Voyage à Aix-Savoie, Turin, Milan, retour par la Suisse, en 1859/11


CHAPITRE XI.


Lucerne. — Zurich. — Rapperschwyl.

À Lucerne, je descends à l’hôtel du Rigi, dont le propriétaire est M. Veitt-Krauer. Lucerne est une ville de dix mille habitants, capitale du canton de ce nom, et dans une des positions les plus pittoresques qu’on puisse rencontrer : ses jolis environs, son beau lac, les monts Rigi et Pilate qui la dominent, et, plus loin, d’autres monts couronnés de neige, font un effet qu’on ne se lasse pas d’admirer. La ville n’est pas belle, mais elle a ses curiosités qui ne sont pas à dédaigner.

Après une bonne nuit dont j’avais grand besoin, conduit par un guide parlant italien, je commence mes courses dès sept heures.

Nous voyons d’abord un pont où est une peinture représentant des crétins auxquels on coupe la tête que l’on jette à l’eau. Pourquoi leur fait-on cette opération ? C’est ce que mon cicérone ne peut m’apprendre.

Ce pont est sur la Reuss que nous avons vue s’échappant de sa source et descendre en cascades sur les flancs du Saint-Gothard. Du pont, on voit bien le Rigi et ses deux pointes, dont l’une s’appelle Rigi-staaf, et l’autre Rigi-kulm. L’hôtel où je loge semble être au milieu.

Plusieurs ponts couverts offrent de curieuses peintures.

Ce qui frappe d’abord en arrivant à l’arsenal est un mannequin remuant la tête, représentant un paysan lucernois. Ce goût des mannequins a longtemps, dans le nord, remplacé celui des statues, et il n’est pas encore perdu en Angleterre : l’Anglais, comme le Suisse et l’Allemand, a ses poupées nationales.

Parmi beaucoup d’autres reliques, je remarque les drapeaux pris par les Lucernois, car qui n’en prend pas, et à qui n’en a-t-on pas pris ? L’honneur et la gloire sont ici au bout d’un bâton auquel pend un chiffon. On me montre celui qui fut pris, dit-on, à la bataille de Morat en 1476, et la bannière de l’Autriche prise à la bataille de Sempach en 1586. Cette dernière me paraît plus authentique. Quant aux colliers à pointes de fer apportés par ces Autrichiens pour enchaîner les Suisses qu’ils n’ont pas vaincus, on ne peut nier l’existence de ces colliers, mais leur destination est moins certaine. L’arbalète en corne, avec laquelle a tiré Guillaume Tell, serait un morceau bien précieux s’il était moins problématique ; mais quel est le cabinet d’antiquités où l’on n’ait pas, de temps en temps, besoin des yeux de la foi ? Je croirais plutôt à l’épée qu’on dit aussi être celle du Brutus helvétien.

Les vitraux où sont dessinées, en verre de couleur, les armoiries des principaux habitants de 1558 à 1606, et celles des cantons suisses, sont fort beaux. J’admire surtout ces guerriers dans les positions les plus pittoresques formant les supports, et les couleurs éclatantes de chaque écusson, qui ressortent par l’effet d’un cercle de verre limpide et éclairé.

Toujours conduit par mon cicérone, lequel, je m’en aperçois bientôt, n’est pas fort sur l’histoire de sa ville qu’il mêle à beaucoup de contes, je vais voir le monument érigé en commémoration des soldats suisses tués par la populace, le 10 août 1792, en défendant les Tuileries. Ce monument consiste en un lion gigantesque de neuf mètres de long et de six mètres de haut, sculpté en relief sur le rocher même. C’est un beau travail exécuté, d’après un modèle de Thorwaldsen, par le sculpteur Ahorn, né à Constance. On dit que le premier modèle donné par Thorwaldsen était médiocre ; il s’en aperçut, et en fit un second : c’est celui qui a été exécuté. Le gardien du monument, Paul-Joseph Los, âgé de quatre-vingt-deux ans, est le dernier des survivants à cette journée où périrent, dit-on, vingt-six officiers et seize cents soldats. Je crois ce chiffre exagéré.

Je retourne à l’hôtel pour déjeûner. Le poisson du lac y est, comme toujours, le plat d’honneur. Chaque lac a son poisson favori, auquel les hôteliers du lieu devraient élever une statue, car ils lui sont redevables de leur fortune : l’agone, la truite, le lavaret, l’ombre chevalier, etc., tous fort bons, sans valoir pourtant le poisson de mer. Le vin blanc de Lucerne a aussi sa réputation.

À dix heures, je prends la voie ferrée qui conduit à Zurich. Les wagons de première classe sont ici des plus commodes : au lieu de canapés à trois ou quatre places, ce sont des fauteuils en face les uns des autres, deux à deux à droite, un à un à gauche. Des tables d’acajou séparent les personnes placées ainsi en vis-à-vis. Un passage au milieu, où l’on peut se promener, règne dans toute la longueur du wagon qui a huit fenêtres. Partout des tapis, et des glaces ou miroirs entre les fenêtres.

Le pays est riche et bien cultivé. À droite est un lac aux rives plates, se relevant un peu plus loin en collines couvertes d’arbres fruitiers. Les stations se succèdent rapidement : j’en compte neuf dans une heure et demie.

À onze heures et demie, nous touchons à Zofingen en Argovie. Le lac que nous voyons, et au bord duquel la ville est située, est celui de Wiggen. On compte à Zofingen trois mille cinq cent soixante âmes.

De jolies maisons, qu’on distingue dans la vallée, annoncent l’aisance des habitants. On a découvert, dans les environs, des débris romains : où donc les Romains n’étaient-ils pas ? Zofingen a sa place d’armes, sa bibliothèque, son église, sa maison de ville et de tir.

À midi, nous sommes à Aarburg. À droite est une maison entourée d’une galerie couverte et de trois balcons superposés.

Peu de minutes après, paraît Olten, où se croisent les voies de fer d’une partie de la Suisse. Olten est un gros bourg de seize cents habitants, situé près du confluent de la Dunnern et de l’Aare : c’est là que je dois changer de train.

Ses wagons ne valent pas moins que ceux que nous quittons. Ceux de première classe sont aussi à six fauteuils, avec deux tables, une grande et une petite. La grande est placée entre quatre fauteuils, la petite entre deux. Une séparation au milieu forme une communication d’un wagon à l’autre. Aux portes sont des glaces. Ce sont de petits salons ayant deux mètres trente centimètres de hauteur, et où l’on peut circuler.

J’ai pour compagnons M. F**, de Paris, sa jeune femme blonde et jolie, et une autre dame, Parisienne aussi, je crois, avec son mari que sa décoration et ses moustaches grises taillées en brosse annoncent être un vieux militaire, toutes personnes de bonne compagnie et avec lesquelles je suis bientôt en connaissance.

Un petit sac de nuit que je garde toujours près de moi, parce qu’il contient des livres, des plans et des cartes, se déchire. La dame au mari décoré m’offre gracieusement de le raccommoder, ce qu’elle fait à l’instant après avoir tiré de son porte-monnaie une aiguille et du fil. Je lui offre une médaille de saint Charles Borromée, et à la jeune femme une balle de Magenta échappée de mon sac et dont son mari paraissait avoir grande envie.

La campagne est toujours riche et belle. Une rivière coule à gauche.

À Zurich, je descends à l’hôtel Billatz. À dîner, je rencontre deux savants français qui demandent au garçon de salle le nom d’un professeur du canton, nom qu’ils estropient probablement, et pour le faire comprendre ils lui nomment ses ouvrages avec quelques citations grecques. Le garçon ouvre de grands yeux, ne comprend rien et ne répond mot. Alors un des savants se tournant vers moi : « Voyez, me dit-il, la stupidité des gens de ce pays, on n’en peut obtenir le moindre renseignement ! » Je ne saurais trop dire l’effet que me fit cette exclamation.

Si l’on cite bien des gens
Encroûtés d’ignorance,
On trouve aussi des savants
Hébétés de science.
S’il m’eût fallu faire un choix
Dans cette circonstance,
Entre le bon sens des trois,
Celui du valet, je crois,
Eût eu la préférence :
Le silence répond bien
À qui parle et ne dit rien.

Placé sur le lac du même nom, Zurich est arrosé par deux rivières, la Limmat et la Sihl, et plusieurs canaux que traversent six à sept ponts, ce qui en fait une espèce de Venise d’eau douce. Cette ville, où l’on compte dix-sept mille âmes, a donné son nom à une bataille gagnée en 1799 par Masséna contre les Russes commandés par Korsakof. C’est pendant cette bataille que Lavater fut tué accidentellement par une balle dans une des rues de la ville.

Ma première visite est au professeur Horner, homme très-érudit et conservateur de la bibliothèque de la ville, riche de plus de trois mille manuscrits et de cinq mille volumes. Parmi les curiosités, M. Horner me montre un herbier formé par Jean-Jacques Rousseau, et plusieurs de ses lettres. Ce que j’ai vu avec beaucoup d’intérêt, ce sont les portraits des principaux habitants et des bienfaiteurs de la ville, de 1336 à 1798. Il est à regretter qu’on n’ait pas continué cette collection. Aujourd’hui qu’il est si facile et si peu coûteux de se procurer la ressemblance au moyen de la photographie, chaque ville devrait avoir la collection de ses hommes célèbres ou utiles, ainsi que de ses autorités municipales. On pourrait aussi, à Paris, dans chaque ministère, joindre aux dossiers les figures des magistrats, des administrateurs, des militaires et marins qui se distingueraient, sans oublier d’y mettre les noms, car c’est par cette omission que tant de vieux portraits, qui auraient été précieux pour l’histoire du pays et des familles, sont tombés dans la catégorie des croûtes et dans le domaine du marchand de bric-à-brac qui vend cinq francs ce qui en a coûté cent, et qui en vaudrait mille si on en connaissait l’histoire.

Zurich a aussi sa bibliothèque cantonale possédant vingt-quatre mille volumes, et celle des sciences naturelles, toutes les deux ouvertes aux lecteurs ; sans compter de riches bibliothèques particulières. Aussi, en Suisse, les individus ne sachant ni lire ni écrire sont aussi rares qu’ils sont communs chez nous, où il en sera toujours ainsi tant que l’enseignement ne sera pas gratuit et obligatoire.

Ma seconde visite fut au tombeau de Lavater, que le pape aurait dû canoniser, tout protestant qu’il était, car je ne doute pas que saint Pierre, passant sur l’inconvénient, ne lui eût ouvert les portes du paradis, sauf à l’y convertir ensuite.

La troisième est pour M. Ferdinand Keller, président de la Société des Antiquaires de Zurich, avec qui j’étais depuis longtemps en correspondance, savant bien connu par d’intéressants mémoires, notamment sur les antiquités découvertes depuis peu dans le lac de Bienne, dont il me montre une très-curieuse collection appartenant au musée. J’y vois des haches de pierre, des gaînes en bois de cerf et autres os travaillés, qui ressemblent beaucoup à ceux que j’ai découverts dans nos tourbières de 1834 à 1840, et qui sont dessinés dans l’édition de 1846 de mes Antiquités celtiques et antédiluviennes.

Ces reliques des lacs de la Suisse doivent remonter à la même époque que celles de la Somme et des gisements celtiques. Peut-être même celles d’Abbeville sont-elles plus anciennes, car jamais, avec ces haches de pierre et ces instruments en os et en corne de cerf, je n’ai trouvé de métaux ou d’instruments qui en étaient faits, tandis qu’on en a recueilli beaucoup dans les lacs de la Suisse. — Je suis convaincu que nous ne sommes qu’au début de ces découvertes lacustes, et lorsque l’on pourra former une compagnie ou association scientifique pour le draguage des lacs et des fleuves, non-seulement dans notre Europe, mais en Afrique, en Asie, dans le voisinage des lieux où furent de grandes cités, et sur quelques points de l’Amérique, on trouvera des trésors. Les tourbières, essentiellement conservatrices, n’ont été explorées qu’en quelques endroits : leur flore et leur faune restent à faire. Puis sous ces tourbières vous trouvez le diluvium, et dans le diluvium, encore des traces de l’homme. Où s’arrêtera cette étude ? Dio lo sa. Que les villes construisent des musées : je leur promets, si ce goût des recherches souterraines et de l’histoire d’un autre âge se soutient, que ces musées seront bientôt remplis : il suffira que chacun y apporte son obole. Les collections particulières ont sans doute leur mérite, mais elles ne durent guère : les ventes après décès les éparpillent et les dépaysent. Ayant perdu son certificat d’origine, le morceau historique, de traditionnel qu’il était, n’est plus qu’objet de commerce ou de curiosité, parfois même un jouet abandonné aux enfants. Combien n’en ai-je pas sauvé de leur innocent vandalisme !

Je vois la galerie zoologique que mon domestique de place nomme le muséum des bêtes, et le jardin botanique. Là encore sont deux herbiers, mais plus complets que celui de J.-J. Rousseau : ce sont ceux de Gesner et de Heget-Schweiler.

De tous les points un peu élevés de Zurich et de ses deux ponts principaux, on jouit d’une vue admirable de son beau lac et des montagnes qui le dominent.

À l’arsenal, on me montre, comme à Lucerne, l’arbalète dont Guillaume Tell s’est servi pour enlever la pomme posée sur la tête de son fils. Il paraît qu’il en avait de rechange.

La Suisse est probablement le pays le mieux fourni de trophées d’armes, Zurich en est donc bien approvisionné : on y remarque, entr’autres, le casque et la cuirasse que Zwingle, à la fois curé, littérateur et guerrier, portait à la bataille de Cappel.

Les églises de Zurich, notamment la cathédrale, sont plus à citer pour les souvenirs qu’elles présentent que pour leur architecture : elles ont été le champ de bataille ou de controverse des premiers disciples de Luther. De quelque manière qu’on l’envisage, Luther ne peut être considéré comme un bienfaiteur de l’humanité. Sa séparation de l’Église, sans éclairer les peuples, sans les rendre plus moraux ni plus tolérants, n’a en rien contribué à leur bien-être, et n’a pas fait faire un pas de plus à la liberté. Ce serait plutôt le contraire : ce sont les ministres du culte protestant qui se sont montrés les plus ardents à maintenir le droit divin de l’esclavage. On ne saurait rendre Luther responsable des guerres de religion qu’a amenées son hérésie, mais elles n’auraient certainement pas eu lieu si l’Église était demeurée une.

À sept heures du soir, je m’embarque sur un vapeur allant à Rapperschwyl pour y faire une visite à la duchesse de Parme que j’avais connue enfant, et que depuis, en 1853, j’avais revue à Venise chez sa mère.

Le temps n’étant pas clair, la nuit ne tarde pas à venir. Je descends au salon où je trouve nombreuse compagnie. Ce qui me frappe d’abord est un personnage, véritable géant près duquel ceux qui se montrent aux foires auraient pâli. Sa mise et ses manières annoncent d’ailleurs que s’il était géant de taille, il ne l’était pas d’état.

Parmi les dames, il y en avait de fort jolies, presque toutes en toilette. Il était évident qu’elles revenaient de faire des visites ou qu’elles y allaient. À chaque station, on en débarquait quelques-unes. Je finis par rester seul dans le bateau. Je me crois oublié. Une servante confirme cette idée en me demandant ce que je fais là, et si je vais coucher à bord. Effaré, je monte sur le pont et je cours au capitaine qui d’abord semble ne pas comprendre ce que je lui veux ; enfin, il me dit que nous avons encore deux stations pour arriver à Rapperschwyl, et m’assure que j’y trouverai la duchesse.

À dix heures et demie, nous abordons. On me conduit à l’hôtel du Lac. Tout le monde est couché, et la porte est fermée. Je frappe ; trois femmes viennent ouvrir : l’une d’elles était la maîtresse du logis. Ma première question est au sujet de la duchesse : est-elle à Rapperschwyl ? — On me répond qu’elle est partie le matin pour Bregens où ses deux filles sont en pension. — Cruel désappointement ! Il était trop tard pour souper : cuisiniers et marmitons, tout dormait dans l’hôtel. J’allai me coucher de mauvaise humeur, et mon lit ne contribua pas à la rendre meilleure. Ce n’est qu’en France qu’on sait faire un lit ; dans les autres pays, il semble qu’un lit ne soit pas fait pour dormir, car on y a toujours ménagé quelque chose qui vous en empêche. Ici on n’a pas mis de couverture, mais un édredon sous lequel j’étouffe et sans lequel je gèle. Je passe ainsi toute ma nuit entre le chaud et le froid.

Le lendemain, 21 septembre, le maître de l’hôtel du Lac, ancien militaire et compagnon d’armes de Napoléon III quand il était soldat suisse, vient me voir. Il ne sait pas si la duchesse doit rentrer bientôt au château de Moienberg où elle réside, à deux kilomètres de Rapperschwyl. Il m’engage à aller jusque là, et me donne l’adresse du comte Scotti, son chevalier d’honneur, par lequel je saurai à quoi m’en tenir.

Le soleil brille, le temps est calme, le chemin beau, je me décide à faire la route à pied. À huit heures, j’y étais. La grille est ouverte, il n’y a ni gardien ni concierge, pas même de sonnette ou de marteau pour frapper. J’entre dans un vaste et beau jardin, et bientôt me voici en face d’une maison confortable, mais simple.

Je ne trouve levés que les frotteurs occupés à préparer leur cire. Faute de mieux, je m’adresse à eux. Le premier valet de chambre est absent, et le second aussi. Le comte Scotti dort.

Il faut donc m’en aller comme je suis venu. Je me décide à écrire un mot au comte. En attendant une réponse, je cause en italien avec l’individu qui a été porter ma lettre. Il me demande des nouvelles de la France qu’il désirerait bien visiter, puis il me parle du théâtre de la guerre d’où il sait que je reviens. Est-ce un valet ou un secrétaire ? Je n’en sais rien, mais il cause très-nettement politique, et avec un vrai bon sens.

Le comte Scotti me fait dire qu’il s’habille et qu’il va me recevoir.

Me voici en face d’un jeune homme en robe de chambre, qui m’apprend qu’il n’est pas le comte Scotti, alors absent, mais son fils, et qu’il le remplace. Je lui dis le sujet de mon voyage. Il me répond que la duchesse est partie pour trois jours, mais qu’il est possible qu’elle revienne plus tôt. Il ajoute qu’il ne doute pas que la duchesse ne me reçoive aussitôt son retour, et que j’en serai prévenu. Nous parlons ensuite d’un peu de tout, c’est-à-dire de pas grand’chose.

Je reviens à l’hôtel du Lac à travers la campagne qui est belle et bien cultivée. Tout en admirant le pays, je n’enrage pas moins d’avoir fait un voyage inutile.

Je quitte Rapperschwyl sans avoir l’intention d’y revenir, mais regrettant de n’avoir pu voir la duchesse qui me rappelle tant de souvenirs d’un autre temps.

Le vapeur où je suis est un bon bateau à aube, nommé le Zurich. Quoiqu’il marche bien, on n’arrive pas vite, car il dessert les stations des deux côtés du lac, allant ainsi d’un bord à l’autre pour y prendre ou déposer les voyageurs ; mais je ne suis pas pressé, j’aurai le temps de voir le lac que je n’ai traversé que la nuit, et de faire connaissance avec ses rives. Elles sont bonnes à consulter, et vous apprennent bien des choses. Là, point de non-valeurs ni de terrains perdus : l’utile et l’agréable y sont habilement mêlés. Mieux encore, à cet agréable on sait donner son produit : en Suisse, tout rapporte. Les parents qui, chez nous, destinent leurs enfants à la vie des champs, ce qu’ils devraient faire plus souvent, car une propriété, fût-elle petite, qu’on exploite soi-même, est plus sûre qu’une grosse place, ces parents, dis-je, feraient bien d’envoyer ces apprentis cultivateurs suivre en Suisse un cours pratique d’économie agricole.