Voyage de La Pérouse autour du monde/Tome 1/Questions proposées par la Société de Médecine

QUESTIONS

Proposées par la Société de Médecine, à MM. les voyageurs qui accompagnent M. de la Pérouse, lues dans la séance du 31 mai 1785.

Tout ce qui appartient à la physique et à l’histoire naturelle, dans le voyage que l’on va entreprendre autour du monde, a lieu d’intéresser la médecine, et peut contribuer à son avancement ; mais la société de médecine croit devoir se borner aux objets qui concernent plus particulièrement cette science. Comme les questions que nous avons à proposer sont assez multipliées, nous les présenterons ici sous des titres qui seront autant de divisions médicinales, ou qui appartiendront à différentes branches de cette science.

S. PREMIER.

Anatomie, Physiologie.

Structure du corps humain, et fonctions de ses organes.

La plupart des voyageurs ont écrit sur la forme et la structure générale du corps des hommes qu’ils ont observés dans différentes contrées ; mais on sait combien leurs descriptions sont en général remplies d’exagération et d’erreurs. On a tout lieu d’attendre plus d’exactitude de la part des savans qui accompagnent M. de la Pérouse, et on les prie d’observer spécialement les objets suivans :

1°. La structure ordinaire des hommes et des femmes ; le grand et le petit diamètre de la tête ; la longueur des extrémités supérieures et inférieures, mesurées de l’articulation du bras à l’extrémité du doigt medius, de la cuisse à l’extrémité du gros ou du second orteil ; la circonférence du bassin, la largeur de la poitrine, celle des épaules ; les hauteurs de la colonne vertébrale, mesurée du haut de la première vertèbre du cou au sacrum : ces proportions sont prises des divisions des peintres.

2°. La forme, la couleur de la peau et de ses diverses régions ; celles des poils et des ongles.

3°. La forme particulière de la tête ou du crâne ; celle de la face, et surtout du front, du nez, des yeux, des oreilles, de la bouche, du menton, des dents, de la langue, des cheveux et de la barbe.

4°. Ces diverses régions du corps sont celles que les insulaires ont coutume de déformer, par des trous, des incisions, des corps étrangers qu’ils y insèrent, ainsi que par des huiles, des couleurs préparées avec des ocres, ou des sucs végétaux.

Il peut être utile de décrire exactement les procédés que les sauvages emploient pour se faire à la peau des marques ineffaçables ; les substances dont ils se servent à cet effet ; comment ils les préparent et les appliquent ; l’âge ou les circonstances dans lesquelles ils pratiquent cette opération, et sur-tout les altérations ou difformités locales, ou les effets relatifs à tout l’individu, qui en résultent.

5°. Le défaut, l’excès, ou la différente conformation des parties du corps, comme l’alongement, l’aplatissement du front, la dilatation ou le resserrement du nez, l’agrandissement de la bouche, des oreilles. Ces différences sont-elles le produit constant de l’organisation naturelle, ou l’effet de quelques pratiques particulières ? Dampier dit qu’il manque deux dents aux habitans de la terre de Van-Diemen. Est-ce naturellement, ou bien parce qu’ils se les arrachent ? c’est ainsi que les deux bouches observées par les matelots de Cook, sur les habitans des côtes de l’Amérique, voisines de l’entrée du Prince-Guillaume, sont le produit d’une incision transversale qu’ils se font au-dessous de la lèvre inférieure. Les conformations relatives au tablier des femmes, à l’alongement prodigieux du scrotum, et la tache brune sur le dos des enfans, observées dans plusieurs contrées de l’Amérique, existent-elles, et sont-elles dues à la nature ? On ne nous a presque rien dit sur l’usage des deux mains. La question relative aux ambidextres, ou à la préférence d’une main sur l’autre, n’a point encore assez occupé les naturalistes : il est donc important d’examiner si les peuples que l’on visitera, se servent également de leurs deux mains pour le travail, ou bien s’ils en emploient une de préférence, et si la prééminence de la droite, chez les nations policées, n’est que l’effet du préjugé. Il est aussi important d’examiner si, parmi les peuples qui sont dans l’habitude d’aller nus, il en est qui se servent de leurs pieds avec autant d’agilité que des mains, et pour les mêmes usages.

6°. On n’a point eu de renseignemens positifs sur la force comparée des différens hommes : il serait bon de faire des expériences sur les fardeaux que peuvent porter les habitans des pays où la nature n’a point été affaiblie par la mollesse et par tous les usages admis chez les nations policées, et sur l’espace qu’ils peuvent parcourir, dans un temps donné, soit en marchant, soit en courant.

7°. La nature des sens de la vue, de l’ouïe, de l’odorat, peut fournir des faits importans sur la vigueur ou la faiblesse de ces organes. On a beaucoup parlé de la finesse de l’odorat des peuples sauvages : il est intéressant de vérifier cet objet, et de rechercher si, dans les individus où cette finesse de l’odorat existe, elle n’est pas au détriment de quelque autre sens.

8°. La voix, l’articulation plus ou moins distincte, sont importantes à examiner, ainsi que l’expression de la joie, du plaisir et de la douleur.

9°. L’âge de puberté pour les hommes et pour les femmes. Celles-ci sont-elles, dans tous les climats, sujettes au flux périodique ? Est-il plus ou moins abondant relativement au climat, et quelle est l’époque de sa cessation ? Comment se conduisent-elles pendant leur grossesse ? Accouchent-elles aisément ou difficilement ? ont-elles besoin de secours pour cette opération ? Lient-elles le cordon ombilical ? Cette opération se fait-elle avant ou après la sortie du placenta ? Emmaillottent-elles leurs enfans, ou par quels moyens suppléent-elles au maillot ? Suit-on quelque pratique à l’égard des enfans nouveau-nés, au moment de leur naissance, comme de leur pétrir la tête, de les laver ? Les mères les nourrissent-elles de leur lait, et jusqu’à quel âge ? Naît-il plus de garçons que de filles ?

10°. Combien meurt-il d’enfans depuis la naissance jusqu’à l’âge de puberté, et quelle est en général la longueur de la vie des hommes dans les différens climats ?

11°. La vitesse ou la lenteur du pouls, comparée à celle des Européens, qui est à peu près de soixante-cinq à soixante-dix pulsations par minute.

12°. Le rapport de la couleur de la peau avec celle des humeurs. La liqueur spermatique des hommes plus ou moins basanés, la pulpe cérébrale et le sang, répondent-ils à la teinte de leur peau ? Cette couleur varie-t-elle parmi les noirs, dans quelques individus, tels que les nègres-blancs, les blafards, &c. ? Cette variation est-elle le produit d’une maladie, ou d’une constitution altérée par l’influence du climat, comme on le pense des nègres transportés dans les pays froids ?

13°. Y a-t-il fréquemment en Amérique des hommes dont les mamelles contiennent du lait assez abondamment pour nourrir des enfans, comme on l’a dit ? Que doit-on penser des hermaphrodites de la Louisiane ? La vie sauvage rend-elle l’amour périodique chez plusieurs nations ? Est-il vrai que quelques naturels de l’Amérique se font piquer le membre viril par des insectes, qui y excitent un gonflement considérable !

14°. Nous ne parlerons ici, ni des géans, ni des nains, ni des hommes à queue, &c. parce que ces prétendus écarts de la nature n’ont jamais été vus que par des voyageurs prévenus ou ignorans, ou n’existaient que dans leur imagination exaltée.

S. II.

Hygiène.

De l’air, des eaux, des alimens, des habitations, des vêtemens, des exercices, des passions, en tant qu’ils intéressent la santé des hommes.

Cette partie de la médecine présente le plus d’observations aux voyageurs ; mais c’est une de celles sur lesquelles on a le moins de questions à leur proposer, parce qu’en général on s’en occupe toujours avec plus ou moins de soin et de détail. Nous ne nous arrêterons donc qu’aux articles suivans :

1°. La nature de l’air des différens lieux, essayé par les eudiomètres ; sa température la plus haute et la plus basse au soleil et à l’ombre, sa sécheresse, son humidité, sa pesanteur, son élasticité, son état électrique mesuré par les différens électromètres, et sur-tout par celui de M. de Saussure ; le partage des saisons ; les vents dominans, ou leurs variations ; la nature des météores, comme neige, grêle, pluie, tonnerre, ouragans, trombes marines ou terrestres ; l’altération de l’air par les vapeurs, ou par les émanations des végétaux, en comparant par les expériences d’Ingen-Housz, les fluides qui s’exhalent de leurs différentes parties exposées à l’ombre ou au soleil, sur-tout pour ceux dont le voisinage passe pour être dangereux.

2°. L’examen des eaux de la mer, à différentes hauteurs ou profondeurs, plus ou moins près des côtes ; celui des eaux douces ou saumâtres, la nature des sels qu’elles contiennent : on recommande l’usage des principaux réactifs indiqués par Bergman, et sur-tout l’évaporation ; celles que boivent les insulaires, et les différens usages qu’ils en font ; les eaux minérales froides, ou thermales ; les boissons factices, douces, ou fermentées ; la manière de les préparer ; les substances végétales ou animales avec lesquelles on les compose ; leurs effets : nous insisterons sur-tout sur le kava, liqueur préparée avec une racine, dans les îles de la mer du Sud, à laquelle Anderson attribue une action engourdissante et la propriété de dessécher et de faire tomber par écailles la peau des insulaires qui en boivent avec excès.

3°. Les alimens. Les habitans des différentes contrées que l’on parcourra, se nourrissent-ils de végétaux ou d’animaux, ou des uns et des autres ? Assaisonnent-ils leurs alimens ? Quelle préparation leur font-ils subir ? Mangent-ils à des heures réglées ? peu, ou abondamment ? Emploient-ils le sel dans leurs mets ? Quelle comparaison peut-on établir entre les racines, les fruits, &c. qui leur servent de nourriture, et nos végétaux ? Quels sont les farineux dont ils font usage ? Quelle est l’espèce de fougère qui contient une substance gélatineuse, dont se nourrissent les habitans de la nouvelle Zélande ? N’ont-ils pas des poudres alimentaires, dont ils se munissent dans leurs voyages ? De quelles plantes les tirent-ils, et quels procédés suivent-ils dans leur préparation ? Ne peut-on pas trouver, par quelques recherches, dans les pays que l’on visitera, des substances végétales inconnues aux naturels, et qui puissent servir d’aliment ? N’y aurait-il pas quelques végétaux dont on pourrait retirer une substance sucrée, analogue à celle de la canne à sucre, et avec plus de facilité et moins de frais qu’on ne le fait de cette dernière ?

4°. Les habitations, leur forme, leur étendue, leurs ouvertures, leur exposition, le sol sur lequel elles sont assises, les matériaux dont elles sont construites, la nature de l’abri qu’elles donnent, leur sécheresse ou leur humidité ; si les habitans s’y retirent pendant la nuit, et pendant toute l’année, ou dans certaines saisons ; combien de temps ils y passent par jour ; en quel nombre ils s’y rassemblent, relativement à leur espace ; s’ils y dorment sur des lits, sur des nattes ou sur la terre ; s’il y a des hommes qui n’ont pas d’habitation, et qui vivent toujours à l’air. Les vêtemens, leurs formes, leurs matières, leurs différences.

5°. Les occupations des deux sexes, leurs travaux, leurs exercices ; en quoi ils entretiennent ou dérangent la santé des peuples.

6°. Les passions, les mœurs, le caractère dominant de chaque nation ; les usages particuliers propres à favoriser l’excrétion des différentes humeurs, comme celui de mâcher du tabac, du bétel, ou quelque substance analogue, ou de fumer, d’user des frictions, des onctions, des bains froids ou chauds, des vapeurs sèches ou humides ; la méthode de masser ; l’influence de ces divers moyens, et sur-tout des onctions huileuses et du tatouage, sur la transpiration.

S. III.

Des maladies.

Les maladies particulières aux climats qui seront visités, peuvent fournir des observations importantes. Cook et Anderson ont parlé, quoiqu’avec peu de détails, de celles qu’ils ont observées dans les îles des Amis et de la Société. Ils ont vu chez les habitans des premières, une cécité due aux vices de la cornée ; des dartres qui laissent des taches sur la peau, et qui affectent la moitié des insulaires ; de larges ulcères qui les attaquent, et qui sont de mauvaise nature, puisqu’ils font perdre le nez à beaucoup d’entr’eux ; une enflure coriace et indolente des bras et des jambes ; une tumeur des testicules. Anderson, à qui sont dues ces observations, a indiqué cinq ou six maladies qu’il a vues à O-Taïti ; mais il n’a parlé que de l’hydropisie, et du sefaï ou enflure indolente, et de la maladie vénérienne, que l’équipage du capitaine Cook y a apportée dans ses deux premières relâches.

Il paraît que ce sont les maladies de la peau auxquelles les insulaires sont le plus exposés.

Quoiqu’Anderson n’ait vu aucun malade alité, et que les insulaires de la mer du Sud négligent, en général, de traiter régulièrement leurs maladies, nous prierons les voyageurs de vouloir bien observer avec soin les articles suivans, dont plusieurs sont relatifs aux maladies regardées comme nouvelles dans nos climats.

1°. Y a-t-il chez ces insulaires des maladies aiguës ou des fièvres ? Anderson n’a indiqué que des chroniques. Parmi les premières, observe-t-on les maladies éruptives ? La petite vérole y existe-t-elle ? Quels sont sa marche et ses ravages ? Les peuples qu’on visitera, connaissent-ils l’inoculation ? Y aurait-il quelque climat où cette maladie serait endémique ? Sont-ils attaqués de maladies contagieuses ou épidémiques ? Ont-ils éprouvé le fléau de la peste ? Le tétanos et le croups existent-ils chez les enfans ? On demande une description exacte de toutes les maladies de cette classe, et sur-tout relativement à leurs crises, et quels sont les rapports de leur marche et de leur nature avec celles de nos climats.

2°. Parmi les maladies chroniques, les plus fréquentes dans les îles de la mer du Sud paraissent être celles qui attaquent la peau. À quoi peut-on y attribuer la multiplicité des dartres et des ulcères observés par Anderson dans ces îles ? Sont-ils dûs aux onctions huileuses, ou à la piqure des insectes ? Ceux-ci s’y engendrent-ils fréquemment, comme cela a lieu dans les ulcères des pays chauds ? Ces ulcères qui rongent la face, et détruisent le nez, ne sont-ils pas cancéreux ? Les habitans sont-ils sujets à la lèpre ? Est-ce à cette maladie que l’on doit rapporter l’enflure indolente des bras et des jambes, observée par Cook ? Sont-ils sujets aux maladies pédiculaires et au dragonneau ?

3°. La maladie vénérienne existe-t-elle dans les terres que l’on visitera, continent ou îles ? Paraît-elle y être naturelle, ou y avoir été apportée ? Quels remèdes emploient-ils pour la guérir ? Dans quel état est-elle aux îles des Amis ou de la Société, où Cook l’a apportée dans ses premières relâches ? Par quels symptômes se montre-t-elle ? Est-il vrai que les insulaires n’ont point de gonorrhée ?

4°. Le scorbut est-il endémique dans quelque parage ? Quels sont ses symptômes et ses ravages, dans les pays chauds ou froids ? Quels remèdes lui oppose-t-on ?

5°. Le rachitis et les difformités qu’il fait naître, sont-ils connus dans les pays où l’on pénétrera ? Les maladies nerveuses, convulsives ou spasmodiques, et sur-tout l’épilepsie y existent-elles ? Les enfans sont-ils sujets à quelques maladies et sur-tout aux convulsions pendant la dentition ?

6°. Y a-t-il quelques hommes ou femmes chargés en particulier de la guérison des maladies ? Quels remèdes ou quels procédés emploient-ils ? Y a-t-il quelques hôpitaux, ou sépare-t-on de la société quelques classes de malades ?

S. IV.

De la matière médicale.

Il paraît, d’après le rapport d’Anderson, que les prêtres sont les seuls habitans des îles de la mer du Sud qui se chargent de la guérison des malades, et qu’ils emploient quelques sucs d’herbes ; mais il ne dit rien de ces plantes, ni des différens moyens qu’ils mettent en usage contre les maladies de la peau, les ulcères, les enflures et l’hydropisie qui les attaquent. Les femmes guérissent les suites de couches, au rapport de ce naturaliste, en s’asseyant sur des pierres chaudes, enveloppées de deux pièces d’étoffe entre lesquelles elles mettent une espèce de moutarde : ce remède les fait suer beaucoup ; et il n’a point réussi pour les maladies vénériennes. Ces peuples n’ont donc que très-peu de connaissances sur les propriétés des remèdes que la nature leur offre ; ils n’ont même point de vomitif. C’est donc aux voyageurs à reconnaître la vertu des plantes dont la saveur et les autres propriétés physiques pourront leur fournir quelques lumières, non-seulement dans les îles de la mer du Sud, mais dans tous les pays où ils aborderont. On leur propose, sur cet objet, les articles suivans :

1°. Examiner la saveur, l’odeur des racines, des bois, des écorces, des feuilles, des fleurs, des fruits et des semences des végétaux des différens pays peu connus, et les comparer aux différentes substances végétales employées en Europe comme médicamens ; faire le même travail sur les sucs qui découlent des arbres, ainsi que sur les matières animales.

2°. Observer les différens remèdes qui sont en usage, dans les pays chauds où l’on descendra, contre les maladies qui en affligent les habitans, et décrire même les procédés superstitieux, qui sont souvent la seule médecine des peuples barbares.

3°. Essayer les décoctions de quelques plantes émollientes, aromatiques, âcres, dans les affections de la peau, dont les insulaires sont attaqués.

4°. Employer le mercure en frictions contre les maladies vénériennes, dont les habitans des îles de la mer du Sud sont attaqués, et leur fournir les moyens de se débarrasser de ce terrible fleau ; observer sur-tout les effets du mercure chez ces peuples.

5°. Rechercher si quelques végétaux sudorifiques de ces îles n’auraient pas la vertu antivénérienne, tels que, particulièrement, la lobelia syphillitica (rapuntium Americanum flore dilutè cœruleo), et le celastrus inermis, de Linné.

6°. Rechercher s’il n’existerait pas dans quelques pays chauds les analogues du quinquina, du simarouba, de l’ipécacuanha, du camphre, de l’opium, &c. et si les îles contiennent des plantes émétiques ou purgatives dont on pourrait tirer quelque parti.

7°. Prendre des renseignemens et faire des observations sur les propriétés de l’anacarde, qui passe à la Louisiane, pour guérir la folie ; sur la vertu du telephium et du gramen marin, que les Groënlandais préfèrent au cochléaria, pour la guérison du scorbut ; sur l’écorce de Winter, la racine de Belaage[1], de Columbo[2], et celle de Jean Lopez[3].

8°. Indiquer quels sont les peuples qui empoisonnent leurs flèches, quelles substances ils emploient à cet effet ; la nature, la description des plantes d’où ils retirent les sucs vénéneux qui leur servent pour cela, et sur-tout les remèdes qu’ils administrent pour en prévenir l’action délétère : déterminer sur-tout si le sel et le sucre peuvent être regardés comme un antidote contre les blessures faites par ces flèches, ainsi qu’on pourrait le croire d’après les expériences de la Condamine.

9°. Examiner les animaux et sur-tout les serpens et les poissons vénéneux, et chercher à reconnaître de quelle cause peut dépendre cette dangereuse propriété dans ces derniers, et par quels moyens on peut la prévenir.

10°. Recueillir avec soin les remèdes, soit internes, soit externes, qui passent pour spécifiques dans les maladies des différens peuples ; décrire la nature de ces spécifiques, la manière de les préparer, celle de s’en servir, leurs doses, leurs effets, le temps de la maladie où on les emploie : c’est ainsi que les Péruviens nous ont appris à connaître les propriétés du quinquina.

11°. Enfin réunir, dans un herbier particulier, et séparé de la botanique, les plantes ou les parties des plantes qui servent d’alimens, de remèdes ou de poisons, dans tous les pays où l’on abordera.

S. V.

Chirurgie.

Des maladies et des opérations chirurgicales.

Anderson remarque que la chirurgie est un peu plus avancée que la médecine, comme cela doit être chez les peuples sujets à peu de maladies, mais exposés, ainsi que tous les hommes, à des accidens extérieurs. Cook parle d’une femme de la Lefooga, dans la nouvelle Zélande, qui exerce le métier d’oculiste : elle pansait les yeux d’un enfant avec deux petites sondes de bois, qu’elle frottait sur ses organes, jusqu’à en tirer du sang. Il paraît que les naturels des îles des Amis ne craignent pas les blessures, car ils s’en font volontairement à la tête, pour marquer leur chagrin ; ils se coupent le petit doigt avec une hache de pierre quand ils sont malades, et une des phalanges de ce doigt quand leurs chefs le sont. On voit beaucoup d’insulaires avoir un petit doigt de moins à une main, ou à toutes les deux. Cette pratique tient, sans doute, à la superstition : ils se font des incisions dans différentes parties du corps, et sur-tout aux jambes. Au reste, Anderson remarque qu’ils sont fort mauvais chirurgiens, puisqu’il a vu un bras très-mal coupé, et une luxation de la même partie, qui n’était point réduite après plusieurs mois. Cependant ces insulaires connaissent, suivant lui, les blessures mortelles, et placent des éclisses sur les membres fracturés ; ils introduisent même dans les plaies avec esquilles d’os, un morceau de bois pour tenir lieu des os sortis ; et Anderson a vu des cicatrices de coups de pique, qui annonçaient la cure de blessures que nous aurions jugées mortelles. Enfin, des hommes d’O-Taïti, que l’on appelle tahoua, s’occupent de l’incision du prépuce chez les enfans, et ils la pratiquent d’un seul coup avec une dent de requin ; ils guérissent l’enflure qui survient à cette partie, avec des pierres chaudes qu’ils y appliquent. Les faits qu’il nous paraît important de recueillir sur cette partie de la chirurgie, peuvent se réduire aux suivans :

1°. Les luxations, les fractures, les hernies, et les maladies chirurgicales en général, sont-elles très-communes chez les hommes qui vivent dans l’état de nature ?

2°. Quels moyens emploient-ils pour guérir ces différentes maladies ?

3°. Ont-ils quelques instrumens particuliers ? Quelle est leur forme, leur matière, leur usage ? En acheter, et en faire la collection.

4°. La circoncision et l’infibulation sont-elles pratiquées ? Comment y procède-t-on ?

5°. Y a-t-il des hommes ou des femmes chargés du soin particulier de traiter telle ou telle maladie chirurgicale, comme celle des yeux, des oreilles, des dents, de la peau, les accouchemens ?

6°. Quelle est la forme et la nature des armes dont ils se servent dans leurs combats ; celle des plaies qui en résultent, et la manière dont ils les traitent et les guérissent ?

Au Louvre, le 31 mai 1785. Signé Mauduyt, Vicq-d’Azyr, de Fourcroy et Thouret.


Je certifie la présente copie conforme à l’original déposé au secrétariat de la société de médecine, qui m’a chargé de l’adresser au plutôt au ministre de la marine. Signé Vicq-d’Azyr, secrétaire perpétuel.

  1. À Madagascar.
  2. Île de Ceylan.
  3. Côte de Mosambique.