Imprimerie du Devoir (p. 41-42).


LES TROIS FÉES


(Légende gaspésienae).


Tous les matins, dans le village,
On les voyait passer courant,
Cheveux au dos, regard volage,
Bouche au sourire délirant.
Posant leurs pieds dans la fougère,
Où le flot chantait, caressant :
À la rivière, la rivière,
Elles allaient dansant, dansant.

Elles étaient trois, toutes belles,
Trois sœurs au visage de feux.
Couvertes des mêmes dentelles ;
Ayant même éclair dans les yeux.
À leur passage en la bruyère
Le lys se penchait languissant :
À la rivière, la rivière,
Elles allaient dansant, dansant.


Elles baignaient leurs jambes nues
Dans l’herbe folle du chemin,
Prenaient des poses ingénues,
Se tenant toujours par la main.
Les oiseaux gris de la clairière
Venaient pour écouter leur chant :
À la rivière, la rivière,
Elles allaient dansant, dansant.

Hélas ! un matin, jeunes folles,
Voulant mirer leur front si beau,
Au milieu des blanches corolles
Trouvèrent leur calme tombeau.
Dans les cerisiers et le lierre,
Où le flot pleure doucement,
À la rivière, la rivière,
Elles sont là dormant, dormant…