Voyage dans les Vosges

VOYAGE DANS LES VOSGES,
Par l’abbé GRÉGOIRE,

ancien évêque de Blois et sénateur de l’empire.



(Extrait du deuxième volume, pages 153—175, de l’ouvrage intitulé : Correspondance sur les matières du temps, 3 vol. in-8o, Paris, an vi de la république.)

(Avec des notes par M. RICHARD, bibliothécaire à Remiremont.)



Paris, 27 Vendémiaire an 6 (18 octobre 1797)

Les Suisses sont dans l’usage de visiter leur propre pays avant de parcourir les contrées étrangères. À Zurich, je me suis trouvé dans des sociétés de jeunes gens bien élevés, qui préludaient à leur départ par des banquets plus décents, et conséquemment plus agréables que celui des sept sages.

Plusieurs fois, dans les montagnes du Saint-Gothard et de l’Appenzel, j’ai rencontré ces joyeuses caravanes ; les Français, au contraire, ont généralement la démangeaison d’aller voyager dans des pays lointains, en se condamnant eux-mêmes à ne pas connaître celui qui leur donna naissance. Tel qui de Paris descend au Hâvre pour aller aux Antilles, n’a jamais eu la curiosité de voir, ni le site riant de Chantilly, ni le désert d’Ermenonville.

Une des parties de la France les moins connues et les plus dignes de l’être, ce sont les Vosges : car les écrits des citoyens Buchoz-Sivry[1] et Durival, etc. etc., laissent beaucoup à désirer[2] ; c’est cependant à ce dernier que nous devons la description la plus complète de la Lorraine en 3 vol. in-4o[3]. Durival était un respectable vieillard, mort il y a un an à Hellécourt, près de Nancy, et l’on n’a pas seulement jeté une fleur sur sa tombe[4]. Ainsi ont péri également, dans le cours de la révolution, sans qu’on ait seulement annoncé leur décès, Pluquet, auteur du Dictionnaire des hérésies, etc., ouvrage estimé de Voltaire même. Guerin du Rocher, auteur de l’Histoire véritable du temps fabuleux. Hook, qui a écrit sur la religion et l’histoire romaine. Daire, auteur du Dictionnaire des épithètes françaises. Meissance dont les travaux sur l’économie poltique, etc., ont obtenu les suffrages du célèbre auteur de la Richesse des nations[5] et Contant de la Molette, traîné à l’échafaud sous le régime révolutionnaire. Les montagnes des Vosges sont connexes à celles de la Chine. L’abbé Chappe d’Auteroche, en indiquant les chaînes intermédiaires[6], ôte à cette assertion sa physionomie paradoxale.

Je vais vous promener seulement sur quelques points de cette contrée, sans m’astreindre à une marche régulière.

SAVERNE. L’enceinte de cette ville était jadis plus resserrée qu’aujourd’hui et entourée de fossés, de murs ; en augmentant la ville, on a comblé les fossés et conduit la nouvelle bâtisse bien au-delà du pourtour de l’ancienne ville ; mais on a laissé subsister les portes, dont la structure grossière n’offre que des monuments de mauvais goût. Que penserait-on d’un architecte qui, agrandissant un appartement, laisserait les portes au milieu de la chambre ? Voilà Saverne.

WALDERSBACH. Ce village, qui fait partie du Ban-de-la-Roche, est luthérien, ainsi que diverses communes circonvoisines ; le ministre actuel, frère du savant bibliothécaire de Strasbourg, le citoyen Oberlin, a déployé le plus grand zèle pour mettre sur un bon pied les écoles de ce canton ; en cela il a marché sur les traces de son devancier, le citoyen Stuber, dont l’épouse est morte à Waldersbach. Sur son tombeau est une inscription dont j’ai oublié le texte, mais qui finit par cette idée : « son mari, qui lui a érigé ce monument, est incertain s’il doit s’affliger davantage du malheur de l’avoir perdue que s’honorer du bonheur de l’avoir possédée. »

DONON. Dans les mémoires de l’académie des inscriptions est une dissertation curieuse de Montfaucon[7] sur les antiquités du Donon ou Thonon, l’une des plus hautes montagnes des Vosges. L’inscription qu’il indique et les figures subsistent encore ; mais combien j’ai regretté que le gouvernement n’ait jamais fait recueillir une foule de statues éparses sur le contour de cette montagne et qui bientôt disparaîtront sous les broussailles. Là, gissent dans l’ombre et le silence les restes de la vénérable antiquité. Ces statues mutilées sont d’une assez mauvaise sculpture ; mais des ouvrages de ce genre sont utiles pour la chronologie, l’histoire de l’art, la connaissance des costumes. Et ne voit-on pas journellement les artistes visiter cette belle collection du moyen-âge, rassemblée au dépôt des Petits-Augustins par les soins du citoyen Lenoir ?

SENONES. Dans le château des ci-devant princes de Salm, était une bibliothèque peu nombreuse, mais composée de livres rares et de magnifiques éditions. La bibliothèque des bénédictins était bien plus considérable ; on y remarquait entr’autres le manuscrit original de Richerius[8], dont une partie seulement a été imprimée dans le spécilège de Dacheri. Ce manuscrit précieux a disparu dans le cours de la révolution.

La principauté de Salm, dont Senones était le chef-lieu, a produit un nain[9], c’est Bébé, qui était à la cour de Stanislas, et un géant[10]. On citait comme une merveille les gants de ce dernier, déposés dans la bibliothèque ; mais qui me garantira qu’ils étaient du géant ? Ce qui m’a frappé davantage, c’est une mâchoire qui a cinq pouces deux lignes de la partie externe de chaque condyle à l’autre, et cinq pouces et demi de la partie antérieure et moyenne du menton, à la partie moyenne d’une ligne qui prendrait d’un condyle à l’autre.

Dom Calmet, que les gens superficiels ne connaissent que par ses vampires[11], mais qui aura toujours l’estime des érudits, est inhumé dans l’église. Sa mémoire est en vénération dans une contrée qu’il édifia par ses vertus[12]. Sur son tombeau sont deux épitaphes ; la meilleure est celle qu’il s’était préparée lui-même :

Multa legi, scripsi, utinam bene.

Voici la seconde :

Hic tenui tumulatur humo, fit vermibus esca,
Ut miserum vulgus scriptis super œthera notus.
Heu ! si mortales possent subducere letho
Doctrina, ingenium, pietasque, fidesque,
Nomen et ipse suum vixisset funeris expers.

Voltaire, qui avait demeuré quelques temps à Senones, lui en fit une autre, que je ne me rappelle pas avoir lue dans le recueil de ses œuvres.

Des oracles sacrés que Dieu daigna nous rendre,
Son travail assidu perça l’obscurité,
Il fit plus : il les crut avec simplicité
Et fut par sa vertu digne de les entendre.

Dom Calmet eut pour successeur, à l’abbaye de Senones, son neveu dom Fangé, à qui nous devons quelques écrits, entr’autres l’Histoire de la barbe, ouvrage curieux et rempli de recherches dans le genre de l’Histoire des perruques, par Thiers. Il est fâcheux que, contre le gré de l’auteur, on ait joint à l’édition de cet ouvrage des contes cyniques de Lachaussée[13].

Le maître-autel de l’église de Senones a quatre colonnes torses en bronze, ornées d’arabesques. Le prieur me raconta que, sous l’abbé Joachin[14], qui vivait, je crois, il y a environ trois cents ans, des colonnes pareilles, qui décoraient l’autel, ayant été enlevées de nuit, l’abbé fut accusé du larcin ; il soutint qu’il était innocent, et cependant les quatre autres colonnes, actuellement existantes, furent faites à ses dépens ; il fit graver au bas de chacune ce verset du psaume 68 : Quœ non rapui tunc exolvebam ; l’application m’a paru heureuse.

MOYENMOUTIER. Ce monastère est à une lieue de Senones. Dans la riche bibliothèque du couvent, nous avons vu le manuscrit original des mémoires du cardinal de Retz, qui avait plus de talent pour bien écrire que pour écrire lisiblement. Il y a beaucoup de ratures, avec des surcharges et corrections qui sont d’une autre main. Dans l’imprimé que nous avons comparé, on a suivi ces corrections.

Les habitants du village contigu à l’abbaye, avaient autrefois des droits singuliers. Quand une femme accouchait d’un enfant provenu d’un mariage légitime, le mari pouvait, seul ou accompagné de son voisin, pêcher pendant trois jours dans le Rabodeau (c’est le nom de la petite rivière qui coule dans la vallée de Moyenmoutier), et même vendre du poisson pour subvenir à l’entretien de l’accouchée ; mais il était obligé, préalablement, d’aller l’offrir au couvent, où on le lui payait au prix fixé pour pareille occasion, sinon il était libre de le vendre partout ailleurs[15]. En outre, il avait le droit de se présenter au couvent pour recevoir un pain de trois livres et un pot de vin.

À l’époque où dom Calmet était abbé de Senones, dom Belhomme était abbé de Moyenmoutier, dont il a imprimé l’histoire[16], et dom Hugo, évêque de Ptolemaïde, était abbé d’Étival, situé à une lieue de Moyenmoutier, sur la rive gauche de la Meurthe. Ce savant a, comme on sait, enfanté beaucoup d’ouvrages, tels que les Annales des prémontrés, 2 volumes in-folio ; Sacra antiquitatis monumenta, 2 volumes in-folio. Il a fait aussi imprimer l’Herculanus[17] ; nous ne connaissons pas la critique qu’en a faite un bénédictin.

SAINT-DIÉ. Au sud de cette petite ville, située dans un vallon délicieux, sont deux fontaines minérales. Elles ont été analysées, ainsi que la plupart des eaux minérales des Vosges, par un très-bon chymiste (sic) de Nancy, le citoyen Nicolas, le même qui a perfectionné la préparation du phosphore. Nous avons obtenu les mêmes résultats que lui, en essayant les eaux à l’aréomètre, la noix de galle, l’alkali volatil et l’huile de tartre.

L’histoire raconte qu’autrefois à Saint-Dié, un juif profana la sainte hostie. Les détails en sont consignés dans Ruyr et d’autres écrivains. La maison du juif fut vendue, et le propriétaire, en mémoire de ce fait, fut obligé de fournir annuellement les hosties consacrées pour la quinzaine de Pâques. Cet usage subsiste, et celui qui fournit les hosties va à l’offrande, en manteau noir, le jour du vendredi saint.

En allant de Saint-Dié vers l’ouest, on trouve à quelques lieues de là, les lacs de Gerardmer, Longemer et Retournemer.

Entre Longemer et Gerardmer, on voit ce qu’on nomme le Saut-des-Cuves ; c’est une espèce de cataracte formée par la petite rivière de Vologne, qui se précipite avec fracas dans les anfractuosités des roches de granit.

Plus bas, on trouve une pierre à peu près quarrée, d’environ 12 pieds de diamètre : on la nomme Pierre de Charlemagne, parce que, dit-on, il s’y arrêta et s’y reput. En parcourant la France, j’ai remarqué qu’on veut retrouver partout des monuments, des souvenirs de César et de Charlemagne. Il est vieux, mais vrai, le proverbe : on ne prête qu’aux riches.

GERARDMER, ce beau et grand village est entouré de rochers hideux qu’on nomme les moutons de Gerardmer[18]. Les pluies ont entraîné dans les vallons toute la terre végétale et rongé les angles de ces rochers, qui annoncent, pour ainsi dire, les débris de l’univers. Le cœur se resserre à leur aspect, et l’œil ne contemple qu’avec peine des lieux ou la nature paraît, dans sa douleur, refuser à l’homme sa subsistance[19].

L’industrie des habitants supplée aux refus de la nature. Ils font en bois beaucoup d’ustensiles de ménage, comme assiettes, terrines, gobelets, etc. ; j’ai vu le temps où pour 12 francs on pouvait acheter un buffet complet.

On prépare aussi dans ce village une assez grande quantité de poix blanche par un procédé fort simple. Avec une espèce de crochet on ouvre l’écorce des pins : sur-le-champ la poix suinte, on la recueille dans des vases ; mais comme elle est chargée d’impuretés, on la fait bouillir. Quand la liquéfaction est complette (sic), on la jette dans un sac sous pressoir : la poix filtre à travers le tissu et la crasse restée dans le sac sert encore de combustible.

Une autre branche de commerce pour Gerardmer, ce sont les fromages qu’on transporte, même à Paris, sous le nom de Giraumé. Les communes voisines, telles que la Bresse, Saint-Maurice, Cornimont, etc., en préparent qui le disputent en qualité, mais tous se vendent sous le nom de Giraumé, comme le fromage de Lodi sous le nom de Parmesan.

À quelque distance de Gerardmer[20] est un écho monophone qui répète plusieurs mots. Un bon campagnard que nous avions pris pour porter nos instruments, ne pouvant concevoir que nous fissions une démarche pour aller l’entendre, nous prenait pour de francs nigauds. Mais je lui observai que cet écho savait le grec, l’anglais, l’espagnol, l’italien, etc. À l’instant, je prononçais des phrases de ces divers idiomes. Notre homme passa du dédain à la surprise, à l’admiration même, en apprenant qu’à côté de son village était un écho qui savait toutes les langues.

Au milieu de Gerardmer est un très-beau tilleul ; un detritus de feuilles et d’autres matières végétales s’est amassé dans une espèce de creux formé par la bifurcation de la tige, et là est implanté un arboisier dont les branches ont au moins six pieds de longs.

LA BRESSE. Cette grande commune avait une sorte de régime républicain avant l’établissement de la république ; elle avait son marteau de grurie, s’administrait elle-même, ne payait aucune redevance féodale, ne relevait d’aucun seigneur[21], et jugeait toutes les causes civiles en première instance, avec une sagesse telle que rarement on appelait de ses sentences, et, quand il y avait appel, presque toujours les jugements étaient confirmés par le tribunal supérieur. Autrefois on jugeait sous l’ormeau[22] où sont encore les siéges en pierre ; mais depuis on avait bâti à côté un auditoire.

La Bresse est située dans une gorge fort longue et profonde ; l’industrie de ses estimables habitants a fécondé les montagnes. Tous les lieux ensemencés sont partagés en compartiments entourés de granit, pour les défendre de la dent des bestiaux qui parcourent les espaces incultes. Ainsi ces lieux cultivés, affectant toutes sortes de figures, présentent au voyageur qui les contemple du haut de la montagne un coup d’œil varié et très-agréable.

VENTRON. Là mourut, il y a quelques années, Joseph Formey, ermite, dont les feuilles publiques ont parlé. La réputation de ses vertus, qui ne se sont jamais démenties, fait qu’on accourt de loin pour visiter son tombeau.

BUSSANG. Sur les eaux des deux fontaines minérales dont nous avons fait quelques expériences : l’huile de tartre par défaillance nous a donné les mêmes résultats qu’au citoyen Nicolas. (Voyez sa dissertation sur les eaux minérales de Lorraine.) Il dit que l’alkali fluor n’y a occasionné aucune altération sensible ; il nous a donné une teinte claireuse, tirant un peu sur le bleu. La poudre de noix de galle, mêlée à l’eau, lui a communiqué, dit le citoyen Nicolas, une couleur pourpre ; nous avons obtenu un brun délayé.

Un peu au-dessus des fontaines minérales est la principale source de la Moselle, confondue dans une fondrière de la manière la plus ignoble[23]. Nous l’avons un peu dégagée, et nous avons vu l’eau jaillir avec force. Celle de la Saône, à Viomenil, est traitée plus honorablement : un bassin couvert de pierres communique à un autre de même construction, et c’est de là que part la Saône pour aller visiter le Rhône et la Méditerranée.

De Bussang, par un vallon charmant où l’angélique est indigène, on va à Saint-Maurice et alors on est au pied du ballon de Giromagny.

LE BALLON. Sur cette montagne nous avons trouvé le doronic, la gentiane, la bistorte, le napel et une joubarbe dont la fleur est très-jolie. La nature brute nous offre bien des fleurs à qui nous n’avons pas encore fait l’honneur de les admettre dans nos partères (sic) ; et qui cependant les décoreraient, telles sont la digitale, l’épilobium, le parmica, la salicaire et plusieurs vermiculaires, etc. Elles sont belles dans l’état sauvage ; que sera-ce lorsqu’une culture suivie en aura développé les couleurs ?

Beaucoup de montagnes sont actuellement sans végétation, parce qu’étant taillées à pic, et leurs escarpements s’approchant de la perpendiculaire, les pluies ont délayé l’humus et l’ont amené dans les vallons ; au lieu que la cime du Ballon, la plus haute montagne des Vosges, élevée d’environ 600 toises au-dessus du niveau de la mer, couverte d’excellents paturages, déploie avec majesté sa vaste surface.

Le marquis de Pezay, dans ses Soirées alsaciennes, helvétiennes et franc-comtoises, parle de la route qui, venant de Remiremont, traverse cette montagne et descend en Alsace, comme d’un chef-d’œuvre, mais en observant qu’elle est la plus inutile de France. La pente est tellement ménagée qu’un cheval peut y galoper, soit à la montée, soit à la descente. On tourne sept à huit fois le dos à Giromagny pour y aller. Le génie a déployé bien des ressources dans cette construction ; mais le côté des vallées n’est pas assez épaulé, les talus qui descendent trop brusquement commencent à s’ébouler. Cette route à coûté, dit-on, trois millions. Avec le tiers de cette somme, peut-être pouvait-on l’exécuter en la faisant filer, autant qu’il était possible, dans les vallées ; elle eût été moins longue, moins dispendieuse et le peuple eût été moins vexé.

Du haut du Ballon, l’œil s’égare dans les plaines de l’Alsace, la Franche-Comté, sur les montagnes de la Souabe, de la Suisse, etc.

GIROMAGNY. Le travail des mines y avait repris son activité. Au pied de la côte on a pratiqué une ouverture pour rejoindre un filon d’argent qu’on assure être très-riche.

Autrefois, dans ce bourg, on travaillait le granit, mais l’entreprise était abandonnée quand nous visitâmes cette contrée. À la Mouline, en deçà du Ballon, sur la route. de Remiremont, on continuait à travailler le granit[24]. Ce travail s’exécute par un mécanisme fort simple.

REMIREMONT. Il serait long de détailler toutes les sottises féodales, toutes les redevances absurdes que les dames de Remiremont pouvaient exiger. Bornons-nous à celle-ci. Le lendemain de la Pentecôte, sept ou huit paroisses du voisinage de cette ville étaient obligées de se rendre processionnellement à l’église des chanoinesses, en chantant des fatras rimés en vieux gaulois, qu’on appelait kiriaulé ou kriaulé[25]. Une de ces paroisses devait apporter des branches de cerisiers, une autre de l’aube-épine, etc. Celle de Saint-Maurice devait fournir un plat de neige ; à défaut de neige, deux bœufs blancs ; à défaut de bœufs, elle payait une somme déterminée. Enfin la révolution a supprimé ces usages grotesques, que quelque nouveau Ducange (sic) classera un jour avec la fête des fous, celle des calendes, etc.[26].

HÉRIVAL. On assure que jamais la peste n’a dévasté le vallon où est situé ce monastère, quoiqu’elle ait plusieurs fois visité la Lorraine, et que jamais le tonnerre n’y est tombé. C’est peut-être l’effet de la position d’Hérival, dont la gorge étroite et profonde est défendue de ces fléaux par les montagnes environnantes.

Buffon, dans ses époques de la nature, parle de la roche de Peute-Voye, située au bas du vallon ; c’est un fait comme tant d’autres qu’il a accumulés pour en tirer de fausses conséquences. La roche de Peute-Voye paraît avoir été rompue par quelque grande commotion de la nature, ou par l’effet des eaux abondantes dans ce vallon, qui avaient formé un lac avant qu’elles se fussent ouvert une issue par l’effraction du rocher, dont les immenses débris couvrent la terre des deux côtés opposés. On voit encore des fragments suspendus qui indiquent un déchirement. Une rupture de ce genre eut lieu en 1770 entre Saint-Amé et le Tholy.

Dans les montagnes voisines, on trouve de l’aimant, du talc, du porphyre, du bois agathisé, du crystal (sic) et de beaux marbres.

Durival observe que, de Remiremont à Plombières, la terre en quelques endroit retentit sous les pieds des chevaux[27].

J’ai observé le même effet entre la Bresse et Gerardmer, dans quelques montagnes de la Souabe.

Vous avez ouï parler cent fois des angles saillants, qu’on dit correspondre aux angles rentrants dans les chaînes des montagnes. On a voulu établir, comme une règle générale, cette prétendue correspondance que l’expérience dément dans une foule de contrées des Vosges, de la Souabe et de la Suisse ; qu’on ne trouve partout qu’autant qu’on est parti engoué d’un système à la mode et qu’on veut présenter comme vrai et en dépit de la nature. Le citoyen Pasumot, qui vient de publier un ouvrage curieux sur les Pyrénées[28], m’assure également n’y avoir pas trouvé cette correspondance des angles.

Si quelques faits incohérents, quelques réflexions superficielles ont pu vois amuser un moment, et vous inspirer le désir de voir les Vosges, mon but est rempli. Une autre fois je pourrai vous promener sur un plus grand théâtre, sur les rocs sourcilleux de la Souabe et de la Suisse, et je vous laisse au milieu des montagnes : elles appellent la méditation, elles invitent l’homme à se replier sur lui-même. Salut.

H. G. (Henri Grégoire.)
  1. Journal des observations minéralogiques faites dans une partie des Vosges et de l’Alsace, in-8o, 117 pages, Nancy, Hæner, 1782.
  2. L’auteur aurait pu citer le Poëme des Vosges de François de Neufchâteau, publié à Saint-Dié en l’an v (1797).
  3. Cette Description de la Lorraine est en 4 volumes in-4o.
  4. M. de Haldat a lu en 1810, à la Société des lettres, arts et agriculture de Nancy, une intéressante notice biographique sur Nicolas Durival, auteur de cette description de notre Lorraine. Voir le précis des travaux de cette Société savante, 1810, page 49.
  5. Adam Smith, philosophe écossais, fondateur du système d’économie admis aujourd’hui, mort le 8 juillet 1790.
  6. Voyage en Sibérie fait en 1761 ; 2 tomes en 3 volumes, grand in-4o, atlas, Paris, Debure, 1768. Il y a une seconde édition de ce voyage, publiée à Amsterdam, qui n’est qu’un abrégé de la première.
  7. Lisez don Mabillon. La dissertation citée par l’abbé Grégoire est intitulée : Discours sur les anciennes sépultures de nos rois. L’auteur avoue qu’il doit la plus grande partie de sa notice à une lettre de M. l’abbé de Moyenmoutier à M. Alliot, insérée dans le journal des savants de l’année 1693, page 74 de l’édition in-4o.
  8. Moine de Senones qui vivait sous le duc Thiebaut i, en 1212, et qu’il ne faut pas confondre avec une autre Richerius, moine de St-Remi de Rheims, contemporain du célèbre Gerbert, auteur d’une histoire imprimée dans le dernier volume des historiens d’Allemagne qui vient d’être publié par M. Pertz.
  9. Nicolas Ferri, connu sous le nom de Bébé, né à Plaine, canton de Saales, le 14 octobre 1741, décédé à Lunéville le 9 mai 1764.
  10. Né au Ménil, canton de Senones.
  11. Traité sur les apparitions des esprits et sur les vampires ou les Revenants de Hongrie, de Moldavie, etc., nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, 2 volumes in-12, Senones, Joseph Pariset, 1759.
  12. Nos lecteurs liront sûrement avec un vif intérêt l’ouvrage sous le titre suivant, que la société royale des sciences, lettres, arts et agriculture de Nancy, juste appréciatrice des immenses services rendus par dom Calmet à l’étude de notre vieille histoire de Lorraine, vient de couronner :

    Éloge historique de dom Calmet, abbé de Senones, par L. Maggiolo, in-8o, 130 p., Nancy, Grimblot, Thomas et Raybois, 1839.

  13. L’abbé Grégoire aurait pu citer encore l’ouvrage suivant, monument de la piété filiale de dom Fangé envers son respectable oncle. La vie du très-révérend dom Augustin Calmet, abbé de Senones, 1 volume in-8o, portrait. Senones, Joseph Pariset, 1762.
  14. La Gallia christiana et les catalogues des abbés du monastère de Senones ne font aucune mention d’un abbé de ce nom.
  15. Tout homme dont la femme était en gésine (en couche), jouissait du même droit de pêche dans toutes les rivières du val de St-Dié, voyez page 35 de notre Essai chronologique sur les mœurs et usages de la Lorraine, inséré dans l’annuaire des Vosges de 1835, et l’Histoire de Saint-Dié, par M. Gravier, page 148.
  16. Historia mediani in monte Vosago monasterii ordinis sancti Benedicti ex congregatione sanctorum Vitoni et Hidulfi, 1 vol. in-4o, fig. Argentorati, Joan-Reinoldi Dulsseckeri, 1724.
  17. Dans ses Sacra antiquitatis monumenta, t. Ier, p. 171 — 212. Dom Calmet en a donné un texte plus correct dans les preuves et à la suite de son Histoire de Lorraine, volume septième.
  18. Sans doute à cause de leur couleur, semblable à la blanche toison des moutons.
  19. Les deux intéressantes notices que MM. Defranoux et Charles Charton, membres de la Société d’émulation des Vosges, ont publié sous les titres de : Précis historique et topographique sur le canton de Gerardmer, in-12, 23 pages, Épinal, Gerard, 1832, et de Notice statistique sur le canton de Gerardmer, extraite de l’annuaire des Vosges pour 1834, in-12, 30 pages, Épinal, Gerard, 1834, font connaître quels ont été les progrès de la civilisation dans cette commune, pendant l’espace de 36 ans.
  20. À un demi-kilomètre du lac de Longemer.
  21. On voit par un compte du domaine de la prévôté d’Arches, de l’année 1667, que la commune de La Bresse appartenait en 1580 à un fief masculin, que les ducs de Lorraine avaient donné aux sires de Hodstatt, à charge de reversibilité, à défaut d’hoirs légitimes. (Archives du chapitre de Remiremont.)
  22. Sur la place dite le Champtel, véritable mallus, où la justice se rendait, comme chez les vieux peuples du nord, en plein air (sub dio), sous l’abri tutélaire d’un chêne séculaire, ainsi que s’expriment plusieurs actes du moyen-âge. (Voyez notre notice intitulée : Coutume particulière, mœurs et usages de la commune de la Bresse, insérée dans l’Écho des Vosges, tome Ier, pages 95-105.)
  23. On ne peut plus faire le même reproche depuis l’érection faite par un industriel du pays d’une espèce de pavillon en planches, assez semblable à une guerite, dans lequel on a renfermé cette source, que l’on fait jaillir au moyen d’un tube en fer blanc, et pour une légère rétribution.
  24. Ce bel établissement industriel existait anciennement à Remiremont et avait été transporté à la Mouline en 1776 par M. Patu-Deshauchamps. C’est de ses ateliers, aujourd’hui en ruines, que sont sortis les beaux bénitiers et le magnifique pavé de l’église Sainte-Geneviève de Paris.
  25. Voir notre notice intitulée : les Kyriolés de Remiremont, insérée, page 146—153, dans l’annuaire des Vosges de l’année 1838.
  26. Dans la notice précitée, nous avons dit que le jour des kyriolés devait, par la variété des amusements qu’on trouvait à Remiremont, rappeler un peu ce qu’on nommait la liberté de décembre dans les anciennes fêtes de calendes et des saturnales chez les Romains.
  27. La même observation avait été faite par Montaigne, dans le journal de son voyage en Italie, par la Suisse et l’Allemagne, en 1580 et 1581, où on lit, page 16 de l’édition in-4o ;
    « Ledit jour, 27e jour de septembre (1580), après disner, nous partismes (de Plombières pour aller à Remiremont) et passâmes au paiss montaigneus qui retentissoit partout soubs les pieds de nos chevauls, comme si nous marchions sur une voûte, et sembloit que ce fussent des tabourins qui tabourdassent autour de nous, et vinsmes coucher à Remiremont. »
  28. Voyages physiques dans les Pyrénées en 1788 et 1789, un volume in-8o, Paris, an V (1797).