Voyage en Asie (Duret 1871)/Inde/06

Michel Lévy (p. 271-273).


VI

MADRAS


Les monuments taillés dans le roc de Mahabalipour. — Madras. Son manque de port.


Octobre 1872.

De Pondichéry, pour gagner Madras, nous nous rendons d’abord par la route de terre à Sadras en passant par Chingleput, puis nous nous embarquons. Entre Sadras et Madras, le littoral est bordé par des lagunes et des flaques d’eau séparées de la mer par une étroite langue de terre. À travers ces lagunes on a approfondi un chenal, sur lequel nous voguons, poussés par un vent favorable.

Nous débarquons non loin de Sadras, à Mahabalipour, entre la lagune et la mer, pour visiter de curieux monuments connus sous le nom des Sept pagodes. Ce sont des temples creusés dans le roc. Plusieurs des édifices, au lieu d’être en cavernes, sont des monolithes extérieurs. On a alors profité d’un rocher isolé et d’une grosseur suffisante, qu’on a équarri et taillé en tous sens, et dont on a tiré d’une seule pièce un monument complet avec tous les détails de l’architecture et de la sculpture. C’est le système des grands Bouddhas monolithes de Ceylan, étendu à l’architecture.

Madras est une ville informe. Il ne semble pas qu’aucun plan y ait jamais présidé à l’agencement de quoi que ce soit. Les maisons habitées par les Européens sont éparses au milieu d’une sorte de bois, et c’est déjà une course que de passer de l’une à l’autre ; c’est tout à fait un voyage que de se rendre de la ville où l’on réside à la ville où, le jour, se font les affaires. On ne va de l’une à l’autre qu’en traversant le vaste espace vide et nu qui sert d’esplanade au fort Saint-Georges. Il y a la mer, puis une rivière ; mais on a bâti la ville de telle façon qu’on ne les voit point. Les monuments et les maisons sont d’un style encore plus laid que dans les autres villes d’Asie bâties par les Anglais ; et Dieu sait ce que cela veut dire !

Madras est une de ces villes qui se sont faites à l’aveugle et où les quartiers se sont ajoutés les uns aux autres, parce qu’il fallait sans doute que dans cette partie de l’Inde il y eût une ville quelconque bâtie quelque part. Aucune ville maritime n’a une plus mauvaise situation. En face de Madras, la mer déferle sur la côte toute droite, sans qu’il y ait aucune espèce de port ou d’abri. Lorsque la tempête arrive, si les équipages ne coupent les câbles assez vite pour gagner la haute mer, les navires vont à la côte. Il y a quelques mois, toute la flotte marchande, surprise par un coup de vent, a été jetée sur le quai. On y voit encore cinq ou six magnifiques navires à moitié dépecés, dont la carcasse grimace la nuit d’une façon sinistre.

Le seul plaisir qu’une ville comme Madras réserve au voyageur est celui du départ. Un bateau des Messageries à destination de Calcutta fait escale. Nous nous précipitons à bord.