II
Il n’y a pas de femmes laides

Il n’y a pas de femmes laides.

Il n’y a que des femmes sottes ou méchantes. Et, dame… il y en a… quelques-unes…

Au reste, une femme classiquement belle est… laide. Voyons, trouvez-vous jolie la tête de la Vénus de Milo ? Elle est froide, elle glace ceux qui la regardent. Ne préférez-vous pas le minois de la Parisienne ? Rien ne Tend plus jolie une femme qu’un petit défaut, une minuscule tache, un grain de beauté, un nez drôlement retroussé, une fossette réjouissante. J’ajouterai qu’une femme classiquement belle est généralement bête, qu’elle pue l’orgueil, la vanité, qu’elle rappelle le paon ; elle passe comme une impératrice qui regarde dédaigneusement ses sujets, elle fait fuir tout le monde, Foin de l’attirer. La beauté d’une femme — nous l’avons dit — réside dans son sourire, or, la femme classiquement belle ne sourit pas, par peur de s agrandir la bouche.

Alors, me répondrez-vous, selon vous, ce sont les femmes laides qui sont belles, et les femmes belles qui sont laides ? Attendez ! Les femmes laides sont belles quand elles sont bonnes ! et quand leur sourire rayonne la loyauté, la sincérité, le calme.

Les femmes reçoivent, en naissant, du ciel (ou de l’enfer !) la grâce, la coquetterie ; elles savent être charmantes avec un rien, faire d’une fleur ou d’un nœud de ruban, un bijou. On dit, avec raison, qu’elles ont des doigts de fées : en un tournemain elles font de leur chevelure un léger édifice de boucles et de coquilles. Elles savent se voiler de dentelles comme d’un nuage. Et puis, ne se parent-elles pas de tout ce qu’il y a de joli sur la terre, des pierres précieuses qui jettent mille feux étincelants, des plumes des oiseaux aux couleurs chatoyantes, des fourrures si douces, des fleurs, des papillons, des soies ? Comment voulez-vous qu’avec ces dons et ces artifices il y ait une femme laide ? Ne dites pas qu’il faut de l’argent : la cocarde de Mimi Pinson ne coûte pas cher, et elle est délicieuse.

Et que serait, au sens où on l’entend, une femme vraiment laide ? Ce serait une femme qui n aurait que de rares cheveux, des yeux petits et sans expression, un nez en pied-de-marmite, une bouche démesurée et sans dents, une femme qui n’aurait pas de lignes, qui serait une perche ou un hippopotame ! Mais, la femme « complètement » laide n’existe heureusement pas. S’il en existait une, on la montrerait dans les foires, comme un phénomène. Une femme peut n’avoir pas des lèvres bien dessinées, mais elle a de grands et profonds yeux, ou une chevelure luxuriante, ou des hanches d’amphore. Et soyez persuadés qu’elle saura faire oublier sa bouche, et ne faire penser qu’à ses yeux, ou à sa chevelure, ou à ses hanches. Si cela n était, Dieu aurait donné à la femme, contre la force physique de l’homme, une autre arme que la beauté. Mais non, Dieu a distribué la beauté à toutes les femmes comme il a distribué la force à tous les hommes — plus ou moins généreusement, voilà tout. Il a donné à l’une de jolis pieds, petits, bien cambrés, à l’autre des mains mignonnes, blanches, aux doigts minces, terminés par des coquillages rosés en ovale, à celle-ci des cheveux soyeux et bouclés, à celle-là une nuque élancée, à chacune il a donné sa part de beauté.

Il a donné, surtout, aux femmes, le don de plaire et d’être aimées, c’est-à-dire ce don qui leur permet d’aveugler les hommes les plus rusés, les plus clairvoyants, qui fait que l’amoureux trouve blanche comme l’ivoire la main rouge de la bien-aimée, et rondes comme la lune ses épaules en portemanteau. Demandez à un amoureux quelle est la plus belle femme de France : avec lui il n’y a pas de concours ! il vous répondra immédiatement : « Celle que j’aime ! »

Celles qui ne sont pas encore aimées n’ont donc qu’à montrer ce qu’elles ont de beau. Les femmes turques qui ont les yeux très beaux, ne montrent que les yeux ; les Espagnoles montrent leurs pieds ; les Italiennes leur chevelure. À la vérité, les Parisiennes sont — ou doivent être — tout à fait belles, car en ce moment, elles montrent beaucoup leurs jambes, leurs bras, leur nuque, leur dos ! Mais j’ai confiance en vous ! vous saurez faire valoir ce que vous avez de joli, point n’est besoin de le vous recommander.

Et puis, ne désespérez jamais : si l’un n’aime pas vos yeux, l’autre les trouvera adorables. Il en faut pour fous les goûts. Celui-ci court après les blondes, celui-là après les brunes. Un homme grand prendra volontiers femme petite, et un homme petit tombera en extase devant une femme grande. Regardez autour de vous : vous voyez bien une personne que vous jugez épouvantablement laide ; or, il se trouve — ou il s’est trouvé, ou il se trouvera — quelqu’un qui l’aime et la juge adorablement belle. Louis XIV, qui se connaissait en femmes, s’amouracha de la Vallière qui boitait fort désagréablement, Louis XV de ta grossière du Bary qui savait à peine lire. Et, sans aller si loin, en considérant simplement le présent, il faut reconnaître que parmi nos courtisanes, ce ne sont pas les plus jolies qui réussissent le mieux. Ni lies plus, intelligentes. Alors ? demanderez-vous. Eh ! je n’en sais rien ! Les hommes sont si bêtes… Je ne vois qu’une explication — toujours la même, — c’est que l’amour est aveugle.

Il y a peut-être aussi certaines affinités, certaines attractions magnétiques qui s’exercent à notre insu et nous mènent comme des pantins, peut-être courons-nous à la recherche de notre complémentaire ; et, quand nous l’aurions trouvé, rien ne pourrait nous en arracher. X… est fait de telle manière qu’il ne peut aimer qu’une femme faite d’une certaine façon, possédant telle qualité ou tel défaut ; la plus belle femme du monde ne lui dit rien, il lui faut une femme laide mais possédant le don qui l’attirera. Chacun de nous a « un type », dont il rêve plus ou moins, qu’il cherche plus ou moins, soit que ce type lui rappelle une femme ou un homme déjà vu, soit qu’il soit un produit de l’imagination, soit qu’il soit une entité répondant réellement à un besoin physique. Nous, nous trouvons les négresses laides, et les blanches jolies ; les nègres trouvent les négresses jolies et les blanches laides. Et, de même que nous trouvons que les négresses ont une odeur plutôt désagréable, les nègres trouvent que les blanches ont une odeur point agréable. Certains aiment les rousses, d autres les fuient avec horreur.

Il n’y a donc de critérium pour la beauté des femmes que le goût personnel de chacun. C’est assez dire qu’il n’y a pas de femmes laides.