Voltaire (Faguet)/L’œuvre/IX

CHAPITRE IX

NOUVELLES ET CONTES EN VERS.

Les contes en vers, à l’imitation des Italiens et de La Fontaine, sont chez Voltaire surtout des divertissements, comme on pense bien. Mais ils ont toujours le secret dessein de faire entendre une vérité de bon sens pratique et de petite sagesse courante et mondaine.

Les éditeurs de Kehl font remarquer dans leur Avertissement aux contes en vers qu’on y trouve « une poésie plus brillante, une philosophie aussi vraie, aussi naïve, mais plus relevée que dans ceux de La Fontaine. » Nous voilà bien avertis. On peut se demander quel genre de philosophie on peut trouver dans les contes de La Fontaine. Celle de Voltaire est « plus élevée. » Cela lui est facile.

Tant y a que cette philosophie existe dans les contes de Voltaire. Ils se proposent à l’ordinaire de noter un trait du caractère, un tour des mœurs humaines avec bonne humeur et légère causticité. À cet égard ils sont comme à égale distance entre le conte proprement dit et la satire.

Ils sont en général charmants dans ce rôle, dans cet office intermédiaire, qui leur laisse toute leur grâce et atténue un peu ce qu’il y a de trop frivole dans ce genre littéraire. C’est ainsi que sous ce titre piquant : « Ce qui plaît aux Dames, » Voltaire se demande en badinant quelle est la maîtresse passion de la femme, et à quoi au monde elle lient le plus. Il va nous le dire dans un petit récit qui nous ramène au temps où la reine Berthe filait. En ce temps-là, un bon chevalier, un peu trop vif quelquefois, nommé Robert, avait fait un tort assez grave à Marthon, la marchande d’œufs. La cause fut portée devant la reine Berthe.

Robert était si beau, si plein de charmes,
Si bien tourné, si frais et si vermeil,
Qu’en le jugeant la reine et son conseil
Lorgnaient Robert et répandaient des larmes ;
Même Marthon dans un coin soupira ;
Dans tous les cœurs la pitié trouva place.
Berthe au conseil alors remémora
Qu’au chevalier on pouvait faire grâce
Et qu’il vivrait pour peu qu’il eût d’esprit :
« Car vous savez que notre loi prescrit
De pardonner à qui pourra nous dire
Ce que la femme en tous les temps désire ;
Bien entendu qu’il explique le cas
Très nettement, et ne nous fâche pas. »

Robert n’avait pas d’esprit ; mais il était si charmant et si bon, si sympathique à tous égards, qu’il trouva qui en eût pour lui. Une vieille bergère, qui était une fée, sans en avoir l’air, lui révéla le délicat secret, et huit jours après sa première comparution, voilà Robert derechef devant la reine de France :

Incontinent le conseil assemblé
La reine assise, et Robert appelé :
« Je sais, dit-il, votre secret, mesdames.
Ce qui vous plaît en tous lieux, en tous temps,
N’est pas d’avoir beaucoup de soupirants ;
Mais, fille, ou femme, ou veuve, ou laide, ou belle,
Ou pauvre, ou riche, ou galante, ou cruelle,

La nuit, le jour, veut être, à mon avis,
Tant qu’elle peut la maîtresse au logis :
Il faut toujours que la femme commande :
C’est là son goût. Si j’ai tort, qu’on me pende. »

Comme il parlait, tout le conseil conclut
Qu’il parlait juste et qu’il touchait au but.

Il ne fut pas seulement acquitté ; mais ayant, par reconnaissance, consenti à épouserla vieille bergère qui l’avait instruit, il se trouva être le mari de la fée Urgèle, qui, quand elle ne se déguisait pas en vieille, était charmante.

Oh ! l’heureux temps que celui de ces fables,


dit l’auteur en terminant,

Des bons démons, des esprits familiers,
Des farfadets aux mortels secourables !
On écoutait tous ces faits admirables
Dans son château, près d’un large foyer.
Le père et l’oncle, et la mère et la fille,
Et les voisins, et toute la famille.
Prêtaient l’oreille à Monsieur l’aumônier
Qui leur faisait ces contes de sorcier.
On a banni les démons et les fées ;
Sous la raison les grâces étouffées
Livrent nos cœurs à l’insipidité.
Le raisonner tristement s’accrédite.
On court, hélas ! après la vérité :
Ah : croyez-moi, l’erreur a son mérite !

C’est de même une petite leçon pour tous les temps que l’histoire de Thélème et de Macare. C’est une allégorie, mais qui n’a rien de très abstrus ; et il suffit de Savoir, pour la comprendre, que Thélème signifie Désir et que Macare veut dire bonheur. On sait assez que, de ces deux personnages, le premier passe sa vie à courir après le second :

Thélème est vive, elle est brillante ;
Mais elle est bien impatiente ;
Son œil est toujours ébloui,
Et son cœur toujours la tourmente.
Elle aimait un gros réjoui
D’une humour toute différente.
Sur son visage épanoui
Est la sécurité touchante ;
Il écarte à la fois l’ennui
Et la vivacité bruyante.
Rien n’est plus doux que son sommeil,
Rien n’est plus doux que son réveil.
Le long du jour il vous enchante.
Macare est le nom qu’il portait.
Sa maîtresse inconsidérée
Par trop de soins le tourmentait :
Elle voulait être adorée.
En reproches elle éclata.
Macare en riant la quitta
Et la laissa désespérée.
Elle courut étourdiment
Chercher de contrée en contrée
Son infidèle et cher galant.
N’en pouvant vivre séparée.


Elle va d’abord à la cour :
« Auriez-vous vu mon cher amour ?
N’avez-vous point chez vous Macare ? »
Tous les railleurs de ce séjour
Souriant à ce nom bizarre :
« Comment ce Macare est-il fait ?
Où l’avez-vous perdu, ma bonne ?
Faites- nous un peu son portrait.
— Ce Macare qui m’abandonne,
Dit-elle, est un homme parfait,
Qui n’a jamais haï personne,

Qui de personne n’est haï,
Qui de bon sens toujours raisonne,
Et qui n’eut jamais de souci.
À tout le monde il a su plaire. »
On lui dit : « Ce n’est pas ici
Que vous trouverez votre affaire,
Et les gens de ce caractère
Ne vont point dans ce pays-ci. »

Thélème marcha vers la ville.
D’abord elle trouve un couvent,
Et pense dans ce lieu tranquille
Rencontrer son tranquille amant.
Le sous-prieur lui dit : « Madame,
Nous avons longtemps attendu
Ce bel objet de votre flamme,
Et nous ne l’avons jamais vu,
Mais nous avons en récompense
Et la discorde, et l’abstinence. »
Lors un petit moine tondu
Dit à la dame vagabonde :
« Cessez de courir à la ronde
Après votre amant échappé ;
Car si l’on ne m’a pas trompé,
Ce bon homme est dans l’autre monde. »

À ce discours impertinent,
Thélème se mit en colère :
« Apprenez, dit-elle, mon frère,
Que celui qui fait mon tourment
Est né pour moi, quoi qu’on en dise.
Il habite certainement
Le monde où le destin m’a mise,
Et je suis son seul élément ;
Si l’on vous fait dire autrement,
On vous fait dire une sottise. »

La belle courut de ce pas
Chercher au milieu du fracas
Celui qu’elle croyait volage :
« Il sera peut-être à Paris,

Dit-elle, avec les beaux esprits,
Qui l’ont peint si doux et si sage. »
L’un d’eux lui dit : « Sur mon avis,
Vous pourriez vous tromper peut-être :
Macare n’est qu’en nos écrits.
Nous l’avons peint sans le connaître. »

Elle aborda près du Palais,
Ferma les yeux, et passa vite :
« Mon ami ne sera jamais
Dans cet abominable gîte ;
Au moins la cour a des attraits ;
Macare aurait pu s’y méprendre ;
Mais les noirs suivants de Thémis
Sont les éternels ennemis

De l’objet qui me rend si tendre. »
 
Enfin Thélème au désespoir,

Lasse de chercher sans rien voir,
Dans sa retraite alla se rendre.
Le premier objet qu’elle y vit
Fut Macare auprès de son lit,
Qui l’attendait pour la surprendre :
« Vivez avec moi désormais,
Dit-il, dans une douce paix.
Sans trop chercher, sans trop prétendre ;
Et si vous voulez posséder
Ma tendresse avec ma personne,
Gardez de jamais demander
Au delà de ce que je donne. »

Les gens de grec enfarinés
Connaîtront Macare et Thélème,
Et vous diront, sous cet emblème,
À quoi nous sommes destinés.
Macare, c’est toi qu’on désire ;
On t’aime, on te perd, et je croi
Que je t’ai rencontré chez moi ;
Mais je me garde de le dire :

Quand on se vante de l’avoir,
On en est privé par l’envie ;
Pour te garder il faut savoir
Te cacher et cacher sa vie

La philosophie d’Horace dans la langue de La Fontaine, voilà ce que l’on trouve de temps en temps dans Voltaire. On voudrait s’y attarder ; mais les romans en prose nous appellent : nous y trouverons peut-être une autre philosophie, et plus amère.