VOYAGE
DANTESQUE.

C’est un vrai malheur pour les admirateurs sincères de Dante que la mode se soit emparée de ce grand poète. Il est cruel pour les vrais dévots de voir l’objet de leur culte profané par un engouement qui n’est souvent qu’une prétention. Ce n’est rien de tenir tête à l’injustice de l’opinion, il y a dans la lutte un plaisir secret qui soutient et anime à la résistance. — Mais il faut souvent un vrai courage pour persister dans une opinion juste, en dépit de ses défenseurs. Oh ! le bon temps pour les amis de Dante et de Shakspeare que celui où tous deux étaient traités de barbares ! Cependant on ne doit point renoncer à sa religion, parce qu’elle est professée par une foule qui ne croit pas du fond du cœur ; on ne peut abandonner ses affections littéraires, parce qu’il est du bon air d’en afficher de pareilles. Il faut être fidèle au génie et à la vérité quand même ; il faut tenir pour le christianisme, malgré les argumens de certains apologistes et la foi de certains croyans ; il faut tenir pour la liberté, malgré certains libéraux ; il faut admirer les grands poètes du siècle de Louis XIV, malgré les protecteurs officieux de leur gloire. Enfin, je suis résolu à persévérer dans mon amour pour la poésie de Dante, bien que ce soit aujourd’hui une fureur universelle, en France et en Italie, d’admirer à tout propos et hors de propos l’auteur de la Divine Comédie, que presque personne ne lisait il y a soixante ans.

J’avais besoin de placer cette profession de foi en tête de quelques pages, inspirées par ma religion pour le grand Alighieri. En effet, c’est une véritable piété envers son génie qui m’a fait entreprendre, à deux reprises, un pèlerinage aux lieux qu’il a consacrés par ses vers. Je l’ai suivi, pas à pas, dans les villes où il a vécu, dans les montagnes où il a erré, dans les asiles qui l’ont recueilli, toujours guidé par le poème dans lequel il a déposé, avec tous les sentimens de son ame et toutes les spéculations de son intelligence, tous les souvenirs de sa vie ; ce poème, qui n’est pas moins une confession qu’une vaste encyclopédie. Quelquefois l’aspect des localités a bien changé, et, au lieu d’être frappé par une ressemblance, on est frappé par un contraste ; mais souvent les scènes de la nature, les monumens de l’art, que Dante a contemplés, ont laissé sur son œuvre une empreinte d’une étonnante fidélité. En présence de ces scènes et de ces monumens, le voyageur acquiert, par la comparaison du modèle et de la peinture, un vif sentiment de la méthode et de l’art du peintre. Il prend, pour ainsi dire, sur le fait l’imagination du poète dans l’acte mystérieux par lequel elle s’unit à la réalité pour créer l’idéal.

On peut aborder la Divine Comédie par bien des côtés ; on peut la considérer abstraitement comme un tableau de la vie humaine, au point de vue chrétien, comme une initiation à la vérité divine ; on peut chercher à reconstruire le système théologique contenu dans ce prodigieux poème : c’est ce qu’un jeune écrivain, M. Ozanam, vient de faire avec une habileté très remarquable ; on peut demander à l’œuvre de Dante l’histoire contemporaine : c’est ce qu’a fait M. Fauriel dans ses belles leçons dont ceux qui les ont suivies n’ont pas perdu la mémoire, c’est ce qu’a fait M. Lenormant dans un cours récemment applaudi ; on peut aussi, négligeant ce qui est extérieur dans cette œuvre si complexe, s’occuper de ce qui est personnel, individuel, local ; car la poésie de Dante est à la fois ce qu’il y a de plus général et de plus particulier. Pour acquérir de cette poésie un sentiment vif et complet, il est bon de descendre du premier point de vue au second. Après avoir reconstitué, par l’étude, l’édifice théologique que Dante a élevé, et l’état social qu’il a dépeint, il est bon de voir ce qu’il a vu, de vivre où il a vécu, de poser le pied sur la trace que son pied a laissée. Par là son génie n’est plus seulement en rapport avec les idées et l’histoire de son siècle, il devient, pour nous-mêmes, quelque chose de vivant, d’intime, de familier ; de passé il devient présent, pour ainsi dire. On comprend mieux, on sent mieux surtout cette poésie, en présence des objets qui l’ont inspirée ; elle est là comme une fleur sur sa tige, avec ses racines, ses rameaux et ses parfums. Enfin, toute utilité à part, il y a quelque charme à cheminer ainsi ; le but donne un intérêt de plus et une sorte de nouveauté à un voyage tant de fois entrepris et tant de fois raconté. Dante est un admirable cicerone à travers l’Italie, et l’Italie est un beau commentaire de Dante.

PISE.

Un voyage tel que celui-ci ne peut mieux commencer que par Pise. Pise rappelle Ugolin ; et bien qu’on n’en soit plus, grace à Dieu, au temps où l’on ne citait de la Divine Comédie que l’épisode d’Ugolin et celui de Françoise de Rimini, laissant de côté le reste du poème comme barbare et indigne d’occuper les gens de goût, cependant l’histoire du supplice infligé au chef pisan n’en reste pas moins un des morceaux les plus étonnans de l’étonnant poème de Dante, un de ceux qu’il est impossible d’oublier, surtout ici. J’ai cherché le lieu où s’est passée la tragédie que Dante a resserrée dans un récit court et terrible, et qu’un poète allemand, Gerstenberg, a étendue sur une surface de cinq actes, cinq actes d’agonie ! La tradition avait conservé à une tour de Pise le nom que Dante lui donne, le nom de Tour de la Faim, mais cette tour n’existe plus. Il est heureux pour les voyageurs qu’il en soit ainsi. Se prenaient-ils à frémir à la vue d’un débris, les antiquaires leur en contestaient le droit. Les uns retrouvaient la tour sur la place des chevaliers, les autres sur l’emplacement de l’ancien palais de la commune ; il fallait traverser tous ces doutes pour arriver à une émotion telle quelle : maintenant qu’il n’y a plus de tour, la conscience du voyageur est en paix[1].

Mais voici pour elle une nouvelle cause d’hésitation et d’incertitude. On pense en général que la faim porta le malheureux père à se nourrir de la chair de ses enfans. Sans qu’on se rende bien compte de ce qui, dans le récit de Dante, peut justifier une pareille idée, elle est reçue. Elle fait partie de l’horreur qu’on s’est accoutumé à ressentir, et il en coûterait à plus d’un lecteur d’y renoncer. Cependant rien n’est moins certain qu’une telle supposition. Déjà les commentateurs étaient partagés ; mais, à l’heure qu’il est, une polémique spéciale s’est engagée, sur cette question, entre deux hommes distingués de l’université de Pise, MM. Rosini et Carmignani. Les deux antagonistes, qui sont deux amis, se sont combattus avec vivacité et courtoisie, sans se convaincre, c’est l’ordinaire, mais, ce qui est plus rare entre savans, sans se fâcher. J’ai trouvé à Pise le factum de M. Carmignani, qui tient pour l’anthropophagie d’Ugolin[2].

Le premier qui ait avancé la proposition controversée est le poète éminent Nicolini, dans un beau discours sur le sublime de Michel Ange. C’est à l’occasion de ce discours que la discussion s’établit, dans un grand dîner où se trouvaient des princes et des littérateurs, entre les deux savans professeurs de Pise. Leur combat rappelle ceux que les érudits du XVIe siècle se livraient à propos d’un vers d’Horace ou d’une phrase de Cicéron ; pour que la ressemblance soit complète, il ne manque que les injures.

Du reste, les doctes citations et les théories subtiles abondent. M. Carmignani va jusqu’à discuter gravement jusqu’à quel point l’état physique des cadavres permettait à Ugolin de s’en rassasier. Il faut avouer que c’est conduire l’esthétique au charnier. Pour moi, si j’osais descendre dans la lice où se sont mesurés de si redoutables antagonistes, comme on dit pompeusement dans ces grandes circonstances, ce serait pour combattre l’opinion qui transforme Ugolin en cannibale. Dante n’a pas fait à la littérature atroce de notre temps l’honneur de la devancer. Ce vers :

Et puis la douleur fut plus forte que la faim,

mot à mot que le jeûne, me paraît avoir un sens très naturel, et il me semble qu’il y a une profonde amertume dans cette réflexion sur la misère de notre nature :

La douleur ne m’avait pas tué et la faim me tua.

En effet, on meurt plus souvent de la seconde que de la première.

Une traduction admirable et peu connue de ce récit terrible est un bas-relief de Michel-Ange, que j’ai vu à Florence, au palais della Gherardesca. La Faim, sous les traits d’une horrible vieille, plane au-dessus des personnages, et montre à Ugolin ses trois fils mourans. Le père, debout, s’appuie sur une main ; de l’autre, il presse ses entrailles et regarde en face sa terrible ennemie. L’attitude d’un des jeunes gens, qui contemple son frère étendu à ses pieds, est animée d’une expression touchante. Au-dessous l’Arno est représenté, dans cette poétique composition, détournant les yeux de tant d’horreurs. C’est encore un souvenir de Dante. Celui-ci, dans son indignation contre Pise, s’adresse à l’Arno, et lui demande de noyer le peuple qui a laissé consommer une telle barbarie.

À ce sujet, j’ai eu lieu de me convaincre par une nouvelle preuve de l’exactitude géographique du grand poète. Dans cette même imprécation, il s’écrie : « Ah ! Pise, opprobre des nations du beau pays où le si retentit, puisque tes voisins sont si lents à te punir[3], que la Capraia et la Gorgone (deux petites îles de la mer Tyrrénienne) s’ébranlent et barrent l’embouchure de l’Arno, de manière à noyer tous tes habitans ! » Cette imagination peut paraître bizarre et forcée si l’on regarde la carte ; car l’île de la Gorgone est assez loin de l’embouchure de l’Arno, et j’avais toujours pensé ainsi, jusqu’au jour où, étant monté sur la tour de Pise, je fus frappé de l’aspect que de là me présentait la Gorgone. Elle semblait fermer l’Arno. Je compris alors comment Dante avait pu avoir naturellement cette idée, qui m’avait semblé étrange, et son imagination fut justifiée à mes yeux. Il n’avait pas vu la Gorgone de la tour penchée qui n’existait pas de son temps, mais de quelqu’une des nombreuses tours qui protégeaient les remparts de Pise. Ce fait seul suffirait pour montrer combien un voyage est une bonne explication d’un poète.

Un commentaire d’un autre genre est celui que j’ai trouvé dans un mur d’église, à San-Giovanni, petite ville située entre Florence et Arezzo. Dans la maçonnerie est une espèce de niche, et dans cette niche un cadavre desséché, debout, les bras croisés et crispés fortement contre la poitrine, la bouche ouverte, et comme poussant un hurlement de terreur. Tout indique que ce malheureux a été enfermé vivant dans cette muraille, probablement par une erreur involontaire. Il y est mort de la mort d’Ugolin, plus vite, car il avait moins d’air à respirer, et moins douloureusement, car il était seul.

À l’entrée du cloître de Saint-François, à Pise, on montre la pierre sous laquelle furent ensevelis Ugolin, ses deux fils et ses trois petits fils. Le poète n’a placé avec lui dans la prison que ses enfans. Cette poésie à grands traits ne pouvait entrer dans le détail de ces divers degrés de parenté. Cependant ils ajoutent encore à l’horreur qu’inspire l’action de l’archevêque Roger. Cette haine, qui ne s’arrête pas au premier degré de filiation, dépasse la férocité commune des vengeances de parti.

Quand je visitai le coin du cloître où gisent pêle-mêle les victimes innocentes et la victime coupable (car il ne faut pas oublier qu’Ugolin avait asservi et peut-être trahi sa patrie), autour de moi tout était silencieux, serein et brillant. Une lumière admirable inondait les orangers qui remplissent l’intérieur du cloître, un arceau encadrait leur verdure, le campanile rouge de Saint-François se détachait harmonieusement sur le bleu velouté du ciel. J’éprouvais un sentiment profond d’adoration pour la nature et d’éloignement pour l’homme, tandis que le pied sur la fosse d’Ugolin je regardais les orangers et le ciel. Une seule pensée combattait cette impression. Je me disais « Ces atrocités, enfantées par les passions politiques, ont produit un des plus admirables chefs-d’œuvre de la poésie humaine ; l’art console de la vie. »

Il serait étonnant que dans le Campo-Santo de Pise, ce musée du moyen-âge, rien ne rappelât le poète du moyen-âge. Toute cette peinture contemporaine ou peu postérieure de Giotto, d’Orgagna, de Benvenuto Gozzoli, est empreinte de son génie. Souvent la similitude est frappante et montre l’analogie des pensées. Quelquefois elle va si loin, qu’on peut croire à une imitation.

Ainsi, dans la fresque d’Orgagna qui représente l’enfer, il est impossible de ne pas reconnaître des tableaux tracés d’abord par le pinceau de Dante. On voit ici Satan dévorant trois corps humains à demi engouffrés déjà dans sa gueule gigantesque. Il en est de même dans l’Enfer. Le nombre des victimes est pareil. Ce sont, chez Dante, Judas, Brutus et Cassius, rapprochement bizarre en apparence, mais qui cesse d’étonner quand on a étudié, dans le Traité de la Monarchie, le système de politique et d’histoire que le guelfe banni s’était fait en devenant gibelin, afin de justifier ses opinions nouvelles. Pour lui, les deux puissances de la terre, presque égales en sainteté, et l’une et l’autre d’origine romaine, c’était d’une part le pape héritier de saint Pierre et vicaire de Jésus-Christ quant au spirituel, de l’autre l’empereur héritier de César et vicaire de Dieu quant au temporel. À ce point de vue, les meurtriers de César étaient aussi coupables envers le genre humain que les meurtriers du Christ. Telle était la raison profonde de cette étrange association. Pour Orgagna, en mettant trois damnés dans la gueule de Satan, il ne pouvait avoir d’autres raisons que de suivre Dante, qu’il a bien réellement copié dans cette fresque du Campo-Santo. Là sont aussi les bolge, grands trous circulaires dans lesquels l’auteur de la Divine Comédie avait plongé les différentes sortes de damnés ; là on voit une figure décapitée, et, comme Bertrand de Born, tenant par les cheveux sa tête sanglante ainsi qu’une lanterne (a guisa di lucerna), expression familière, mais terrible, parce qu’elle est d’une exactitude pittoresque, et fait voir à l’esprit le tableau qu’Orgagna n’a pas craint de reproduire pour les yeux.

Du reste, cette fresque, évidemment retouchée, est loin d’être une des plus remarquables du Campo-Santo ; c’est à Florence, dans l’église de Santa-Maria-Novella, que nous trouverons le même Orgagna couvrant tout un mur de fresques bien plus complètement calquées sur le dessin de Dante.

Dans une autre peinture du Campo-Santo, Buffamalco a représenté l’univers composé de neuf cercles, suivant le système de Ptolémée, et soutenu par les deux mains du Christ, dont la tête s’élève au-dessus du dernier cercle. C’est une alliance du même genre entre les idées chrétiennes et les idées de Ptolémée, qui sert de base à la construction du Paradis. Dante s’élève à la fois de planète en planète, de vertu en vertu, de vérité en vérité, jusqu’au principe du mouvement universel ; arrivé là, il est parvenu à la plus haute manifestation de l’essence et de la trinité divines. Les divers degrés de la contemplation religieuse sont rapportés par lui aux différens cercles imaginés par Ptolémée et placés ici entre les bras du Christ, dominés par sa tête radieuse. Dans les deux cas, même fusion de la science cosmologique du temps et de la pensée théologique[4]. Dans celui-ci, il n’y a pas emprunt fait par le peintre au poète ; il y a chez tous deux analogie d’inspiration. Ainsi Orgagna nous montrait tout à l’heure l’action que la poésie de Dante a exercée sur l’art italien, et Buffamalco nous montre maintenant que l’un et l’autre ont parfois obéi spontanément aux mêmes influences.

Avant de quitter ce musée de sépultures, il faut saluer au nom de Dante celle de l’empereur Henri VII ; ce malheureux Henri VII, celui dont il attendait tout ce que désirait son ame ardente : retour dans sa patrie, vengeance de ses ennemis, triomphe de ses idées politiques ; celui dont il prophétisait avec des paroles qui semblaient empruntées à Isaïe les prochains triomphes, et qui ne vint dans cette Italie où il était tant attendu que pour y mourir. Le pauvre empereur a la tête à demi soulevée ; il semble faire un effort inutile et retomber sous le poids de sa faiblesse. Sa tombe raconte sa vie. Il tenta péniblement de relever la majesté impériale ; elle retomba vaincue ; son temps était passé. On dirait qu’il est encore fatigué de sa malencontreuse tentative ; il a l’air de dormir mal et de ne pas être à son aise, même dans la mort. On a trouvé, dit-on, dans son cercueil des vêtemens dorés qui tombaient en poussière. Cela peint bien sa destinée. De la poussière de manteau impérial, c’est tout ce qui devait rester de ses projets et des espérances gibelines de Dante.

Le baptistère de Pise, moins ancien que le Campo-Santo et même que la cathédrale, offre pourtant dans sa structure intérieure des marques de la construction primitive de ce genre d’édifice. Il est disposé pour le baptême par immersion. La vue de la cuve baptismale de Pise explique un passage dans lequel Dante se justifie d’avoir brisé celle de Florence pour sauver un enfant qui s’y noyait. Ici on voit des espèces de trous de l’un desquels il serait difficile de retirer un enfant qui y serait tombé, sans en briser les parois. Rien de pareil n’existe aujourd’hui dans le baptistère de Florence ; mais celui de Pise, mieux conservé, peut en tenir lieu, et servir à l’intelligence d’un vers qui, sans cette figure explicative, présenterait une difficulté que probablement les commentateurs ne lèveraient pas.

Au nombre des traits les plus remarquables de la poésie de Dante est le respect que, malgré sa rigoureuse orthodoxie, il montre pour les sages du paganisme ; il a placé deux païens en paradis, Riphée et Trajan, et a fait de Caton le suicide le gardien des ames du purgatoire[5]. Il a appelé Aristote maître de ceux qui savent ; bref et magnifique éloge. Il y a eu, au moyen-âge, plus de cette tolérance qu’on ne croirait de nos jours. Le salut de Trajan n’est pas de l’invention de Dante ; il était admis généralement, et motiva un décret des magistrats de Rome au XIIIe siècle pour la conservation de la basilique trajane. Aristote fut presque canonisé par l’église ; mais nulle part peut-être cette déférence pour la sagesse païenne ne se produit d’une manière plus extraordinaire que dans un tableau de l’église de Sainte-Catherine à Pise. Ce que je viens de dire m’autorise à en parler, d’autant plus que le personnage principal est saint Thomas, le maître de théologie de Dante. Saint Thomas est assis ; son expression est méditative : il a l’air de ruminer quelque question difficile. On comprend le surnom de bœuf qu’on lui donnait dans sa jeunesse. Le Christ, les évangélistes, Moïse et saint Paul sont au-dessus de sa tête. Des deux côtés du saint, mais plus bas que lui, Aristote et Platon debout tiennent ouvert un livre écrit en hébreu. Dieu est au sommet du tableau ; des filets d’or descendent de sa bouche sur les docteurs de la primitive église, qui les envoient à saint Thomas, et de la bouche de celui-ci, il en descend un grand nombre sur la foule des théologiens. Mais ce qui est plus extraordinaire, deux de ces filets montent vers le saint des lèvres de Platon et d’Aristote.

Ainsi le peintre admettait que la science mondaine pouvait fournir quelque chose à celui qui était l’oracle de la théologie chrétienne. Mais il fallait que le triomphe de la foi sur la philosophie profane fût exprimé ; c’est le célèbre commentateur d’Aristote, Averrhoes, qui a été choisi dans ce but. Le médecin Averrhoes, dont la philosophie scandalisa ses coreligionnaires musulmans, paraît avoir eu quelque tendance au matérialisme, et avoir réuni un assez grand nombre d’esprits forts dans des opinions peu chrétiennes. Pétrarque s’emporte avec véhémence contre ceux qui négligent l’Écriture sainte pour les livres d’Averrhoes. Dans le tableau de l’église de Sainte-Catherine, il est couché aux pieds de saint Thomas ; il semble abattu, et, appuyé sur son coude, il rêve à sa défaite. Auprès de lui est un livre ouvert, à peu près deux fois plus grand que celui d’Aristote et que celui de Platon : c’est le Commentaire d’Averrhoes sur le premier de ces deux philosophes, ouvrage très étendu, en effet ; c’est le grand commentaire dont parle Dante : « Averrhoes qui a fait le grand commentaire ; » Averrois, che il gran commento feo[6].

LUCQUES.

Pour aller de Pise à Lucques, on passe au pied du mont Saint-Julien, ce mont qui fait que les deux cités ne peuvent se voir,

Perchè i Pisan Lucca veder non ponno[7],

a dit Dante avec sa précision géographique accoutumée.

Lucques est placée au centre d’un délicieux pays. Il n’y a rien de plus frais, de plus gracieux que les environs de Lucques. C’est un lac de verdure encaissé dans d’admirables montagnes. La ville s’élève au milieu. Les anciens remparts ont été changés en une promenade qui l’entoure complètement et domine l’élégant paysage.

Lucques n’était pas si gracieuse au temps de Dante. Quand son protecteur et son ami Uguccione della Faggiola, auquel il voulait dédier l’Enfer[8], après avoir opprimé Lucques, en était chassé par Castracani, ce Thrasybule du moyen-âge, dont Machiavel a été le Plutarque, ses champs n’étaient pas si bien cultivés qu’aujourd’hui, la vigne ne balançait pas ses draperies verdoyantes des deux côtés d’une route qui ressemble à l’allée d’une villa. Cette tranquille promenade était un haut mur couronné de tours et flanqué de bastions. Cependant, à cette époque, l’industrie de Lucques était infiniment plus florissante que dans notre siècle. L’activité industrielle de ce moyen-âge si orageux est un fait bien remarquable. Les métiers allaient au milieu des assauts et des guerres civiles. Lors du séjour de Dante, il y avait trois mille tisserands à Lucques ; on y fabriquait toute sorte d’étoffes de soie, et vers la même époque les marchands de laine de Florence élevaient à leurs frais la cathédrale que devait envier Michel-Ange.

C’est probablement d’ici[9] que Dante écrivit sa fière réponse à l’offre qu’on lui fit, en 1314, de lui rouvrir sa patrie, cette patrie qu’il voyait dans ses songes[10], s’il voulait se soumettre à une sorte d’amende honorable que l’usage consacrait, mais à laquelle ne pouvait se plier l’ame altière du poète. La fin de cette lettre respire une fierté antique. « Voilà donc le glorieux moyen qu’on offre à Dante Alighieri de rentrer dans sa patrie après le supplice d’un exil de près de trois lustres. C’est là ce qu’a mérité mon innocence, qui est connue de tous, et les sueurs et les fatigues que m’ont coûtées mes travaux, voilà ce qu’elles me rapportent. Loin d’un homme consacré à la philosophie, cette bassesse imprudente, bonne pour un cœur de boue ! Moi, je consentirais à être reçu en grace comme un enfant ! je pourrais rendre hommage à ceux qui m’ont offensé, comme s’ils avaient bien mérité de moi ! Ce n’est pas par ce chemin, ô mon père ! que je veux rentrer dans ma patrie. Si vous ou tout autre trouvez une voie qui n’enlève à Dante ni son honneur ni sa renommée, je l’accepte, et je n’y marcherai pas d’un pied paresseux ; mais, si je ne rentre à Florence par un chemin honorable, je n’y rentrerai jamais. Eh quoi ! le soleil et les étoiles ne se voient-ils pas de toute la terre ? Ne pourrai-je méditer sous toute zône du ciel la douce vérité si je ne me fais d’abord un homme sans gloire, ou plutôt un homme d’opprobre pour mon peuple et mon pays ? Non ; et, je l’espère, le pain même ne me manquera pas. »

C’est plus certainement ici qu’il faut placer une infidélité de Dante à la mémoire de Béatrice, car nous avons son propre aveu.

Un damné Lucquois, qui avait d’abord murmuré le nom de Gentucca, lui dit[11] : « Une femme est née qui ne porte pas encore la benda (ornement des jeunes filles), et, à cause d’elle, te plaira notre ville, quelques reproches qu’on lui adresse. » Remarquez avec quelle délicatesse Dante a soin de dire qu’en 1300, époque où il place sa vision, celle qu’il aima vers 1314, date de son séjour à Lucques, portait encore l’ornement de tête des très jeunes filles. Par là il donne les limites de son âge ; en 1314, elle ne pouvait guère avoir plus de vingt-quatre ans.

Gentucca n’était pas la première qui eût consolé le poète exilé. En 1306, il était amoureux à Padoue[12]. Il en coûte de trouver de telles faiblesses chez l’amant de Béatrice ; elles dérangent cependant moins l’imagination que les bâtards de Pétrarque. Dante avait donc bien lieu de rougir devant son amie transfigurée, quand, du sein de sa gloire, du haut de son char céleste, elle lui adressait de si sévères reproches[13]. Il avait raison de se tenir devant elle confus et la tête baissée.

Ce sont ces erreurs de Dante qui ont fait dire un peu crûment à Boccace : In questo mirifico poeta trovò amplissimo luogo la lussuria.

Du reste, je ne sais si ma partialité pour mon poète de prédilection me faisait lui chercher une excuse, mais il est certain que j’étais, à tout moment, frappé de la beauté des jeunes Lucquoises que je rencontrais dans les rues, ou que j’apercevais souriantes à leur fenêtre ; mes compagnons de voyage faisaient la même remarque. Nous entrâmes dans l’église de San-Romano, pour y admirer l’un des plus beaux tableaux de Fra Bartholomeo. La ravissante Madeleine de cette peinture ressemblait, trait pour trait, à une jeune femme que nous venions de voir dans un magasin de fromage. Il fut conclu que, si Dante devait se permettre une infidélité au souvenir adoré, il ne pouvait pas mieux le placer que dans la patrie de Gentucca.

Ce que l’on a peine à concevoir, c’est que cette ville, à laquelle le rattachait un tendre intérêt, ne lui ait inspiré que des railleries amères et des insultes ; il place parmi les adulateurs un Lucquois de la famille des Interminelli[14]. Ceux qui se souviennent du tourment infligé par Dante aux flatteurs, me dispenseront de le rappeler, et conviendront qu’il ne pouvait choisir un supplice plus rebutant ; peut-être y avait-il, dans ce choix d’un Interminelli, quelque motif d’inimitié personnelle, car à cette famille appartenait Castracani, le vainqueur d’Uguccione della Faggiola, ami et protecteur du poète. C’est contre Lucques qu’il a détaché ce trait ironique : « Tout le monde y est fripon, excepté Bonturo. » Or, Bonturo passait pour un fripon achevé. Dante semble avoir voulu montrer en passant que, s’il savait buriner une satire terrible, il saurait au besoin aiguiser un vers d’épigramme. Il place aussi force Lucquois parmi ceux qui ont séduit des femmes pour le compte d’autrui. Y aurait-il là un peu de rancune contre quelque traître qui aurait détourné de lui vers un autre les affections de la belle Gentucca ?

Le poète, qui fait toujours allusion à ce qui est local dans chaque pays, n’a eu garde d’oublier à Lucques sainte Zita[15], la patronne de la ville, et le Santo-Volto, sa principale relique.

Le tombeau de sainte Zita est dans l’église de San-Frediano, vieille et curieuse basilique, et son histoire est le sujet d’une complainte populaire que j’ai achetée dans la rue. Sainte Zita est la Paméla de la légende : c’était une pauvre servante que son maître voulait séduire. Toutes les villes d’Italie, au moyen-âge, avaient ainsi un patron ou une patronne dans le ciel, comme les anciens adoraient le génie du lieu, la divinité protectrice du pays : Minerve était la patronne d’Athènes, et Vénus la patronne de Rome. Il y a quelque chose de plus touchant dans les puissances tutélaires invoquées par les cités chrétiennes : ce sont des hommes, souvent de faibles femmes, de jeunes filles ; à Palerme, sainte Rosalie, pénitente modeste, qui vivait dans un trou de rocher, et dont la fête est accompagnée de pompes splendides et gigantesques.

L’humble et chaste servante de Lucques a été la patronne d’une république guerrière. Les grands et terribles chefs du XIVe siècle, Uguccione della Faggiola, Castruccio Castracani, se sont inclinés devant son image. Ils ont passé rapidement : leurs tombes ne se trouvent plus dans la ville où ils ont régné ; la cendre de Zita y repose encore, et Dante a prononcé son nom.

Quant au Santo-Volto, que l’on conserve dans une chapelle fermée de la cathédrale, je n’ai pu le voir ; mais à Pistoia on en montre un fac simile d’après lequel il est aisé de se convaincre que l’original est un crucifix bysantin en bois noir, probablement d’une assez haute antiquité, et pouvant remonter au VIIIe siècle, époque où l’on dit que Lucques reçut la précieuse image. Dans ce siècle, qui fut celui des iconoclastes, beaucoup d’objets pareils durent être transportés en Occident par ceux qui fuyaient la persécution des empereurs isauriens.

Voici, selon la légende, l’histoire du Santo-Volto. Après la mort et l’ascension du Sauveur, Nicodème voulut sculpter de souvenir la figure de Jésus-Christ crucifié ; déjà il avait taillé en bois la croix et le buste, et tandis qu’il s’efforçait de se rappeler les traits de son divin modèle, il s’endormit. Mais à son réveil il trouva la sainte tête sculptée, et son œuvre achevée par une main céleste. Cette légende se rattache aux histoires apocryphes, dans lesquelles figurent Joseph d’Arimathie et Nicodème ; elle pourrait bien remonter à la date du crucifix lui-même, et être née pendant les persécutions des images. Donner alors à un crucifix une origine céleste, c’était braver et flétrir les édits qui proscrivaient les représentations figurées ; c’était dire aux empereurs iconoclastes qui mutilaient les peintres et les sculpteurs chrétiens : Vous ne couperez pas la main qui a fait cette image.

Je me suis procuré une brochure imprimée à Lucques sur l’origine, l’invention et la translation du Santo-Volto. Le but de l’auteur n’est pas d’établir l’authenticité de l’œuvre de Nicodème ; il la regarde comme suffisamment démontrée. Ce qu’il veut prouver, c’est qu’un autre simulacre qui est à Beiruth, en Syrie, également de la main de Nicodème, n’a été fait que le second. C’est une discussion qui appartient tout-à-fait à un pays d’art comme l’Italie, où l’on est accoutumé à discuter si tel tableau est un original, une copie, ou une replica. L’auteur de cette brochure tient à établir que le Santo-Volto de Beiruth est une replica de celui de Lucques.

Le dernier monument de la dévotion à la précieuse image est une lampe d’argent d’une grande valeur, que les Lucquois ont suspendue dans la chapelle du Santo-Volto, parce que, grace à sa protection, la ville n’a pas été frappée par le choléra. J’avoue que j’étais plus tenté d’attribuer cette absence du fléau à la pureté, à la douceur de l’air ; mais cette explication, qui paraît plus rationnelle, n’est pas plus certaine, car la cause du choléra est encore un mystère pour tous ; d’ailleurs, la lampe d’argent ne serait pas de trop car dans tous les cas les habitans de Lucques ont à rendre grace de la bénédiction du ciel.

PISTOIA.

Pistoia joua un terrible rôle dans l’histoire de Florence et dans celle de Dante, car c’est de Pistoia que vint cette division dans le parti guelfe, en noirs et blancs, qui agita si profondément la destinée de la république et celle du poète. Au reste, ces factions durent leur dénomination, plus que leur origine, à Pistoia. Les blancs et les noirs représentaient, comme l’a très bien montré M. Fauriel, la portion purement démocratique du parti guelfe, et la portion de ce parti qui conservait des tendances gibelines. On sait que Dante était dans le premier quand il fut banni ; plus tard, le désespoir, la haine de Boniface VIII qui l’avait trahi, et une sorte d’enthousiasme mystique, où entraient pour quelque chose le respect du nom romain, la superstition des origines romaines chantées par Virgile, firent du guelfe découragé un gibelin ardent.

Les historiens contemporains s’accordent à attribuer aux habitans de Pistoia un caractère violent. L’origine de la querelle des blancs et des noirs offre des scènes d’une atrocité qui tranche même sur le fond des mœurs farouches de l’Italie au moyen-âge. Un jeune homme, appartenant aux cancellieri blancs, ayant insulté un cancellieri noir, celui-ci attaqua, le soir du même jour, le frère de l’agresseur, le blessa au visage et lui abattit la main. Le père du coupable envoya son fils au père du blessé, nommé Galfredo, pour traiter d’une satisfaction ; mais Galfredo blessa le jeune homme au visage, lui coupa la main sur une mangeoire de cheval, et le renvoya ainsi à son père.

Je me rappelais cette horrible représaille, suivie de tant d’autres, en parcourant les rues vastes et solitaires de Pistoia qu’une malédiction semble encore habiter, quand, en entrant dans le palais de la commune, bariolé, suivant l’usage italien, des écussons de tous les chefs du peuple, je rencontrai celui des cancellieri. Ce nom si fatal à Pistoia, et par suite à Florence et à Dante, se présentant là tout à coup à mes yeux, sur cette vieille muraille, parmi d’autres insignes du moyen-âge, produisit sur moi une grande impression ; il évoqua le souvenir de ces terribles haines et des luttes au sein desquelles Dante consuma sa vie.

C’est à Pistoia que Catilina fut battu. Au temps de Dante, les souvenirs romains, altérés par la tradition, étaient populaires en Toscane. On expliquait la férocité native des habitans de Pistoia en les faisant descendre des soldats de Catilina, et Dante fait allusion à cette origine dans une violente imprécation contre leur patrie[16]. Il y a encore dans cette ville la rue Catilina.

Avant d’en finir avec les blancs et les noirs, je relèverai une assertion de Ciampi, qui n’aurait pas besoin de l’être, si elle n’avait été répétée. — Cet auteur, dans une note de la vie de Cino da Pistoia, prétend que l’alternance de marbre blanc et de marbre noir, qui se remarque dans plusieurs monumens de Pistoia, est une allusion aux noms de ces deux partis politiques et à leur réconciliation. Malheureusement une construction tout-à-fait semblable se trouve dans des monumens antérieurs à la dénomination de blancs et de noirs. Pour ne citer qu’un exemple, cette singularité est très remarquable dans la cathédrale de Pise, du XIe siècle : on ne peut se réconcilier deux cents ans avant de s’être brouillé.

Ce Cino da Pistoia est celui qui enseigna le droit à Bartole ; il est cité par Dante, dans le Traité de l’éloquence vulgaire[17], comme un des trois Italiens qui avaient su tirer, en poésie, le plus grand parti de la langue vivante, et parmi lesquels Dante avait l’humilité de se compter. On est étonné qu’il n’ait mentionné Cino nulle part dans sa Divine Comédie. N’avait-il pas, dans le purgatoire, le péché d’orgueil, si commode pour introduire les poètes ? Ce silence de Dante motiva peut-être la rancune de Cino. Cino attaqua la Divine Comédie ; — ce livre qui, dit-il, renverse le droit et fait passer devant l’injustice. — Cependant il n’avait pas à se plaindre du jugement porté dans le Traité de l’éloquence vulgaire.

La tombe de Cino se voit dans la cathédrale de Pistoia ; un bas-relief le représente en chaire, enseignant le droit à un auditoire attentif. Dans une figure placée en arrière des autres, on croit reconnaître Madonna Selvaggia, à qui furent adressés les sonnets de Cino, et qui, dans une attitude modeste, écoute et inspire le professeur.

FLORENCE.

On ne trouve pas d’abord la Florence de Dante. Rien ne ressemble moins aux Toscans du XIIIe siècle que les Toscans d’aujourd’hui. Ces puissans caractères, ces passions profondes et farouches, ont fait place à des mœurs paisibles, à des habitudes aimables. À cette vie d’entreprises, de haines, de périls, a succédé une vie indolente et douce ; il n’y a rien ici de la violence concentrée du caractère romain. Les paysans même des environs de Florence ont une certaine élégance et une certaine mignardise de manières et de langage. Le vieux type toscan du moyen-âge a été graduellement effacé par la main des Médicis ; la mansuétude de Léopold a achevé d’en polir les dernières aspérités.

Il en est de même de l’aspect de Florence. Au premier coup d’œil on la trouve bien moderne. Les monumens eux-mêmes, les vieux châteaux-forts qui, comme le palais Strozzi, assombrissent les rues de leur masse noire et crénelée, sont en général moins anciens que Dante. La cathédrale était à peine commencée de son temps. Il a fallu cent soixante-six ans et le génie de Brunelleschi pour la terminer. Le seul monument actuellement existant duquel Dante fasse mention est le beau baptistère qu’il aimait tant :

Il mio bel San-Giovanni.

Cependant çà et là quelques noms et quelques vestiges rappellent la Florence du XIVe siècle. Un hasard favorable avait placé en face de ma fenêtre une muraille portant l’écusson funeste de Charles de Valois, la fleur de lis, pour Dante emblème de proscription et d’exil, aujourd’hui à son tour exilé et proscrit.

En y regardant mieux, on retrouve peu à peu la vieille Florence au sein de la nouvelle. On voit une construction moderne s’élever au-dessus d’une substruction ancienne ; des croisées à jalousies vertes se dessinent au-dessus d’un mur en pierres énormes, noires et diamantées. On trouve là les deux époques superposées. Ainsi, sur la voie Appienne, des maisonnettes de paysans sont perchées sur des tombeaux romains.

Les noms des rues transportent au temps de Dante. Souvent ce sont ceux des personnages et des familles qui figurent dans son poème. On rencontre la rue des Noirs, le crucifix des Blancs, la rue Gibeline et la rue Guelfe. En traversant ces rues à noms historiques, il semble toujours qu’on va coudoyer Farinata, Cavalcanti, ou Alighieri lui-même.

La portion de Florence où les souvenirs dantesques semblent rapprochés et concentrés, c’est celle qui avoisine la cathédrale et le baptistère. Parmi les nombreuses tours carrées qui surmontent çà et là les maisons de Florence, il en est une qu’on appelle la Tour de Dante. Auprès de la cathédrale, on voyait, il y a quelques années, une pierre sur laquelle on disait qu’il avait coutume de s’asseoir. La pierre de Dante, sasso di Dante, n’existe plus, mais une inscription tracée sur une plaque de marbre conserve le souvenir de ce souvenir, la tradition de cette tradition.

Enfin, non loin de là, existe encore le palais des Portinari. Dans ce palais était une petite fille à laquelle on donnait le nom enfantin de Bice. Le petit Dante, qui était un garçonnet du voisinage, venait partager les jeux de la jeune enfant du palais Portinari, et dès-lors commençait pour lui cette vie nouvelle qu’il a si délicieusement racontée, dès-lors était semé dans cette ame de neuf ans le germe qui devait produire un jour l’œuvre immense consacrée à immortaliser Béatrice. Ce fut un Portinari, probablement un oncle de Béatrice, qui, en 1387, fit bâtir l’hôpital de Santa-Maria-Novella. Cette date reporte aux années de la Vita nuova. Le charme qui s’attache à tout ce qui se lie au souvenir de Béatrice fait regarder avec intérêt, dans l’église, les portraits de quelques enfans de la famille Portinari.

Dans un premier voyage à Florence, j’avais déploré, comme tout le monde, que la mémoire de Dante fût absente de Santa-Croce, ce panthéon du génie et du malheur : Dante manquait à la compagnie de Machiavel et de Galilée. Quand j’entrai à Santa-Croce, en 1834, ce fut pour moi comme une fortune et une heureuse rencontre de voyage de me trouver en face d’un mausolée élevé au poète dont je cherchais partout les vestiges. Dans mon enthousiasme, je lus presque à haute voix le vers heureusement emprunté à la Divine Comédie, et transporté de l’Homère ancien à l’Homère moderne :

Honorate l’altissimo poeta.

Par malheur, l’exécution du monument n’est pas digne du sentiment patriotique qui l’a inspiré. Toute la composition est froide de pensée et froide de ciseau ; les personnages allégoriques sont lourds et communs ; Dante, assis et méditant, a l’air d’une vieille femme qui fait ses comptes de ménage. Le poète est encore plus absent de Santa Croce depuis qu’on l’y a placé. Tacite disait des images de Brutus et de Cassius qu’elles brillaient par leur absence ; ici Dante est effacé par sa présence.

Pendant que la sculpture toscane échouait ainsi devant le monument de Dante, une Française, Mlle Fauveau, tentait, avec plus de succès, de reproduire la scène éternellement célèbre des deux amans de Rimini, qui a inspiré à M. Scheffer un tableau empreint d’une si délicate poésie. À chaque pas qu’on fait dans la ville natale de Dante, on rencontre des objets qui rappellent quelques peintures ou quelques allusions de son poème. Pour en citer un entre mille, dans le cloître de Santa-Croce sont des tombeaux du moyen-âge, soutenus par des cariatides qui, le cou plié et la tête penchée, semblent gémir sous le fardeau qu’elles soutiennent. On peut remarquer ailleurs de semblables figures : telles sont, par exemple, dans la loge des Lanzi, les figures accroupies sous les arceaux. C’est un souvenir des habitudes gothiques de l’architecture dans la belle et déjà classique construction d’Orgagna.

Dante avait en vue de telles cariatides quand il leur comparait l’attitude des superbes, courbés sous le poids des rochers qu’ils portent[18], attitude exprimée dans des vers que je n’essaie pas de traduire, mais qui peignent admirablement l’espèce de fatigue qu’on éprouve à regarder ces figures. Il semble, en lisant les vers du poète, qu’on voit poser devant lui son modèle[19].

Mais, laissant la foule de détails qui peuvent faire penser à lui, c’est dans la cathédrale et dans l’église de Santa-Maria-Novella qu’il faut chercher Dante à Florence.

Dans la première de ces deux églises est un curieux tableau qui, placé maintenant moins haut qu’il ne l’était par le passé, se voit beaucoup mieux et méritait d’être bien vu. Dante, vêtu d’une robe rouge, tenant son livre ouvert, est au pied des murs de Florence, dont les portes sont fermées pour lui. Tout près, on voit l’entrée des gouffres infernaux ; Dante les montre de la main, et semble dire à ses ennemis : Vous voyez la place dont je dispose. Mais il y a plus de douleur que de menace sur son visage qu’il penche tristement. La vengeance ne le console pas de l’exil. Plus loin s’élève la montagne du purgatoire avec ses rampes circulaires, et au sommet l’arbre de vie du paradis terrestre. Le paradis est désigné par des cercles un peu indistincts qui entourent toute la composition. Dante est là avec son œuvre et sa destinée. Cette curieuse représentation est de 1450. Son auteur fut un religieux qui expliquait alors la Divine Comédie dans la cathédrale. Ainsi, cent trente ans après la mort de Dante, un cours public sur son poème avait lieu dans la cathédrale, et on suspendait aux parois de l’église l’image du poète à côté de celles des prophètes et des saints.

À Santa-Maria-Novella, il est plus extraordinaire encore de trouver, non pas son portrait, mais celui de son enfer. Orgagna a couvert tout un mur de chapelle[20] d’une vaste fresque. La distribution du séjour des damnés, selon la Divine Comédie, est reproduite dans le plus grand détail et avec une scrupuleuse exactitude, comme si c’était article de foi et non fiction de poésie.

Ceci est bien autre chose que l’enfer du Campo-Santo de Pise ; ici se retrouve toute la topographie de l’enfer dantesque, autant du moins que la surface dont le peintre pouvait disposer le lui a permis. Ainsi il n’y a pas eu place dans le champ de la fresque pour les hypocrites, mais le nom est écrit à l’extrémité du tableau, et montre l’intention où eût été le peintre de les y faire entrer si l’espace ne lui avait manqué. Du reste, rien n’est déguisé ou dissimulé de ce qu’il y a de plus cru et parfois de plus grossier dans la peinture de certains supplices ; la rixe de maître Adam, le faux monnayeur hydropique et haletant de soif, est représentée au naturel ; on dirait un duel de boxeurs. Les flatteurs sont plongés dans l’espèce de fange par laquelle Dante a voulu exprimer tout son dégoût pour les ames infectées de ce vice qui empeste les cours.

Ce qui est plus étrange, là, dans une chapelle, le pinceau du peintre n’a pas craint de reproduire cette bizarre alliance du dogme chrétien et des fables païennes que s’était permise le poète, docile au génie de son temps, et qui étonne encore plus quand on la voit que quand on la lit. Ainsi des centaures poursuivent, sur les murs de Santa-Maria-Novella, comme dans la Divine Comédie, les violens et les percent de flèches ; les harpies, souvenir profane de l’Énéide, où elles sont plus à leur place que dans l’épopée catholique, sont perchées sur les tristes rameaux d’où elles jettent des plaintes lugubres ; enfin les furies se dressent au-dessus de l’abîme sur leur tour embrasée.

En face de l’enfer, Orgagna a représenté la gloire du paradis. Les cercles célestes de Dante ne se prêtaient pas à la peinture comme les bolges infernales. Orgagna n’a donc pu suivre avec la même fidélité la fantaisie du poète. Cependant ce qui domine ces sortes de tableaux au moyen-âge, savoir, la glorification de la Vierge, est aussi ce qui couronne le grand tableau de Dante.

Dans le cloître de la même église est la chapelle des Espagnols, où se voient d’autres peintures du XIVe siècle qui ne sont point copiées de Dante, mais offrent dans leur ensemble un système de composition, et dans leurs détails des associations d’idées, qui peuvent éclairer la composition et certains détails de la Divine Comédie.

Les admirables fresques de cette chapelle, dont les auteurs sont Thadéo Gaddi et Siméon Memmi, offrent à l’œil ce mélange d’histoire et d’allégorie, ce caractère à la fois encyclopédique et symbolique qui appartient à l’œuvre de Dante, ainsi qu’à beaucoup d’autres poèmes du moyen-âge, conçus dans le même esprit, mais non avec le même génie. Siméon Memmi a fait une peinture de la société civile et ecclésiastique : toutes les conditions sociales sont rassemblées dans ce tableau, qui est comme une immense revue de l’humanité. Le pape et l’empereur figurent au centre, selon le système de Dante ; les portraits des personnages célèbres du temps s’y trouvent ; on y voit des personnages purement allégoriques, ou dont l’image est prise pour une allégorie sans cesser d’être un portrait. Laure représente la volonté dans la peinture de Memmi, exactement comme Béatrice la contemplation dans celle de Dante.

On peut remarquer que Dante a coutume de choisir dans l’histoire un personnage comme type d’une qualité, d’un vice, d’une science, et emploie tour à tour ce procédé et l’allégorie pour réaliser une abstraction. De même, dans la fresque de Thadéo Gaddi, quatorze sciences ou arts sont exprimés par des figures de femmes, au-dessous desquelles sont placés des personnages typiques qui sont des symboles historiques de chaque science. La première est le droit civil avec Justinien ; le droit canonique ne vient qu’après. Cet ordre est bien dans les idées politiques de Dante. La grande part qu’il voulait faire dans ce monde au pouvoir impérial l’a porté à choisir aussi Justinien pour représenter la Justice dans Mercure, planète où il a placé la récompense de cette vertu, en dépit de ce que la morale et l’orthodoxie pouvaient reprocher à l’époux de Théodora.

Dans ces peintures, on retrouve donc sans cesse des conceptions semblables à celles de Dante, ou inspirées par elles ; on remonte à lui comme à une source, ou on descend vers lui comme à une mer qui a reçu dans son sein tous les courans d’idées qui ont alimenté l’art au moyen-âge.

LA VALLEE DE L’ARNO.

Il n’y a peut-être pas en Italie un pays dont les souvenirs soient plus fréquemment mêlés aux affections personnelles de Dante que la portion supérieure de la vallée de l’Arno. Depuis quelque temps, les pas des voyageurs commencent à se tourner de ce côté. On commence à s’apercevoir qu’il y a autre chose en Italie que des capitales. Les petites villes, les châteaux isolés, les vallées solitaires, les cloîtres enfoncés dans les profondeurs ou perchés sur les crêtes de l’Apennin, ont bien aussi leur intérêt et leur physionomie. Il y a toujours profit à sortir des routes battues. On fait maintenant ce qu’on appelle la course des sanctuaires. Partant de Florence, on visite en quelques jours Vallombreuse, les Camaldules, l’Alvernia, berceau des franciscains, lieu consacré par la vocation de saint François, qui y reçut les stigmates. Pour moi, cette course avait un intérêt particulier ; j’étais attiré par une foule de localités vers lesquelles m’appelaient des vers que Dante leur a consacrés. Pèlerin d’une espèce nouvelle, j’allais, admirant les sanctuaires qu’ont rendus fameux les merveilles de la légende, me prosterner devant le sanctuaire de la nature, immortalisé par les miracles du génie.

Vallombreuse a dû en partie sa célébrité à l’harmonie de son beau nom. Milton y a contribué aussi par une comparaison célèbre, l’une de ces réminiscences d’Italie qui abondent dans son poème, si anglais pourtant par le fond. Ce couvent n’est pas un des plus remarquables de la Toscane ; les deux autres que j’ai nommés tout à l’heure, les Camaldules et l’Alvernia, lui sont bien supérieurs par l’aspect pittoresque des lieux environnans. L’église est moderne et sans caractère. Cependant l’arrivée à Vallombreuse frappe et surtout étonne fortement. Si près de Florence, on trouve avec surprise un grand bois de sapins, et comme un site de la Norvège ou de la Suisse. En mettant le pied sur le plateau où s’élève le monastère, je me crus transporté sous une autre latitude ; le vent même avait changé ; une brise froide soufflait à travers les troncs des sapins ; sous leur feuillage noirâtre une eau sombre murmurait.

Mais Dante n’a pas nommé Vallombreuse, et nous n’avons pas à nous y arrêter. Il a nommé le fondateur des Camaldules, saint Romuald[21], et il a parlé du saint désert, de l’Ermo[22], nom qui paraît attribué aux lieux occupés par cet ordre. Il y a aussi au-dessus de Naples des Camaldules, et un saint désert, Saint-Ermo, qui donne son nom au château Saint-Edme, et semble avoir été pris pour un nom de saint. C’est ainsi que la sainte image, Vieron ikôn, est devenue sainte Véronique, tant l’imagination, surtout chez les peuples méridionaux, est disposée à tout personnifier.

L’Ermo des Camaldules est mentionné dans le Purgatoire à propos de la bataille de Campaldino, célèbre par la mort de Buonconte di Montefeltro, qui mourut sur les bords de l’Archiano, torrent qui va se jeter dans l’Arno, et qui prend sa source au-dessus du couvent des Camaldules :

Che sovra l’Ermo nasce in Apennino[23].

C’est dans la plaine de Campaldino, aujourd’hui riante et couverte de vignes, qu’eut lieu, le 11 juin 1289, un rude combat entre les guelfes de Florence et les fuorisciti gibelins, secondés par les Aretins. Dante combattit au premier rang de la cavalerie florentine, car il fallait que cet homme, dont la vie fut si complète, avant d’être théologien, diplomate, poète, eût été soldat. Il avait alors vingt-quatre ans. Lui-même racontait cette bataille dans une lettre dont il ne reste que quelques lignes. « Dans la bataille de Campaldino, le parti gibelin fut presque entièrement mort et défait. Je m’y trouvais, novice dans les armes ; j’y eus grande crainte, et, sur la fin, grande allégresse, à cause des diverses chances de la bataille. » Il ne faut pas voir dans cette phrase l’aveu d’un manque de courage, qui ne pouvait se trouver dans une ame trempée comme celle d’Alighieri. La seule peur qu’il eut, c’est que la bataille ne fût perdue. En effet, les Florentins parurent d’abord battus : la cavalerie arétine fit plier leur infanterie ; mais ce premier avantage de l’ennemi le perdit en divisant ses forces. Ce sont là les vicissitudes de la bataille auxquelles Dante fait allusion, et qui excitèrent d’abord son inquiétude, puis causèrent son allégresse.

À cette courte campagne nous devons peut-être un des morceaux les plus admirables et les plus célèbres de la Divine Comédie. Ce fut alors que Dante fit amitié avec Bernardino della Polenta, frère de cette Françoise de Ravenne que le lieu de sa mort a fait appeler à tort Françoise de Rimini. On peut croire que son amitié pour le frère a rendu le poète encore plus sensible aux infortunes de la sœur.

À côté du champ de bataille de Campaldino s’élève la jolie ville de Poppi, dont le château a été bâti en 1230 par le père de cet Arnolfe qui éleva quelques années plus tard le palais vieux de Florence. Dans ce château, on montre la chambre à coucher de la belle et sage Gualdrade, que Dante appelle la buona Gualdrada[24], et sur laquelle Villani rapporte l’anecdote suivante, qui ne manque ni de naïveté, ni de grace, et que m’a racontée avec beaucoup de simplicité un bon curé de la Pieve di Romena, qui connaissait très bien ce qui se rapporte à Dante dans ces localités. « Othon IV ayant vu la belle Gualdrada, fille de messer Bellincione Berti, demanda qui elle était ; Bellincione répondit qu’elle était fille de quelqu’un qui répondait à l’empereur de la lui faire embrasser. Mais la jeune fille ayant entendu ces paroles, rougit, se leva, et dit : « Nul homme vivant ne m’embrassera, s’il n’est mon mari. »

Dante n’a donné qu’un vers à l’Alvernia, « cet âpre rocher qui sépare les sources de l’Arno de la source du Tibre : »

Nel credo sasso tra Tevere ed Arno[25].
Mais ce vers expressif fait partie du magnifique éloge de saint Francois, qu’il a placé dans la bouche de saint Thomas d’Aquin.

Je me sentais avec Dante en ce lieu tout plein de la mémoire des miracles de saint François, sur cet âpre rocher de l’Apennin, d’où s’est répandu sur le monde l’ordre fameux qui a régénéré le catholicisme au moyen-âge, et dont le poète du catholicisme et du moyen-âge a si magnifiquement exalté le fondateur. Je rencontrai, en arrivant au monastère, la foule de pèlerins qui se retiraient après être venus célébrer la fête des Stigmates. Plusieurs centaines d’hommes et de femmes avaient été reçus hospitalièrement par les moines. Une portion de cette foule avait couché dans l’église de Saint-François.

La foi du XIIIe siècle était encore là, et, chose curieuse ! elle y était représentée par un franciscain de Marseille ! Le frère Jean Baptiste me conduisit aux divers lieux témoins des merveilles opérées par saint François. En me racontant ces merveilles, il semblait les voir. « C’est ici, disait-il, que le miracle s’accomplit ; le saint était là où je suis. » Et en prononçant ces paroles, la physionomie, la voix, les gestes de frère Jean-Baptiste exprimaient une invincible certitude. Il m’a montré des rochers fendus et brisés par quelque accident géologique, et m’a dit : « Voyez comme le sein de la terre a été déchiré dans la nuit où le Christ est descendu aux enfers pour y chercher les ames des justes morts avant sa venue ! Comment expliquer autrement ce désordre ? Ceci, ce n’est pas moi qui vous le raconte, vous le voyez de vos yeux, vous le voyez ! »

J’écoutais avec d’autant plus d’intérêt, que Dante fait allusion à la même croyance. Pour passer dans le cercle des violens, il lui faut franchir un éboulement de rochers auquel Virgile attribue la même origine. Il le rapporte aussi au tremblement qui agita l’abîme le jour où le Christ y descendit. Virgile dit exactement à Dante ce que me disait le frère Jean-Baptiste[26].

Descendu de l’Alvernia, j’arrivai le soir, par un beau clair de lune, dans la petite ville de Bibiena : c’était quitter les Alpes et retrouver l’Italie. Au lieu du vent froid des hauteurs, une tiède brise courait légèrement sur les oliviers blanchis par la lune. Les villas qu’elle éclairait semblaient resplendir dans l’ombre. La gaieté bruyante d’une soirée d’été animait les rues étroites de Bibiena. Une jolie petite fille sortait d’une écurie en chantant : Io son la sorella d’amor. C’est un des charmes de cette course du Casentin que le passage presque subit des sauvages horreurs de la nature alpestre et des rigueurs de la vie monacale à ce que la nature et la vie italienne ont de plus brillant, de plus animé, de plus doux. Ainsi, dans la Divine Comédie, une image gracieuse, une comparaison riante vous console des terreurs de l’enfer, ou vous délasse des sublimes contemplations du paradis.

Mais je voulais m’enfoncer plus avant dans la vallée de l’Arno, remonter jusqu’à sa source, et gravir la montagne de Falterona, son berceau, montagne du sommet de laquelle on embrasse le cours tout entier du fleuve que Dante a si énergiquement maudit.

Sur la route, on rencontre plusieurs lieux empreints de son souvenir ou de ses vers. La tour de Romena est encore debout. Là, un Bressan, nommé maître Adam, à l’instigation des comtes de Romena, fabriqua de faux florins aux armes de la république, et fut brûlé dans un lieu qui, en mémoire de cet évènement, s’appelle encore la Consuma. Chaque passant avait coutume de jeter là une pierre. Mon guide connaissait le Monceau du Mort ; mais il ignorait l’histoire de maître Adam ; il savait seulement qu’un homme avait été tué en ce lieu. C’est ainsi que souvent une tradition se survit à elle-même dans un souvenir incomplet.

Dante a eu deux motifs pour donner dans son poème une attention assez considérable à cet obscur faux-monnayeur. D’abord, falsifier le florin, ce grand instrument du commerce et de la prospérité florentine, devait être un crime aux yeux du patriote exilé de Florence. En outre, les comtes de Romena, qui s’étaient servis de maître Adam pour cette criminelle entreprise, avaient excité le ressentiment du poète ; il s’était d’abord réfugié chez eux ; puis, après qu’eut échoué la malencontreuse expédition tentée par Dante et les autres bannis pour rentrer dans Florence, indigné de la mollesse avec laquelle ces seigneurs soutenaient sa cause, il les avait abandonnés : de là peut-être cette mention d’un crime auquel ils avaient participé et qui avait été honteusement puni. Du reste, les grands personnages usaient volontiers de ce moyen d’augmenter leurs richesses. Nous voyons, dans le Paradis[27], qu’un roi d’Esclavonie avait frappé de faux ducats de Venise. On ne brûlait ni les comtes, ni les rois faux-monnayeurs, comme le pauvre maître Adam ; mais la poésie vengeresse de Dante faisait justice de ces attentats que la loi n’atteignait pas.

Maître Adam est puni de son amour coupable pour les richesses par une soif ardente ; son corps est enflé par l’hydropisie, son visage est amaigri par les tortures de la soif, et dans cet état il est poursuivi par l’image des vallées que je parcourais et des petits ruisseaux qui, des vertes collines du Casentin, descendent dans l’Arno.

Li ruscelletti che di verdi colli
Del Casentin discendon giù in Àrno,
Facendo i lor canali e freddi e molli
[28].

Il y a dans ces vers intraduisibles un sentiment de fraîcheur humide qui fait presque frissonner. Je dois à la vérité de dire que le Casentin était beaucoup moins frais et moins verdoyant dans la réalité que dans la poésie de Dante, et qu’au milieu de l’aridité qui m’entourait, cette poésie, par sa perfection même, me faisait éprouver quelque chose du supplice de maître Adam.

Animé d’une haine toute dantesque, maître Adam s’écrie que, s’il pouvait voir les comtes de Romena partager ses tourmens, il ne donnerait pas cette vue pour les eaux de Fonte-Branda. On a cru que cette fontaine était celle qui, à Sienne, porte le même nom ; mais la grande célébrité que celle-ci doit à sa situation et à son architecture ne saurait faire admettre qu’il en soit ici question. La Fonte-Branda, mentionnée par maître Adam, est certainement la fontaine qui coule encore non loin de la tour de Romena, entre le lieu du crime et celui du supplice.

Plus loin est une autre tour, celle de Porciano, qu’on dit avoir été habitée par Dante. De là il me restait à gravir les cimes de la Falterona. Je me mis en route vers minuit, pour arriver avant le lever du soleil. Je me disais : Que de fois a erré dans ces montagnes le poète dont je suis les traces ! C’est par ces petits sentiers alpestres qu’il allait et venait, se rendant chez ses amis de la Romagne ou chez ceux du comté d’Urbin, le cœur agité d’un espoir qui ne devait jamais s’accomplir. Je me figurais Dante cheminant avec un guide à la clarté des étoiles, recevant toutes les impressions que produisent les lieux agrestes et tourmentés, les chemins escarpés, les vallées profondes, les accidens d’une route longue et pénible, impressions qu’il devait transporter dans son poème. Il suffirait d’avoir lu ce poème pour être certain que son auteur a beaucoup voyagé, beaucoup erré. Dante marche véritablement avec Virgile. Il se fatigue à monter, il s’arrête pour reprendre haleine, il s’aide de la main quand le pied ne suffit pas. Il se perd et demande sa route. Il observe la hauteur du soleil et des astres. En un mot, on retrouve les habitudes et les souvenirs du voyageur, à tous les vers ou mieux à tous les pas de sa pérégrination poétique.

Dante a certainement gravi le sommet de la Falterona. C’est de ce sommet d’où l’on embrasse toute la vallée de l’Arno, qu’il faut lire la singulière imprécation que le poète a prononcée contre cette vallée tout entière. Il suit le cours du fleuve, et, à mesure qu’il avance, il marque tous les lieux qu’il rencontre d’une invective ardente. Plus il marche, plus sa haine redouble de violence et d’âpreté[29]. C’est un morceau de topographie satirique dont je ne connais aucun autre exemple.

Dans le XIVe chant du Purgatoire, Dante rencontre deux Romagnols ; l’un d’eux lui demande d’où il vient, et Dante commence ainsi : « À travers la Toscane s’épand un fleuve qui a sa source dans Falterone, et dont cent milles n’épuisent pas la course. — Il me semble, dit un des interlocuteurs du poète, que tu parles de l’Arno. — Pourquoi, ajoute un autre damné, celui-ci a-t-il caché le nom de cette rivière, comme on fait d’une chose odieuse ? » L’ombre répond qu’il est bien juste que le nom d’une telle vallée périsse, car, depuis son commencement jusqu’à sa fin, on fuit la vertu comme une vipère. Il continue ainsi : « D’abord, l’Arno rencontre des pourceaux indignes de la nourriture des hommes (ceci est peut-être une allusion au nom du château de Porciano, qui appartenait aux comtes Guidi de Romena), puis des roquets plus hargneux que ne le comporte leur pouvoir. » Ce sont les Arétins, ils étaient gibelins. Dans le langage symbolique de Dante, les gibelins sont toujours représentés par des chiens, et les guelfes par des loups. De plus, les Arétins passent encore pour avoir une humeur querelleuse qui contraste avec la douceur générale du caractère toscan, et j’ai pu m’assurer qu’au moins pour les gens du peuple, cette réputation était méritée. L’Arno, arrivé près d’Arezzo, fait brusquement un coude en se dirigeant vers Florence. Cette circonstance n’a pas échappé à Dante, qui a vu dans cet accident géographique une image et une expression de ses sentimens pour les Arétins, et, prêtant à la vallée de l’Arno son propre dédain, il a écrit ce vers, qui serait trop burlesque en français :

E a lor disdegnosa torce il muso.

Puis il continue à descendre de plus en plus dans ce qu’il appelle la fosse misérable et maudite :

La maladetta e sventurata fossa.

L’expression fossa est d’autant plus exacte que le lit de l’Arno, entre Arezzo et Florence, est souvent une fosse profonde et resserrée. Les eaux du fleuve, pour se frayer un passage, ont coupé les collines en deux endroits, un peu après Arezzo, vers l’embouchure de la Chiana, et à l’Incisa, patrie de Pétrarque.

Après les pourceaux du Casentin et les chiens d’Arezzo, viennent les loups de Florence et enfin les renards de Pise, de cette Pise que Dante a appelée ailleurs l’opprobre des nations. Pise était gibeline aussi bien qu’Arezzo. Dante avait autrefois combattu contre les Arétins à Campaldino, contre les Pisans au siége de Caprona, et, bien qu’allié par l’exil et la proscription aux gibelins fugitifs, bien que rêvant jusqu’au délire l’omnipotence impériale, les anciennes inimitiés du guelfe vivaient toujours en lui, et faisaient explosion en présence des lieux qui les lui rappelaient.

Avant de terminer le récit de cette course dans le Casentin, je dois retracer un incident assez bizarre de cette partie de mon voyage dantesque. Arrivé à Borgo alla Collina, je fus entouré par plusieurs personnes du pays, à la tête desquelles était un prêtre qui, fort obligeamment, m’offrit de me montrer le corps d’un saint conservé miraculeusement. Je les suivis à l’église ; on souleva la pierre du sépulcre, et on me montra la figure desséchée du saint homme. J’allais me retirer quand, à ma grande surprise, jetant les yeux sur l’épitaphe, je découvris le nom de Landino, le célèbre commentateur de Dante au XVIe siècle. J’ai vu depuis à Florence, dans la bibliothèque Mabeglichiana, un magnifique exemplaire de ce commentaire, offert par Landino à la république. Une note manuscrite apprend que la république, en récompense de ce présent et de cet énorme travail, a accordé des terres à Landino, près de Borgo sa patrie. Il y repose maintenant, et ses compatriotes, qui probablement ignorent sa gloire d’érudit, lui ont décerné les honneurs de la sainteté. Cette renommée vaut bien l’autre, et je me gardai de désabuser ceux qui m’entouraient ; j’aurais craint de faire baisser dans leur esprit l’importance de leur concitoyen. En m’éloignant, je ne pus m’empêcher de sourire de cette rencontre inattendue et symbolique. Partout, dans la nature des lieux, dans la mémoire des hommes, j’avais trouvé vivant l’esprit du poète, et ici je trouvais desséchée la momie du commentateur.

Au-delà d’Arezzo commence la riante vallée de la Chiana. C’était au temps de Dante un lieu pestilentiel ; pour désigner un amas de corps souffrans et infects, de membres tombant en pourriture, le poète dit « qu’il en serait ainsi si tous les malades de Val-di-Chiana et de la Maremme, entre juillet et septembre (saison des fièvres), étaient réunis dans une même fosse[30]. » Maintenant le Val-di-Chiana est la partie la plus fertile et la plus riche de la Toscane ; cet heureux changement est dû à de magnifiques travaux de dessèchemens. Le souverain actuel en a entrepris de pareils dans la Maremme toscane, et il est à espérer qu’avec le temps la comparaison de Dante ne deviendra pas moins fausse pour ce pays que pour le Val-di-Chiana.

SIENNE.

Avant d’arriver à Sienne, on trouve encore un frappant exemple de l’exactitude pittoresque qui caractérise toujours les brèves descriptions de Dante. Il compare les géans qui se dressent en cercle au-dessus de l’abîme[31] au château-fort de Montereggion, qui s’élève sur une éminence voisine de Sienne, et la couronne de tours. Ce château-fort, au dire des commentateurs, était garni de tours dans toute sa circonférence, et n’en avait aucune au centre. Dans son état actuel il est encore très fidèlement dépeint par ce vers

Montereggion di torri si corona.

Les comparaisons de Dante sont empruntées souvent aux localités avec tant de bonheur et de justesse, que sans cesse un site, un aspect rappelle un vers ou une image du poète. Un voyage dans les lieux où Dante a vécu est une perpétuelle illustration de son poème.

Sienne la gibeline n’est guère mieux traitée que Florence la guelfe. — Ce que Dante reproche surtout aux Siennois, c’est leur vanité, qui l’emporte même sur la vanité française[32]. Cette saillie, inspirée à Dante par son dépit contre la France, montre que nous avions déjà, au moyen-âge, la réputation d’un défaut dont on s’est accordé généralement à nous gratifier.

Laissant de côté la question de la vanité française que mon patriotisme me détourne d’examiner, je soupçonne l’influence de quelque mécompte du banni sur le langage du poète. À peine Dante eut-il appris à Rome les funestes nouvelles de la trahison du pape, de l’occupation de Florence par Charles de Valois, du triomphe sanglant des noirs, qu’il vint à Sienne, où s’étaient réfugiés les blancs exilés de Florence ; mais il n’y resta pas long-temps. Peut-être les fuorisciti ne trouvèrent-ils pas dans cette ville tout l’appui qu’ils en attendaient ; les bannis sont difficiles à contenter. Dante vengea probablement ses espérances trompées par la boutade dont nous avons eu notre part.

Cette humeur contre les Siennois l’a rendu injuste pour Provenzano Salviani[33], le glorieux vainqueur de Mont-Aperti, auquel il reproche, sans aucune vraisemblance historique, d’avoir voulu se rendre maître de Sienne[34]. Si Dante l’accuse d’ambition et d’orgueil, du moins lui reconnaissait-il de la générosité, car il fait allusion à un trait bizarre, mais qui respire le dévouement exalté des amitiés chevaleresques. Un ami de Provenzano Salviani avait été fait prisonnier par le roi de Sicile, et devait perdre la tête si, dans un court délai, il n’avait payé une énorme rançon. Provenzano, pour sauver son ami, eut le courage de mendier cette rançon au milieu de la place publique,

Liberamente nel campo di Siena,

dans le lieu qui s’appelle encore aujourd’hui, comme alors, Campo di Siena[35].

Dans presque toutes les villes d’Italie, la place publique, située en général à côté du palais communal, est un lieu remarquable. Dans les plus humbles cités, elle est entourée d’un portique appelé loggia ; c’est sur ce plan que se construisaient les forums, selon Vitruve. Il y a une double réminiscence des mœurs antiques et des mœurs républicaines du moyen-âge dans l’importance qu’a la piazza, même de nos jours. Elle n’a point de nom particulier, elle est la place, le champ : on dit aller in piazza, comme on disait aller au forum.

Aucun lieu de ce genre n’est plus frappant que le Campo de Sienne : sa forme est presque ovale ; d’un côté, de grands palais en dessinent le contour par leurs façades infléchies. Le sol incliné descend par une pente douce jusqu’au pied de l’ancien palais de ville ; du sommet de ce palais, une tour isolée s’élance hardiment dans les airs. Sur ce terrain elliptique et incliné se font chaque année des courses de chevaux tellement périlleuses, que des matelas sont disposés pour recevoir les chevaux et les cavaliers. Des fêtes analogues avaient déjà lieu au temps de Dante, et la tradition rapporte qu’il assista à une de ces fêtes, sans savoir ce qui se passait autour de lui, tant on se le représentait comme un homme d’extase et de contemplation, vivant par la pensée dans un autre monde.

La bataille de Mont-Aperti, gagnée sur les guelfes de Florence par les bannis gibelins, alliés aux Siennois, fut une de ces rencontres dans lesquelles les haines de ville à ville se mêlaient à l’acharnement des partis ; elle fit beaucoup d’impression en Toscane, et elle exalta considérablement ce que Dante aurait appelé la vanité des Siennois ; on combattit avec acharnement sur les bords de l’Arbia, petite rivière qu’on passe à quelques milles après Sienne, sur la route de Rome.

Dante a exprimé avec sa précision et sa vigueur accoutumées combien fut sanglante cette bataille, qu’il appelle « le carnage et le grand massacre qui colorèrent en rouge l’Arbia[36]. » On conserve et l’on montre encore aujourd’hui, dans la splendide cathédrale de Sienne, le crucifix qui servait de bannière aux Siennois, ainsi que le mât planté sur le carroccio des Florentins, et qui portait leur étendard[37]. Il y a plaisir à voir de ses yeux, à toucher de ses mains, un semblable trophée. Il fut vaillamment conquis et vaillamment disputé. Un Florentin, nommé Tornaquinci, périt avec ses sept enfans en défendant le carroccio. On croit assister aux luttes de Mécène et de Lacédémone.

Un récit contemporain de cette bataille célébrée par Dante vient d’être retrouvé et publié à Sienne[38] ; c’est un récit de chronique auquel par moment la simplicité communique une touchante poésie. Le syndic Buona-Guida propose au peuple de donner la ville et le pays à la vierge Marie. « Et le susdit Buona-Guida se dépouilla le chef et les pieds, puis en chemise, la corde au cou, il fit enlever les clés de toutes les portes de Sienne, et, les ayant prises, il marcha à la tête du peuple, qui était déchaux comme lui, avec larmes et gémissemens ; il se rendit à la cathédrale, et tout le peuple, y étant entré, cria miséricorde. Alors s’avança l’évêque avec les prêtres ; Buona-Guida se prosterna aux pieds de l’évêque, et tout le peuple se mit à genoux. L’évêque prit Buona-Guida par les mains, et le releva de terre, puis l’embrassa et le baisa, et tous les citoyens firent de même, pleins de charité et d’amour, oubliant toutes les injures passées, et Buona-Guida les donna tous à la vierge Marie. » Telles sont les humbles et pieuses préparations de la bataille, mais l’orgueil des Siennois reparaît dans le triomphe. Ils prirent l’âne d’une certaine Ussilia, revendeuse de légumes, qui, dit la chronique, avait reçu après la victoire la soumission de trente prisonniers ; à la queue de cet âne, ils attachèrent l’étendard florentin, pour qu’il fût traîné dans la poussière, ainsi que la grosse cloche appelée Martinella, que les Florentins avaient coutume de sonner avant d’entrer en campagne pour avertir leurs ennemis de se tenir sur leurs gardes.

On ne peut quitter Sienne sans s’être fait montrer la demeure de la Pia, cette femme sur la destinée de laquelle Dante a jeté un mystérieux intérêt.

Une ombre s’approche et lui dit[39] : « Quand tu seras retourné dans le monde, et que tu te seras reposé de ce long voyage, qu’il te souvienne de moi, je suis la Pia. Sienne m’a faite, la Maremme m’a défaite. Il le sait, celui-là qui avait placé à mon doigt l’anneau de mariage. »

Quelle était cette femme malheureuse et peut-être coupable ? Les commentateurs disent qu’elle était de la famille de Tolomei, illustre à Sienne. Parmi les différentes versions de son histoire, il en est une vraiment terrible. L’époux outragé aurait emmené sa compagne dans un château isolé au milieu de la Maremme de Sienne, et là il se serait enfermé avec la victime, attendant sa vengeance de l’atmosphère empoisonnée de cette solitude. Respirant avec elle l’air qui la tuait, il l’aurait vue lentement dépérir. Ce funèbre tête-à-tête l’eût toujours trouvé impassible jusqu’à ce que, suivant l’expression de Dante, la Maremme eût défait celle qu’il avait aimée. Cette lugubre histoire pourrait bien n’avoir d’autre fondement que l’énigme des vers de Dante et l’effroi dont cette énigme aurait frappé les imaginations contemporaines.

Quoi qu’il en soit, on ne peut se défendre d’un frémissement involontaire, quand, en vous montrant un joli petit palais en brique, dont les croisées sont soutenues par des colonnettes de marbre, on vous dit : C’est la maison de la Pia.

PÉROUSE ET ASSISE.

En allant à Assise visiter la patrie de saint François, le lieu que Dante a célébré dans cette magnifique histoire du triomphe et du martyre de la pauvreté évangélique, dont le fondateur des ordres mendians est le prodigieux héros, j’ai traversé Pérouse. Dante ne la désigne qu’en passant, mais c’est par une de ces indications topographiques dont je ne me lasse pas de noter l’exactitude. Étant allé deux fois à Pérouse, j’y ai éprouvé le double effet du mont Ubaldo, qui, dit le poète, fait ressentir à cette ville le froid et la chaleur :

Onde Perugia sente freddo e caldo[40].

c’est-à-dire qui tour à tour réfléchit sur elle les rayons du soleil, et lui envoie les vents glacés qui passent sur ses froids sommets. Je n’ai que trop pu vérifier la justesse de l’observation de Dante, surtout en ce qui concerne la froide température que Pérouse, quand elle n’est pas brûlante, doit au mont Ubaldo. J’arrivai devant cette ville par une brillante nuit d’automne ; j’eus le temps de commenter tout à mon aise les bises de l’Ubaldo, en gravissant au petit pas la sinuosité de la route qui conduit aux portes de la ville fortifiée par un pape. Après de longs détours, je me croyais arrivé, quand je vis au-dessus de ma tête le double étage des murs de la forteresse et les hauts glacis qui la défendent. Aux portes de cette cité, d’un aspect guerrier, et qui fut la patrie de plusieurs grands capitaines italiens, j’étais sous l’impression de quelque chose de formidable ; cette impression ne diminua point quand j’entrai dans la ville par une large rue bordée de grands palais muets ; quand j’errai dans les rues plus étroites au pied de ces vastes demeures où ne brillait pas une lumière, d’où ne descendait aucun bruit, d’où ne sortait personne ; quand j’entrevis les gigantesques portes étrusques grandies par les clartés de la lune et, par les ombres de la nuit. C’était bien la triste Pérouse, Perugia dolente[41].

Dans un premier voyage, suivant déjà les traces poétiques de Dante, j’étais arrivé au couvent de l’Alvernia le jour où le rénovateur de l’esprit chrétien, le nouveau Christ, comme l’appellent les franciscains[42], reçut les stigmates, c’est-à-dire l’empreinte sur ses mains et sur ses pieds des clous qui attachèrent le Sauveur sur la croix. Le lendemain du jour commémoratif de ce grand évènement, j’avais vu s’en retourner cette foule immense d’hommes, de femmes, d’enfans qui étaient venus honorer le saint, et profiter de l’hospitalité sans bornes des moines mendians. Un autre hasard m’amenait quatre ans plus tard à Assise le jour de la fête de saint François. Ce n’était pas un instant bien choisi pour voir les fresques de Cimabuë, de Giotto et de Memmi, mais c’était une rencontre curieuse pour qui voulait apprendre ce qu’ont encore d’énergie les institutions du moyen-âge. Je suis retourné à Assise pour les fresques ; mais dans aucun autre moment je n’aurais vu cette église à trois étages remplie par la dévotion des fidèles accourus de toutes parts, je n’aurais vu le soir, en m’éloignant, le majestueux portique qui domine le cloître, illuminé dans toute son étendue, se dessiner dans la nuit, ni entendu les chants qui s’élevaient pour célébrer le jour où naquit, il y a six cents ans, un pauvre moine. En les écoutant, je me disais : C’est cet évènement qu’on célèbre aujourd’hui qui a fait dire au plus grand poète des temps modernes, parlant de la petite ville où je suis[43] : « Ici est né, pour le monde, un soleil, comme l’autre sort du Gange ; que celui qui voudrait nommer ce lieu ne dise pas Assise, il dirait trop peu, mais qu’il dise Orient, s’il veut bien parler. »

Cette hyperbole qui nous étonne n’est pas trop forte pour exprimer l’enthousiasme qu’inspira au moyen-âge cet héroïsme du renoncement, et, selon le langage énergique de Dante, ce saint mariage avec la pauvreté, veuve depuis douze siècles de son premier époux[44].

Il n’est pas surprenant que la peinture contemporaine de Dante ait été l’organe d’un sentiment universel. Les deux pères de cet art sont en présence dans l’église supérieure d’Assise ; Giotto n’a point laissé d’ouvrage où la naïveté se mêle mieux à un certain grandiose que dans les fresques d’Assise. On voit près de lui son devancier le vieux Cimabuë, celui auquel il avait enlevé la faveur publique.

Credette Cimabue, nella pittura.
Tener lo campo ed ora ha Giotto il grido
[45].

Cimabuë oppose à son rival, sans trop de désavantage, quelques figures de saints pleines de fierté. En somme, Assise est un musée et un sanctuaire de la peinture catholique du moyen-âge.

Je me suis fait répéter deux fois un trait de vandalisme que je n’affirme pas, et dont je mets l’exactitude sous la responsabilité du frère qui me montrait l’église. On m’avait parlé d’un enfer de Giotto où devaient se trouver quelques analogies avec celui de Dante, et je m’enquérais de cet enfer. Le frère m’affirma que les peintures avaient existé, en effet, dans l’apside de l’étage moyen, mais que, comme il manquait un purgatoire et un paradis, les pères, pour le compléter, avaient fait effacer la fresque de Giotto et peindre, par-dessus un enfer, un purgatoire et un paradis par M. Sermei.

Ce frère était, du reste, un curieux petit moine qui me racontait les miracles de saint François d’un air riant et jovial. Ce n’est pas qu’il manquât de foi ; au contraire. Ces faits miraculeux étaient, à ses yeux, des faits parfaitement réels ; ils excitaient chez lui le même sentiment qu’auraient produit des incidens bizarres dont il eût été témoin. Un enfant rit en voyant l’arc-en-ciel, il n’en doute pas pour cela.

Une nef souterraine a été ajoutée tout récemment aux deux églises superposées qui existaient déjà. Je ne connais d’autre exemple d’une église à triple étage que Saint-Martin-des-Monts, à Rome. À Assise, l’étage inférieur n’est pas, comme sur l’Esquilin, une vieille construction romaine dont le christianisme primitif s’est emparé ; c’est une construction nouvelle, qui n’a pas vingt ans. Le premier aspect de cette architecture sans caractère, qui est venue se placer sous l’architecture si caractérisée du moyen-âge, est déplaisant ; mais quand on vous apprend que le corps de saint François a été trouvé là en 1818, quand on vous fait toucher le morceau de roc qu’on a laissé subsister afin de montrer ce qu’il a fallu faire pour bâtir une église sous deux autres églises, vous vous sentez gagner d’un certain respect pour cette dernière manifestation de la puissance qui après avoir accompli tant de grandes choses a fait encore celle-ci. La persistance de ce vieil esprit vous frappe d’autant plus qu’il se produit sous des formes plus modernes. On se dit : Quoi ! le même sentiment qui a élevé les vieux murs couverts des peintures de Giotto et de Cimabuë, qui a dicté les vers de Dante, ce sentiment est assez puissant de nos jours pour creuser les montagnes et percer les rochers comme aux temps des catacombes ! Nulle architecture à ogive ou à plein cintre, vénérable par sa naïveté antique, ne m’aurait fait sentir aussi profondément la puissance religieuse du catholicisme que ces mesquines colonnes et cette insignifiante architecture. Que de vie dans la foi !

À côté des merveilles d’un art un peu barbare, le temple de Minerve, debout dans la ville de saint François, semble, par son élégante et harmonieuse beauté, protester contre le moyen-âge triomphant.

AGUBBIO.

La petite ville d’Agubbio (aujourd’hui Gubbio), célèbre dans le monde savant par les tables de bronze auxquelles elle a donné son nom, et qui présentent le plus considérable monument des anciennes langues italiotes, est un des points que ma piété dantesque était surtout jalouse de visiter. On sait que vers la fin de sa vie le grand exilé trouva un asile auprès de Boson, tyran d’Agubbio, en prenant ce mot dans le sens que les Grecs lui donnaient, pour désigner ceux qui s’emparaient de l’autorité souveraine dans une république ou une ville libre.

Cette hospitalité paraît avoir été plus cordiale que celle des fastueux Scaliger. Dante prit intérêt et peut-être aida aux études d’un fils de Boson ; et, dans un sonnet qu’on lui attribue, il loue ce jeune homme de ses progrès dans le français et dans le grec, c’est-à-dire dans une langue dont la connaissance était alors très répandue en Italie, et dans une autre qui y était généralement ignorée. Si le jeune Boson savait le grec, il n’était certainement pas le seul. Ce fait jette donc quelque jour sur l’époque où la plus belle des deux littératures de l’antiquité a été connue dans les temps modernes.

Boson paraît avoir eu un attachement véritable et un culte sincère pour l’illustre réfugié. Le chef guerrier d’Agubbio se fit même littérateur et poète pour l’amour de Dante. Il déplora sa mort en vers, et fut le premier commentateur de son poème, commenté tant de fois. Un des fils de Boson en fit un abrégé en vers. Tout cela montre à quel point cette famille avait subi l’action et comme ressenti l’entraînement de ce génie.

Par un singulier hasard, le mortel ennemi de Dante était d’Agubbio, ce Cante di Gabrielli[46], qui, podestat de Florence en 1302, mit son nom en tête d’une sentence écrite dans un latin barbare, et qui condamnait stupidement, pour cause de baraterie, d’extorsions et de lucres iniques, à être brûlés jusqu’à ce que mort s’ensuivît, s’ils remettaient le pied sur le territoire florentin, quinze contumaces, parmi lesquels se trouve nommé le onzième et jeté là dans la foule, entre Lippus Bechi et Orlanducius Orlandi, Dantes Alighieri. Ainsi du même lieu devait naître pour Dante un persécuteur acharné et un ami fidèle.

Enfin Dante a placé en purgatoire, à l’étage de l’orgueil, que, pour le dire en passant, il a rempli de poètes et d’artistes, un artiste de Gubbio, un enlumineur, comme on disait à Paris, où Dante avait entendu employer cette expression, ainsi qu’il nous l’apprend lui même. « Es-tu donc Oderisi, l’honneur d’Agubbio, et de cet art qu’à Paris on appelle enluminer[47] ? » Cet art était celui des peintres de miniature, et la tradition n’en a pas péri depuis les plus anciens ouvrages byzantins jusqu’aux chefs-d’œuvre du XVIe siècle.

Dante s’était probablement lié pendant le temps de son séjour à Agubbio avec cet Oderisi. On sait qu’il aimait les arts et ceux qui les cultivent. Avant d’entrer dans le purgatoire, il s’arrête pour entendre Casella, qui, dit-il, savait calmer toutes ses passions.

Che mi solea quetar tutte mie voglie[48].

Il est vrai que Casella chante des vers de Dante, et il y a pour celui-ci double raison d’écouter. Son amitié pour Giotto est restée dans la tradition ; on dit même qu’il apprit de lui à dessiner. En vérité, il semble que celui qui trace avec un style si net et si ferme les contours des images et des pensées, devait avoir l’œil et la main d’un peintre[49].

Il y avait donc pour moi un triple motif de visiter Gubbio, cette petite ville mêlée à la destinée de Dante, et rappelée dans son œuvre, cette patrie de Boson, de Cante di Gabrielli et d’Oderisi.

La route à elle seule mériterait le voyage. Pour aller de Pérouse à Gubbio, on parcourt une contrée sauvage des Apennins. Quand, après avoir gravi long-temps des pentes escarpées et arides, on arrive au versant qui regarde l’Adriatique, on découvre un paysage d’une grandeur et d’une sublimité incomparable. À droite s’élèvent les plus hautes cimes de l’Apennin, que les Toscans appellent, à cause de leur forme, les Mamelles de l’Italie. Le moment où je les découvris fut un évènement pour moi, car cette vue réveillait un souvenir dantesque. Dante se réfugia quelque temps au pied de ces hauts sommets, entre ces mamelles de rochers.

La route côtoie en serpentant de grands enfoncemens remplis de chênes magnifiques. Çà et là se dressait une tour escarpée sur un tertre de couleur jaunâtre ; à l’horizon, des montagnes rouges, comme celles d’Afrique, formaient trois pyramides.

Je n’ai rien vu de plus imposant que ce spectacle. En présence de cette fière et terrible nature, je pensais à certains préjugés sur la nature et la poésie italiennes. — Où est la molle Italie ? me disais-je, — comme en lisant l’Enfer et le Paradis on se demande où est la langue des concetti et des madrigaux. Je trouvais que ce paysage immense, abrupte et pourtant harmonieux, ressemblait à l’œuvre de mon poète. Voilà des montagnes dantesques, m’écriai-je, et, si j’eusse voulu donner carrière à mon imagination, il n’eût tenu qu’à moi de retrouver, dans les lignes anguleuses et fortement caractérisées de ces montagnes, le profil colossal de Dante.

Je ne sais si la première impression que produisit sur moi la petite ville de Gubbio ne se ressentit point de l’espèce d’extase où m’avait plongé le caractère grandiose des pays que je venais de traverser ; ce qu’il y a de certain, c’est que je fus très frappé de l’aspect qu’elle me présenta. Le château de Boson a été bâti vers le même temps que le palais vieux de Florence, et, dit-on, par le même architecte. Sa forme est semblable : une grande tour crénelée s’élance d’une plateforme ; la masse carrée du château placé à mi-côte domine et semble menacer la ville ; on dirait un aigle qui couve sa proie. J’entrai, à la tombée de la nuit, dans ce grand monument maintenant vide ; du seuil des salles ténébreuses, je voyais le ciel enflammé par un magnifique coucher de soleil. Je pensais qu’à travers ces créneaux l’exilé avait regardé ce soleil disparaître derrière les montagnes, du côté de sa patrie.

En redescendant, je rencontrai un abbé de Gubbio, à la porte de la bibliothèque. Je demandai à voir le fameux sonnet de Dante à Boson dont cette bibliothèque a la prétention de conserver le texte original et autographe. Ma requête fut agréée, et bientôt mon compagnon de voyage et moi nous nous trouvâmes en présence du précieux sonnet placé derrière un verre, à l’abri de tout contact profane. Malheureusement la moindre illusion était impossible ; la suscription du sonnet portait : Danti à Bosone, au lieu de Dante. Comme il est vraisemblable que Dante savait écrire son nom, il faut que les habitans de Gubbio renoncent à l’honneur d’avoir un échantillon de son écriture. Cette objection fut un coup de foudre pour les personnes fort obligeantes qui nous faisaient les honneurs de la bibliothèque. J’aurais eu la lâcheté de ne rien dire, mais mon compagnon de voyage fut plus impitoyable que moi. Ce qui rendait la consternation qu’il causa plus profonde, c’est qu’un de ceux auxquels il s’adressait tenait à la main une feuille de papier à décalquer qu’une signora inglese avait apportée tout exprès pour avoir un fac simile de la prétendue écriture de Dante. Malgré notre incrédulité, on ne nous montra pas moins, avec beaucoup de bonté, les fameuses tables et un portrait de Boson, à l’authenticité duquel il n’est pas plus possible de croire qu’à l’autographe du poète. Le portrait est trop jeune de deux cents ans, et le chef du moyen-âge y ressemble, par le costume et l’air de visage, à un maréchal-de-camp du temps de Louis XIV.

Après ces deux épreuves, je n’osais plus me fier à la tradition d’après laquelle on m’indiqua le lieu où était la maison de Dante, non loin de celle où naquit son odieux ennemi, Cante di Gabrielli. Là, du moins, rien ne démentait le prestige des souvenirs, et en me promenant dans la ville, au milieu des ténèbres, en passant sous ses portes monumentales, en contemplant par un beau clair de lune ses maisons hautes et silencieuses, et la tour de Boson s’élevant au-dessus de leur masse noire et blanchissant dans les airs, je retrouvai des impressions plus conformes au siècle et au génie de Dante.


J. J. Ampère.

  1. J’avais écrit ceci avant que M. Rosini eût montré la place où, selon ce savant et spirituel écrivain, était la Tour de la Faim, et où il croit en reconnaître la partie inférieure encore debout.
  2. Lettera del professore Giovanni Carmignani all’ amico e collega suo professor Giovanni Rosini, sul vero senso di quel verso di Dante poscia piu che il dolor potè il digiuno. (Inf., c. XXII, v. 75.) — La réponse de M. Rosini se trouve dans ses Rime e prose, tom. III, pag. 233.
  3. Inf., cap. XXX, 79.
  4. On pourrait citer une foule d’exemples de la même association des idées astronomiques et des idées théologiques. Sans sortir de Pise, dans le cloître de Saint-François, le Christ et la Vierge sont entourés d’étoiles ; sous leurs pieds sont placés le soleil et la lune. Sous le portail du baptistère, un vieux bas-relief qui représente la descente du Christ aux enfers, porte cette légende : Introïtus solis.
  5. Dante paraît avoir eu une sorte de culte pour Caton. Il s’écrie dans le Convito (pag. 178, édit. de Pasquali) : « Sacratissimo petto di Catone che presumerà di te parlare. » Il voit dans le retour de Martia à son premier époux un symbole du retour de l’ame vers Dieu.
  6. Inf., c. IV, 144.
  7. Inf., c. XXXIII, 30.
  8. Voyez la dédicace latine de frère Hilaire à ce chef illustre. Il affirme que Dante voulait lui faire hommage de la première cantica, de la seconde à Morello Malespina, et de la troisième à Frédéric, roi de Sicile.
  9. Dante était à Lucques, auprès d’Uguccione della Faggiola, en 1314. Il dit que son exil dura depuis près de trois lustres. Cet exil avait commencé en 1300.
  10. « J’ai pitié de tous les malheureux, mais par-dessus tout de ceux qui, affligés par l’exil, ne voient leur patrie que dans leurs songes. » (Dante, Traité de l’Éloquence vulgaire, l. II, cap. VI.)
  11. Purgat., c. XXIV, 43.
  12. Voyez la notice de M. Fauriel, insérée dans le no de la Revue du 1er octobre 1834.
  13. Voyez Purgat., c. XX et XXI.
  14. Inf., c. XVIII, 122.
  15. Ibid., c. XXI, 338.
  16. Inf., c. XV, 10.
  17. Liv. I, chap. XIII.
  18. Purgat., cap. X, 130
  19. Vitruve fait remarquer que les anciens, dans la bonne époque de l’architecture, n’employaient jamais les cariatides qu’à porter un fardeau léger et qu’on pouvait croire soutenu par quatre personnes sans trop d’effort. Il ajoute que, dans ce cas, on supprimait toute la partie de l’entablement supérieure à l’architrave. Le moyen-âge, qui n’évitait pas ce qui pouvait présenter une image pénible, et se plaisait aux expressions douloureuses, imagina de faire supporter par des figures souvent très petites des masses énormes ou des piliers d’un grand volume. Visconti cite les vers de Dante comme exprimant une désapprobation de ce genre d’architecture. Je ne crois pas que le poète ait eu cette intention ; mais il a exprimé énergiquement le sentiment de malaise et de tristesse qu’une telle vue lui faisait éprouver.
  20. C’est la quatorzième en commençant par la droite.
  21. Parad., c. XXII, 49.
  22. Purg., c. V, 96.
  23. Purg., c. V, 96.
  24. Inf., c. XVI, 37.
  25. Parad., c. II, 106.
  26. Inf., c. II, 34.
  27. Parad., c. XIX, 140.
  28. Inf., c. XXX, 61.
  29. Purg., c. XIV, 16.
  30. Inf., c. XXIX, 46.
  31. Ibid. c. XXXI, 40.
  32. Ibid., c. XXXIX, 123.
  33. Une église de Sienne s’appelle Santa-Maria-di-Provenzano. Elle en a remplacé une plus ancienne qu’avait fait bâtir Provenzano Salviani.
  34. Purg., c. XI, 121.
  35. Ibid. c. XI, 131.
  36. Inf., c. X, 85.
  37. On sait que le carroccio était une sorte de palladium ambulant des républiques italiennes du moyen-âge.
  38. La Sconfita di Mont-Aperti trattata d’un antico manoscritto, publicato per Honorato Porri.
  39. Purg., c. V, 130.
  40. Parad., c. XI, 46.
  41. Ibid., c. VI, 75.
  42. Il a eu douze disciples comme le Seigneur, me disait le franciscain qui me montrait les peintures d’Assise.
  43. Parad., c. XI, 50,
  44. Ibid., 64.
  45. Purg., c. XI, 94.
  46. La ville d’Agubbio, et la famille de Gabrielli en particulier, ont fourni à Florence un grand nombre de podestats et de barigels.
  47. Purg., c. XI, 79.
  48. Ibid., c. II, 108.
  49. Je dois à l’amitié de M. Lenormant l’indication d’un passage de la Vita Nuova, qui montre positivement que Dante savait au moins dessiner. Io disegnavo un angelo sopra certe tavolette. V. N. pag. 61. Pesaro 1829.