Voltaire philosophe (Pellissier)/Avant-propos

Armand Colin (p. i-iii).

AVANT-PROPOS


En intitulant ce livre Voltaire philosophe, nous avons pris le mot philosophe dans la signification où le xviiie siècle l’entendait. Métaphysique et physique, religion, morale, politique, tels sont les quatre domaines auxquels Voltaire appliqua sa philosophie : ce sont aussi les quatre chapitres de notre volume ; et nous y avons fait rentrer ce que renferme de philosophique la partie proprement littéraire de son œuvre, le théâtre par exemple et l’histoire.

Nous ne nous sommes proposé que de retracer cette philosophie le plus méthodiquement possible, avec une entière fidélité.

Nous n’avons point cru nécessaire de dissimuler notre sympathie pour un grand nombre des idées que Voltaire répandit par le monde. On verra qu’elle ne fait aucun tort à notre exactitude.

Il ne nous a pas coûté de signaler chemin faisant dans Voltaire ce qu’on appelle les lacunes de son intelligence. Mais nous préférerions qu’on les appelât autrement. En réalité, son intelligence nous paraît avoir bien peu de lacunes. Disons plutôt qu’il manqua d’imagination. Il ne possédait ni la faculté métaphysique, ni l’invention scientifique, ni le sens mystique. Et c’est d’ailleurs pour cela qu’il n’édifia aucun système illusoire, qu’il restreignit la science dans les limites de l’observation et de l’expérimentation, qu’il bannit tout surnaturel en réduisant la religion à la morale.

Nous voudrions bien que les ennemis de Voltaire — car il en a toujours — reconnussent eux-mêmes notre équité. Du moins, nous osons espérer qu’on ne nous accusera pas de prévention, si, dans les principaux livres ou essais dernièrement publiés sur lui, nous relevons en passant de nombreuses erreurs, soit inspirées par la malveillance, soit provenant d’une lecture inattentive ou incomplète[1].

Nous avons lu avec soin son œuvre entière. Ce n’est pas un grand mérite. Et ce fut d’ailleurs pour nous un plaisir très vif. Mais, comme beaucoup d’écrivains ont parlé de lui sans le bien connaître, on nous saura peut-être gré de n’en parler qu’après nous être donné ce plaisir.

  1. Ai-je besoin de signaler ici, comme ce qu’on a écrit sur Voltaire de plus impartial et de plus juste, le récent livre de M. G. Lanson paru dans la collection des Grands écrivains français, où lui-même corrige en bien des points son chapitre peu bienveillant de l’Histoire de la Littérature française ?