Plon (p. 256-291).


MARCELINE DESBORDES-VALMORE


Alfred de Vigny voulait que les poètes fussent heureux. Quelle imprudence!

Quelle imprudence, à cause de la difficulté qu’on trouvera certainement à réaliser un tel projet! Si l’État loge les poètes et les nourrit, ce ne sera point assez : les poètes ne songent qu’à l’amour, et faudra-t-il que l’État se mêle de cela ?…

Puis, si les poètes étaient heureux, ils ne seraient plus poètes. À la gaieté suffit — et délicieusement — le rire, avec toutes ses jolies nuances de sourire. Au sérieux convient la prose. Le plaisir est une toute petite chose insignifiante ; et le bonheur, le vrai bonheur est un mystère ineffable : il se tait, son royaume est le silence.

Il ne reste à la poésie que la tristesse, le désespoir et la mélancolie. Son royaume est celui des larmes. Elle règne là, souveraine admirablement émouvante et belle, mélodieuse, et qui a pour compagne cette autre muse éplorée, la musique.

Aussi ne faut-il pas que les poètes soient heureux.

De la fin du dix-huitième siècle jusqu’à la fin du dix-neuvième, Marceline Desbordes-Valmore, Charles Baudelaire et Paul Verlaine forment une longue chaîne de douleur.

Qu’on les imagine heureux. Voici Verlaine, employé à l’hôtel de ville, attentif aux heures de bureau, diligent fonctionnaire à qui l’on donne de l’augmentation et qui n’est pas ambitieux davantage : ah ! nous n’aurons ni Jadis et naguère, ni Sagesse, ni aucun des poignants poèmes que lui suggéra sa vie vagabonde et indigente, sa vie de prisons et d’hôpitaux. Voici Baudelaire qui fait un joli mariage, qui place bien son argent et, par conséquent, s’occupe de philanthropie : ah ! nous n’aurons point les Fleurs du mal… Quant à imaginer Marceline heureuse, — décidément, j’y renonce. C’est trop absurde. Elle a eu tous les chagrins possibles : fille, amante, épouse, mère, amie, elle a pleuré de toutes les façons. Mettons qu’un jour le malheur est devenu femme : et ce fut Marceline Desbordes-Valmore. Avec cela, un étrange, un extravagant génie. Et voilà une sorte d’ange harmonieux des larmes !…

Son existence ?… Il faut la raconter. Je le regrette. Je voudrais qu’une œuvre d’art pût se suffire à elle-même, réaliser à elle toute seule une idée ou un rêve, sans qu’intervînt la personne de l’auteur. Mais, quoi ? les poètes sont des gens si alarmés, sensibles et mols qu’ils ne savent pas se séparer de leurs imaginations. Les poètes du dernier siècle, surtout. C’est la faiblesse, — et qui nous paraît charmante, qui nous plaît parce que nous sommes complices, — la faiblesse pour tant de la poésie contemporaine. Nous ne savons pas grand’chose de la vie de Jean Racine : il ne l’a pas racontée dans ses ouvrages, fût-ce par allusion. Et, à la rigueur, si nous n’en savions rien du tout, son oeuvre resterait la même, également intelligible et valable pareillement. Les poètes nouveaux chantent leurs aventures, leurs déplaisirs ; et ils exhalent des plaintes dont ils comptent que nous connaitrons les motifs. Pour les entendre bien, il faut savoir ce qui leur faisait tant de peine, ce qui les incitait à mettre en vers un vif émoi.

Et, parmi tous les poètes du dernier siècle, il n’y en a peut-être pas un seul qui ait été plus incapable de renoncer à son individualité frissonnante que Marceline Desbordes-Valmore. Son œuvre tout entière est le poème de sa quotidienne souffrance. Donc il faut qu’on sache comment a souffert cette muse vêtue de pauvres habits et qui accordait sa lyre — ou sa guitare, quelquefois, — à ses sanglots.

Elle était née, le 20 juin 1786, à Douai, qui est une petite ville du nord triste et plat, noir de charbon, morne et dépourvu de grâce, — l’une de ces petites villes où le voyageur s’ennuie extrêmement, lui qui cherche le pittoresque des sites, la beauté des architectures, les restes d’une histoire illustre, pathétique ou joyeuse, et qui ne pénètre pas dans l’intimité profonde et captivante des coutumes, des devoirs, des patiences et des héroïsmes secrets. Ce qui fait le prix de ces petites villes, tant provinciales, c’est la fidèle observance des traditions, c’est la monotonie des journées, c’est la lenteur silencieuse du temps, c’est une vie bien ordonnée et, de nuance comme de couleur, pareille aux âmes qui ont à l’accomplir. Heureux qui meurt là, y étant né, puis ayant suivi avec exactitude l’exemple de son père, entre les anciennes murailles où le passé a suspendu des portraits qui sont des emblèmes !…

Hélas ! ce ne fut point le sort de Marceline.

La maison très modeste où elle est née attenait au cimetière, lequel était tout proche de l’église Notre-Dame ; car autrefois on voulait que les morts fussent installés, pour dormir, auprès de Dieu vigilant. Tout à côté, il y avait, à l’enseigne de l’Homme sauvage, un cabaret ; car on voulait aussi que les vivants eussent de quoi se divertir. La porte de la maison où Marceline passa ses premières années, était surmontée d’une petite niche où l’on avait placé une Sainte Vierge ; les jours de fête, Marceline et ses sœurs posaient là des cierges ou des bougies, afin d’attester qu’elles étaient pieuses.

À peu de distance, il y avait aussi la prison.

Par les rues, il ne passait pas grand monde ; et c’étaient toujours les mêmes personnes, à peu près, et aux mêmes heures, à peu près.

Voilà le spectacle quotidien que la jeune Marceline eut sous les yeux, tous les jours les uns après les autres, tous les jours de ses douze premières années.

Une telle existence, confinée en elle-même, offre à une enfant rêveuse et chimérique un prodigieux loisir d’exaltation spirituelle et de songerie passionnée. Les autres enfants n’ont aucune peine à s’y accommoder ; ils grandissent là et ils continuent de n’y attendre rien, jusqu’à vieillir et puis mourir. Une petite Marceline a l’air bien sage et, au dedans, s’affole.

Son père était peintre et doreur d’armoiries, de carrosses et d’ornements d’église. Mauvais métier, en 1786, à la veille de cette révolution qui va fermer les églises, abolir le culte et ses ornements, supprimer la noblesse, ses équipages et ses armoiries ! Et, de fait, quand éclata la sauvage fureur, l’infortuné Desbordes, qui jusque-là gagnait sa vie en travaillant beaucoup, perdit tout son ouvrage. L’humble famille fut dans le dénuement.

Et même, les circonstances changées, les entours défaits, l’ancien usage détraqué, le cadre des journées soudain transformé en quelque chose d’inaccoutumé, de bizarre, l’humble famille perdit la tête.

Parmi les grands-parents de Marceline, il y eut un singulier bonhomme, le père de son père, Antoine Desbordes. Il était natif de Genève et il exerçait la profession d’horloger. Il épousa Marie Barbe Quiquerez, du Quesnoy ; et il vint s’établir dans le Nord. S’établir !… Il ne pouvait pas tenir en place. Il s’en allait, restait plusieurs années absent ; et puis, aussi soudainement qu’il était parti, il revenait. Il aimait Marie-Barbe ; du moins, je le suppose. À chaque fois qu’il revenait, la famille s’accroissait d’un bébé. Mais, à peine avait-on baptisé la petite fille ou le garçon, il se sauvait. Une fois, il disparut pendant onze ans : il revint, fut père, et s’en alla. Quand il revint pour la dernière fois, il était très malade. Il refusa de rentrer chez lui, s’établit à l’auberge du Signe de la Croix et puis se fit transporter à l’hospice. Étrange vagabond, qui veut mourir en court-les-routes !… Il appela Marie-Barbe, son fils aîné qui avait vingt-cinq ans, ses autres enfants et, entouré ainsi, rendit à Dieu qui est partout son âme d’incorrigible voyageur.

Je sais bien qu’il ne faut pas attribuer aux influences héréditaires une importance décisive. Si elles avaient cette importance-là, les frères et les sœurs de Marceline auraient été pareils à elle ; et pas du tout !… Sauvegardons l’individualité, qui est le principal. Tout de même, en songeant à Marceline, on se rappelle et son père Félix Desbordes, le bon artisan casanier qui ne désira point de quitter l’ombre douce de l’église toute proche, et aussi son grand-père Antoine Desbordes, le coureur de routes. Il y eut en elle le contraste de ce double caractère. Jamais elle ne réussit à s’installer nulle part ; elle voyagea perpétuellement, de ville en ville, au hasard de la mauvaise fortune. Pourtant, ce qu’elle aima le plus au monde, c’est le calme et tendre souvenir de sa petite ville natale, Douai morne et sombre où avait premièrement fleuri son cœur fidèle. Quand on lit le récit de ses courses éperdues, l’on doit se souvenir de ces vers qui sont d’elle :

Maison de la naissance, ô nid, doux coin du monde !
Ô premier univers où nos pas ont tourné !
Chambre ou ciel, dont le cœur garde la mappemonde,
Au fond du temps je vois ton seuil abandonné.
Je m’en irais, aveugle et sans guide, à ta porte,
Toucher le berceau nu qui daigna me nourrir,
Si je deviens âgée et faible, qu’on m’y porte !
Je n’y pus vivre enfant, j’y voudrais bien mourir !…

Elle n’y mourut pas, sa destinée lui refusant tout ce qu’elle demandait en vers ou en prose.

En 1792, il fallait craindre d’offenser les républicains. Ces victorieux gaillards n’étaient pas commodes. Félix Desbordes le comprit d’autant mieux que plusieurs nobles du pays lui avaient, en émigrant, confié leurs titres de propriétés et qu’il les gardait, cachés, scellés sous la pierre de son foyer. Dans ces conditions, il était indispensable de ne pas contrarier les énergumènes. Aussi Félix Desbordes prenait-il part aux banquets civiques. Un jour, il y amena Marceline. Il l’avait habillée d’une robe blanche, en hommage peut-être au drapeau de la monarchie ; mais, comme il dissimulait sous un air de républicain ses préférences royalistes, il avait couvert cette blanche robe de larges rubans tricolores. Marceline fut, par l’enthousiasme universel, hissée sur la table du festin. Elle avait six ans, la pauvre petite !… Elle récita, de sa voix de gamine, un discours que Félix Desbordes lui avait appris par coeur et où le peuple était comparé à Hercule, dont la forte massue fume encore du sang des monstres : ce sont les tyrans !…

Pauvre petite !… Mais la voilà qui, à six ans déjà, est exubérante assez pour satisfaire une assemblée républicaine. Il lui restera toujours quelque chose de cette facilité déclamatoire.

Et puis, il y a une anecdote, — un peu niaise, — qui la montre bien sensible et vite émue de pitié. Nous la voyons, gamine de quelques an nées, qui s’intéresse extrêmement au sort d’un prisonnier militaire et qui lui fait rendre la liberté…

Et le vieux prisonnier de la haute tourelle
Respire-t-il encore à travers les barreaux ?…

Cela, c’est la guitare ; mais voici la harpe.

Marceline a sept ans ; elle est une petite fille blonde, joliment blonde et qu’on aime à cause de cela. Marceline a sept ans ; et elle est amoureuse !… À l’heure où il ne fait plus jour et où il ne fait pas encore nuit, elle se tient à la porte de la maison. Bientôt paraît Henry, qui a dix ans ; elle l’entrevoit « dans ce voile doux qui couvre les rues à l’heure du soir ». Henry est blond, lui aussi, blond et bouclé ; il se dépêche ; il a une figure d’ange ; il arrive par le cimetière ; et le voici… « Nous nous regardions sérieusement, nous parlions bas et peu : « Bonsoir », disait-il ; et je recevais de ses mains, qu’il avançait vers moi, de larges feuilles vertes et fraîches, qu’il avait été prendre sur les arbres du rempart pour me les apporter. Je les prenais avec joie ; je les regardais longtemps, et je ne sais quel embarras attirait enfin mes yeux à terre. Je les tenais alors fixés sur ses pieds nus, et l’idée que l’écorce des arbres les avait blessés me rendait triste. Il le devinait, car il disait : « Ce n’est rien ! » Nous nous regardions encore et, par un mouvement soudain du cœur, en forçant ma voix faible de prononcer sans trembler : « Adieu, Henry ! »

C’est tout ; et c’est charmant, avec peu de mots. D’ailleurs, Marceline a oublié le visage d’Henry ; elle ne sait même plus s’il était beau ; elle se rappelle les yeux de cet ami et aussi ses paroles, qui lui ont laissé leur bruit dans l’oreille. Et elle ajoute : « Mon Dieu ! quel charme demeure attaché à ces amitiés innocentes ! Il est imprégné de la même fraîcheur que je sentais à ces feuilles que m’apportait Henry, quand elles touchaient mes mains… »

Or, notons-le : ce souvenir est le plus doux, le plus agréable et enfin le meilleur que Marceline ait conservé. C’est un souvenir de bonheur. Et, dans sa pensée, il se teinte de mélancolie. Cette femme eut le don de ne pas être heureuse ; cette âme en deuil attristait naturellement les sentiments et les idées qu’elle recevait. On dirait qu’alors la destinée renonça tout à fait à l’égayer : elle ne lui envoya plus que des malheurs.

Quand Marceline eut treize ou quatorze ans, la famille Desbordes, réduite par la révolution et la malechance à la pauvreté la plus terrible, décida de recourir à quelque stratagème. On se rappela qu’on avait, à la Guadeloupe, un cousin, planteur opulent et qui ne demandait peut-être qu’à se connaître des héritiers. Lorsque les cousins demeurent très loin et pourvu qu’on ne les ait pas vus depuis longtemps, on leur suppose des intentions très remarquables ; seulement, eux, ne s’en doutent pas. Telle est la vie, pleine de malentendus.

Il fallait lui écrire, à ce cousin ! Mais on n’y songea pas. Les Desbordes, je l’ai dit, avaient perdu la tête.

Mme Desbordes annonça qu’elle partirait pour la Guadeloupe, avec Marceline, qu’elle y chercherait le cousin, que le cousin lui donnerait une fortune et qu’elle reviendrait ainsi toute chargée d’or.

Provisoirement, elle partait sans le sou. Elle n’avait seulement pas de quoi payer la traversée. Il fallut qu’à Lille, et puis à Rochefort, et puis à Bordeaux, la petite fille de treize ans montât sur les planches et jouât la comédie pour gagner de quoi ne pas mourir de faim. C’est le commencement de son étrange, lamentable et involontaire bohème.

Elle gagna un peu d’argent : on le lui vola. Ensuite, à Bayonne, quelque brave femme, attendrie de pitié, lui en donna davantage, assez pour que sa mère et elle pussent aller modestement à la Guadeloupe.

Elles allaient ainsi, provinciales innocentes, chez les nègres !… Il faut penser qu’à Douai, la jeune Marceline et sa mère n’avaient jamais vu de gens de cette couleur-là, et que, dans leur imagination, le pigment noir était un objet d’effroi, autant que de curiosité, probablement.

En 1801, quand elles s’embarquèrent, Marceline avait quinze ans. Déjà, pour elle, tout s’arrangeait mal. Le mauvais bateau qui les amenait trouva la Guadeloupe en flammes. Les nègres s’étaient révoltés contre les colons ; ils avaient pillé, saccagé, tué. Maintenant ils régnaient, et avec une rancune meurtrière. Ils incendiaient les maisons. Mme Desbordes et Marceline cherchèrent l’opulent cousin. Mais on avait brûlé la maison de ce blanc ; voire, on lui avait égorgé sa femme. Et il s’était sauvé.

Elles étaient venues de Douai, les malheureuses, à grand peine, à grand effort de courage et d’argent, pour constater cela. Et le péril, la peur !… Bientôt, la fièvre jaune se répandit à travers la colonie. Mme Desbordes fut prise ; et elle mourut. Voilà Marceline, à quinze ans, toute seule, parmi des sauvages terribles, dans le sang et dans l’incendie, toute seule !…

Évidemment, puisqu’elle ne mourut pas, c’est que de bonnes gens la recueillirent. On ne connaît pas le détail de toutes les péripéties nombreuses qui, enfin, lui permirent de rentrer en France.

Il y a une note d’elle qui raconte un peu son retour. Je n’en retiens qu’un trait. Un jour, en mer, la tempête se déclara. Cette petite romantique de Marceline la voulut voir. On ne pouvait plus tenir, sur le pont, qui était fortement secoué, qui embarquait des paquets d’eau. Alors, elle exigea — car elle était douée d’énergie — qu’on l’attachât avec des cordes solides dans les haubans, de sorte qu’elle assistât au spectacle de la furie prodigieuse. Il est amusant de remarquer que, dix ans plus tôt, un jeune Breton, rêveur autant qu’elle et chimérique autant, partit pour l’Amérique, rencontra la tempête et, afin de la regarder, cette tempête excellente, se fit attacher au grand mât de l’embarcation : Ce jeune Breton si hardi, c’était le chevalier de Cha teaubriand. Son départ n’avait pas été beaucoup moins déraisonnable que celui de Marceline.

Je ne sais pas à quelle époque Marceline rédigea le récit de son retour. Elle est morte en 1859. Depuis dix ans, elle avait pu lire les Mémoires d’outre-tombe. A-t-elle inventé son aventure des haubans à l’imitation de l’autre ?... Elle avait tant d’imagination qu’elle a bien pu le faire, et avec la sincérité de ces natures si ardentes. Mais il est bien possible aussi que Marceline ait eu, de son côté, la même idée absurde et poétique qui tenta le chevalier de Chateaubriand. Une sorte de folie extraordinaire occupait les esprits, sur la fin du dix-huitième siècle et au commencement du dix-neuvième. C’est bien le moins de ce que la révolution devait produire dans les têtes d’alors. Du reste, c’est de là qu’est sortie cette folie harmonieuse, le romantisme.

Marceline revint donc en France ; elle revit son pays natal... « Amour du berceau, sois béni, mystère doux et triste comme tous les amours!... »

A Douai, son père était vieilli, malade et plus pauvre que jamais. Son frère Félix était allé aux grandes guerres ; les Anglais l’avaient fait prisonnier ; maintenant, il peinait, captif, sur les pontons d’Écosse.

Avec une gentille bravoure, avec un héroïsme de primesaut, Marceline résolut de subvenir à tant de difficultés. Cette rêveuse avait un indomptable entrain. Il fallait, premièrement, gagner de quoi vivre, — vivre, son père et elle, ses sœurs, — et envoyer de temps en temps quelque monnaie au prisonnier d’Écosse. Comme elle avait déjà fait ses débuts de comédienne, elle réussit à être engagée au théâtre de Lille ; de là, elle passa au théâtre de Rouen : elle y joua les jeunes dugazons dans l’opéra-comique et les ingénuités dans la comédie. Elle y eut tout le succès possible, si bien qu’à Paris on la demanda et que bientôt elle fut accueillie au théâtre Favart, pour remplacer, de son mieux, Mlle de Saint-Aubin.

Comédie et chant, elle cumula ces deux arts. On l’applaudit. Les journaux célébrèrent ses mérites. On remarquait bien qu’à vrai dire elle n’avait pas beaucoup de voix. Mais elle usait avec beaucoup d’habileté du peu qu’elle avait. Principalement, on la trouvait fort émouvante. Elle l’était, sans aucun doute ; elle l’était là comme dans ses vers, avec peu de science et avec une admirable facilité. Je le crois bien !… Si Marceline n’avait pas été émouvante, qui le serait ?… Qui le serait plutôt que cette étonnante fille, si preste, vive, si intelligente, si prompte à éprouver tous les sentiments qu’on lui offrait, si folle, si expansive, — femme, poètesse et comédienne de nature, — trois raisons, et d’autres, de n’être ni calme ni ennuyeuse !…

Elle joua la Lisbeth de Grétry. On pleura d’attendrissement. Il aurait été beau qu’on ne pleurât point, quand Marceline s’en mêlait, Marceline qui était toute consacrée à la poésie et qui jamais n’a pu concevoir la poésie autrement que comme une plainte déchirante !…

Essayons de nous la représenter à cette époque de sa vie, quand elle approche de ses vingt ans.

Elle n’est pas tout à fait jolie. Elle est, plutôt, l’une de ces jeunes personnes dont on dit qu’elles sont mieux que belles : c’est donc que, belles, elles ne le sont pas. Marceline a la tête forte et le visage long. Le nez y tient beaucoup de place ; il est long et dessine plusieurs courbes, jusqu’à son bout, très pointu. La bouche est grande, il n’y a point à le dissimuler. Elle est grande, mais expressive. Marceline a les épaules un peu hautes, la gorge abondante : et je crois que les robes d’alors ne lui vont pas à merveille, qui montent la taille, l’amènent jusqu’à la poitrine. Ce n’est pas ce qu’il fallait à une jeune femme dont le buste semble opulent et ramassé. Voilà les inconvénients de Marceline. Ajoutons un cou trop court et des joues creuses, pour en finir avec ces pénibles renseignements.

Mais elle avait le teint mat, un teint d’ancienne blonde. Et son imparfait visage était en cadré d’une ravissante chevelure, anciennement blonde, oui, et qui devenait châtaine. Elle se coiffait ainsi : une raie sur le milieu de la tête Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/288 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/289 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/290 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/291 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/292 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/293 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/294 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/295 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/296 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/297 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/298 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/299 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/300 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/301 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/302 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/303 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/304 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/305 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/306 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/307 Page:Beaunier - Visages de femmes, 1913.pdf/308