Imprimerie du Devoir (p. 15-16).


LE SAINT-LAURENT


Dans quelque douce solitude
Son flot ne t’a-t-il point bercé ?
N’as-tu pas fui la multitude
Auprès de son flux oppressé ?


N’as-tu jamais, au bord des grèves,
Où les vieux soleils vont dormir,
Senti les amours et les rêves
Que, dans notre âme, il fait gémir ?


Ah ! si, d’un espoir qui soulève
Tu n’as pas connu le frisson,
Les gais matins, quand il se lève,
Viens donc entendre sa chanson !



Viens voir comment sa lèvre blême
À nos genoux sait murmurer ;
Viens ! Tu sauras qu’il faut qu’on l’aime
Même quand il nous fait pleurer !
..............


Femmes qui, par ses flots infâmes,
Avez tant de fois sangloté,
Pardonnez-lui vos pleurs, ô femmes,
À cause de sa majesté !…


Si, quelque fois, des têtes chères
Trouvent dans son onde un tombeau,
Que vos plaintes soient des prières :
Il est cruel mais il est beau !…


Quand, le cœur rempli de détresses,
Vous pleurez vos enfants joyeux,
Ô mères, songez aux caresses
Qu’il dépose dans leurs cheveux !


Songez que d’un divin sourire
Il a recouvert leur trépas,
Et que, peut-être, il sait leur dire
Des mots que vous ne saviez pas !…