Voyage d’exploration en Indo-Chine/De Vien Chan à Luang Prabang


VUE DES MONTAGNES EN FACE DE MUONG MAI.


XIII

DE VIEN CHAN À LUANG PRABANG. — XIENG CANG OU MUONG MAI. — RENCONTRE D’UN VOYAGEUR EUROPÉEN. — PAK LAY. — LES SAUVAGES KHMOUS. — ARRIVÉE À LUANG PRABANG.


Quelques milles au-dessus de Vien Chan, le Mékong s’encaisse définitivement entre deux rangées de collines qui resserrent et dominent son lit de toutes parts. Ses eaux, qui, jusque-là, s’étaient paisiblement déroulées, en formant de capricieux méandres, sur le vaste plateau du Laos central, accélèrent leur course et bouillonnent au milieu des roches. Le noble fleuve, qui comptait parfois sa largeur par kilomètres, endigué maintenant entre deux barrières dont l’élévation va sans cesse en augmentant, se trouve contenu tout entier dans un fossé qui atteint rarement 5 à 600 mètres de largeur, et dont il ne réussit jamais à sortir. Aux eaux basses, il n’occupe même plus qu’une fraction minime de cet espace, et son lit ne présente au regard qu’une surface rocheuse inégale et tourmentée, mosaïque grandiose où l’on rencontre des échantillons de toutes les formations métamorphiques, marbres, schistes, serpentines, jades même, curieusement colorés et quelquefois admirablement polis. Au centre, une étroite fissure, sorte de canal dont la largeur se réduit parfois à 40 mètres, mais dont la profondeur en atteint plus de 100, renferme toutes les eaux du fleuve, qui y coule impétueux entre deux murailles de roches complètement à pic. À de rares interruptions près, tel est l’aspect que devait nous offrir le Mékong jusqu’au point où nous allions être obligés de quitter ses rives, aspect auquel nous avait déjà préparés la partie de son cours comprise entre Pak Moun et Kémarat.

Le soir même de notre départ de Vien Chan, nous arrivâmes au pied des collines entre lesquelles le fleuve allait s’engager et se frayer un difficile et sinueux chemin. Pendant une dizaine de milles à partir de Vien Chan, ses eaux, larges et peu profondes, coulent entre des rives basses couvertes de maisons et de jardins, et suivent une ligne droite dirigée à l’ouest, quelques degrés nord. Au point où nous nous arrêtâmes pour passer la nuit, la largeur du fleuve tombe brusquement à 200 mètres, et la sonde accuse, assez près du bord, 48 mètres de profondeur, mais le courant reste faible et la surface des eaux paisible. Rien ne faisait prévoir encore les difficultés de navigation que nous allions rencontrer les jours suivants.

Le lendemain, 5 avril, nous fîmes encore assez facilement une dizaine de milles entre deux rives de plus en plus resserrées ; le fleuve se réduisit à une centaine de mètres de largeur, tandis que la sonde accusait 60 mètres de fond. Le courant était assez peu rapide pour que nous pussions marcher à la pagaie, au lieu de nous haler le long des rives. Les hauteurs boisées qui encadraient la rivière offraient un aspect pittoresque, mais sauvage : nulle habitation, nulle trace de l’homme sur les berges, dont les animaux de la forêt avaient repris possession. Vers une heure de l’après-midi, nous arrivâmes à un premier rapide, nommé Keng Cai, formé par les cailloux et les galets qu’accumulent à leur embouchure deux petits affluents du fleuve, le Nam Thon sur la rive gauche et le Nam Som sur la rive droite. Un second rapide, Keng Khbo[1], se présente presque immédiatement après. Je ne trouvai qu’un mètre cinquante de profondeur au milieu du fleuve entre ces deux rapides. Au delà, le lit du fleuve s’élargissait en s’encombrant de roches et offrait le singulier aspect que j’ai essayé de décrire en commençant ce chapitre. Au grès, qui avait formé jusque-là le lit du fleuve et le sous-sol des collines avoisinantes, succédèrent des roches plutoniques, bouleversées, à l’aspect noirâtre et aux arêtes vives. Nos bateliers se déclarèrent incapables de nous conduire au milieu de ce labyrinthe d’écueils, et nous dûmes demander des guides au chef d’un petit village situé sur la rive droite, un peu au-dessus du rapide. Ce ne fut pas sans peine que nous les obtînmes : au moment de la crue, l’eau est tellement tourmentée dans ces parages qu’aucune barque ne peut plus ni monter ni descendre ; quoique nous fussions encore loin de cette époque, les difficultés du passage restaient fort grandes, et les riverains ne répondirent pas de faire passer nos barques, si légères et si petites qu’elles fussent, jusqu’au Muong prochain, celui de Xieng Cang. Ces réserves faites pour mettre leur responsabilité à l’abri, quelques-uns d’entre eux se décidèrent à se joindre comme pilotes à nos équipages laotiens.

Le fleuve commençait déjà, sur quelques points, à déborder du chenal central qu’il occupe pendant la saison sèche, et formait au milieu des roches une série de petits lacs quelquefois sans issue, ou qui ne communiquaient ensemble que par de petites chutes infranchissables. Aussi nos barques souvent fourvoyées devaient-elles à chaque instant revenir en arrière pour retrouver le lit étroit et profond de la fissure principale ; mais là le courant était des plus violents, et, pour contourner chaque coude de cette route sinueuse, il fallait faire usage de cordes. Le 6 avril, nous dûmes faire ainsi plus d’un mille


PASSAGE DE KENG PANSAO.

à la cordelle. Quelques chercheurs d’or travaillaient sur la rive droite au milieu des excavations

des rochers. Nous franchîmes ce jour-là la limite des provinces de Nong Kay et de Xieng Cang.

On comprend que cette pénible navigation ne pouvait être que fort lente. Le 7, nous dûmes décharger complètement les barques pour franchir Keng Pansao[2], rapide formé par un rocher énorme divisant le chenal en deux passes de vingt-cinq mètres de largeur chacune ; je ne trouvai pas de fond à 35 mètres à toucher la rive. En amont de Pansao, le chenal, large d’une centaine de mètres, devient un instant très-facilement navigable ; le courant est faible, l’eau très-profonde. Nous nous arrêtâmes à 6 heures du soir, au village de Hay. Le cours du fleuve, après s’être un instant relevé jusqu’au nord-ouest, était revenu au sud-sud-ouest. De petites chaînes de montagnes s’étageaient dans toutes les directions en arrière des rives. Au milieu de la plaine de rochers au sein de laquelle se perdaient les eaux du Mékong, s’élevaient çà et là quelques arêtes schisteuses recouvertes de végétation ; aux hautes eaux, les bouquets d’arbres qui les surmontent se transforment en îles verdoyantes, et la hauteur qu’avait à ce moment leur piédestal de roche pouvait servir à mesurer la crue totale du fleuve. Nous étions arrivés au pied de l’un des rapides les plus dangereux de cette région, le Keng Chan. Cette fois, les bateliers de Nong Kay se refusèrent absolument à risquer le passage. Il nous fallut camper dans le lit du fleuve[3]. Keng Chan ne présentait pas de difficultés d’une autre nature que celles que nous avions rencontrées jusque-là ; mais sa longueur considérable augmentait les chances d’immersion des barques, qu’il aurait fallu traîner contre un courant de foudre pendant plus de 100 mètres. On envoya des émissaires au village le plus voisin en amont, demander que de nouvelles barques vinssent prendre nos bagages au-dessus du rapide.

Les rives de l’endroit désert où nous nous trouvions arrêtés portaient les marques les plus nombreuses et les moins équivoques du passage des bêtes sauvages. De véritables troupeaux de cerfs avaient tracé, en certains endroits, un large chemin pour venir se désaltérer dans les eaux du fleuve ; quelques-uns de nos hommes passèrent la nuit à l’affût pour essayer de les surprendre, et ils réussirent à en tirer un ou deux ; mais les animaux blessés eurent assez de force pour atteindre les broussailles de la rive, au milieu desquelles on les perdit. Il eût été aussi difficile que dangereux de les y poursuivre.

Le 9 avril, vers 10 heures du matin, d’autres barques arrivèrent du village de Sanghao, situé sur la rive droite, à six ou sept milles en amont de Keng Chan. Pendant qu’elles chargeaient nos bagages et qu’elles remontaient à la cordelle l’étroit chenal du fleuve, nous nous acheminâmes à pied le long de la rive gauche, pour nous livrer plus à notre aise à nos études favorites.

Dans un voyage de cette nature, on ne doit certes pas s’attendre à trouver toujours des chemins frayés. Mais, quelque habitués que nous fussions déjà à prendre « à travers champs », la rude gymnastique à laquelle nous dûmes nous livrer pour atteindre pédestrement Sanghao, ne laissa pas que de nous paraître horriblement fatigante. Dès ce moment, la plupart d’entre nous marchaient pieds nus, quelques-uns pour s’habituer de bonne heure à cette nouvelle souffrance, et réserver pour les grands jours de cérémonie leur dernière paire de souliers, quelques autres par nécessité absolue. Pour ma part, dans mon voyage à pied d’Angcor à Ban Mouk, j’avais achevé d’user toute ma provision de chaussures. Les « va-nu-pieds » de la bande, comme nous nous appelions en plaisantant, devaient donc avancer avec la plus grande précaution, pour ne pas se blesser contre les arêtes vives des roches ; la surface de celles-ci était parfois assez échauffée par les rayons du soleil pour nous arracher de véritables cris de douleur, et il était comique de nous voir courir alors à toutes jambes pour aller rafraîchir dans la flaque d’eau la plus voisine notre épiderme brûlé. Malheureusement, ces bains multipliés ne faisaient que le rendre plus sensible encore, et malgré des prodiges d’agilité, il nous devenait impossible de nous aventurer au milieu des hautes herbes qui bordaient la rive, sans nous déchirer profondément les jambes.

Nous mîmes, ce jour-là, cinq heures à franchir dix kilomètres qui nous séparaient de la halte du soir, et ce fut avec une sorte de découragement que nous constatâmes que, loin de nous être endurcis à ces épreuves, nos souffrances restaient tout aussi vives qu’au début.

Le 10 avril, nous nous rendîmes en barque de Sanghao à Ban Ouang : nous nous arrêtâmes quelque temps au village de Pak Tom[4]. Dans cet intervalle, le lit du fleuve s’élargit pour recevoir quelques îles ; mais le chenal reste toujours assez nettement déterminé. Vis-à-vis de Ban Ouang, il a de 100 à 150 mètres de large et une profondeur de 33 mètres ; un peu au-dessus, il se rétrécit jusqu’à ne plus avoir que 70 mètres et il offre une hauteur d’eau de 55 mètres.

À Ban Ouang, le fleuve se redresse pendant quelques milles à l’ouest, puis revient de nouveau, non plus au sud-sud-ouest, mais au sud, quelques degrés est. Il suit cette direction pendant une vingtaine de kilomètres, sans déviation sensible, et cette longue perspective se termine par une haute aiguille calcaire, formant un cône parfait, qui semble jaillir du sein des eaux. Nous nous demandions si nous n’allions pas bientôt rencontrer, en continuant à cheminer ainsi, le Menam ou l’un de ses affluents, et si la communication indiquée sur quelques cartes entre les deux fleuves n’était point une réalité. Quelques sommets élevés dominaient les rives escarpées du fleuve, et limitaient de tous côtés l’horizon.

Le pays était devenu moins désert ; la culture du coton y paraissait assez répandue. Le 11 avril, nous trouvâmes à Ban Couklao les barques envoyées à notre rencontre de Muong Mai. Elles nous permirent de renvoyer les barques requises depuis Keng Chan dans les villages environnants et qui ne pouvaient, sans de graves inconvénients, être trop longtemps distraites de leur service habituel de pêche ou de transport.

Vis-à-vis de Ban Couklao, se trouve un rapide assez difficile, Keng Tom, à partir duquel le lit du fleuve se nettoie un peu. C’est dans cette partie de son cours qu’il se dirige exactement


INTÉRIEUR DE PAGODE ET PORTE-CIERGES ANTIQUE À XIENG CANG.

au sud pour se redresser brusquement ensuite à l’ouest. Keng Coutco se trouve à ce dernier

coude ; à peu de distance de ce rapide, s’élève le village de Xieng Cang : nous y passâmes la journée du 13 avril. Avant la prise et la destruction de Vien Chan, Xieng Cang se trouvait sur la rive gauche du fleuve ; mais les Siamois, depuis cette époque, n’ont plus voulu que les chefs-lieux des provinces laotiennes pussent, en cas de rébellion, utiliser le fleuve comme ligne de défense, et le placer comme une barrière entre eux et leurs conquérants. Ils ont donc exigé le transport, sur la rive opposée, de la petite ville de Xieng Cang ; de là l’appellation de Muong Mai ou « Muong nouveau », par laquelle on la désigne maintenant dans le pays, concurremment avec son ancien nom. La même précaution a été prise par le gouvernement de Bankok pour tous les autres muongs situés sur les bords du fleuve, et, depuis Stung Treng, l’expédition n’avait rencontré aucun centre de population important sur la rive gauche du Cambodge.

Du nouvel emplacement qu’occupe Xieng Cang, la vue des montagnes de l’autre rive est fort pittoresque ; moins à pic, s’étageant en pentes plus douces que dans la région que nous venions de parcourir, elles offrent une série de petites vallées perpendiculaires au fleuve, retraites boisées et charmantes qu’arrose un ruisseau à l’eau claire et vive. Le village lui-même est bien construit ; les cases sont très-hautes ; on y tisse le coton, dont la culture succède pendant la saison sèche à celle du riz. La pagode principale, située à l’entrée des rizières, auprès d’un bouquet de beaux palmiers du genre corypha, est richement ornée à l’intérieur, et contient, entre autres choses remarquables, un porte-cierges antique en bois sculpté, comparable à ce que nous avions trouvé de plus beau dans ce genre. Au moment de notre passage, des colporteurs birmans avaient étalé leur pacotille sur le parvis du temple, et débitaient aux indigènes des cotonnades aux couleurs vives et quelques menus objets de quincaillerie anglaise. Grâce au chemin fait à l’ouest depuis Houtén, nous n’étions plus qu’à une centaine de lieues de Moulmein, qui se trouve presque sous le même parallèle que Xieng Cang. C’est de ce point que rayonnent, à l’intérieur du Laos, les Pégouans, ou les Birmans des possessions britanniques, à qui la connaissance des produits de l’intérieur recherchés par le commerce européen et le haut prix auquel ils vendent aux indigènes les objets de provenance anglaise, permettent de réaliser des bénéfices considérables.

Le gouverneur de Xieng Cang était à Bankok, comme la plupart de ses collègues ; mais la réception que nous firent à sa place les membres du sena n’en fut pas moins cordiale et hospitalière. Après les premiers pourparlers, le commandant de Lagrée s’informa des dispositions de la population pour les Européens dans le royaume de Luang Prabang, aux limites duquel nous étions arrivés. Il lui fut répondu que les querelles qui s’étaient élevées récemment entre l’État de Xieng Mai et les Anglais au sujet de l’exploitation des bois de teck, avaient profondément ému les principautés voisines. Les gens de Xieng Mai se refusaient, paraît-il, à admettre le jugement rendu à ce sujet par le gouvernement siamois, jugement qui était conforme aux prétentions anglaises, et les mandarins de Xieng Cang pensaient qu’ils seraient soutenus, en cas de conflit, par Luang Prabang. C’était sans doute pour s’assurer des dispositions de ce dernier pays que les Anglais y avaient envoyé des officiers, que nous ne pouvions pas manquer de rencontrer sur notre route, puisque de cette ville ils avaient l’intention de redescendre le cours du fleuve.

Cette dernière nouvelle fut pour nous un véritable coup de massue. Nous nous crûmes devancés, dans la région que nous voulions explorer, par une expédition scientifique rivale. L’intérêt attaché par les Anglais aux découvertes géographiques dans le nord de l’Indo-Chine et les efforts qu’ils avaient tentés dans cette direction les années précédentes, donnaient au fait qui nous était annoncé un degré de vraisemblance qui ne nous permit pas de le révoquer en doute un seul instant. Nous regrettâmes amèrement alors le temps perdu à Bassac à attendre les passe-ports et les instruments que la colonie de Cochinchine devait nous faire parvenir, et que j’avais dû, après quatre mois d’attente infructueuse, aller chercher moi-même à Pnom Penh. Au point de vue politique, notre influence et notre prestige avaient tout à perdre à la comparaison qu’allaient faire les indigènes entre la pauvre et modeste Mission française, voyageant sans éclat, sans escorte, obligée de mesurer ses générosités et ses dépenses aux faibles ressources mises à sa disposition, et l’expédition anglaise, composée, nous disait-on, de plus de quarante Européens, et déployant un faste en rapport avec la richesse du puissant gouvernement colonial qui l’avait sans doute organisée. Nous nous demandions avec anxiété quelle était la partie du fleuve que cette expédition avait pu reconnaître au-dessus de Luang Prabang. À partir de ce point jusqu’à Pak Lay, le cours du fleuve était connu par le voyage de Mouhot, et nous arriverions probablement à temps dans cette dernière ville pour achever, avant tout autre voyageur, la reconnaissance de la partie sud du fleuve, dont le cours, levé pour la première fois, demeurerait notre propriété incontestable. Mais il était dur, pour qui avait espéré de plus vastes découvertes et la gloire plus éclatante de pénétrer jusqu’en Chine par la vallée du Cambodge, de se contenter d’un lot relativement aussi mince que le tracé de six cents milles géographiques du cours de ce fleuve.

Ainsi, notre voyage commençait à peine, et déjà l’inconnu manquait sous nos pieds ; là où nous avions espéré une récolte vierge encore de tout moissonneur, il ne nous restait plus qu’à glaner sur les pas d’autrui. Nous en étions inconsolables. Le commandant de Lagrée surtout était plus affecté qu’il ne se l’avouait à lui-même. Une réflexion lui vint cependant, qui nous réconforta un peu. « Les Anglais n’ont pu, nous dit-il, reconnaître bien haut le fleuve du côté du Tibet, puisque, partis sans doute de Birmanie, ils se rabattent déjà vers le sud ; eh bien ! s’ils ont reconnu avant nous la partie médiane du cours du fleuve, nous prendrons notre revanche dans le nord, et nous pousserons jusqu’aux sources, s’il le faut, pour dépasser leurs traces. » L’émulation dans les entreprises scientifiques est un ressort d’une incomparable puissance. Le chagrin que nous avions ressenti tout d’abord en nous voyant devancés, devint un stimulant qui nous anima d’une ardeur plus grande et d’une foi nouvelle. Ce fut dans ces dispositions que, le 14 avril, nous nous remîmes en route.

Un peu en aval de Xieng Cang, nous rencontrâmes un de ces radeaux construits en bambous, dont il a déjà été parlé, véritables maisons flottantes qui permettent, lorsqu’on descend le fleuve, de transporter de nombreux voyageurs et des quantités énormes de marchandises. Celui-ci avait à bord une véritable colonie de bonzes et autres indigènes qui, partis de Luang Prabang, allaient visiter le sanctuaire célèbre de Peunom. On se rappelle sans doute le trait d’héroïque piété que ce lieu sacré avait inspiré à notre trucheman Alévy. Nous souhaitâmes aux dévots pèlerins une interprétation moins sévère des volontés du Bouddha.

Le fleuve conservait la physionomie plus paisible qu’il avait revêtue aux environs de Xieng Cang. Son lit, beaucoup plus étroit, était en entier occupé par ses eaux ; c’est à peine si, de loin en loin, une assise de roches traversant le fond venait produire une légère accélération dans la vitesse du courant. La profondeur, au lieu de présenter les énormes inégalités des jours précédents, se maintenait d’une façon régulière entre 10 et 12 mètres. Notre navigation était aussi facile et aussi rapide qu’elle avait été pénible et lente entre Vien Chan et Xieng Cang.

À quelques milles en aval de Xieng Cang, nous passâmes devant l’embouchure du Nam Leui, affluent de la rive gauche. Cette rivière avait été reconnue déjà par Mouhot ; mais ses notes n’en indiquaient pas sans doute assez clairement la direction, et sur la carte de son voyage, on l’a fait couler vers le sud, en sens inverse de son cours véritable. Cette erreur, que sa mort prématurée et si regrettable explique aisément, prouve combien il est difficile à tout autre qu’à celui qui les a prises, de tirer parti de notes de voyage, écrites à la hâte et pleines de sous-entendus et d’abréviations. Depuis que nous nous rapprochions de l’itinéraire suivi par l’infortuné naturaliste, nous étudiions chaque soir sa carte avec le plus grand soin pour contrôler les renseignements des indigènes. La position de Leui, centre d’une exploitation importante de fer magnétique qui était à deux jours de marche dans le sud-est par rapport à nous, était évidemment indiquée trop au nord sur cette carte. Mais l’épreuve décisive du degré de certitude que pouvait présenter le travail géographique de Mouhot devait être faite à Pak Lay, point où la route de la Commission française et la sienne allaient se croiser pour la première fois.

À partir de l’embouchure de Nam Leui, le fleuve contourne une série de collines isolées, d’origine calcaire, autour desquelles il forme des lacets comparables aux méandres de la Seine aux environs de Paris. Au sommet de l’une de ces courbes, il reçoit le Nam Ouang, rivière aussi considérable que le Nam Leui, qui vient de Kentao, chef-lieu de district situé à une dizaine de lieues dans le sud-est. Kentao et Muong Leui dépendent de la grande province de Petchaboun. Nous nous trouvions en ce moment à un degré environ à l’est du méridien de Bankok, c’est-à-dire presque droit au nord et à une centaine de lieues de cette dernière ville. Nous nous expliquions comment Mouhot, qui était parti de Bankok, n’avait eu à faire, dans l’intérieur du Laos, pour rejoindre le Cambodge, que les deux cinquièmes environ de la route que nous avions dû parcourir, depuis Pnom Penh, pour arriver au même point.

Le 16 avril au matin, la rive gauche du fleuve s’aplanit et les chaînes de collines s’en éloignèrent. Comme s’il avait retrouvé soudain sa liberté d’action, le Mékong se redressa vers le nord et se maintint dans cette direction en ne présentant plus que des inflexions insignifiantes. Il y avait six semaines que nous n’avions eu l’heur de suivre une pareille route. En même temps le lit du fleuve s’élargit, et quelques grandes îles s’y montrèrent : nous n’étions plus qu’à une douzaine de milles de Pak Lay.

Ce fut à ce moment qu’on nous annonça que les Anglais, redescendant le fleuve, étaient partis le matin même de ce dernier point et que nous n’allions pas tarder à voir passer leurs radeaux. Le commandant de Lagrée, pour dégager sa responsabilité, s’occupa immédiatement de la rédaction d’une note destinée au gouverneur de la Cochinchine française. Cette note résumait les principales circonstances de notre voyage depuis notre départ de Saïgon et indiquait les causes des retards survenus dans l’accomplissement de notre mission, causes dont aucune ne nous était imputable ; elle faisait valoir la célérité avec laquelle, une fois muni des passe-ports que j’avais dû aller chercher jusqu’à Pnom Penh, j’avais rejoint l’expédition en marchant, sans m’arrêter, plus de trente jours de suite, et l’activité déployée à partir de ce moment pour regagner le temps perdu. De mon côté, j’achevai à la hâte un croquis de la carte du fleuve contenant tout notre itinéraire depuis Cratieh, et je l’accompagnai d’une brève indication des principaux résultats géographiques dont nous pouvions les premiers revendiquer l’honneur. Ces différents travaux terminés, nous attendîmes de pied ferme nos collègues en exploration indo-chinoise.

À midi, un premier radeau apparut : hélé par le petit mandarin laotien qui était chargé de nous conduire de Xieng Cang à Pak Lay, il manœuvra de façon à venir aborder à la pointe d’amont de l’île le long de laquelle nos barques se tenaient amarrées. Le courant le porta bientôt sur nous. Il n’y avait à bord aucun Européen ; mais nous apprîmes de ceux qui le montaient qu’un second radeau n’allait pas tarder à passer qui en contenait trois. C’était à ce chiffre que se réduisaient les quarante Anglais qu’on nous avait annoncés. Un mandarin siamois d’un rang élevé les accompagnait, et, au dire des gens du radeau, avait autorité sur eux. Cette dernière circonstance commença à nous faire douter du caractère que nous avions attribué jusque-là à la prétendue mission européenne. Le second radeau se montra à ce moment : en voyant sa conserve arrêtée près de nous, il fit mine de venir la rejoindre ; puis quelque hésitation parut se manifester à bord ; il reprit le fil du courant et alla prendre terre à une assez grande distance de nous, à l’extrémité d’aval de l’île. Dès que nous fûmes sûrs qu’il manœuvrait pour s’arrêter, le commandant de Lagrée me dépêcha à bord pour ouvrir les négociations et entrer en relation officielle avec les nouveaux venus.

Au lieu des uniformes anglais que je m’attendais à rencontrer, quelle ne fut pas ma surprise en me voyant accueilli par un Européen simplement vêtu, qui me souhaita le bonjour en français. Je me trouvais en présence d’un employé de notre colonie de Cochinchine, M. Duyshart, Hollandais de naissance, qui avait quitté Saïgon pour prendre du service auprès du roi de Siam, dont il avait été nommé le géographe ordinaire. Il avait quitté Bankok au commencement de la saison sèche dernière, avait remonté en barque la branche la plus orientale du Menam, jusqu’au moment où elle devient innavigable, puis avait rejoint par terre le Mékong à un point nommé Xieng Khong, situé près des limites du Laos Siamois et du Laos Birman. Depuis Xieng Khong, il descendait le fleuve en radeau pour faire le levé géographique de son cours. La saison pluvieuse l’effrayait beaucoup, et il ne comptait pas achever ce travail cette année même ; il voulait retourner hiverner à Bankok, pour continuer à la prochaine saison sèche la carte de la vallée du fleuve. Il avait la tête remplie de terribles histoires sur l’insalubrité du Laos, et parut nous considérer comme des gens morts, puisque nous persistions à nous avancer dans le nord malgré les pluies.

Quant aux deux autres Européens qui l’accompagnaient, c’étaient deux métis, nés de femmes siamoises, qui lui servaient d’aides et de domestiques.

M. Duyshart m’avoua que notre rencontre lui avait causé les plus vives appréhensions. On lui avait dit à Luang Prabang qu’un certain nombre de Français remontaient le fleuve à la tête d’une troupe de Cambodgiens armés ; il connaissait vaguement la révolte qui venait d’ensanglanter le Cambodge, et il avait craint un instant de se trouver en présence d’une bande de maraudeurs et de pillards, qui pouvait lui faire un mauvais parti. Aussi avait-il cherché à éviter cette rencontre et ne s’était-il un peu rassuré qu’en voyant le radeau qui le précédait entrer en pourparlers amicaux avec nos barques. Il avait cependant jugé prudent de s’arrêter en aval, pour pouvoir au besoin détaler promptement.


KENG SAO ET LES MONTAGNES DES ENVIRONS DE PAK LAY.

Ainsi, grâce aux exagérations des indigènes, nous nous étions des deux côtés alarmés inutilement. La mission de M. Duyshart était bien une mission scientifique ; mais son voyage n’avait pas la portée que nous lui avions attribuée. Il avait reconnu, il est vrai, le cours du Cambodge cent vingt milles au-dessus de Luang Prabang, mais il n’était pas sorti des limites des possessions siamoises. Xieng Khong, le point le plus haut qu’il eût atteint sur le fleuve, n’était que peu au-dessus du vingtième parallèle.

À Xien Khong, le Mékong paraissait venir du nord-ouest ; sa largeur et son débit restaient considérables ; mais, à partir de ce point, il s’engageait dans une contrée où les populations étaient en guerre les unes avec les autres et où M. Duyshart pensait qu’il nous serait impossible de pénétrer.

M. Duyshart avait été parfaitement accueilli à Luang Prabang, et il avait reçu de nombreux cadeaux du roi. En sa qualité d’envoyé officiel du roi de Siam, il vivait aux dépens des populations qu’il traversait. Son étonnement fut grand quand il apprit que nous payions scrupuleusement tous les services qu’on nous rendait. Il me laissa entrevoir que, quoique accoutumé à la manière de faire des Asiatiques, les exactions et les abus de pouvoir du mandarin siamois qui l’accompagnait, lui paraissaient souvent exorbitants.

En échange de ses intéressants renseignements, je donnai à M. Duyshart quelques indications sur la route qu’il allait suivre et les latitudes des principaux points par lesquels il allait passer en descendant le fleuve. Il voulut bien se charger de remettre nos lettres et nos plis officiels au consul de France à Bankok ; et il s’est acquitté scrupuleusement de cette mission. Grâce à lui, la carte de notre voyage jusqu’au point où nous l’avions rencontré, parvint quelques mois après à Saïgon, où elle fut immédiatement publiée. C’est ce croquis qui fit connaître en Europe les premiers résultats géographiques de notre exploration.

Depuis mon retour en France, je n’ai pu retrouver aucune trace des travaux de M. Duyshart ; leur publication eût été fort utile pour reconstruire la carte de la vallée supérieure de la branche orientale du Menam. Il est possible que le gouvernement siamois, qui n’avait fait entreprendre ce voyage que dans le but de contrôler nos propres assertions et de pouvoir discuter en connaissance de cause la question toujours pendante de ses véritables limites du côté du Cambodge et de la grande chaîne de Cochinchine, ait cru devoir garder entièrement pour lui les renseignements rapportés par son géographe en titre. Peut-être aussi M. Duyshart a-t-il succombé aux fatigues de son voyage. Il serait regrettable dans ce cas que ses notes et ses observations ne fussent point tombées entre les mains de personnes qui puissent en tirer parti.

À une heure et demie, je pris congé de M. Duyshart, dont le radeau se remit aussitôt en marche. Sa rencontre, les renseignements qu’il nous donnait sur le haut du fleuve, étaient certainement l’événement le plus considérable du voyage depuis notre départ de Saïgon. Le cercle de nos connaissances dans le nord de la vallée du Cambodge se trouvait sensiblement élargi ; mais nous pouvions prévoir déjà de graves difficultés au delà de Xieng Khong.

Le soir du même jour, nous franchissions les limites du royaume de Luang Prabang. Nous nous trouvions au commencement du rapide appelé Keng Sao. Le fleuve, qui en cet endroit a plus d’un kilomètre de large, présentait un aspect assez semblable à celui qu’il nous avait offert au-dessus de Sombor. Des brousses submergées, des îlots et des roches encombraient son lit d’une rive à l’autre, et nous dûmes le lendemain nous servir plusieurs fois de cordes pour faire passer à nos barques les points les plus difficiles de la route sinueuse qu’il faut suivre au milieu de tous ces obstacles.

Un peu au-dessus de Keng Sao, le lit du Cambodge se rétrécit et se nettoie un peu. Les collines se rapprochent encore une fois des rives et enferment entre deux parois de roches toutes les eaux du fleuve. Les maisons de Pak Lay apparaissent au milieu des grands arbres qui bordent la rive droite. Au pied de la berge, qui avait à ce moment une quinzaine de mètres d’élévation au-dessus du niveau de l’eau, s’étend devant le village un long banc de sable sur lequel avaient été construites quelques grandes cases en bambou, pour recevoir M. Duyshart, le mandarin siamois qui l’accompagnait et les gens de leur suite. C’était là une installation toute prête dont nous nous empressâmes de profiter, quand, le 17 avril, à dix heures du matin, nous débarquâmes à notre tour à Pak Lay.

Le village, construit en pleine forêt, présente une physionomie différente de celle que nous étions accoutumés à rencontrer. Pas de palmiers aux environs des cases, et les rizières, qui partout ailleurs touchent les dernières maisons, sont ici fort éloignées dans l’intérieur ; le pays, plus accidenté, offre peu de plaines pour cette culture. La forêt elle-même revêt un aspect plus sévère et des teintes plus sombres. Le dzao, ce magnifique arbre à huile, qui sert dans le sud à construire des pirogues, a disparu ; de nombreuses essences nouvelles font leur apparition.

Les habitants paraissaient d’un naturel plus réservé, et étaient loin de nous témoigner la curiosité indiscrète dont nous avions eu à subir jusque-là les importunités. Il est vrai qu’ils étaient déjà familiarisés avec les figures européennes. Il y avait six ans que Mouhot avait passé à Pak Lay, venant de Muong Leui et de Bankok.

Une route assez bonne longe la rive droite du fleuve, entre Pak Lay et Luang Prabang. Ce fut celle que suivit Mouhot. Elle était fréquentée jadis par les caravanes chinoises, qui partaient chaque année du Yun-nan et se dirigeaient en partie sur Ken tao, et en partie sur Muong Nan et Xieng Mai. Cette caravane annuelle, composée d’une centaine de personnes et de deux ou trois cents chevaux ou bœufs porteurs, venait échanger des ustensiles de cuivre et de fer, de la passementerie, de la soie grége et du fil d’or, contre du coton, de l’ivoire, des cornes de cerf et de rhinocéros, des plumes d’oiseaux et des crevettes séchées qui, sur les marchés de Xieng Mai et de Muong Nan, proviennent de Moulmein. Depuis les guerres qui ont désolé le sud de la Chine et la rive gauche du Mékong, ce trafic a complètement cessé et on ne rencontre plus sur cette route que quelques colporteurs pégouans. Xieng Mai et Muong Nan communiquent aujourd’hui avec le Yun-nan par la voie plus commode de Xieng Tong, que le voyage du lieutenant, aujourd’hui général Mac Leod, accompli en 1837, n’a pas peu contribué à faire suivre.

Le fleuve n’est pas entièrement abandonné comme moyen de transport entre Luang Prabang et le Laos méridional. Il sert de route à un commerce local qui est loin, il est vrai, d’avoir l’importance du précédent. Les radeaux sont les seules embarcations usitées par les commerçants ou les voyageurs pour redescendre le courant. Les pirogues de cette zone sont trop petites pour recevoir des marchandises d’une nature aussi encombrante que les nattes et les poteries que Luang Prabang expédie dans le sud.

Nous congédiâmes à Pak Lay les barques de Xieng Cang, et le chef du village déploya la plus grande activité pour nous en faire préparer de nouvelles. Il fallut sept pirogues du village pour remplacer les cinq qui nous avaient amenés. Elles furent prêtes en quarante-huit heures, et le 19 avril au matin nous nous remîmes en route.

Jusqu’à Luang Prabang, et même jusqu’à Xieng Khong, l’ascension du fleuve ne pouvait plus avoir le côté imprévu que nous avait offert notre voyage de Houtén à Pak Lay : nous connaissions à peu près la direction que nous allions suivre ; mais la transformation de la végétation et de la population, qui était plus sensible chaque jour depuis que nous remontions vers le nord, donnait au paysage un caractère de nouveauté qu’il n’avait pas eu depuis longtemps. Les montagnes calcaires qui dominaient la vallée du fleuve affectaient les formes les plus tourmentées et les plus bizarres, et encadraient ses eaux de lignes dentelées d’un effet original. De véritables jets de marbre se dressaient parfois subitement sur les rives, et formaient des murailles à pic que le fleuve baignait d’une onde tantôt tranquille, tantôt écumante.

Le Mékong était loin de couler à pleins bords entre les berges de plus en plus élevées qui limitaient son cours : une grande partie de son lit était à découvert ; il fallait souvent, pour arriver à la rive, franchir de longs espaces hérissés de rochers. Çà et là, quelques bancs de sable sur lesquels s’élevaient d’immenses pêcheries, véritables villes de bambou déjà abandonnées par les pêcheurs, en prévision de la crue des eaux.

Le lendemain de notre départ de Pak Lay, nous passâmes au pied d’une haute montagne à deux sommets, Phou Khan, descendant jusqu’au fleuve en trois gradins gigantesques, dont le dernier offre une hauteur verticale de plus d’une centaine de mètres. Sur l’autre rive se trouve un village, Ban May ou Muong Diap, auquel nous nous arrêtâmes un instant. Il fallut, pour y arriver, grimper à une échelle en bambou, d’une vingtaine de mètres de hauteur : la rive est trop à pic et la roche qui la compose est trop dure pour que les habitants aient pu y pratiquer les sentiers habituels. Nous fûmes récompensés de notre ascension par une vue des plus pittoresques : nous avions devant nous la longue perspective du fleuve, longeant pendant plusieurs milles la haute chaîne qui, vis-à-vis de nous, était venue tangenter son cours. Dans cet intervalle et paraissant jaillir de ses ondes, une série d’aiguilles calcaires bordaient la rive gauche et élevaient aux cieux leurs flèches aiguës et dénudées. À leur pied, une végétation vigoureuse dissimulait la roche et se réfléchissait dans les eaux profondes. Une rivière, le Nam Poun, venait près du village mêler ses eaux à celles du Cambodge, et sa vallée sinueuse déchirait d’une ligne plus sombre l’uniforme plaine de verdure que formaient, vues à distance, les forêts de la rive droite.

Pendant trois jours, nous ne vîmes plus aucune habitation sur les bords du fleuve, et nous dûmes chaque soir coucher dans nos barques. Les seuls incidents de la navigation étaient les rapides que nous rencontrions tous les trois ou quatre milles, et qui pour la plupart étaient formés par les galets et les roches, accumulés à leur embouchure par les nombreux petits affluents que le fleuve reçoit dans cette région. Nos bateliers franchissaient ces obstacles sans cordes et avec leurs gaffes, à l’aide de quelques vigoureux efforts. De temps en temps un orage illuminait d’éclairs multipliés la scène du fleuve, et mêlait au bruit de ses eaux les roulements du tonnerre mille fois répétés par les montagnes des rives. La grêle n’était point rare pendant ces grains qui duraient à peine une demi-heure et qui abaissaient brusquement la température de quatre ou cinq degrés. Le cours du fleuve était remarquablement droit et dirigé au nord ; en certains endroits, il remplissait entièrement son lit : sa largeur se réduisait alors à 150 mètres environ ; sa profondeur, très-uniforme, atteignait 26 mètres à très-peu de distance des rives ; le courant était d’un peu plus d’un mille à l’heure ; le niveau de l’eau, qui avait monté un instant sous l’influence des premières pluies, était redescendu depuis Pak Lay et paraissait être revenu à son point le plus bas. Les collines qui bordaient les rives avaient un aspect si régulier, qu’elles donnaient au fleuve l’aspect d’un canal. Une série de petites cascades tombaient de tous côtés dans ses eaux avec un bruit argentin (Voy. la vue du fleuve, p. 311).

Le 23 avril, nous rencontrâmes sur la rive gauche, à l’embouchure d’une petite rivière, le Nam Loua, un groupe de cases où nous essayâmes de renouveler notre stock de provisions de bouche qui se trouvait absolument réduit à du riz. Nous ne trouvâmes que des œufs. Le soir nous fûmes plus heureux, et nous pûmes acheter dans un village assez considérable, situé, comme le précédent, à l’embouchure d’une rivière, le Nam Neun, une quantité satisfaisante de volailles au prix de 15 centimes l’une. Dans la journée nous avions reconnu un affluent considérable de la rive droite, le Nam Houn, qui est loin d’avoir en ce point la largeur de 100 mètres que lui attribue Mouhot.


MONTAGNES CALCAIRES EN FACE DE BAN MUONG DIAP.

À partir du Nam Neun, le fleuve ne présente qu’une succession de rapides. Il se rétrécit et sa profondeur augmente rapidement : je trouvai 30 mètres, puis 60 mètres. Nous arrivions au pied de Keng Luong, l’un des passages les plus dangereux que nous eussions à franchir. Comme pour nous en montrer les périls, un cadavre, emporté par le courant, vint à ce moment passer près de nos barques. C’était celui d’un sauvage appartenant à l’une des nombreuses tribus qui habitent les montagnes voisines du fleuve. Un banc de sable et des roches s’avancent sur la rive gauche et forment au-dessous du rapide une sorte de petite baie à l’abri des remous ; ce fut là que nos barques abordèrent : il fallait les décharger complètement et leur enlever jusqu’à leurs toits en feuilles et la carcasse en bambou sur laquelle ils sont établis. Pendant que les bateliers et nos Annamites s’occupaient de ce travail, nous remontâmes le long du banc de sable pour reconnaître la difficulté.

Trois énormes rochers s’élèvent au milieu du fleuve et forment une sorte de barrière longitudinale qui le partage en deux bras. Le dernier de ces rochers ne laisse vis-à-vis de la pointe du banc qu’un étroit passage, heureusement très-court, dans lequel les eaux s’engouffrent avec une violence inouïe. Nos barques, une fois déchargées, devaient prendre l’autre bras du fleuve ; au bruit sourd qui nous parvenait et aux jets d’écume qui blanchissaient les intervalles du rideau de roches qui nous masquait la rive droite, il était évident que si ce second passage était moins dangereux, il était beaucoup plus long que le précédent.


KENG LUONG (24 AVRIL).

.

En amont du rapide, d’énormes falaises de rochers abrupts encaissent de tous côtés les eaux du fleuve et forment une sorte de bassin d’apparence circulaire, où les eaux calmes, noires et profondes ne trahissent le voisinage du danger que par d’imperceptibles rides, effets de l’attraction du courant. Sur les parois du rocher, on distinguait, au-dessus de nos têtes, la ligne tracée par le fleuve à l’époque des hautes eaux ; elle accusait entre les deux saisons une différence de niveau de 16 mètres. Le fleuve n’avait guère là plus de 200 mètres de large, et je le traversai à la nage pour examiner le passage ouest du rapide. Sur l’autre rive, la falaise s’était écroulée pour livrer passage à un torrent, en ce moment presque à sec, qui, pendant chaque jour de pluie, accumule à son embouchure une immense quantité de galets. Ces galets, joints aux roches provenant de la berge, se sont accumulés dans le lit du fleuve. Les eaux, irritées de ce soudain obstacle et attirées par le vide profond de la partie en aval où elles retrouvent soudain une profondeur de 60 mètres, se précipitent au milieu des roches qu’elles recouvrent d’une mer d’écume, et, au bout d’une course furibonde de plusieurs centaines de mètres, viennent se joindre,


VUE DU MÉKONG LE 22 AVRIL.

à l’extrémité du dernier ilôt, au torrent que forme le bras de la rive gauche.

L’aspect du rapide au moment de la crue doit être magnifique : toutes les roches qui occupent le milieu de la rivière sont recouvertes par les eaux, et le Cambodge n’offre plus qu’une masse imposante d’écume coulant à pleins bords entre deux parois de marbre.

À midi, toutes nos barques avaient franchi sans accident et à l’aide de cordes le passage difficile. On les gréa de nouveau et nous nous remîmes en route.


KENG CANIOC (25 AVRIL).

Les obstacles se multiplièrent devant nous pendant toute la journée, sans présenter cependant de difficulté aussi sérieuse que celle que nous venions de vaincre. Le chenal était de plus en plus encombré et rétréci par les roches, et à chaque angle, ou à chaque anfractuosité de leurs parois, il fallait lutter contre un courant dont la vitesse se décuplait tout d’un coup. La vallée du fleuve était redevenue complètement déserte et présentait un aspect de plus en plus sauvage. À quatre heures et demie du soir, nous nous arrêtâmes devant un nouveau rapide, Keng Canioc[5], qui nécessitait encore le déchargement de nos barques. Le passage en fut remis au lendemain.

Une seule roche, debout au milieu du fleuve et se prolongeant sous l’eau par de larges assises, produit une sorte de chute torrentueuse qui accusait à ce moment un dénivellement subit de près d’un mètre entre les eaux d’amont et celles d’aval. Le passage de l’est est le plus étroit, mais le plus court. C’est celui que prirent nos barques. En les halant avec des cordes contre ce courant de foudre, l’une d’elles se rompit ; mais le patron, resté fièrement debout au gouvernail, n’en continua pas moins à la diriger entre deux eaux, et les effets combinés de son aviron et de notre amarre réussirent à amener le long du bord la légère pirogue, qui fut vidée et remise à flot en un clin d’œil. Il suffit, à Keng Canioc, de porter les bagages à dos d’hommes, sur la rive, à une distance de 25 mètres du point de déchargement ; à Keng Luong, le trajet est de 300 mètres.

Le reste de la journée se passa à contourner péniblement une haute montagne calcaire qui s’élève sur la rive droite du fleuve, et au pied de laquelle ses eaux décrivent un demi-cercle. Vers le soir, nous avions réussi à doubler cette espèce de promontoire ; le courant s’était calmé ; des plages de sable remplaçaient les falaises de roches ; celles-ci se terminaient sur la rive droite par une masse de tuf calcaire d’une grande élévation, surplombant le fleuve. Une cascade jaillissait du sommet et ses eaux brillantes, à demi voilées par un rideau de lianes, d’arbustes et de plantes grimpantes, retombaient en pluie fine, tout irisée des rayons du soleil couchant. Nous nous arrêtâmes sur un banc de sable pour jouir de ce charmant paysage et préparer notre campement pour la nuit. Quelques marchands laotiens y étaient arrivés avant nous : ils nous montrèrent à peu de distance un radeau naufragé sur les roches et complètement envahi par les eaux. C’était là leur embarcation, et ils travaillaient activement à en sauver le contenu : déjà étalés sur le sable, se trouvaient des nattes, des gâteaux de cire, des paquets de gingembre. Mais que de choses avariées ou entraînées sans retour par le courant ! Les malheureux voyageurs n’en supportaient pas moins cette infortune avec beaucoup de philosophie, et songeaient à reconstruire un nouveau radeau avec les bambous de la rive.

Nous étions à ce moment très-près de Thadua, l’une des étapes de Mouhot dans son voyage par terre de Pak Lay à Luang Prabang. À une centaine de mètres de la berge, se trouvait une route assez large, remplie de traces d’éléphants et de bœufs porteurs. C’était celle que suivaient jadis les caravanes chinoises et qu’avait prise le voyageur français.

Le lendemain, nous arrivâmes de bonne heure à un village assez important, Ban Coksay, où nous devions changer de barques. Quoique situé sur le territoire de Luang Prabang, il dépend de la grande province de Muong Nan, dont le chef-lieu est à six jours de marche dans le sud-ouest.

La population de Ban Coksay est laotienne ; mais un grand nombre de sauvages des montagnes avoisinantes viennent dans le village y échanger leurs produits. Depuis que nous étions entrés dans la région montagneuse où le fleuve s’engage à partir de Vien Chan, cet élément de population avait pris une importance considérable. Nous avions rencontré à Xieng Cang les Khas Mis ; les sauvages que nous vîmes à Ban Coksay étaient des Khmous. Ces deux tribus, ainsi que celles qui portent plus haut les noms de Lemeth et de Does, paraissent être les débris d’une race unique que les Laotiens ont dépossédée de la souveraineté de la contrée. Leur langage n’offre que des dissemblances insignifiantes, et il a quelques rapports avec celui des tribus qui habitent les environs d’Attopeu, dans le sud du Laos[6]. Leur physionomie n’a plus cette expression soumise et craintive que les sauvages du sud ont dans leurs relations avec les habitants de la vallée du fleuve. Ils traitent au contraire d’égal à égal avec la race conquérante. Au sein de cette région montagneuse, leur propre berceau, ils reprennent l’ascendant de leur énergie native et de leurs qualités plus viriles. Leur nombre, le besoin que l’on a d’eux pour défendre contre des voisins entreprenants les défilés des montagnes, en font des auxiliaires que l’on ménage, et non, comme à Bassac ou à Attopeu, une matière imposable, productive de poudre d’or et d’esclaves.


UN SAUVAGE KHMOU.

En face du village, se trouvaient de grandes pêcheries dont la campagne paraissait avoir été très-fructueuse. Quelques indigènes employaient les derniers jours qui leur restaient encore, avant la crue des eaux, pour jeter une dernière fois leurs filets dans les parties du fleuve abritées du courant par une heureuse disposition des rochers des rives ; dans ces endroits frais, calmes et profonds, les gros poissons que nourrit le Cambodge trouvent, au milieu de tant de tourbillons et de rapides, le repos qui leur est nécessaire pour frayer. Nous fûmes témoins de la capture de l’un d’eux ; il nous étonna par ses énormes dimensions : il fallut le concours de cinq ou six hommes pour l’amener sur la rive. Il n’y avait malheureusement personne parmi nous à qui l’ichthyologie fût familière et qui pût reconnaître si ce poisson était parent d’une des grandes espèces que nourrit le grand lac du Cambodge, et qui donnent lieu, au moment de la baisse des eaux, à une pêche si fructueuse. Tous les grands fleuves de l’Asie orientale sont excessivement poissonneux et fournissent, en Chine, un appoint considérable à l’alimentation des classes pauvres. On a fait plusieurs tentatives pour acclimater en Europe quelques-unes des espèces les plus communes dans le fleuve Bleu. Est-ce au Tibet qu’il faut chercher le point de départ de ces poissons, qui sont certainement les rois de l’eau douce ? Les lits de roches et les énormes profondeurs que présentent le Cambodge et le Yang-tse kiang sont-ils les causes déterminantes de leur production ?

Le 27 au matin, nous quittâmes Ban Coksay. Après avoir franchi, immédiatement après notre départ, deux rapides assez difficiles à franchir pour les radeaux, Keng Soc et Keng Mong, nous constatâmes un changement notable dans l’aspect général de la contrée. Les mouvements de terrain devinrent moins brusques ; les ondulations des collines qui se succédaient sans interruption le long des rives, prirent plus d’ampleur, et nous offrirent des échappées plus nombreuses, des perspectives plus lointaines. L’horizon élargi nous laissa voir, sur la rive gauche du fleuve, cinq plans de montagnes graduellement étagés, de l’ouest à l’est ; quelques villages se présentèrent en amphithéâtre sur les pentes devenues moins abruptes. Le tapis sombre de verdure, qui recouvre uniformément toute la contrée, se diapra de taches d’une nuance plus claire, indiquant les cultures de riz de forêt.

Le 28, nous franchîmes encore plusieurs rapides, dans lesquels le fleuve, devenu plus large, éparpillait ses eaux peu profondes entre quelques îles et de nombreux bancs de sable ; le soir, nous nous arrêtâmes à Ban Seluang pour changer une dernière fois de barques : nous n’étions plus qu’à quelques milles de Luang Prabang. Grâce à l’activité déployée par tout le monde, nous pûmes dès le lendemain matin nous remettre en route pour cette dernière destination.

Vers onze heures, nous tournions le dernier coude que forme le fleuve au-dessous de Luang Prabang et qui est produit par une petite colline calcaire à pic sur la rive droite. La ville nous apparut alors sur la rive opposée, à deux milles de distance. Le coup d’œil qu’elle nous offrait était des plus pittoresques et des plus animés[7]. Depuis notre départ de Cochinchine, nous n’avions pas rencontré une agglomération aussi considérable de maisons. Leurs toits pressés s’alignaient en séries parallèles le long du fleuve et entouraient de tous côtés un petit monticule qui s’élevait comme un dôme de verdure au milieu de cette surface


VUE DU NAM KAN OU RIVIÈRE DE LUANG PRABANG.

grisâtre de chaume. Au sommet de ce monticule, un Tât dégageait sa flèche aiguë du feuillage

des arbres, et formait le trait dominant du paysage. Quelques pagodes s’étageaient sur les pentes de cette espèce de mont sacré, et leurs toits rouges tranchaient vivement sur le vert sombre de la végétation. Au pied des berges, hautes d’une quinzaine de mètres, des radeaux fixes, sur lesquels étaient construites de nombreuses cases, composaient, au-dessous de la ville, comme une seconde cité, que de nombreux sentiers en zigzag, qui apparaissaient de loin comme autant de lacets blancs, reliaient aux maisons de la rive. Des centaines de barques de toutes dimensions montaient ou descendaient rapidement le long de ce faubourg flottant, tandis que de larges et lourds radeaux, venant du haut du fleuve, cherchaient lentement près du bord un endroit commode pour s’amarrer et décharger leurs marchandises. Un monde de bateliers et de portefaix se mouvait au pied de la berge, et il s’en échappait une clameur confuse qui se mêlait au murmure des eaux du fleuve et au bruissement des palmiers que le vent balançait sur les bords.

Deux plans successifs de hautes montagnes formaient à ce tableau un sombre canevas sur lequel, tout inondés de lumière, le fleuve et la ville s’enlevaient avec vigueur. Quelques nuages flottaient au-dessus des plus hautes cimes, et traçaient une ligne de démarcation irrégulière et indécise, entre le vif azur du ciel et les teintes bleuâtres et dégradées des plus lointains horizons terrestres.

Sur l’autre rive du fleuve régnaient un calme et un silence relatifs ; sur la berge même, de longues rangées de bambous destinés à faire sécher les filets et le poisson ; un peu au delà, des jardins, quelques maisons éparses et des pagodes ; en troisième plan, une rangée de collines aux pentes abruptes et dénudées.

Il était midi quand nos barques s’arrêtèrent devant Luang Prabang : un mandarin subalterne se trouvait là pour nous recevoir. Nos hommes en armes descendirent à terre et formèrent la haie sur le passage du commandant de Lagrée. Guidés par notre cicérone indigène, nous gravîmes la berge, et nous pénétrâmes dans la ville. Pour la première fois, nous trouvions des rues larges et assez régulières, se coupant à angle droit, et formées par les hautes palissades qui entourent toutes les demeures. Après un court trajet, nous arrivâmes à Wat Pounkeo, pagode qui nous était assignée comme logement provisoire.

La population, qui eût été fort incommode si elle eût été importune, se montra moins empressée à nous voir que nous ne l’avions craint. Soit que le séjour de Mouhot et le passage de M. Duyshart eussent émoussé sa curiosité, soit qu’elle fut trop affairée pour s’apercevoir de notre présence, nous n’eûmes à nous débarrasser que des quelques gamins trop audacieux qui franchissaient l’enceinte de la pagode, et nous pûmes visiter la ville et observer ce qui s’y passait sans trop de gêne et sans trop d’émoi.

Un affluent assez important du Cambodge, le Nam Kan, vient contourner à l’est et au nord la petite colline au pied de laquelle la ville est construite et partage celle-ci en deux parties inégales dont la plus considérable reste au sud de son embouchure. Les bords du Nam Kan offrent, jusqu’à une assez grande distance dans l’intérieur, une succession ininterrompue de pagodes et de grands jardins où l’on cultive le bétel et où notre botaniste trouva pour la première fois des pêchers, des pruniers, des lauriers-roses. Nous entrions dans une zone plus tempérée, où les fruits et les arbustes de l’Asie centrale peuvent croître et se développer.

C’est dans la partie méridionale de la ville que s’élève le palais du roi, énorme entassement de cases, entouré d’une haute et forte palissade, et formant un rectangle dont un des côtés est contigu à la base de la colline centrale, qui est en cet endroit presque à pic. Un escalier de plusieurs centaines de marches est pratiqué dans le roc et conduit directement à la pyramide sacrée qui en couronne le sommet. Un marché quotidien et excessivement animé se tient sous des hangars spéciaux près du confluent du Nam Kan et du Cambodge ; mais tous les marchands sont loin de pouvoir y trouver place, et les échoppes en plein vent se prolongent encore pendant plus d’un kilomètre le long d’une grande rue parallèle au fleuve. C’était la première fois depuis notre départ de Pnom Penh que nous trouvions un marché dans le sens que l’on est habitué en Europe à donner à ce mot[8].

Cette activité subite, ce commerce devenu relativement considérable, si on en jugeait par les types nombreux et divers qui représentaient à Luang Prabang toutes les nations de l’Indo-Chine et de l’Inde, accusaient, évidemment, moins un changement de race ou une augmentation des produits du sol, qu’une différence radicale dans le régime politique. Plus riches et plus commerçantes encore avaient été les régions du Laos méridional au temps de leur indépendance ; l’oppression et le monopole siamois, en faisant aux vainqueurs une trop large part dans les bénéfices, ont seuls dégoûté les vaincus d’un travail devenu stérile et d’échanges qui se trouvent ruineux. À Luang Prabang, si la vie renaissait, C’est que la sujétion siamoise ne devait comporter que des charges légères et que l’on sentait à Bankok quels ménagements étaient dus à cette puissante province.

À l’instar de Siam, il y a à Luang Prabang un premier et un second roi. Ce dernier était parti pour Bankok, et son retour était attendu dans un mois environ. Nous espérions vaguement que le consul de France profiterait de cette occasion pour nous faire parvenir quelques lettres. Notre première préoccupation devait être d’entrer en relations officielles avec les autorités de la ville, d’en obtenir des renseignements sur l’état des pays voisins et sur les difficultés qui nous y attendaient, de savoir si nous pourrions compter sur la bonne volonté du roi pour les vaincre. Ce n’est qu’après avoir éclairci tous ces points qu’il était possible de fixer la durée de notre séjour et l’étendue des travaux à entreprendre à Luang Prabang. Aussi le commandant de Lagrée entra-t-il immédiatement en pourparlers avec les délégués du Sena pour demander au roi une audience, en fixer le jour et en régler le cérémonial.



  1. Écrit par erreur sur la carte Keng Kho.
  2. Le nom de ce rapide a été écrit trop à droite sur la carte et doit être rapporté à la branche descendante et non à la branche ascendante du fleuve.
  3. Voy Atlas, 2e partie, pl. XXIV.
  4. Consultez pour la suite du récit, la carte itinéraire no 6, Atlas, 1re partie, pl. IX.
  5. Écrit par erreur sur la carte Keng Sanioc.
  6. Voy. les vocabulaires donnés à la fin du second volume et les types 11, 12, 13 de la pl. I de la 2e partie de l’Atlas. Mac Leod a déjà mentionné ces tribus sous le nom de Kamu et de Kamet dans le journal de son voyage à Xieng Hong (p. 42). J’ignore si les Khas Mis ont autre chose de commun que le nom avec les Kamis ou Koumis qui habitent le territoire d’Aracan.
  7. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXV, une vue générale de Luang Prabang.
  8. Voy. Atlas, 2e partie, pl. XXVI.