Voltaire
traduction par Jacques Porchat, 1861




VOLTAIRE.


Quand les familles se maintiennent longtemps, on peut remarquer que la nature finit par produire un individu qui renferme en lui les qualités de tous ses ancêtres, et qui montre unies et complètes toutes les dispositions jusqu’alors isolées et en germe. Il en est de même des peuples, dont toutes les qualités s’expriment une fois, si le bonheur le veut, dans un individu. C’est ainsi qu’on vit paraître en Louis XIV un roi français par excellence, et dans Voltaire l’écrivain le plus éminemment français qui se puisse imaginer, le plus approprié à la nation.

Les qualités qu’on veut trouver, qu’on admire, chez un homme bien doué, sont diverses, et, à cet égard, les exigences des Français sont plus grandes, ou du moins plus diverses, que celle, des autres peuples.

Voici, pour amuser nos lecteurs, cette échelle, que nous n’avons pas tracée peut-être d’une manière complète, ni assurément assez méthodique :

Profondeur, génie, intuition, élévation, naturel, talent, mérite, noblesse, esprit, bel esprit, bon esprit, sentiment, sensibilité, goût, bon goût, intelligence, justesse, convenance, ton, bon ton, ton de cour, variété, abondance, richesse, fécondité, chaleur, magie, charme, grâce, agrément, légèreté, vivacité, finesse, brillant, saillant, pétillant, piquant, délicat, ingénieux, style, versification, harmonie, pureté, correction, élégance, perfection.

De toutes ces qualités et ces manifestations de l’esprit, on contestera peut-être à Voltaire la première et la dernière, la profondeur dans la disposition et la perfection dans l’exécution. Mais tous les dons, toutes les facultés, qui jettent sur la face du monde un brillant éclat, il les a possédés, et c’est ainsi qu’il a répandu sa renommée sur la terre.

Il est très-intéressant d’observer en quelles occasions les Français se servent dans leur langue des mots synonymes ou équivalents de ceux que nous avons cités, et les appliquent à tel on tel cas. Une histoire de l’esthétique française par un Allemand serait donc très-intéressante, et nous y trouverions peut-être quelques points de repère pour observer et juger certaines régions de la manière et de l’art allemand, dans lesquelles il règne encore beaucoup de confusion, et pour préparer une esthétique générale allemande, qui pèche encore par tant de vues étroites.