Voyage à la mer libre du pôle arctique/01

Première livraison
Le Tour du mondeVolume 17 (p. 113-128).
Première livraison

Le docteur Hayes. — Dessin de A. de Neuville d’après le portrait donné dans l’édition anglaise.


VOYAGE À LA MER LIBRE DU PÔLE ARCTIQUE,


PAR LE DOCTEUR J. J. HAYES, CHIRURGIEN DE LA MARINE DES ÉTATS-UNIS.


1860-1862. — TRADUCTION ET DESSINS INÉDITS.


Séparateur



Avant-propos. — Traversée de Boston au Groënland. — La discipline à bord. — Nos quartiers. — Le premier iceberg. Le cercle polaire. — Le soleil de minuit. — Le jour sans fin. — Approche de la terre. — Spectacle magique. — À l’ancre dans le port de Pröven. — Kayaks et Oumyacks. — Flore groënlandaise.

L’auteur de cette relation avait accompagné, en qualité de chirurgien, l’expédition qui, de 1853 à 1855, sous la direction du docteur Elisha Kane, explora les parages des détroits de Smith et de Kennedy et arbora le pavillon étoilé de la grande Union, sous une latitude que nul n’avait encore atteinte par la voie de la baie de Baffin, en face d’une vaste étendue de l’océan polaire, libre de glaces[1].

À son retour aux États-Unis, le docteur Hayes, dont la part personnelle dans ce voyage était la découverte de la terre de Grinnell, ne cessa de se préoccuper du projet d’aller reprendre le cours de ses recherches au point où il avait dû les abandonner. Partisan de la théorie scientifique qui, à la place d’un revêtement de glaces éternelles, admet autour du pôle Nord un espace de mer non congelée, et convaincu que cette mer devait être praticable pour tout navire qui parviendrait à traverser le cercle plus ou moins compacte de banquises et de montagnes de glaces qui forme la limite variable de ces eaux libres, il résolut d’ajouter de nouvelles preuves à toutes celles dont les navigateurs du seizième siècle, et plus récemment Scoresby, Wrangel, Parry et le docteur Kane, avaient déjà étayé cette hypothèse.

Soutenu dans son dessein par les conseils, les encouragements et les souscriptions des sociétés scientifiques et des savants les plus éminents de l’Amérique et du vieux monde, le docteur Hayes se trouvait, au printemps de 1860, dans le port de Boston, sur le schooner les États-Unis, gréé, équipé, aménagé et approvisionné avec tout le soin, toute la sollicitude que réclame la navigation des mers arctiques, et muni de tous les instruments d’observation que peut exiger, sous ces hautes latitudes, l’étude de la physique du globe. Onze marins d’élite formaient l’équipage de ce petit navire, qui portait encore, outre le commandant, un secrétaire, un aide-astronome, et le docteur Auguste Sonntag, jeune savant. déjà familiarisé avec les épreuves des expéditions polaires ; car, ainsi que le docteur, il avait compté au premier rang parmi les compagnons de Kane.

Le 16 juillet, le petit schooner leva l’ancre et sortit de la baie de Boston, salué par les applaudissements et les souhaits d’adieu d’une foule émue. Peu d’heures après il s’enfonçait dans les brumes de Terre-Neuve… Mais laissons la parole à son digne chef.

Peu d’incidents dignes d’attention marquèrent notre traversée d’Amérique en Groënland.

Je m’occupai d’abord de l’équipage : officiers et matelots réunis, je leur représentai qu’étant appelés à former seuls notre petit univers, pendant bien des mois peut-être, nos intérêts, notre ambition, notre vie même, tout nous faisait une loi de reconnaître les obligations qui nous liaient les uns aux autres ; que, si nous les avions toujours sous les yeux, nous ne trouverions pas difficile de subordonner les considérations de l’égotisme aux nécessités du bien-être et du salut de tous. La réponse fut telle que je la pouvais attendre et je me suis souvent félicité d’avoir, dès le début, établi nos relations mutuelles d’une manière si satisfaisante. Du commencement à la fin de notre voyage, je n’ai pas eu à constater la moindre infraction ni à mes ordres, ni à la discipline reconnue et acceptée de tous.

Ce point important réglé, vint le tour de la goëlette ; ici les difficultés étaient infiniment plus compliquées : impossible de rendre notre habitation un peu confortable, impossible de mettre un ordre quelconque dans le chaos de son chargement. Nous étions déjà secoués par les flots de l’Océan que notre pont offrait encore le spectacle du plus désespérant pêle-mêle : barils, caisses, planches, canots, colis de toutes sortes étaient cloués ou amarrés aux mâts et aux œuvres mortes ; tout était encombré et il ne restait de l’avant à l’arrière qu’un anguleux sentier tracé dans l’entassement. Pour lieu de promenade, nous n’avions que la dunette, étroit espace de douze pieds de long sur dix de large, et où il nous avait fallu laisser maint objet dont la vraie place eût été à fond de cale ; au-dessous des écoutilles, tout était bondé : pas un coin, pas un recoin, pas un trou qui ne fût rempli, et le désordre du pont devait nécessairement durer jusqu’à ce qu’une lame complaisante vînt balayer tout ce bric-à-brac ; je dis, complaisante, car nous n’aurions pu nous décider à rien jeter à la mer, et cependant nous étions tellement chargés que le pont, par le travers des passavants, ne s’élevait que d’un pied et demi au-dessus de l’eau, et qu’en se courbant sur le bastingage on pouvait toucher la mer. La cuisine occupait toute la place entre le panneau de l’avant et le grand mât, et l’eau embarquant par-dessus les murailles, inondait les passavants ; le feu de la cuisine et celui du cuisinier s’éteignaient souvent à la fois : je laisse à penser si la régularité de nos repas en était compromise.

Ma cabine se trouvait dans la partie arrière du roof ; elle s’élevait de deux pieds au-dessus du pont, et mesurait six pieds de long et dix de large. Deux œils de bœuf pendant le jour, la nuit, une lampe grinçant dans ses supports, éclairaient mon réduit d’une faible lueur. Le charpentier confectionna une couche étroite à mon usage et lorsque je l’eus recouverte d’un magnifique tapis brodé, et entourée de brillants rideaux rouges, je fus ébloui du luxe qui allait être mon partage.

Devant ma cabine, un espace assez restreint était occupé par l’échelle du dôme, l’office du maître d’hôtel, le tuyau de poële, un baril de farine et la chambre de M. Sonntag. En descendant deux marches, on se trouvait dans le carré des officiers, petite pièce de douze pieds de côté et de six pieds de hauteur, lambrissée de chêne et contenant huit cadres (lits), dont, par bonheur, quelques-uns n’avaient pas de maîtres. On le voit, notre installation ne pouvait guère prétendre au titre de confortable ; celle des matelots n’était pas meilleure : ils se trouvaient logés sous le gaillard d’avant, tout contre les murailles du navire.

Notre route passait entre l’île de Sable et les caps orientaux de Terre-Neuve. Ceux qui ont navigué dans les parages de la Nouvelle-Écosse, se rappellent leurs brouillards lourdement suspendus, sur la mer, pendant la chaude saison surtout ; nous en eûmes plus que notre bonne part ; dès le second jour de la traversée, nous avions appris à les connaître. Pendant une semaine nous fûmes enveloppés d’une atmosphère si dense que le soleil et l’horizon avaient complétement disparu pour nous. Nous ne pûmes faire une seule observation, et pendant cette période il nous fallut recourir sans cesse à la sonde et à nos calculs ; mais des courants variables rendaient fort douteuse cette méthode d’appréciation.

Cependant les latitudes fuyaient sous notre rapide sillage, et peu de jours après nous labourions les eaux qui baignent les côtes rocheuses du Groënland. Le 30 juillet, à huit heures du soir, j’eus la joie de repasser le Cercle polaire arctique ; nous pavoisâmes la goëlette tandis qu’une salve de canon témoignait du plaisir que nous éprouvions à entrer enfin dans notre champ de travail.

Vingt jours à peine s’étaient écoulés depuis notre départ de Boston, et, en moyenne, nous avions fait cent quatre-vingt kilomètres par jour : la côte du Groënland, cachée par un nuage, était à dix lieues environ sur notre droite, le cap Walsingham par le travers de notre gauche, et si l’état de l’atmosphère l’eût permis nous aurions aperçu de la hanche de babord le haut sommet du Suckertoppen. La terre était encore voilée à nos regards, mais nous avions croisé le premier iceberg, nous avions vu le soleil de minuit, nous entrions dans la période des jours sans fin. Le soleil inondait encore ma cabine que la douzième heure sonnait à la modeste pendule qui faisait entendre son tic tac au-dessus de ma tête. Ayant pendant plusieurs années vécu de cette étrange vie, elle n’avait plus d’inconnu pour moi, mais les officiers ne pouvaient dormir et erraient çà et là, comme dans l’attente du crépuscule ami qui leur portait le sommeil.



Nous avions rencontré notre premier iceberg la veille de notre arrivée au cercle polaire. En entendant la mer briser avec fureur contre la masse encore enveloppée de brume, la vigie fut sur le point de crier : « Terre ! » mais bientôt le formidable colosse émergea du brouillard ; il venait droit sur nous, terrible et menaçant ; nous nous hâtâmes de lui laisser le champ libre. C’était une pyramide irrégulière d’environ trois cents pieds de largeur et cent cinquante de hauteur ; le sommet en était encore à demi caché dans la nuée, mais l’instant d’après, celle-ci, brusquement déchirée, nous laissa voir un pic étincelant autour duquel de légères vapeurs enroulaient leurs volutes capricieuses. Il y avait quelque chose de singulièrement étrange dans la superbe indifférence du géant. En vain les ondes lui prodiguaient leurs plus folles caresses : froid et sourd il passait, les abandonnant à leur plainte éternelle.

Ma première intention avait été de m’arrêter à Egedesminde ou à quelque autre des stations danoises les plus méridionales, pour y acheter des fourrures avant de pousser vers le nord ou nous devions trouver des chiens de trait, mais le vent était bon, et nous en profitâmes, comptant du reste nous procurer ce dont nous avions besoin à Pröven et à Upernavik.

Le 31, nous arrivions près de l’extrémité sud de l’île Disco. Une soudaine déchirure de brouillard nous fit entrevoir de hautes montagnes aux sommets blancs de neige ; l’instant d’après la vision avait disparu, mais nous savions maintenant que la terre était proche, et nous constatâmes avec orgueil qu’en dépit de la brume nous avions parfaitement calculé notre position. De ce moment l’intérêt de notre voyage doubla.


Vue d’Upernavik (Groënland). — Dessin de Jules Noël d’après le docteur Kane (Arctic Explorations).

Le lendemain, nous passions à la hauteur du bras nord du Fiord de Disco, par 70 degrés de latitude ; nous glissions sur la mer, poussés par un vent léger, et les Fiords de Waigat et d’Oomenak furent bientôt derrière nous.

Pour la plupart de nos camarades, le Groënland était encore une sorte de mythe ; depuis quelques jours nous en suivions les côtes, mais sauf l’apparition de Disco, les nuages et la brume l’avaient constamment dérobé à nos regards. Maintenant il secouait son manteau de nuées et se dressait devant nous dans son austère magnificence avec ses larges vallées, ses profondes ravines, ses nobles montagnes, ses rochers déchirés et sombres, et sa terrible désolation.

À mesure que le brouillard s’élevait et roulait lentement ses grisâtres traînées sur la surface des eaux bleues, icebergs après icebergs nous apparaissaient comme le palais d’un conte de fées. Oubliant que vers cette région d’austères réalités nous venions, de notre libre volonté, à la recherche de choses sérieuses, il nous semblait que nous étions attirés par une main invisible dans la terre des enchantements.

Non, je ne pourrais dire avec quel enthousiasme nous regardions ce glorieux changement de décor !

Nous sommes au 2 août ; il est minuit ; la mer est unie comme une glace, pas un pli, pas une ride, pas un souffle de vent ; le soleil chemine avec bonheur sur l’horizon du nord, de légères nuées flottent suspendues dans l’air, les icebergs se dressent autour de nous, les noires arêtes des côtes se profilent vivement sur le ciel, et les nuages, et la mer, et les glaces, et les montagnes sont baignés dans une splendide atmosphère de cramoisi, de pourpre et d’or.

À mon précédent voyage, je n’avais contemplé rien de si beau. L’air rappelait, par sa mollesse, une de nos belles nuits d’été, et cependant nous étions entourés de montagnes nues et de ces icebergs que, dans notre terre aux vertes collines et aux forêts frémissantes, on associe à des idées de froide désolation. Le ciel était brillant et doux comme le poétique firmament d’Italie ; les blocs de glace eux-mêmes avaient perdu leur morne aspect, et tout embrasés des feux du soleil ressemblaient à des masses de métal incandescent ou de flamme solide ; près de nous, et pareil à un bloc de marbre de Paros incrusté de gigantesques opales et de perles d’Orient, se dressait un immense iceberg ; à l’horizon et si loin que la moitié de sa hauteur disparaissait sous la rouge ligne des flots, un autre nous rappelait par sa forme étrange le vieux Colisée de Rome. — Le soleil poursuivant sa course passa derrière lui et l’illumina soudain d’un jet de flammes éblouissantes.

L’ombre des montagnes de glace colorait d’un vert admirable l’eau sur laquelle elle reposait ; mais plus belles encore étaient les teintes délicates des vagues légères glissant sur les pentes de ces îles de cristal. Partout où l’iceberg surplombait, les tons devenaient plus chauds ; sous une cavité profonde, la mer prenait la couleur opaque du malachite alternant avec les transparences de l’émeraude, pendant qu’à travers la glace elle-même courait diagonalement une large bande d’un bleu de cobalt.


Esquimaux groënlandais dans leur campement d’été. — Dessin de A. de Neuville d’après le capitaine Graah.

La splendeur de cette scène était encore augmentée par les milliers de cascatelles qui, de toutes ces masses flottantes, ruisselaient dans la mer, descendant des flaques de neige fondue et de glaces en dissolution qui reposent dans les mornes et vastes replis de la masse flottante. Parfois un large bloc désagrégé, se détachant tout à coup des flancs d’un iceberg, s’abîmait dans les profondeurs avec un fracas épouvantable, pendant que la vague roulait sourdement à travers les arceaux brisés.

Nous fûmes accueillis dans le port de Pröven par la plus singulière flottille et les plus étranges bateliers qui aient jamais escorté un navire. C’étaient les Groënlandais et leurs fameux kayaks.

Le kayak est certainement la plus frêle des embarcations qui aient jamais porté le poids d’un homme. Construite en bois très-léger, la carcasse du bateau a neuf pouces de profondeur, dix-huit pieds de longueur et autant de pouces de large, vers le milieu seulement ; elle se termine à chaque bout par une pointe aiguë et recourbée par le haut. On recouvre le tout de peaux de phoques rendues imperméables, et si admirablement cousues par les femmes au moyen de fil de nerfs de veaux marins, que pas une goutte d’eau ne passerait à travers les coutures ; le dessus du canot est garni comme le fond ; seulement, pour donner passage au corps du chasseur, on a laissé une ouverture parfaitement ronde et entourée d’une bordure de bois sur laquelle le Groënlandais lace le bas de sa blouse également imperméable ; il est ainsi solidement fixé à son kayak où l’eau ne saurait pénétrer ; une seule rame de six pieds de long, aplatie à chaque bout, qu’il tient par le milieu et plonge alternativement à droite et à gauche, lui sert à diriger cette embarcation aussi légère qu’une plume et gracieuse comme un caneton nageant ; elle n’a pas plus de lest que de quille et rase la surface de l’eau ; la partie supérieure en est nécessairement la plus lourde, aussi faut-il une longue habitude pour conduire un kayak avec succès, et jamais danseur de corde n’eût besoin de plus de sang-froid que le pêcheur esquimau. Sur ce frêle esquif, il se lance sans hésiter dans la tempête et se glisse à travers les écueils blancs d’écume ; cette lutte sauvage est sa vie, et, en dépit de la mer furieuse, il poursuit sa route sur les grandes eaux.

C’est ainsi que cet homme-poisson parcourt d’énormes distances le long des côtes de fer et de glace et des fiords sinueux de son âpre patrie, à la poursuite des veaux marins, des morses et des narvals ; c’est ainsi qu’il fait le service de la poste entre les établissements danois.

Pour les besoins de leur ménage et le transport de leurs effets, du campement d’été à la station d’hiver, ces Gröenlandais ont bien une autre embarcation, l’oumyak, large machine quadrangulaire, rappelant par sa forme et son peu de profondeur les bacs grossiers de nos petites rivières, mais n’ayant, du reste, que ces points de ressemblance avec ces inventions primitives de l’art nautique. Il est construit des mêmes matériaux que le kayak, c’est-à-dire d’une membrure de bois, revêtue de peaux de phoques, si bien cousues et tannées qu’elles sont imperméables, et si solides que, malgré leur transparence parcheminée qui laisse entrevoir sous elles la couleur et la profondeur des ondes, elles supportent le poids de huit, dix et jusqu’à douze nautoniers. Ceux-ci, du reste, sont toujours choisis parmi le beau sexe ; car jamais un Esquimau ne monte à bord d’un oumyak, même quand sa famille y voyage ; il l’accompagne au besoin, scellé dans son kayak, lui sert de guide et de pilote ; mais il laisse philosophiquement sa femme, ses filles et ses sœurs pagayer à tour de bras et diriger l’embarcation vers le point convenu entre eux. Rappelons que c’est dans un oumyak et avec un équipage féminin, que de 1828 à 1830, le capitaine Graah, de la marine royale de Danemark, après avoir franchi les étroits canaux qui découpent l’extrémité méridionale du Gröenland, put visiter et relever géographiquement une centaine de lieues de cette côte orientale qui fait face à l’Islande, et dont une banquise, permanente, depuis quatre siècles, interdit les abords aux navigateurs venant du large.

Je les suivais des yeux pendant qu’ils se massaient autour du navire et nous assourdissaient de leurs indiscrètes demandes ; la civilisation leur a appris à tenir en haute estime le rhum, le café, le tabac ; mais, en gens avisés, nous en donnâmes seulement à ceux qui nous offraient quelque chose en échange : un vieil Esquimau, dans le cours de sa longue vie, avait réussi à pêcher quelques mots d’anglais, et nous tendait un beau saumon en criant à tue-tête : « Livre rhum ! bouteille sucre ! »

Pour moins que cela, pour un verre d’alcool ou une pincée de tabac, vous obtiendrez d’un de ces amphibies (pourvu que la mer soit belle et que quelque congénère soit à portée de lui venir en aide au besoin) de faire avec son kayak le saut périlleux, c’est-à-dire de se renverser sous l’eau, la tête en bas, et d’opérer un tour complet sur l’axe de sa navette de tisserand.

Cet exercice, qu’on peut appeler la haute école du kayak, exige autant d’adresse que de sang-froid, car la plus légère erreur de mouvement serait un danger pour l’homme, la perte de sa pagaie serait sa mort. Il ne revient à la surface que soufflant et rejetant l’eau par les narines, comme un marsouin, mais toujours prêt à recommencer, en vue d’une nouvelle récompense.

Nous n’aurions voulu rester qu’un seul jour à Pröven. Nos désirs furent contrariés par des circonstances auxquelles je fus forcé de me soumettre avec toute la bonne grâce possible : il me fallait des chiens de trait : la réussite de nos plans était à ce prix, et je ne tardai pas à apprendre que l’année précédente une sorte de peste avait sévi sur les attelages, et ne laissait que la moitié du nombre de chiens indispensable au besoin des gens du pays ; aussi, toutes nos offres d’argent ou de provisions furent d’abord nettement refusées et n’aboutirent à la fin qu’à de très-maigres résultats. De longs détails sur le passé et le présent de Pröven offriraient peu d’intérêt au lecteur.

Cette « colonie, » comme l’appellent les Danois, date presque des jours du vénérable Hans Egede, l’apôtre du Gröenland ; elle fut nommée Pröven (l’Essai), et cet Essai, comme ce fut heureusement le cas pour mainte station groëlandaise, a très-bien réussi. Les habitants vivent presque tous de la chasse aux veaux marins et peu d’établissements du Groënland septentrional sont dans un état aussi prospère ; en quelques années, ils amassent assez de peaux et d’huile de phoque pour charger un brick de trois cents tonneaux : il est facile, d’ailleurs, aux regards les moins attentifs de constater le commerce du lieu ; sur la grève, parmi les rochers, autour des huttes sont amoncelés d’horribles débris à tous les degrés de décomposition, et ces ignobles voiries où l’odorat n’est pas moins choqué que la vue, rendirent assez désagréable notre séjour dans cette station. Mais derrière la ville, l’aspect était tout différent. Entre les roches abruptes s’ouvre la plus délicieuse des vallées arctiques. Profitant du court été de ces froides régions, elle s’était couverte d’un épais tapis de mousses et de graminées parmi lesquelles abondaient le Poa arctica, la Glyceria arctica, l’Alopecurus alpinus ; de petits ruisseaux de neige fondue gazouillaient entre les pierres ou se précipitaient follement en bas des rochers ; des myriades de petits pavots aux pétales d’or frissonnaient au-dessus du gazon ; ils avaient pour fidèles camarades une dent de lion, très-proche parente de celle qui émaille nos prairies ; la renoncule des neiges dont je retrouvais avec plaisir la jolie et souriante fleur ; la Potentille qui m’était moins familière, la Pédiculaire pourprée brillaient çà et là sur le tapis d’émeraude. Je recueillis sept espèces différentes de saxifrages rouges, blancs et jaunes. Le bouleau nain et la belle Andromède, qui au Groënland tient la place de nos bruyères, croissaient entrelacés, dans une retraite abritée du nord par les roches, et je ne pus m’empêcher de sourire en couvrant de mon bonnet une forêt entière de petits saules qui poussaient dans le terrain spongieux.

Les géologues prétendent qu’à l’époque miocène, ils se seraient promenés en ce même lieu au milieu de hautes fougères et à l’ombre de Sequoias giganteas.


Upernavik. — Hospitalité des habitants. — Mort et funérailles de Gibson Caruthers. — Une collation à bord. — Adieu.

Le 12 au matin, nous étions en mer, et le soir nous arrivions à Upernavik. L’accès du port est rendu plus difficile par un récif qui se trouve en dehors de l’ancrage, mais nous fûmes assez heureux pour entrer sans accident, grâce au pilote que nous avions amené de Pröven. Cet individu, parfait original dans son genre, était un païen converti, et savourait avec orgueil la joie d’être baptisé et de porter le nom d’Adam. Vêtu de peaux de phoques usées, notre Palinure n’aurait guère pu poser pour le portrait d’un « marin modèle, » mais nul pilote au monde n’était plus naïvement convaincu de sa propre importance. Son extérieur toutefois n’appuyait guère ses prétentions, et l’officier de manœuvres, peu confiant de son naturel, le questionna si longuement, qu’Adam finit par s’impatienter, et concentrant sa vanité et sa science dans une courte phrase qui signifiait : « je suis le maître de la situation, » il ajouta en mauvais anglais : assez d’eau dans le port,… pas de rochers du tout », et se retira d’un air de dignité offensée. Il n’en dirigea pas moins bien notre goëlette.

Nous jetâmes l’ancre près du brick danois le Thialfe. C’était le premier navire que nous eussions vu depuis les pêcheurs de Terre-Neuve ; il chargeait des huiles et des peaux pour Copenhague, et M. Bordolt, son commandant, nous apprit qu’il allait mettre à la voile sous peu de jours ; circonstance qui nous permettait d’écrire à tous ceux qui là-bas, attendaient anxieusement de nos nouvelles.

Les habitants de la colonie étaient déjà très-excités par l’arrivée du brick danois ; un second navire devenait un événement des plus remarquables. La colline tapisseée de mousse, qui, de la ville descend à la mer, était couverte de groupes bigarrés et pittoresques. Hommes, femmes, enfants, tous étaient accourus pour nous voir débarquer.

Le résident de la colonie, M. Hansen, me reçut à la bonne vieille façon scandinave, et me conduisant à la maison du gouvernement, me présenta à son prédécesseur, le docteur Rudolf, digue représentant de l’armée danoise, qui se disposait à repartir par le Thialfe. Bientôt assis devant une chope de bière, et armés d’une pipe hollandaise, nous discutâmes la possibilité d’acheter des chiens, et l’état des glaces vers le nord.

L’aspect général d’Upernavik diffère fort peu de celui de Pröven. Quelques huttes et quelques Esquimaux de plus ne suffiraient pas à lui donner le premier rang, si la station n’avait l’insigne honneur de posséder le résident danois du district, une mignonne église et un joli presbytère. Une figure féminine entrevue derrière les blancs rideaux de bizarres petites fenêtres, me fit penser que j’approchais de l’habitation du pasteur : je frappai à la porte, et je fus introduit dans un charmant parloir, dont l’exquise propreté annonçait la présence d’une femme, par la plus étrange servante qui ait jamais répondu à l’appel d’une sonnette ; c’était une grosse Esquimaude au teint cuivré, à la chevelure noire nouée en touffe au sommet de la tête ; elle portait une blouse qui lui couvrait la taille, des pantalons de peau de phoque et des bottes montantes teintes en écarlate et brodées d’une manière qui aurait surpris les blondes filles de la Saxe. La chambre était parfumée de l’odeur des roses, du réséda et de l’héliotrope qui fleurissaient au soleil près des rideaux de mousseline neigeuse ; un canari gazouillait sur un perchoir, un chat ronronnait sur le tapis du foyer, et un homme à l’air distingué me tendait sa main blanche et douce pour me donner la bienvenue. C’était M. Anton, le missionnaire. Mme Anton et sa sœur vinrent nous rejoindre, et nous fûmes bientôt assis autour de la table de famille. Bordeaux et café de premier choix, cuisine danoise, hospitalité scandinave, m’auraient vite fait oublier les misères inséparables de vingt-cinq jours à bord de notre goëlette encombrée, si ma visite à M. Anton, n’eût été motivée par une bien triste mission : un membre presque indispensable de notre périlleuse entreprise, M. Gibson Caruthers, notre charpentier, était mort pendant la nuit et je venais prier le pasteur de vouloir bien présider à ses funérailles qui devaient avoir lieu le jour suivant.

Isolés comme nous l’étions du reste du monde, cette cérémonie était doublement navrante : homme de tête et de cœur, le défunt s’était fait aimer de nous tous, et sa mort soudaine nous avait atterrés ; la veille, il se couchait en parfaite santé, et au matin, on le trouvait déjà refroidi dans son cadre. Pour notre expédition cette perte était des plus sérieuses. Avec M. Sonntag, c’était le seul de l’équipage qui connût les mers arctiques, et j’avais beaucoup compté sur son intelligente expérience. Sous les ordres du commandant de Haven, il avait accompagné en 1850-51 la première expédition Grinnell et en avait rapporté la réputation d’un hardi et courageux marin.

Il me serait impossible de rendre la tristesse et la désolation du cimetière d’Upernavik ; il est situé sur la colline au-dessus de la ville, et comme on n’y trouverait pas la moindre parcelle de terre, il consiste tout simplement en un escalier aux assises rocheuses sur lesquelles on place les grossiers cercueils recouverts ensuite des pierres brutes : morne lieu de sommeil pour ceux qui dorment la dans l’éternel hiver ! Sur une de ces marches funèbres, et dominant la mer qu’il avait tant aimée, notre pauvre ami repose au bruit des vagues qui lui chantent leur requiem sans fin.

Il nous fallut consacrer quatre jours entiers à l’achat des attelages et de notre garde-robe arctique : peaux de rennes, de phoques et de chiens. À Pröven déjà nous nous en étions procuré un certain nombre que nous avions remises aux femmes indigènes pour les confectionner à la dernière mode de leur race. Les bottes, en particulier, réclament beaucoup de soin et d’attention ; elles sont en cuir de phoque, cousu de fil de nerfs, et on sait les accommoder d’une façon merveilleuse à la forme du pied. Une botte bien faite est absolument imperméable, et celles que portent les belles du pays sont aussi élégantes qu’utiles. Les peaux, alternativement exposées au soleil et à la gelée, deviennent d’une parfaite blancheur, et peuvent recevoir toutes les nuances suggérées par la fantaisie de l’ouvrière ou que le résident se trouve posséder dans ses magasins. Comme leurs sœurs de toutes les latitudes, les Groënlandaises aiment à plaire ; elles ne dédaignent pas d’exciter l’admiration, et les couleurs gaies et voyantes leur sont particulièrement agréables. Aussi, et bien que le caprice individuel se donne libre carrière, la vogue est surtout aux bottes écarlates ou aux bottes blanches brodées de rouge. Il serait difficile d’imaginer un plus comique spectacle que celui de toutes les jambes jaunes, violettes, bleues, cramoisies et blanches, qui couvraient la grève au moment de notre entrée dans le port.


Oumyak groënlandais, barque pagayée par des femmes. — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine Graah.

Sur environ deux cents âmes, Upernavik compte une vingtaine de Danois et un plus grand nombre de « sang-mêlés. » Je trouvai à recruter dans cette population, grâce à M. Hansen, trois chasseurs et un interprète, sans compter deux marins danois ; nous étions ainsi vingt à bord. Voici les noms de ces nouvelles recrues :

Pierre Jansen, interprète et surintendant des chiens.

Charles-Émile Olsurg, matelot.

Charles-Christian Petersen, matelot et charpentier.

Pierre, Marc et Jacob, Esquimaux convertis, chasseurs et conducteurs d’attelages.

La cordialité touchante des habitants d’Upernavik m’a laissé le plus doux souvenir ; je ne puis me rappeler sans émotion leur désir de nous être utiles et leurs généreux efforts pour nous procurer ce qui nous manquait encore ; j’ajoute, à leur louange, que tous ces services étaient complétement désintéressés ; ils refusaient opiniâtrément ce que je pouvais leur offrir, et c’est à peine si je parvins à faire accepter à quelques-uns un baril de farine ou une boîte de conserves. « Vous n’en aurez que trop besoin pendant votre voyage, » répondait-on partout. M. Hansen renvoya même à bord le présent que j’avais cru devoir lui faire en échange de l’attelage dont il m’avait libéralement fait cadeau. Aussi me sembla-t-il que je ne pouvais quitter l’établissement sans donner à ces braves cœurs un témoignage de ma profonde reconnaissance. La veille de mon départ, j’invitai à une collation les représentants du roi Frédéric VII ; j’expédiai à terre mon secrétaire, M Knorr, muni de cartes d’invitation cérémonieusement écrites sur beau papier de Paris, et scellées de cire parfumée. Quelques heures après il était de retour, ramenant six personnes avec lui : les deux dames du presbytère, Mme et M. Hansen, le pasteur et le
Esquimau groënlandais dans son kayak (voy. p. 118). — Dessin de Jules Noël d’après le commandant de Haven (Grinnell expedition).

La haute école du kayak (voy. p. 118). — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine C. F. Hall (Life with the Esquimaux).
docteur Rudolf ; le capitaine du Thialfe les avait déjà précédés sur notre bord.

En présence d’hôtes si inaccoutumés, notre vieux coq suédois et le maître d’hôtel avaient à moitié perdu la tête : préparer un lunch pour des dames était complétement en dehors des traditions de la cuisine en usage dans les expéditions polaires. « Non ! ils ne comprenaient pas le capitaine ! » Tout en maugréant, le steward s’empressa de fourrer dans un autre coin les cuirs de phoques entassés dans la cabine : il n’en resta que l’odeur, ce qui était déjà bien assez ; mais sa figure ne commença à se dérider que lorsque les nombreux plats dus à ses actives combinaisons furent déposés fumants sur la nappe blanche, jusque-là précieusement gardée dans une armoire secrète. Le brave homme s’était surpassé, et, en dépit des sinistres prédictions qu’il faisait en confidence à son ami le cuisinier : « C’est moi qui vous le dis ! tous ces gaspillages nous mèneront à la ruine ! » son visage se rassérénait par degrés et finit par prendre l’expression du plus légitime orgueil.

Rendons hommage à la vérité : la collation faisait grand honneur à nos officiers de bouche ; les viandes et les légumes conservés offraient une diversion agréable aux habitants de ce pays de phoques ; les lacs du Groënland avaient fourni leurs magnifiques saumons, et, pour ma part, je tirai de leur cachette des vins éclos au soleil de France et sous le ciel doré de l’Italie, et le rhum de Santa-Cruz qui nous servit à faire un punch délicieux. — La conversation fut bien un peu languissante au commencement, mais après quelques minutes chacun y mit du sien : anglais, danois, allemand, latin abominable, tout se mêla aussi harmonieusement que les ingrédients du punch. On but au roi, au
Navires baleiniers dans les eaux de la baie de Melville. — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine de Haven (Grinnell expedition).
président, à notre bonne chance, à tout et au reste ; on nous adressait force speeches où naturellement abondaient les allusions aux successeurs des glorieux fils d’Odin ; les têtes s’échauffaient, et l’un de nous, stimulé par le tribut de louanges qu’on venait de payer aux rois de mer et à leurs amours, proposait le toast le plus cher aux marins : « À nos femmes et à nos belles ! » mais tout à coup des pas lourds ébranlèrent l’échelle du dôme et le contre-maître apparut, froid et morose, comme autrefois le spectre de Banquo au festin de Macbeth :

« L’officier de quart, monsieur, vous fait dire, monsieur, que les chiens sont à bord, monsieur, et qu’on est prêt à lever l’ancre, comme vous l’avez ordonné, monsieur !

— Bien. Et le vent ?

— Léger et soufflant du sud, monsieur. »

Il n’y a pas à hésiter, il faut jeter nos hôtes à la mer, avec toute la politesse possible.

Les messieurs cherchent en toute hâte les châles et les manteaux des dames ; les dames elles-mêmes sont précipitées dans le canot, le docteur Rudolph se charge de notre courrier, promettant de le remettre au consul américain de Copenhague.

Le cabestan crie, la goëlette déploie ses ailes blanches, et nous sentons se rompre le dernier lien qui nous attachait au monde, au monde de l’amour, du soleil et des vertes prairies, en voyant sur la colline d’Upernavik disparaître les rubans aux brillantes couleurs et les mouchoirs blancs qui nous saluaient encore.

Upernavik marque à la fois l’extrême limite du monde civilisé et de la navigation relativement facile. Le danger réel commençait pour nous, au moment même ou nous distinguions la petite église à pignons adossée à la colline noire.


Navigation de la baie de Baffin. — Le Pack du milieu.Les eaux du Nord. — La baie de Melville. — Brouillards, neige et icebergs. — Hans le Groënlandais. — Le détroit de Smith. — Tempête. — Le cap Alexandre. — La baie de Hartstène.

Maintenant nous allons avoir à compter non-seulement avec les glaces, sous toutes les formes et sous toutes les dénominations — iceberg[2], pack, floe, — mais encore avec les courants et les vents, venant de tous les points de l’horizon se heurter et se confondre au centre de la baie de Baffin. Là s’étend l’immense pack du milieu, que tout navigateur, tout baleinier, à la destination des eaux du Nord, c’est-à-dire du débouché des détroits de Smith, de Jones et de Lancastre, est obligé de contourner par l’est, bien heureux lorsqu’il n’est pas arrêté une fois sur deux par la soudure du terrible pack avec la glace des côtes qui remplit presque en tout temps la concavité de la baie de Melville. Les rivages de cette baie apparaissent sur la carte comme une simple courbe décrite par la ligne de côtes du Groënland septentrional, mais le marin donne à ces parages une bien plus grande extension que le géographe. Il comprend, sous le nom de baie de Melville, toute la partie orientale de la baie de Baffin qui commence au sud avec la glace du milieu, et se termine à l’autre extrémité avec les eaux du Nord ; l’espace de mer ouverte désigné par cette appellation ne s’étend guère au sud du soixante-seizième parallèle et
La baie de Melville en été. — Dessin de Jules Noël d’après le capitaine de Haven (Grinnell expedition).
souvent doit être cherché plus haut. Quant à l’immense radeau formé par le Pack ou glace du milieu, il s’étend de cette limite jusqu’à celle du cercle polaire. Toujours plus ou moins en mouvement, il semble obéir à l’impulsion des courants venant du pôle, ainsi que le prouvent de nombreux faits tirés de l’histoire de la navigation moderne et notamment la dérive du célèbre petit steamer le Fox[3], qui, scellé dans un des replis de l’immense radeau glacé par la latitude du cap York, descendit avec lui vers le sud, pendant neuf mois, et ne fut délivré que sous le cercle arctique.

Telle était l’avant-scène du théâtre de nos opérations projetées, tels étaient les obstacles que nous avions à vaincre avant le début.

Nous traversions une mer que pas un navire n’a parcourue sans rencontrer les glaces ; et de quel droit m’attendre à une autre fortune pour notre goëlette ? Le brouillard était si intense qu’à peine pouvait-on distinguer la vigie sur le gaillard d’avant ; puis la neige commençait à tomber, la grêle bruissait, le vent sifflait à travers le gréement et les lourdes vagues déferlant sur nous inondaient les ponts et menaçaient de nous engloutir : je n’oublierai jamais nos dix premières heures dans la baie de Melville.

Vers la fin de cette course folle et désordonnée, mon oreille attentive au moindre son, saisit le clapotis de l’eau sur les brisants, sans toutefois pouvoir préciser de quel côté venait le danger.

Le bruit se rapprochait toujours ; un iceberg projeta faiblement sa blancheur indécise au milieu du brouillard : nous n’avions plus le temps de réfléchir et il était trop tard pour nous détourner. En serrant le vent avec la goëlette nous nous précipitions de flanc sur l’obstacle ; nous ne savions sur quel point gouverner : on ne distinguait pas les contours de la montagne, seulement on pouvait entrevoir une énorme lueur et une ligne de brisants couverts d’écume.

Je l’ai toujours pensé : quand on ne sait à quoi se résoudre, le plus sûr est de ne rien faire, et dans les présentes circonstances ce fut notre salut. Si j’avais obéi à ma première impulsion et mis la barre au vent, nous courions vers la ruine ; mais nous glissâmes tout près de cet affreux monstre, et nous échappâmes ainsi à une collision qui certes aurait été instantanément fatale à notre pauvre goëlette et à tous ceux qui la montaient ; la vergue de misaine en effleura le bord ; le mur de glace nous couvrit de son embrun, et, quelques instants après, l’iceberg rentra dans les ténèbres d’où il avait émergé si soudainement.


Portrait de Hans en 1853. — Dessin de A. de Neuville d’après le docteur Kane (Arctic Explorations).

« Rasés de près ! » dit maître Dodge, toujours de sang-froid.

— Très… très-près ! » grelotta Starr, frissonnant encore, comme s’il venait de recevoir une douche glacée.

Le vieux cuisinier avait été sommé de comparoir sur le pont pour aider à la manœuvre, et, au milieu de la terreur générale, on l’entendait murmurer : « Je voudrais savoir comment le dîner de ces messieurs sera prêt si on me dérange comme cela pour tirer sur des câbles ! » Le bonhomme n’avait pas l’air de se douter qu’un instant auparavant « ces messieurs » ne pensaient guère avoir plus jamais besoin de ses services.

Le 25, à midi, nous rencontrâmes le premier champ de glace. Pendant vingt-quatre heures j’avais anxieusement surveillé la mer et je m’étais persuadé que nous franchirions la baie sans la moindre escarmouche avec l’ennemi, lorsqu’une ligne blanche se dessina devant nous ; nous l’atteignîmes bientôt et, profitant d’une large trouée, nous entrâmes chargés de toute notre toile ; le danger se trouva beaucoup moins grand que nous ne l’avions pensé ; le banc avait une largeur de près de trente kilomètres, mais la glace n’était pas compacte et nous pûmes nous frayer une voie sans trop de difficultés.

En cinquante-cinq heures nous avions traversé la baie de Melville ; nous entrions dans « les eaux du Nord. »

Près du cap York, je longeai le rivage, cherchant les indigènes. Les lecteurs des récits du docteur Kane n’ont peut-être pas oublié que ce navigateur avait emmené des établissements du Groënland un chasseur nommé Hans qui, après lui avoir été fidèle pendant près de deux années, l’abandonna pour une belle, et alla vivre avec les Esquimaux sauvages qui habitaient les bords septentrionaux de la mer de Baffin. Supposant qu’il n’avait pas tardé à se lasser de son exil volontaire, et qu’il attendait probablement au cap York un navire quelconque qui voulût bien le rapatrier, je m’avançai à une portée de fusil de la berge, sur laquelle je découvris bientôt un groupe d’êtres humains qui faisaient force signes pour attirer notre attention ; je descendis dans


Hans, en 1860 découvrant le vaisseau de Hayes. — Dessin de A. de Neuville d’après le docteur Hayes.

un canot, et, de vrai, il était là devant nous, l’objet de

mes recherches, nous regardant de tous ses yeux ; il me reconnut parfaitement ainsi que M. Sonntag et se rappela même nos noms.

Six ans de séjour parmi les naturels de cette côte désolée l’avaient entièrement abaissé au niveau de leur laideur dégoûtante ; il était accompagné de sa femme portant son premier-né sur son dos, dans un capuchon de cuir, de son beau-frère, jeune garçon au regard vif et brillant et de sa belle-mère « vieille commère à la langue bien pendue. » Ils étaient tous vêtus de peaux et nos hommes les examinaient avec la plus grande curiosité ; jusque-là, nous n’avions pas encore rencontré d’Esquimaux entièrement sauvages.

À travers des rochers abrupts et de hauts amas de neige, Hans nous conduisit à sa tente, située sur une colline escarpée à deux cents pieds au-dessus du niveau de la mer, position étrangement incommode pour un pêcheur, mais très-convenable comme poste d’observation. C’est là que pendant de longues années, il avait guetté le navire tant désiré ; les étés s’enfuyaient et il soupirait toujours après sa patrie et les amis de sa jeunesse. La tente était un assez triste logis en cuir de phoque, à la mode esquimaude et à peine assez large pour abriter la petite famille qui se pressait autour de nous.

« Hans voudrait-il venir avec moi ?

— Oui.

— Avec la femme et le marmot ?

— Oui.

— Voudrait-il venir sans eux ?

— Oui. »

Je n’avais pas le loisir d’examiner à fond l’état de son esprit, et sachant par ouï-dire que la séparation de deux époux est un événement regrettable, je donnai à la jeune Esquimaude le bénéfice des conventions de notre monde civilisé, et je l’emmenai à bord avec le mari, le poupon, la tente et tous leurs pénates. La vieille et le garçon aux yeux noirs criaient et voulaient nous suivre, mais n’ayant point assez de place pour tout ce monde, je les abandonnai aux soins du reste de la tribu, au nombre d’une vingtaine ; ces Esquimaux accouraient joyeusement sur la colline ; je leur distribuai quelques cadeaux, et retournai vers le navire.

La placidité de maître Hans n’avait pas été un seul instant troublée ; il eût certainement été tout aussi satisfait de laisser sa femme et son enfant à leur sauvage parenté, et si je l’avais alors connu tel que j’appris plus tard à le faire à mes dépens, je n’aurais pas perdu quelques heures à interrompre le cours de sa barbare existence.

À cinq heures du soir, je me retrouvai sur la goëlette ; le vent avait fraîchi pendant mon absence, et voulant profiter de ce changement favorable, je m’étais hâté de revenir sans prendre le temps de visiter à quelques kilomètres à l’est du cap, un village esquimau situé au nord d’une profonde baie, tout près d’un endroit nommé Kikertait (le lieu des îles).

En prévision d’une survente et d’une rude nuit, Mac Cormick avait pris un ris, et la goëlette avec ses voiles frémissantes et gonflées semblait aussi impatiente qu’un lévrier tenu en laisse ; lorsqu’on eut mis la barre au vent, elle tourna vers le nord par un mouvement des plus gracieux, et après s’être arrêtée comme pour prendre son élan, elle fila sur la mer avec une vitesse de dix nœuds à l’heure. Îles, caps, baies, icebergs, glaciers, disparaissaient derrière nous, et, tout enivré de cette chance extraordinaire, l’équipage était de fort bruyante humeur. Pendant que nous traversions successivement les groupes d’icebergs, j’observais avec curiosité l’insouciante audace qui animait les hommes du quart. Dodge était sur le pont, Charley, vieux loup de mer qui avait roulé par tous les temps et toutes les latitudes, tenait le gouvernail, et il me semblait qu’entre les deux s’établissait une sorte d’entente tacite dans le but d’expérimenter de combien on pouvait approcher des glaces sans les toucher. Nous passions souvent dans des canaux très-étroits, et la goëlette, au lieu de suivre le milieu du chenal, venait sur l’un ou sur l’autre bord au moment le plus critique. Naturellement, « ce n’était pas leur faute. » Lorsque je réprimandai Charley sur sa manière de gouverner, il m’assura que le navire ne pouvait obéir à la barre lorsque, par le vent qu’il faisait, il portait tant de toile à l’arrière. Je fis donc loffer et mettre la grand’voile au bas ris, et soit qu’ils n’eussent plus d’excuse raisonnable pour agir autrement, soit que nous eussions paré à une difficulté réelle, le bâtiment put suivre une route se rapprochant un peu plus de la ligne droite ; nous filions sur cette mer sans lames avec une rapidité qui donnait le vertige.

Cette course effrénée faillit aboutir à une catastrophe. Devant nous se dressaient deux hauts sommets de cristal à peine séparés par un intervalle de vingt brasses ; il eût fallu dévier de notre chemin pour les éviter et je demandai à Dodge s’il se faisait fort de diriger la goëlette à travers l’étroit passage ; toujours prêt à courir au-devant du péril, il assuma volontiers cette responsabilité, mais quelle fut notre terreur en reconnaissant, trop tard, pour tourner à droite ou à gauche que ces blocs étaient deux fragments du même colosse et se réunissaient à quelques pieds seulement au-dessous de la surface de la mer ; par bonheur, la transparence de l’eau en dissimulait la profondeur réelle, mais la quille toucha deux fois sur ce terrible défilé et pendant que la goëlette jouait, avec une sorte d’hésitation, le dangereux rôle de traîneau, j’avoue que j’eusse voulu être à mille lieues du gaillard d’avant.

Pendant cette navigation, nos nouveaux amis divertissaient fort l’équipage. Hans était dans la jubilation et le laissait voir autant que le permettait sa stupide nature ; sa femme montrait un curieux mélange d’orgueil et d’ébahissement, et tout écrasée par l’imprévu de sa nouvelle situation, elle semblait avoir contracté une grimace chronique ; le marmot criait, hurlait, riait, comme tous ceux de son âge.

Armés de seaux d’eau chaude, de savons, de peignes, de ciseaux, les matelots se mirent en devoir de préparer ces intéressants personnages aux chemises rouges et aux autres élégances de la civilisation ; cette partie du programme les ravissait d’aise : ils se pavanaient sur le pont avec l’air d’importance comique de nos petits garçons le jour de leur première culotte ; mais hélas ! terribles choses que l’eau et le savon ! La femme, que les préparatifs avaient d’abord mise en belle humeur, se prit à pleurer et à demander à son mari si c’était là un rite de la religion des hommes blancs. L’expression de son visage indiquait qu’elle n’y voyait qu’un mode de torture. La cérémonie faite, le matelot qui remplissait le rôle de chambellan et ne paraissait pas très-enthousiaste de cet accroissement de notre famille, les fourra pour la nuit parmi les toiles et les câbles des écubiers, tout en grommelant à demi-voix : « Là, du moins, ils seront utiles à quelque chose, ils serviront de doublure à nos bossoirs ! »

La côte que nous suivions en ce moment est des plus intéressantes pour un géologue : la formation trappéenne de l’île Disco reparaît au cap York ; les rivages sont abrupts, élevés, déchiquetés, coupés de profondes gorges dont le pittoresque est encore augmenté par les nombreux fleuves de glace qui en remplissent les estuaires. Les roches ignées sont interrompues au cap Athol, sur la partie sud du détroit de Wolstenholme et les couches de grès et de grauwacke qui frappaient mes regards sur ce point, ainsi qu’à l’île Saunders, et plus haut, vers le cap Parry, me remettaient en mémoire les luttes périlleuses des années d’autrefois.

À huit heures du soir, nous passâmes devant la baie de Booth ou j’avais eu, en 1854, mes quartiers d’hiver, lors de mon voyage en canot ; aidé de ma longue-vue, je distinguais les rochers au milieu desquels nous avions bâti notre hutte : ils ne me rappelaient guère de souvenirs heureux[4].

Nos chiens nombreux avaient pratiqué une rude saignée à nos provisions d’eau douce ; aussi, pendant la nuit, les hommes de quart furent occupés à faire fondre la neige qui couvrait le pont ; nous pêchâmes au filet quelques morceaux de glace d’eau douce, fragments d’icebergs désagrégés.

Vers l’aube, le vent tourna au nord-est, dissipa les nuages et nous montra la terre. Le cap Alexandre, dont les hautes falaises gardent l’entrée du détroit de Smith, paraissait à trente-six kilomètres tout au plus, et le cap Isabelle, qui en est éloigné de soixante-quatre, était visible sur la côte opposée. Cinglant vers le cap Saumarez, nous trouvâmes un chenal entre le champ de glace et le rivage, mais nous passâmes la plus grande partie du jour à maugréer contre un calme irritant pendant lequel un fort courant de marée nous promenait alternativement au nord et au midi de la côte ; il nous fallait avoir presque constamment recours aux canots pour nous garer des icebergs très-nombreux dans ces parages et dont quelques-uns étaient de dimensions formidables. À la fin cependant, un bon vent nous poussa vers le détroit de Smith, but de nos désirs. Tournés vers le cap Isabelle, nous eûmes un instant toutes les bonnes chances pour nous. Mais notre joie fut de courte durée. Du haut des mâts on signalait une immense banquise, et nous ne fumes pas longtemps à l’atteindre. Elle était composée des plus énormes champs de glace que j’eusse jamais rencontrés ; courant du nord-est au sud-ouest, elle nous barrait la route du rivage occidental ; plusieurs glaçons s’élevaient de deux à dix pieds au-dessus de la mer, mesurant par conséquent une épaisseur totale de vingt à cent pieds. S’ils avaient été moins compactes, je me serais risqué à m’ouvrir un passage entre eux, mais dans l’état où ils se présentaient, une pareille tentative eût été un véritable suicide.

Ces glaces paraissaient interminables : on ne découvrait plus d’espace libre dans la direction du cap Isabelle.

Nous fûmes bientôt délivrés de toute indécision : une affreuse tempête fondit soudain sur nous et ne nous laissa d’autre alternative que de tâcher d’atteindre la côte pour y trouver un abri ; notre position était des plus critiques ; l’épaisse banquise que nous avions longée la nuit précédente s’étendait sous le vent ; elle nous coupait la retraite et nous enlevait toute possibilité de courir vent arrière.

Le 28 et le 29 août, le vent souffla avec rage. — En partie protégés par la côte, nous l’avons parcourue à la recherche d’un mouillage ; nous nous trouvions en ce moment en dehors du cap Saumarez, à deux milles de la terre. Ayant manqué l’île Sutherland, nous descendions le long de la côte pour chercher un abri dans une baie profonde située au-dessous, mais le vent, contournant le cap, nous rejeta en arrière et nous essayâmes de nous traîner vers la terre pour mouiller dans une petite anse que nous apercevions tout près, et pour tâcher d’y réparer nos voiles déchirées. — L’écume rejaillissait sur le pont et le recouvrait d’une couche d’eau qui gelait instantanément ; de longs glaçons pendaient des agrès et des œuvres mortes ; les soubarbes et autres filins étaient de l’épaisseur du corps d’un homme, et tout à l’encontre des habitudes maritimes, nous dûmes répandre des cendres sur le tillac.

Je comprends aujourd’hui qu’une semblable tempête ait forcé, en 1852, Inglefield à fuir le détroit de Smith. Il lui aurait été impossible de continuer sa route, l’Isabelle eût-elle eu le double de chevaux vapeur.

Je transcris mes notes : — « Sans les falaises qui nous protégent, nous serions entraînés encore plus vite, et vers notre ruine, très-probablement.

« Les rafales sont effroyables, et pendant les accalmies qui les suivent, le vent semble reprendre des forces pour une nouvelle bourrasque.

« La côte, qui ne nous abrite que par intervalles, est de l’aspect le plus sinistre ; ses falaises ont près de douze cents pieds d’élévation, et leurs sommets et les montagnes qui les dominent sont couverts de neiges récemment tombées. La tourmente roule celles-ci en tourbillons par-dessus la haute muraille et nous les jette en lourdes averses. Ce doit être un beau spectacle… du loin. L’hiver sera précoce. En 1853, ces mêmes collines, deux semaines plus tard, n’avaient pas encore revêtu leur blanc manteau.

« Impossible de voir une scène plus magnifiquement terrible que celle qui se déploie autour de nous. — La tempête continue à se ruer sur nous avec la même colère ; les blancs talus du cap Alexandre s’éclairent d’une lueur sinistre et se découpent sur le nuage sombre qui couvre le ciel du Nord ; au-dessus des falaises roulent et bondissent des flots immenses de neige amoncelée ; les tourbillons l’enlèvent des cimes des rochers et la font tournoyer follement dans les airs ; chaque ravin, chaque gorge en verse à l’océan des torrents épais qui, dans leur chute tumultueuse, ressemblent à l’embrun d’une cataracte gigantesque ; çà et là, à travers la changeante nuée, les rochers noirs profilent un instant leurs arêtes aiguës pour disparaître aussitôt ; le glacier qui descend vers la baie est recouvert d’un éblouissant manteau dont les plis ondoient au souffle de la tempête ; le soleil descend lentement derrière l’horizon ténébreux. Mais c’est la mer surtout qui est étrangement sauvage et d’une sinistre splendeur ! Autour du cap, elle ne forme plus qu’une vaste étendue d’écume blanchissante ; l’eau, fouettée par l’ouragan, rejaillit en gerbes immenses et retombe avec bruit sur les hauts sommets des icebergs. Mon crayon et ma plume sont également impuissants à décrire et ces masses d’écume, bouillonnant, palpitant sur la mer, au gré de la tourmente, s’abaissant
Vue du cap Alexandre. — Dessin de Jules Noël d’après le docteur El. Kane (Arctic Explorations).
dans l’abîme ou se dressant contre le ciel noir, et ces nuages échevelés et terribles qui s’élancent à travers l’espace mugissent sourdement ; l’air retentit de cris horribles, de plaintes désolées comme cette infernale clameur qui, dans le second cercle des damnés, fit pâlir le poëte de Florence, et les nuées de neige et de vapeurs, poussées par les rafales furieuses, montent et descendent et s’entre-choquent avec rage. »

« Balayés par le formidable ouragan, » comme les pâles troupeaux d’ombres que la sentence du juge des enfers précipite dans le noir Tartare, nous ne parvînmes que le 3 septembre seulement à doubler ce terrible cap Alexandre. Contrairement à l’espérance que j’avais conçue (et sur laquelle reposaient nos plans d’avenir) d’aller hiverner sur la côte occidentale du détroit, je dus me trouver heureux de trouver un ancrage sur le pourtour de la baie d’Hartstène. À peine mon pauvre petit navire, disloqué par les secousses de la tempête et les heurts des glaçons, y était-il en sûreté, que la banquise vint s’appuyer sur l’entrée de notre havre et nous y tint bloqués pour un long hivernage.

Pour extrait et traduction,
F. de Lanoye.

(La suite à la prochaine livraison.)


  1. Voy. Tour du Monde, t. I, p. 257.
  2. Iceberg, montagne de glace flottante détachée des glaciers des terres arctiques ; — Pack, amas de glaces de grande étendue, formé de l’entassement et de la superposition des glaces de toutes provenances et de toute origine, mêlées par les courants et les tempêtes ; — Floe, champ de glace marine formée par la congélation de l’eau de mer.
  3. The voyage of the Fox, by captain M’.Clintock. 1857-1859. — Voy. Tour du Monde, t. I, p. 18.
  4. Voy. Kane’s arctic explorations, 2 vol. in-8o ; Philadelphie, 1856.