ÉvocationsAlphonse Lemerre, éditeur (p. 65-67).

VIVIANE

Les yeux fixes et las devant l’éternité,
Blême d’avoir connu l’épouvante des mondes,
Merwynn songe… Un visage aux paupières profondes
Le contemple à travers les feuillages d’été.
L’amour, comme un parfum plein de poisons, émane
Du corps de Viviane.


Des arbres violets et des infinis bleus
Ruissellent la tiédeur, et l’ombre et l’harmonie.
La lumière se meurt dans l’étreinte infinie
D’un lascif crépuscule aux reflets onduleux.
Voici que se rapproche, à pas lents, diaphane
Et longue, Viviane.

« Je te plains, ô Penseur dont le regard me fuit,
Car tu n’as point connu, toi qui vois toutes choses,
La pâleur des pavots et le rire des roses,
L’ardeur et la langueur des lèvres dans la nuit.
Pourquoi railler et fuir la volupté profane,
L’appel de Viviane ? »

Et Merwynn répondit : « Ma passive raison
Subit le charme aigu du mensonge et l’ivresse
Du péril. Ton accent persuade et caresse,
Modulant avec art l’exquise trahison.
Entre tes doigts cruels un lys meurtri se fane,
Perfide Viviane.


« Que le soleil d’amour qui ressemble au trépas
M’emprisonne à jamais sous le réseau du rêve,
Esclave du baiser à la blessure brève,
Du frôlement des mains, de l’étreinte des bras
Insinuants et frais ainsi qu’une liane,
Des bras de Viviane ! »

Le soir et la forêt recueillent le soupir
De l’Enchanteur vaincu par l’appel de l’Amante.
Il voit, tandis qu’au loin le fleuve se lamente,
Les yeux d’or des oiseaux nocturnes refleurir…
Et, triomphal parmi les astres, brûle et plane
L’astre de Viviane.