Voyage d’exploration en Indo-Chine/Aperçu historique sur les découvertes géographiques en Indo-Chine

VOYAGE D’EXPLORATION
EN INDO-CHINE
PARTIE DESCRIPTIVE, HISTORIQUE ET POLITIQUE
PAR M. FRANCIS GARNIER

I

APERÇU HISTORIQUE SUR LES DÉCOUVERTES GÉOGRAPHIQUES EN INDO-CHINE[1].


Le plateau du Tibet forme, au centre de l’Asie, comme une immense terrasse dont les bords sont dessinés sans interruption, au nord, à l’ouest et au sud, par de hautes chaînes de montagnes, mais qui va en s’abaissant graduellement vers l’est et déverse de ce côté la plus grande partie de ses eaux. C’est surtout par l’angle sud-est que s’échappent la plupart des fleuves qu’il alimente. Là, dans un espace de moins de soixante lieues, le Brahmapoutre, l’Iraouady, la Salouen, le Cambodge, le Yang-tse kiang, quelque temps arrêtés et contenus par la puissante barrière de l’Himalaya, réussissent à se frayer un passage et tracent de profonds sillons dans les flancs déjà légèrement affaissés de cet énorme soulèvement. Ses derniers contre-forts se prolongent cependant encore assez dans cette direction pour donner naissance au fleuve de Canton, le Si kiang, au fleuve du Tongking, le Ho-ti kiang, et au fleuve de Siam, le Ménam ; mais ces rivières, quoique comparables aux plus grands cours d’eau de l’Europe, ne sauraient être mises sur la même ligne que celles qui précèdent, dont les sources, encore peu connues, sont probablement toutes situées à l’intérieur du plateau lui-même.

Parallèles et voisins à leur sortie du Tibet, ces cinq grands fleuves ne tardent pas à se séparer. Tandis que le Yang-tse kiang ou fleuve Bleu se détourne brusquement vers l’est et le nord, traverse toute la Chine, dont il peut être considéré comme le grand diamètre, et va se jeter à la mer près de Shang-hai, le Brahmapoutre s’infléchit à l’ouest et au sud pour aller mêler ses eaux à celles du Gange, non loin de Calcutta. Chacun d’eux semble personnifier ainsi la civilisation et contenir les destinées de l’une des deux plus vieilles nations de l’Asie et du monde : la Chine et l’Inde.

On désigne généralement sous l’appellation d’Indo-Chine la vaste étendue de pays qui sépare les vallées de ces deux fleuves. Bizarrement découpé par la mer, cet espace angulaire s’allonge vers l’équateur, en formant une longue et étroite barrière entre les eaux du golfe du Bengale et celles des mers de Chine, et constitue, à l’extrémité sud-est du continent asiatique, une vaste presqu’île qu’arrosent l’Iraouady, la Salouen, le Ménam, le Cambodge et le fleuve du Tong-king.

Rien de plus confus et de plus contradictoire que les renseignements que les premiers voyageurs nous ont laissés sur l’Indo-Chine. Champ de bataille de plusieurs races, point de contact de plusieurs civilisations, cette région, qui réunit presque tous les climats, a présenté successivement les aspects les plus divers. Les bouleversements incessants dont elle a été le théâtre, les désignations innombrables données tour à tour à chaque peuplade, à chaque cours d’eau, à chaque chaîne de montagnes, ont produit au point de vue géographique un chaos presque inextricable, et les traits les plus saillants de la constitution physique de la contrée ne restent pas moins difficiles à saisir que ceux de son existence politique.

De toutes les parties de l’Asie, l’Indo-Chine a été la dernière connue des Occidentaux. L’élan imprimé au monde ancien par les conquêtes d’Alexandre, après avoir reculé rapidement de l’Indus au Gange la limite des terres connues, semble avoir été longtemps impuissant à faire franchir ce dernier fleuve aux Européens. D’un autre côté, l’extension de l’influence et de la domination chinoises jusque sur les bords de l’Oxus et de l’Iaxartes, au deuxième siècle avant notre ère, créa au nord de l’Himalaya un courant commercial important, qui mit en communication le Céleste Empire et l’Europe par des routes trop septentrionales pour laisser soupçonner l’existence de l’Indo-Chine.

Cependant les difficultés et la longueur de ces routes, qu’infestaient des peuplades errantes et guerrières, en lutte perpétuelle avec les Chinois, firent bientôt rechercher à ceux-ci une voie plus commode pour communiquer avec l’Occident. À la suite de la mission du général Tchang-kian (122 av. notre ère) dans les régions transoxanes, l’empereur Hiao-wou-ti envoya une expédition qui devait essayer de parvenir par le sud dans le pays de Chin-thou (région de l’Indus). Arrivée dans le pays de Tien, la province actuelle du Yun-nan, cette expédition dut aux artifices du roi de ce pays d’être retenue pendant plus de quatre années chez les Kiang, populations tibétaines de la frontière, et revint sans avoir réussi à atteindre le but indiqué.

Ce n’est que deux siècles après que les communications entre la Chine et l’Inde par le nord de l’Indo-Chine paraissent devenir plus fréquentes. La propagation du bouddhisme, dont l’introduction en Chine date de l’an 61 après Jésus-Christ, et qui se répandit à la même époque dans la péninsule indo-chinoise, contribua sans doute à ce résultat. La route de Taxila sur l’Indus à Palibothra sur le Gange, fréquentée depuis longtemps déjà, servit de trait d’union entre la Chine et l’Asie Mineure et fit quelque temps concurrence aux routes, trop souvent interrompues par la guerre, qui, par le nord des monts Célestes, ou par le lac Lop, Khotan (Ilchi de nos jours), Kachgar et la Bactriane, reliaient les provinces septentrionales de la Chine à l’Occident. Les annales chinoises constatent que vers cette époque les habitants du Ta-thsin (empire romain) venaient souvent pour leur commerce jusqu’aux royaumes de Fou-nan, de Ji-nan, de Kiao-tchi, c’est-à-dire dans la partie supérieure de l’Indo-Chine, et que les rois de l’Inde envoyaient leurs tributs et leurs ambassades « en dehors de la frontière du Ji-nan ». C’est également cette route que semble avoir suivie en 166 l’ambassade d’Antonin[2].

En 227, les historiens chinois mentionnent encore la venue d’un Romain nommé Lun dans le Kiao-tchi (Tong-king) ; de là il se serait rendu à la cour du roi d’Ou (Chine méridionale). C’est vers la même date qu’il est parlé pour la première fois des relations maritimes du puissant royaume de Fou-nan avec l’Inde.

Cependant les routes du Nord de l’Himalaya paraissent avoir été encore les plus en faveur jusqu’à la chute de l’empire romain, soit que les guerres qui ont de tout temps désolé le Nord de l’Indo-Chine fussent un obstacle invincible à l’établissement par cette voie de relations commerciales régulières ; soit que la production de la soie, qui était le principal objectif des caravanes romaines, fût restée localisée sur les bords du fleuve Jaune et qu’il y eût par conséquent avantage à passer par la vallée du Iaxartes (Syr Deria de nos jours) pour s’y rendre. À l’époque de Constantin, ce commerce devint même assez actif ; mais rien ne permet de supposer qu’en dehors de ces communications continentales il existât une intercourse maritime entre la Chine et l’Occident et que les côtes de la péninsule indo-chinoise aient été dès ce moment reconnues et visitées par les navigateurs romains.

Les relations par mer de l’Inde et de l’Égypte remontent, il est vrai, à 72 ans avant notre ère : longtemps limitées à un long et timide cabotage le long des côtes de l’Arabie et du golfe Persique, elles prirent un plus grand essor, lorsque, à la suite d’Hippalus, au milieu du premier siècle de notre ère, les navires osèrent s’abandonner à la mousson favorable pour traverser en ligne droite le golfe d’Oman et se rendre directement de l’entrée de la mer Rouge aux embouchures de l’Indus ; mais cette navigation, destinée surtout à rattacher l’Égypte au mouvement commercial de l’Asie, ne paraît pas s’être étendue sur les côtes de l’Inde beaucoup au delà du golfe de Cambaïe[3].

Il en est de même du commerce maritime de la Chine avec l’Inde, dont Ceylan et les embouchures du Godavery ont été de bonne heure l’entrepôt : les jonques chinoises, familiarisées depuis des siècles avec l’usage de la boussole et le phénomène des moussons qui se produit dans les mers de la Chine tout aussi bien que sur les côtes de l’Inde, atteignirent ces deux points à une époque probablement fort ancienne ; mais leur navigation ne se prolongea que beaucoup plus tard jusqu’aux embouchures de l’Euphrate.

La chute de l’empire romain légua à la Perse et à l’Éthiopie le commerce qui se faisait à travers le continent asiatique avec la Chine et l’intercourse maritime avec l’Inde, dès la fin du quatrième siècle de notre ère. Ce fut dans la première moitié du siècle suivant que, d’après le témoignage de Massoudi, des navires venus de Chine apparurent en grand nombre dans le golfe Persique. Les pèlerinages des Chinois bouddhistes dans le Nord de l’Inde se font toujours par terre, mais l’un de ces pèlerins, le célèbre Fa-hien, après avoir suivi la route continentale pour se rendre dans le pays de Chin-thou, s’embarque, pour effectuer son retour dans sa patrie, aux embouchures du Gange, touche à Ceylan et à Java et vient atterrir dans la province chinoise du Chan-tong (414).

La conquête de Ceylan au sixième siècle par Cosroès-Nouschirevan dut activer les relations maritimes entre la Perse et l’extrême Orient, mais elles ne prirent un développement considérable qu’à partir du siècle suivant, sous la domination arabe. Dès 637, les Arabes se répandirent sur les côtes occidentales de l’Inde, et les conquêtes du fameux Hadjadj et de son cousin Mohammed (696-714) multiplièrent les points de contact entre les deux extrémités de l’Asie. À cette époque, une colonie de marchands musulmans s’établit à Ceylan, et la navigation entre la Chine et les nouvelles villes de Bassora et de Syraf, fondées par Omar, devint excessivement active, mais ne semble avoir porté aucun préjudice au commerce continental, qui continua à se faire entre la province chinoise du Chen-si et les bords du Tigre par le Khorassan et la vallée de l’Oxus (Djihoun de nos jours). L’ambassade, envoyée en 643 par le royaume de Fou-lin (Bas-Empire) à la cour des Thang, suivit probablement cette dernière route ou une autre plus septentrionale encore (Nord de la Caspienne, pays des Kirghiz).

C’est à partir de cette époque que l’on peut commencer à trouver dans les écrivains orientaux des renseignements géographiques et historiques précieux sur la péninsule indo-chinoise. Malheureusement l’obscurité et l’insuffisance des données modernes relatives à cette partie du continent asiatique ont provoqué à son égard une sorte d’oubli de la part des savants orientalistes qui ont commenté les ouvrages arabes et persans de cette période. Quand on parcourt les nombreux travaux auxquels ces ouvrages ont donné lieu, on reste frappé du peu de place que tient l’importante presqu’île dont nous parlons dans les préoccupations des traducteurs. Il y a une sorte de parti pris de retrouver dans l’Inde proprement dite tous les royaumes, toutes les villes énoncées par les auteurs, et l’on ne tient aucun compte de l’espace géographique même occupé par l’Indo-Chine, et de l’immense développement de côtes qu’elle présente[4].

Nous ne discuterons pas en ce moment les identifications plus ou moins heureuses qui ont été faites des lieux successivement décrits par les géographes et les voyageurs arabes. Il semble résulter de l’ensemble de leurs témoignages que, dès le huitième siècle de notre ère, toutes les côtes de la presqu’île de Malaca, de la Cochinchine, du Tong-king, étaient visitées par les navigateurs occidentaux. En 758, les Arabes et les Persans étaient si nombreux à Khan-fou[5], port le plus fréquenté de la Chine, qu’ils purent y exciter une sédition.

Malaca, ou tout autre port situé à l’extrémité de la presqu’île, devint le point de rencontre des flottes chinoises et des flottes arabes, en même temps que de nombreuses routes continentales, dont quelques-unes passaient par le Nord de l’Indo-Chine et le pays d’Assam, achevaient de mettre en communication les deux empires.

Les révoltes et les troubles qui se produisirent à Khan-fou et dans tout le Céleste Empire à la fin du neuvième siècle, et qui amenèrent la chute de la dynastie des Thang, ralentirent un instant les relations commerciales avec la Chine et les concentrèrent plus dans le Sud, dans les riches îles de la Sonde et aux embouchures des grands fleuves de l’Indo-Chine. Les conquêtes de Mahmoud le Gaznévide, qui étendirent au onzième siècle la domination musulmane jusqu’au Gange, la fondation de l’empire de Delhy et la ferveur bouddhique de certains empereurs de la Chine, amenèrent dans la suite de nombreux rapprochements entre ces derniers et les sultans de l’Inde. C’est à l’un de ces rapprochements que nous devons les voyages d’Ibn Batoutah, qui eurent lieu de 1342 à 1349, et qui fournirent quelques renseignements sur l’Indo-Chine.

Plus d’un demi-siècle avant lui, le Vénitien Marco Polo avait pénétré dans le Nord de la péninsule et parcouru une partie du Yun-nan, de la Birmanie et des régions intermédiaires. Son récit, tant de fois discuté, est un des documents les plus intéressants et les plus précieux pour la reconstitution de l’histoire de cette partie de l’Indo-Chine. Marco Polo visita également le royaume de Tsiampa sur les côtes orientales de la presqu’île.

Tout fait supposer que dès ce moment quelques marchands européens parcouraient déjà les côtes du golfe du Bengale et pénétraient au delà du Gange. À la suite des croisades, beaucoup de Grecs du Bas-Empire, de Génois et de Vénitiens avaient pénétré dans l’Orient et en avaient adopté le langage, le costume, les mœurs, et au besoin la religion. Mêlés aux Persans et aux Mores, ils venaient échanger contre des aromates, des étoffes et des pierres précieuses, quelques objets de quincaillerie, du safran et surtout le corail qui, dès la plus haute antiquité, a fourni l’article de la production européenne le plus recherché par les Asiatiques. La relation du Vénitien Nicolo di Conti, écrite au milieu du quinzième siècle, celle du Bolonais Ludovico Barthema, écrite au commencement du seizième, jettent une vive lumière sur la nature de ce commerce. Pendant le cours de ses voyages, qui durèrent vingt-cinq ans (de 1419 à 1444), Nicolo di Conti visita l’Aracan et le royaume d’Ava. Il a décrit avec soin cette capitale, dont le nom apparaît ici pour la première fois. Il paraît également avoir visité les côtes du Tsiampa. Ludovico Barthema parcourut, de 1502 à 1505, toutes les côtes méridionales de l’Asie, depuis le golfe Persique jusqu’à la presqu’île de Malaca et aux îles de la Sonde. Ces deux voyageurs ne sont probablement pas les seuls marchands européens qui aient devancé les Portugais aux Indes orientales, et même après la découverte de la route maritime, leur itinéraire continua à être suivi par de nombreux commerçants italiens[6].

Tout le monde sait que Vasco de Gama aborda pour la première fois sur les côtes occidentales de l’Inde en 1497. Dès 1505, il était nécessaire de mettre un vice-roi à la tête des nouvelles possessions portugaises. Ce ne fut pas d’ailleurs sans luttes que les Arabes se laissèrent déposséder, par des étrangers, du commerce dont ils étaient en possession depuis si longtemps. Ces résistances qu’ils suscitèrent aux Européens retinrent ceux-ci pendant quelques années dans l’Inde proprement dite, mais l’ardeur des découvertes et le succès de leurs premières tentatives poussèrent bientôt les Portugais en avant. Le 5 avril 1508, Diogo Lopez de Sigueira partait de Lisbonne avec quatre navires, avec la mission expresse du roi Emmanuel de faire voile au delà du Gange et d’atterrir à Malaca, « ville très-riche et renommée, dit un auteur du temps, pour être l’un des plus notables lieux des foires de l’Orient. » Sigueira, après avoir relâché à Madagascar et à Cochin, où il s’aboucha avec don Francisco d’Almeida, premier vice-roi des Indes portugaises, prit terre à Pedir, à l’extrémité Nord-Est de l’île de Sumatra, puis donna dans le détroit de Malaca, et aborda en cette dernière ville en mars 1509. Là, comme dans le reste de l’Inde, les marchands indiens et arabes, jaloux de cette nouvelle et redoutable concurrence que venait établir le commerce européen, s’attachèrent à prévenir le roi de Malaca contre les étrangers, ce que le récit de leur conduite violente et souvent injustifiable sur la côte de Malabar rendit facile. Sigueira n’échappa qu’à grand’peine aux pièges qui lui furent tendus et dut s’enfuir au plus vite de cette ville en y laissant quelques-uns des siens morts ou prisonniers. Dès l’année suivante, Diogo Mendez de Vasconcellos partait de Lisbonne avec quatre navires (12 mars 1510), pour venger cet affront ; mais, à son arrivée à Goa, il fut arrêté dans sa mission par Albuquerque, qui voulut se charger lui-même de la conduite de l’expédition. À la tête d’une flotte de dix-neuf bâtiments, le vice-roi portugais fit voile pour le détroit au mois de mai 1511, et le 1er juillet il jeta l’ancre devant Malaca. Ce fut pendant le siège de cette ville qu’Albuquerque noua les premières relations politiques avec le royaume de Siam. Après la prise de Malaca, une citadelle fut construite pour assurer la domination des vainqueurs : Albuquerque en confia le commandement à Ruy de Brito, envoya de nouveaux ambassadeurs, Antonio de Miranda et Duarte Coelho, au roi de Siam, pour resserrer davantage les nouveaux liens d’amitié contractée avec ce puissant souverain, et reçut en même temps les félicitations plus ou moins sincères des rois du Pégou, de Java et de Sumatra.

À partir de ce moment, les relations des Portugais avec les différents royaumes de l’Indo-Chine se multiplient et présentent les péripéties les plus diverses. En 1517, Antonio de Miranda retourne à Siam avec Antonio de Saldanha. Aleixo de Meneses, nouveau gouverneur de Malaca, y renvoie l’année suivante Duarte Coelho, qui séjourne un an à Ajuthia, la capitale, et en repart en novembre 1519, escorté de deux bâtiments siamois, destinés à le protéger contre les entreprises du roi de Bintang, alors en guerre avec les Portugais. En 1516, Henri de Leme avait atterri à Martaban, dans le Pégou. Odoardo Barbosa visite et décrit à la même époque presque tous les royaumes de la péninsule et meurt assassiné avec l’illustre Magellan dans l’île de Cébu (1521).

Les aventuriers portugais se répandent à cette époque de tous côtés dans l’intérieur du pays, vivement attirés par les offres brillantes de rois toujours en guerre les uns contre les autres et désireux de s’assurer le concours des armes et de la valeur européennes. C’est ainsi que Domingo de Seixas séjourne vingt-cinq années dans le Siam, Antonio Correo plusieurs années dans le Pégou, que Fernando de Moraes s’engage avec cinquante de ses compatriotes au service du roi de ce pays et succombe après une belle défense dans une bataille navale livrée au roi de Brama (1538). À ce moment, se rapportent aussi les curieuses aventures et les longues pérégrinations dont Fernand Mindez Pinto nous a laissé l’intéressant récit. Sous les ordres d’Antonio de Faria, Pinto touche à Poulo-condor (1540), parcourt les côtes du Tsiampa et de la Cochinchine, relâche à l’île d’Haïnan et recueille de nombreux renseignements sur la géographie et la distribution politique de l’intérieur de l’Indo-Chine. Après un long séjour en Chine, il retourne en 1544 à Martaban, et se met, avec plusieurs de ses compagnons, au service de Brama, qui réussit à s’emparer de cette ville peu après son arrivée. Il fait partie d’une ambassade envoyée par le vainqueur au roi de Calaminham, et fait un long trajet dans l’intérieur du pays. Toute cette relation, où les royaumes de Xieng Mai, d’Ava, de Pégou, de Siam, jouent un grand rôle, est malheureusement très-confuse et l’auteur s’est laissé trop souvent égarer par son imagination. Il est possible cependant de tirer de son récit de précieux renseignements.

Il faut citer encore parmi les aventuriers portugais qui jouèrent à cette époque un rôle dans les guerres de la péninsule, Diogo Soarez de Mello[7], qui vers 1546 paraît avoir eu le titre de gouverneur du Pégou, Fernando de Noronha, José de Sousa, Athanasio de Aguiar, tous les quatre au service du roi de Brama ; Diogo Pereira, qui, malgré la présence de ses compatriotes dans le camp du roi de Brama, prêta son concours au roi de Siam pour défendre sa capitale assiégée (1548), et réussit à en empêcher la prise.

Toute cette période, si riche en voyageurs, si remplie de faits, et pendant laquelle les Européens se mélangèrent si intimement aux nations indo-chinoises, que l’on peut constater encore en certains endroits l’influence du contact des Portugais sur la race indigène, est très-pauvre en écrivains instruits et en observateurs sérieux. La géographie intérieure de l’Indo-Chine reste aussi peu connue, et les mœurs, l’histoire, l’ethnographie de ses populations, sont les moindres des préoccupations du moment.

Des navigateurs français, les frères Parmentier, avaient fait deux voyages aux îles de la Sonde et en Chine vers 1525 et 1529, mais ne paraissent avoir abordé sur aucun point des côtes de la partie de l’Asie qui nous occupe.

En 1565, les Espagnols prirent possession des Philippines, d’où ils ne tardèrent pas à se répandre en Indo-Chine. En 1581, des missionnaires espagnols s’introduisirent en Cochinchine, à Siam et au Cambodge. Ils avaient été précédés dans ce dernier royaume par le religieux portugais Gaspar da Cruz qui s’y rendit de Malaca vers 1560, mais qui n’y fit pas un long séjour. Quelques années plus tard, le dominicain Alonzo Ximenez paraît avoir joui d’une grande influence à la cour d’Apramlangara, roi du Cambodge, qui avait sollicité et obtenu le secours des Espagnols contre un de ses neveux révolté. Celui-ci l’ayant emporté un instant, Apramlangara avait été obligé de fuir dans le Laos, où deux Espagnols, Rlas Ruiz et Diego Reloso, débarqués sur les côtes de Cochinchine, avaient été le rejoindre (1596). C’est la première mention précise que l’on rencontre d’Européens ayant pénétré dans le royaume du Laos. Ces deux aventuriers, depuis fort longtemps dans le pays, avaient épousé des femmes indigènes, et l’un d’eux, Blas Ruiz, était resté quelque temps esclave dans le Tsiampa. Luiz Perez de Las Marinas, gouverneur de Manille, puis dominicain, et Juan Xuarez Gallinato jouèrent également un rôle actif dans cette guerre dont Ribadeneyra et Christoval de Jaque nous ont laissé le récit. Ces deux auteurs sont les premiers qui aient décrit les ruines d’Angcor, découvertes en 1570 dans l’intérieur du Cambodge.

Pour donner une idée de la confusion géographique qui continue à régner dans les idées des voyageurs de cette époque, nous citerons l’opinion de Christoval de Jaque, qui dit que « chacun des royaumes du Cambodge, du Pégou et de Rachon (Aracan) est arrosé par un bras du Gange. »

En 1596, les Hollandais apparurent à leur tour sur les côtes de l’Indo-Chine. Les Anglais, établis depuis quelque temps sur les côtes de l’Inde, commencèrent également à s’immiscer dans les affaires de la péninsule. Les compétitions qui se produisirent alors entre les différents pavillons européens, pour conserver ou acquérir une part prépondérante dans le commerce de cette presqu’île, nuisirent à leur influence et affaiblirent leur prestige. Les actes de piraterie, les trahisons, les violences dont les Portugais surtout s’étaient rendus coupables, amenèrent partout la désaffection et la haine. Syriam, qui leur avait été cédé par le roi d’Aracan, fut repris en 1613 par le roi d’Ava, qui y fit mourir Philippo de Brito. À Siam, au Cambodge, au Tsiampa en Cochinchine, au Tong-king, où les Portugais possédaient des factoreries, une lutte sourde s’éleva entre eux et les Hollandais. Brouwer, gouverneur général des Indes néerlandaises, se rendit en 1613 à Ajuthia, où depuis 1606 il y avait une loge hollandaise, et où en 1610 Henri Middleton fonda le premier comptoir anglais. Des facteurs anglais et hollandais furent massacrés en 1619 en Cochinchine. En 1624, le roi de Siam força le Portugais Fernando de Sylva à rendre une galère enlevée aux Hollandais dans la rivière de Bankok. Sous le gouvernement de Van Diemen, le Hollandais Charles Hartsinck jouit un instant d’une grande faveur à la cour du Tong-king, et jeta en 1637 la base des premières relations commerciales avec ce pays. La Compagnie hollandaise avait aussi à ce moment un établissement au Cambodge : elle s’empara en 1641 de Malaca, et le commis Gérard van Wusthof remonta la même année le fleuve du Cambodge ou Mékong jusqu’à Vien Chan, capitale du Laos. Pas plus que ses prédécesseurs, Wusthof ne s’est préoccupé de nous laisser des documents géographiques sérieux. En 1643, l’assassinat de Regemortes, ambassadeur hollandais, et de tout le personnel de la factorerie, accompli sur les instigations des Portugais, mit fin aux rapports officiels des Européens avec le Cambodge, et ils furent expulsés peu après du Tong-king et de la Cochinchine.

Peu après Wusthof, le jésuite Jean-Marie Leria pénétra au Laos par le Cambodge et y séjourna plusieurs années (1643-1647). Les renseignements de ce missionnaire, recueillis par Martini dans son Novus Atlas Sinensis et par Marini dans ses Lettres sur les Missions de la province du Japon, sont encore fort erronés au point de vue géographique, et c’est lui qui a accrédité l’opinion, reproduite aujourd’hui sur plusieurs cartes, que le Menam, ou fleuve de Siam, et le Cambodge venaient se réunir dans le Laos et n’y formaient plus qu’un fleuve unique[8]. D’autres tentatives avaient été faites auparavant par les missions catholiques du Tong-king pour reconnaître et évangéliser l’intérieur de la péninsule ; mais elles n’avaient eu d’autre résultat que la mort du père Bonelli, qui succomba, en 1638, dans les montagnes qui séparent le Tong-king du Laos, sans avoir atteint le but de son voyage. Les écrits des missionnaires Boni, Alexandre de Rhodes, Tissanier, sur l’histoire et les mœurs de toute la côte orientale de la presqu’île (Tong-king, Cochinchine, Tsiampa), ceux de Mandelslo, la relation de la Mission des évêques français envoyés à Siam en 1661, méritent aussi d’être cités.

À la fin du dix-septième siècle, le royaume de Siam avait seul conservé des relations suivies avec l’Europe. Inquiet à son tour des progrès et des tendances envahissantes de la Compagnie hollandaise, il envoya, en 1684, à Louis XIV, sur les conseils du Grec Constance Phaulkon, premier ministre du roi de Siam, une ambassade destinée à provoquer, de la part de la Compagnie française des Indes[9], une concurrence politique et commerciale avantageuse pour les deux États. Le chevalier de Chaumont fut envoyé, en 1685, avec une escadre, pour répondre à cette ouverture. On connaît l’issue malheureuse de cette tentative ; mais elle nous valut au moins des récits précieux, celui de Laloubère surtout, qui donna pour la première fois une appréciation générale et élevée, des observations sérieuses et approfondies sur les mœurs, la religion et l’histoire du royaume de Siam. En 1695, l’Anglais Bowyear essaya, mais sans résultat, de rouvrir la Cochinchine au commerce européen, et Fleetwood fut chargé par la Compagnie anglaise des Indes d’une mission analogue auprès de la cour d’Ava. C’est à ce moment que se placent aussi les voyages et les récits de Dampier, Kaempfer et Alexander Hamilton.

Au dix-huitième siècle, les progrès de la puissance anglaise dans les Indes, les travaux des jésuites en Chine, créèrent de nouvelles relations entre l’Europe et l’Indo-Chine. Les pères Bonjour, Fridelli et Régis levèrent la carte du Yun-nan de 1714 à 1718, et recueillirent quelques exactes informations sur les pays limitrophes. En 1753, le capitaine anglais Baker fut envoyé au Pégou et à Ava et leva une partie du cours de l'Iraouady. En 1749, Poivre, intendant de l’Île de France, en 1750 Robert Kirsop, en 1778 Chapman, renouvelèrent sans succès la tentative de Bowyear auprès du gouvernement cochinchinois ; le jésuite autrichien Koffler recueillit pendant un séjour de quinze années en Cochinchine (1740-1755) d’intéressants détails sur les peuplades laotiennes qui avoisinent ce royaume. En 1787, le capitaine de Rosily effectua pour la première fois la reconnaissance hydrographique des embouchures du Cambodge et d’une partie des côtes de la Cochinchine. Ses travaux furent continués par Dayot, officier français au service du roi Gia-long, de 1791 à 1795. En 1795, l’ambassade du colonel Symes à Ava, dans laquelle se trouvait un géographe distingué, le docteur Buchanan, plus connu depuis sous le nom d’Hamilton, fut le point de départ d’études approfondies sur l’histoire politique et naturelle et la géographie de la Birmanie. Mentionnons à la même époque les voyages et les travaux de John Rarrow, Loureiro et de Saint-Phalle en Cochinchine.

Les ouvrages et les explorations se multiplient dans le siècle suivant, et nous renonçons à tout citer. Le lieutenant Ross reprend en 1807 les travaux hydrographiques en Cochinchine et les marines anglaise et française complètent et achèvent le dessin des côtes de la péninsule. Crawfurd visite, comme envoyé de la Compagnie des Indes, Ava, Bankok, Saïgon et Hué, et publie de précieuses observations politiques et géographiques ; le colonel Burney se livre à l’étude des chroniques birmanes rapportées d’Ava en 1826 ; le docteur Richardson parcourt la partie supérieure de la vallée du Menam et fait connaître Xiengmai et Labong (1829-1839). En 1837, le lieutenant Mac-Leod détermine géographiquement le premier de ces deux points et pousse sa reconnaissance jusqu’à Kiang-hung, sur le fleuve Cambodge, dont on ne connaissait jusque-là que l’embouchure. La vallée de l’Assam, le cours supérieur de l'Iraouady et du Brahmapoutre sont reconnus et étudiés par Burlton, Neufville, Bedford, Wilcox, Bedingfield, Montmorency, Hannay (1823-1837) dont le capitaine Pemberton résume les découvertes en publiant en 1838 un beau travail sur la Birmanie et les frontières Nord-Est du Bengale. Les Français de Kergariou (1817), du Camper (1822), de Bougainville (1824), Laplace (1831), Leconte (1843), les Américains White (1819), Roberts (1832-34), visitent plusieurs points de la péninsule, et apportent leur contingent de renseignements et d’études. En 1856, la mission du capitaine Yule à la cour d’Ava donne lieu à un remarquable ouvrage sur la Birmanie, dans lequel cet officier distingué réunit et discute tous les documents antérieurs avec une rare sagacité.

Les missionnaires catholiques ou protestants établis à Siam ou en Cochinchine se livrèrent de leur côté, pendant cette période, à d’intéressantes recherches sur l’histoire, la géographie et les langues de la péninsule ; nous nous contenterons de citer La Rissachère, malheureusement trop affirmatif sur ce qu’il ignore et dont le livre a contribué à répandre, au point de vue géographique, de regrettables erreurs ; Taberd, Gutzlaff, Tomlin, Abeel, Pallegoix, Rouillevaux, Mason. En même temps les progrès des études chinoises permirent à Abel Rémusat, à Klaproth, à MM. Pauthier et Stanislas Julien, de retrouver, dans les immenses compilations géographiques que possède la Chine, d’importants matériaux sur l’histoire et la géographie de l’Indo-Chine.

En 1861, Mouhot, voyageur français au service de l’Angleterre, partit de Bankok pour essayer de pénétrer dans le centre même d’une région qui, malgré tant de travaux et d’efforts, restait encore, au point de vue géographique, la plus inconnue de l’Asie. Il rejoignit le fleuve Cambodge à Paklaïe, le remonta jusqu’à Luang-prabang, capitale d’un des petits royaumes qui se partagent, sous la suzeraineté de Siam, la vallée du fleuve, et succomba dans cette ville des suites de ses fatigues, le 10 novembre de la même année. Ses notes furent rapportées à Bankok et ses travaux furent publiés ; malheureusement ses déterminations géographiques offrirent de graves incertitudes, en raison d’accidents survenus en route à ses instruments.

Deux années auparavant, le gouvernement français avait fait occuper les embouchures du Cambodge et établi à Saïgon le siège d’une colonie nouvelle. En 1863, il fit un pas de plus dans l’intérieur de la contrée, en prenant sous son protectorat les restes affaiblis de l’ancien royaume de Cambodge, dont, depuis plus de deux siècles, la cour de Hué et la cour de Siam se disputaient la conquête. Cette région, dont les Européens avaient désappris la route depuis 1643, fut dès lors activement explorée. L’hydrographie du fleuve et des canaux innombrables dont il étend sur toute la contrée l’inextricable réseau, fut entreprise avec persévérance par les ingénieurs français Manen, Vidalin, Héraud. On reconnut et on observa pour la première fois, d’une façon précise, le singulier phénomène que présente le grand lac situé à l’Ouest du fleuve et qui communique avec lui par un bras navigable. Pendant six mois de l’année les eaux de ce lac se déversent dans la mer par l’intermédiaire du fleuve ; pendant les six autres mois, il se transforme en une sorte de mer intérieure dans laquelle le fleuve se déverse en partie.

Malheureusement, des obstacles de navigation arrêtèrent de bonne heure les reconnaissances hydrographiques faites sur le fleuve en chaloupes canonnières, et en 1866 cet immense cours d’eau n’avait pu être remonté que jusqu’à Cratieh, point où, à l’époque des basses eaux, la marée se fait encore sentir et qui est situé à 450 kilomètres environ de l’embouchure. Au delà des frontières de notre colonie, on ne possédait aucun renseignement précis. D’où venait ce fleuve gigantesque ? Était-ce du Tibet, ou, comme le voulaient certaines traditions accréditées au Cambodge, d’un lac profond situé dans l’intérieur du Laos ? Quelles régions arrosait-il ? à quelles populations donnait-il accès ? Ne pouvait-il fournir à son tour une solution à ce problème géographique qui agitait si vivement les Indes anglaises, celui d’une communication commerciale entre la Chine et l’Inde ? En présence des immenses travaux et des efforts incessants accomplis par les Anglais dans l’Occident de la péninsule, il ne convenait pas à la France de rester inactive, et elle devait à la science, à la civilisation et à ses propres intérêts, d’essayer de percer à son tour ce voile épais étendu depuis si longtemps sur le centre de l’Indo-Chine. Comme pour éveiller une émulation féconde, les Anglais essayèrent à plusieurs reprises, en 1864 et 1865, de pénétrer en Chine par le Nord de la Birmanie, en même temps qu’à la suite de Mouhot les Anglais Kennedy et King, le docteur allemand Bastian, visitaient l’intérieur du Cambodge et ces ruines d’Angcor restées si longtemps oubliées.

Nos compatriotes voulurent entrer à leur tour dans cette lice scientifique. Deux Français, MM. Durand et Rondet, allèrent en 1866 étudier les ruines d’Angcor, dont M. le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, commandant les forces françaises au Cambodge depuis 1863, travaillait alors à lever les plans. Mais les regards étaient fixés surtout sur ces régions inconnues et si voisines qui entouraient de tous côtés notre nouvelle colonie, et vers lesquelles les aspirations étaient ardentes et nombreuses chez les officiers du corps expéditionnaire[10].

M. le marquis de Chasseloup-Laubat, ministre de la marine et président de la Société de géographie de Paris, comprit la légitimité de ces impatiences et la nécessité pour la France de remplir dans toutes ses parties la mission scientifique et civilisatrice qui lui incombait en Indo-Chine. Dans deux discours prononcés en séance générale de la Société de géographie, le 16 décembre 1864 et le 29 avril 1865, il annonça son intention de provoquer une exploration du cours du Cambodge, exploration dont il fit éloquemment ressortir l’importance et les avantages. Sur son invitation, M. le vice-amiral de la Grandière, gouverneur de la colonie, dut organiser une mission chargée de répondre à ce desideratum géographique. Dans le mois de décembre 1865, M. de la Grandière en offrit le commandement à M. le capitaine de frégate Doudart de Lagrée, qui travailla dès lors à réunir tous les renseignements nécessaires et à rédiger en projet les instructions.




  1. Consulter pour tout ce chapitre la Carte générale de l’Indo-Chine et de la Chine centrale, Atlas, 1re partie, planche I.
  2. Je sais que je me trouve ici en désaccord avec plusieurs orientalistes qui admettent que les envoyés de Marc-Aurèle débarquèrent à Canton, qu’ils assimilent au Cattigara de Ptolémée. Je ne fais pas remonter aussi haut, comme on le verra, la navigation des Occidentaux dans les mers de Chine, et le texte chinois du Pien-i-tien, qui dit que l’ambassade passa « par la frontière extérieure du Ji-nan », est contraire à l’hypothèse de ces orientalistes. Il y aurait du reste bien d’autres objections à leur opposer. Je me contenterai de rappeler que Gosselin, dont l’autorité est grande en ces matières, place Cattigara sur les côtes occidentales de la presqu’île de Malaca, à l’embouchure de la rivière de Ténasserim.
  3. Cette assertion paraîtra sans doute bien hasardée. — Je crois cependant qu’il serait possible de démontrer que tous les géographes anciens n’ont fait, à partir de ce point, que sur des itinéraires terrestres le tracé des côtes méridionales de l’Asie. Il est inadmissible en effet que la direction générale des côtes de l’Inde, qu’ils n’ont jamais connue, ait pu échapper à des navigateurs : les vents réguliers qui soufflent dans ces parages l’auraient indiquée au besoin. Sans doute de loin en loin quelques caboteurs indigènes, ou des voyageurs étrangers, tels que les ambassadeurs envoyés à l’empereur Claude par le roi de Ceylan, ont pu donner quelques vagues renseignements sur les ports de la presqu’île indienne, mais les communications commerciales avec le Godavery et le Gange étaient surtout continentales. Dans tous les cas les Romains n’ont jamais franchi le détroit de la Sonde, et la Chine ne leur a été connue que par les voyages qui se faisaient au travers de l’Asie.
  4. Ce parti pris a porté malheur à l’un des orientalistes les plus érudits et les plus consciencieux de notre époque, M. Reinaud, qui a voulu voir dans Killah ou Kalah des auteurs arabes la ville de Pointe-de-Galle dans l’île de Ceylan, et a placé par suite sur la côte de Coromandel des États et des villes qui se trouvent en Indo-Chine.
  5. Probablement Gan-pou de Marco Polo, dans la baie d’Hang-tcheou, et non Canton, qui à cette époque s’appelait Tbsing-haï.
  6. Citons entre autres les Vénitiens Gasparo Balbi (1579-1587) et Cesare Fedrici (1563-1581), qui ont laissé deux relations intéressantes de leurs voyages, pendant lesquels ils visitèrent l’Aracan et le Pégou.
  7. Probablement le même que Diogo Soarez d’Albergaria, surnommé Galego, dont parle Fernand Mendez Pinto.
  8. Marini aggrave encore cette erreur : c’est le fleuve du Pégou qu’il réunit au Cambodge.
  9. L’origine de cette Compagnie remonte à 1642. L’année suivante, les Français fondèrent un premier établissement à Madagascar, puis commencèrent à coloniser en 1654 l’île de Bourbon. En 1672, le lieutenant-général de la Haye essaya de développer la sphère d’action de la Compagnie, en prenant possession de Trincomaly dans l’île de Ceylan, et de Saint-Thomé sur la côte de l’Inde. Mais les Hollandais reprirent immédiatement Trincomaly, et Saint-Thomé dut capituler à son tour en 1674. Les débris de ces deux établissements se portèrent à Pondichéry, qui date de cette époque.
  10. Me sera-t-il permis de rappeler ici que j’étais du nombre des impatients et que, dès 1863, j’avais adressé au gouvernement de la colonie une demande conçue dans ce sens. En juillet 1864, dans une brochure publiée sous un pseudonyme (la Cochinchine française en 1864, par G. Francis ; Dentu, in-8o), je plaidai de nouveau la cause de ce voyage, et, à la fin de la même année, je renouvelai ma demande au gouvernement de la colonie, en l’accompagnant d’un plan général d’exécution et d’un devis détaillé des dépenses.