaloc, joli village relié, par de rudes sentiers, avec la vallée de Marignac d’où l’on peut atteindre le val de Quint et la vallée fameuse de Romeyer, aux sombres forêts de sapins abritant les ours farouches dont on m’a menacé. La nuit vient et déjà, dans la gorge profonde du ruisseau de Bergus, descendant du col de Romeyer, l’obscurité semble complète, tant est noir l’abîme d’où montent des vapeurs bleuâtres.

Chamaloc est traversé, le conducteur du véhicule, fouettant mollement son cheval, me montre, au-dessus de nous, à près de 1,000 mètres, une immense muraille en forme d’entonnoir ébréché et tapissée de forêts de sapins d’où émergent, par place, des pans de rochers. C’est haut, bien haut, mais, en somme, pas très loin, à en juger par la netteté des détails, malgré le crépuscule. D’un coup d’œil sur la carte, je compte quatre kilomètres, en voilà pour une heure et demie.

— Une heure et demie ! riposte le cocher. Nous serons bien heureux d’arriver dans trois heures.

Je regarde de plus près ma carte et, cette fois, je distingue le ruban blanc des innombrables lacets de la route. Douze kilomètres nous restent à faire avant d’atteindre le tunnel.

La route gravit maintenant la rive droite de la Comane et monte, par de fortes rampes, au flanc d’un contrefort du But-de-l’Aiglette, haut de 1,005 mètres, qui ferme un des côtés de l’entonnoir, face au But-Sapiau, haut de 1,620 mètres. Dominant le ravin profond de la Comane, on s’élève, en trois kilomètres, de près de 300 mètres seulement. Désormais, il faut développer les neuf lacets de plus en plus longs qui permettront d’accéder au sommet. L’ombre se fait épaisse ; on est au fond de l’abîme, les pentes, d’un noir d’encre, ne se devinent qu’aux buées pâles s’élevant au-dessus des sources et prenant une apparence phosphorescente. Là haut, bien haut, comme à la margelle d’un vaste puits, apparaît le ciel tout constellé d’étoiles dont l’éclat est d’une vivacité extrême.

Le conducteur m’indique, fauve entre des broussailles, une sorte de piste rocailleuse montant directement vers le sommet de la montagne. C’est l’ancien chemin suivi par les piétons et les mulets, il raccourcit la distance de plus de moitié. Cette sorte d’échelle de rocher, ravinée par les pluies, ne me dit rien qui vaille, je préfère la route avec ses lacets, mais douce au pied, son ruban blanc montant lentement. Je vais ainsi aux côtés du cheval qui tire, sans se presser, le frôle équipage trop lourd encore à son gré, mais, au deuxième contour, je me lasse de cette promenade dans la nuit, sans distinguer autre chose que le lambeau de chemin déroulé à quelques pas et me résous à emprunter la traverse. On ne peut se méprendre sur le couloir et, en quelques instants, on retrouve la route où l’on ne l’aurait atteinte qu’après une demi-heure de marche. À chaque point d’intersection je m’assieds pour admirer cette solitude prestigieuse. Aucun bruit autre que le frôlement de la roue sur le macadam et le pas saccadé du cheval venant de loin, bien loin encore ; la lanterne paraît ou disparaît suivant les accidents du terrain.

À des profondeurs qui semblent fabuleuses, quelques lumières signalent Chamaloc, plus loin encore, dans la vallée de la Drôme, d’autres lueurs de plus en plus rares à mesure quels nuit avance.


Je suis resté longtemps à rêver à l’un des détours. Cinq fois déjà le sentier a coupé le chemin. Machinalement, au lieu de monter par le raccourci, j’ai suivi le blanc ruban qui me conduit longtemps à l’opposé du col, comme si l’on devait atteindre le But-de-l’Aiglette. L’erreur est fâcheuse, car c’est le plus grand lacet de la route, je ferai trois kilomètres au lieu d’un entre l’abîme profond peuplé de sapins aux cimes immobiles et les parois, qu’on devine immenses, des rochers de Chironne. J’attends la voiture, elle vient lentement et nous achevons côte à côte l’interminable lacet. Le conducteur désigne, de son fouet, une ligne d’éboulis et, au-dessus, la tache blanche d’une maison, c’est la fin de notre voyage pour ce soir, trois lacets plus courts nous amènent devant l’orifice sombre du tunnel de Rousset. Proche est la maison du cantonnier.

Mais il est onze heures, tout le monde dort, longtemps il faut frapper aux portes et aux fenêtres, enfin une lumière filtre à travers les volets, un pas se fait entendre et une jeune fille vient ouvrir. On est peu habitué à ces tardives arrivées de touristes au refuge du Rousset, aussi la surprise est-elle vive d’entendre à cette heure réclamer des lits et une collation. En un instant, un feu vif et clair est allumé, l’eau bout dans la bouilloire, du fromage, du vin, un grog et nous pouvons aller dormir dans les chambres très propres de la maison cantonnière. Il est convenu avec le cocher qu’il me conduira jusqu’à la Chapelle-en-Vercors.

Au jour, j’étais debout et sortais sur la terrasse établie devant la maison. La vue, immense, n’est arrêtée que par les montagnes de Saou et de Bourdeaux. Le ravin de la Comane, par lequel nous sommes montée cette nuit, se creuse profond entre les hautes cimes, les lacets de la route ressemblent ainsi à un ruban capricieusement déroulé. Mais l’ensemble est plutôt sévère, ce n’est pas le paysage heureux que je rêvais hier en faisant l’ascension.

La maison du refuge a été détruite il y a quelques années par un éboulement dont les traces sont très apparentes encore, on l’a reconstruite plus près du tunnel, sa terrasse est à 1,341 mètres au-dessus de la mer, à 1,000 mètres environ au-dessus de la Drôme contant au fond du vaste bassin.

Après un déjeuner rapide, nous disons adieu à la famille du cantonnier et nous dirigeons vers le tunnel. De grands troncs de sapins sont entassés au bord de la route, ils ont été amenés là par les habitants du Vercors. Pour eux, cet orifice du souterrain est la limite des affaires, les bois sont vendus livrés à la sortie du tunnel où les charretiers de Die viennent les prendre pour les conduire au chemin de fer.

Le tunnel est long de 600 mètres et évite à la route le passage par le col, ouvert à 80 mètres plus haut seulement, mais de difficile accès et encombré par les neiges pendant de longs mois. Cette galerie étroite et humide produit une impression de tristesse. Dès la sortie, on a sous le yeux un des plus admirables tableaux que puissent offrir les Alpes françaises. Tout l’immense bassin bordé de belles montagnes boisées, au fond duquel coule la Vernaison, apparaît aux regards. C’est le Vercors.


De toutes les vallées dauphinoises à qui leur isolement a valu un nom particulier en faisant géographiquement un monde bien à part, le Vercors est une des plus isolées, la plus fermée peut-être ; on n’y pénètre que par des cols élevés ou des gorges jadis inaccessibles.

Ce nom de Vercors a été étendu à tout le puissant massif calcaire tombant sur la plaine du Rhône vers Chabeuil, et la vallée du Drac vers Vif, entre l’Isère et la Drôme. D’une façon plus précise, on ne devrait comprendre sous ce nom que le cours de la Vernaison jusqu’à l’entrée des Grands-Goulets et les deux immenses plateaux boisés qui bordent cette vallée centrale : la forêt de Lente finissant, par de grands escarpements, sur le bassin de la Lyonne en Royannais, et la forêt de Vercors que limite la chaîne d’immenses rochers allant de la Grande-Moucherolle au mont Aiguille. Ces plateaux sans eaux courantes, où de rares fontaines sont rapidement bues, où des gouffres, appelés scialots, reçoivent toutes les eaux pluviales pour les restituer au fond du bassin sous forme de sources abondantes, sont peu explorés. Les routes et même les chemins y sont rares, sans les maisons forestières et quelques « jasses » ou bergeries, on ne rencontrerait pas de traces de l’humanité. Aussi, les promenades dans ces solitudes boisées, si profondes, sont-elles difficiles sans guide. Une seule partie présente des habitations nombreuses ; c’est, au sein du plateau de Lente, le territoire de Vassieux, où des cultures asses étendues et de vastes pâturages se sont créés au détriment de la forêt. Dans ce bassin fermé du Vercors, le plateau de Vassieux constitue, à plus de 1,000 mètres d’altitude, un autre bassin bien caractéristique.

En dehors du bassin de Vassieux, le Vercors habité est fort simplement disposé ; c’est une longue et étroite vallée à deux versants, parcourue au nord par le Bues qui arrose les communes de Saint-Julien-en-Vercors, au sud, par la vallée bien plus longue de la Vernaison appartenant aux deux communes de Saint-Aignan-en-Vercors et de la Chapelle-en-Vercors. Les deux vallées sont dans le même axe et occupent du nord au sud une longueur de 20 kilomètres. À leur point de jonction, le cours d’eau formé par leur réunion et qui garde le nom de Vernaison se jette à l’ouest pour aller gagner la Bourne.

Dès la sortie du tunnel de Rousset, on reconnaît cette disposition du pays, l’immense couloir se perd au loin, admirablement boisé de hêtres et de sapins sur les pentes. La roule débouche dans la forêt et s’engage dans les grands arbres. Le sous-bois est fleuri d’ancolies, de silènes, de myosotis, de chardons d’un rouge éclatant, de grandes marguerites, églantines embaumées aux couleurs variées et de bleuets géants. Quand on à laissé, à gauche, la route de Vassieux, on descend, par de grands lacets, jusqu’au fond de la vallée où la Vernaison prend sa source, d’autres lacets mènent au pied de la chapelle de Saint-Alexis, entourée de ruines grisâtres que l’on confond volontiers avec les roches voisines.

La vie recommence ici. À la jonction d’un petit vallon, un gros hameau s’est bâti, Rousset, dont le col porte le nom. Très propre, il n’a rien d’un village de montagne, les maisons, même les habitations isolées, sont solidement construites et couvertes en tuiles rouges. Malgré l’altitude de 916 mètres, les champs sont bien cultivés ; les femmes sarclent et binent les pommes de terre tout en surveillant le beau bétail paissant dans les prairies.

Au delà du village, je suis salué par le convoyeur qui fait l’échange des lettres entre le bureau de la Chapelle et celui de Die. Chaque jour il vient au col et remet les dépêches à une femme venue de Die et qui a su se plier à ce rude métier de monter tous les matins au refuge du Rousset. Ce porteur de dépêches a le regard très fier et très franc. Du reste, la race est superbe dans cette haute vallée, les faneurs qui travaillent dans les prés, au bord de la route, s’arrêtent en nous voyant passer, la plupart font, d’un geste bref, le salut militaire et reprennent la besogne un instant interrompue.

Les hameaux se fout nombreux au pied de la montagne, c’est comme un collier de maisons réunies par un chemin en mauvais état, la route ayant voulu éviter les vallonnements incessants de la rive droite de la Vernaison. Le torrent est devenu assez abondant ; à la Britière, il fait mouvoir plusieurs scieries au-dessous de ce petit hameau, couronnant une falaise et dominé par une église. Le lit du torrent est barré par les rochers, souvent les eaux disparaissent. Sur une des berges, le village de Saint-Aignan groupe ses belles maisons aux toits rouges, autour d’une tour carrée surmontée d’une flèche blanche et aiguë. En face, la montagne du Grand-Larve, admirablement boisée, sillonnée par une route forestière sur laquelle est une maison de garde d’un riant effet. Au-dessous, dans le val, est une vieille bâtisse coiffée d’un toit aigu, le Château-la-Tour.

Voici Saint-Aignan. On devine une commune riche, car elle possède de belles écoles, bien conçues, ayant de vastes cours, des jardins, un préau couvert. Quelques vieilles maisons à pignons, possédant des fenêtres à meneaux et couvertes en paille contrastent avec l’aspect jeune et pimpant de la plus grande partie du village. Cette commune de 900 habitants, dont 300 peut-être dans le bourg, possède le téléphone qui la relie à Romans et à Valence. Chaque commune du Vercors a voulu être raccordée au réseau.

La vallée, jusqu’ici assez large, se resserre et devient une gorge, la route abandonne la Vernaison qui coule à 760 mètres pour monter sur la large croupe où s’est construit le centre principal de la vallée, le gros bourg de la Chapelle. On traverse de beaux pâturages, où paissent les vaches dont le lait sert à fabriquer — comme au Villard-de-Lans — le fromage dit de Sassenage, bien que Sassenage n’en produise point. Le plateau terminal atteint 945 mètres, il est fort rocheux et pierreux. On ne s’expliquerait guère comment le plus grand centre de la vallée a pu s’y établir, si on ne savait que la Chapelle fut une ville romaine ; or les Romains choisissaient de préférence ces sites dominateurs d’où ils pouvaient surveiller le pays. Du reste, une petite montagne abrite la Chapelle de la « bise », vent du nord très glacial, non moins insupportable que le mistral.

La Chapelle possède encore les ruines d’un château. Ce bourg, bien bâti, d’aspect riant, deviendra sans doute un centre d’excursions. Les environs sont superbes et la grotte des Ferrières, remarquable par ses stalagmites, attire les visiteurs.


J’ai dit adieu à mon cocher, il retournera cet après-midi au col du Rousset avant de descendre à Die ; je veux faire à pied la route de Pont-en-Royans par les gorges de la Vernaison.

Quelle joie de marcher à ces hauteurs, en des montagnes, d’ici modérées, mais si formidables vues de la plaine. La route monte, descend, contourne les mamelons et enfin atteint de nouveau la Vernaison devenue très abondante grâce aux eaux apportées par l’abondante source de l’Adouin alimentée par les scialots de la forêt du Vercors. Le torrent coule dans une fissure profonde, en un cirque étroit mais très vert où des restaurants sont établis, ce sont les Baraques ; là commence la merveilleuse descente des Grands-Goulets, un des sites les plus vantés des Alpes, un de ceux aussi qui ne laissent pas de désillusions.

Il est des gorges plus sombres, avec des escarpements plus puissants, des torrents plus abondants, mais aucune ne réunit ainsi, à un tel degré, tout ce qui fait la grandeur et la beauté du paysage. L’homme n’y a rien gâté, son œuvre, au contraire, a encore ajouté à la majesté de la nature. La route entre Sainte-Eulalie-en-Royans et les Baraques a respecté les lignes superbes de l’abîme et, par ses tunnels, ses galeries, ses corniches et ses ponts, a fait cette merveille que les touristes parcourent déjà par milliers chaque année.

Avant l’ouverture de cette route, le Vercors était fermé, pendant tout l’hiver surtout ; on ne pouvait alors atteindre la vallée que par des cols très élevés et longtemps envahis par les neiges, mais, dès 1843, on s’est mis à l’œuvre et, en moins de dix ans, le Vercors était enfin relié à Pont-en-Royans par la route désormais fameuse des Goulets.

Le problème était difficile à résoudre. La Vernaison descend du Vercors par une fissure étroite, longue de 10 kilomètres et dans laquelle elle fait une chute totale de 400 mètres. À l’entrée et à la sortie, elle est enserrée entre d’immenses rochers à pic où il a fallu suspendre les ouvriers à des cordes pour entailler la pierre, ce n’est qu’au prix de formidables travaux qu’on a pu frayer le passage.

Aussitôt les Baraques dépassées, les clairs horizons du Vercors font place à l’abîme. Par des tunnels, des galeries, des encorbellements, on entre dans le couloir formé par la montagne de l’Allier et les rochers d’Échevis. La fissure est si étroite qu’à peine distingue-t-on le ciel, mince bande d’azur souvent masquée par les broussailles accrochées aux aspérités de la falaise. Un grand murmure monte dans la gorge, c’est la Vernaison qui se brise dans les rochers et forme d’admirables cascades. La plus grande de ces chutes, haute de 80 mètres, est une sorte d’escalier fait de roches moussues entre lesquelles passent les eaux écume uses. À chaque instant un tunnel masque la vue, puis on se retrouve accroché au flanc de la montagne et de nouveau on voit, au fond de l’abîme, se briser la Vernaison.

Les falaises s’écartent et font place à un bassin vert, cultivé, rempli de prairies, de vignes, de mûriers, d’arbres fruitiers. Des hameaux, une église animent cette jolie conque dite d’Échevis. On y descend par de grands lacets pour rejoindre de nouveau la Vernaison, la traverser et aborder la seconde gorge, les Petits-Goulets. Ici, les falaises n’ont pas l’élancement superbe qu’elles présentent aux Grands-Goulets, mais il n’en a pas moins fallu trouer la montagne pour construire la route. Le site est déjà très beau.

La sortie est brusque ; sans que l’on ait pu le prévoir, on est tout à coup en pleine lumière, la montagne cesse, l’air jusqu’alors froid et humide, comme comprimé, devient plus libre et doux. La vallée est large, des vergers, des vignes, des noyers, des châtaigniers, des mûriers couvrent les pentes douces. Par la splendeur de la lumière et la végétation, c’est déjà le Graisivaudan, nous sommes dans une autre petite province du Dauphiné, le Royannais.