Ed Monnier et Cie, éditeurs (p. 10-13).


III

LE DÉCOR AVILA, L’ESCURIAL


De Burgos à Madrid, quel désert !

Toujours, toujours et à perpétuité des plaines rocailleuses succédant aux rochers des sierras. Pas un arbre. On sait comment, de plateau en plateau, le chemin de fer d’Irun à Madrid va montant jusqu’à Burgos ; entre Burgos et Valladolid c’est un plateau immense plus nu que la Sologne, plus aride que la Crau. À Valladolid la montée recommence. C’est la sierra de Guadarrama. Au milieu des roches, Avila se dresse, et on croit voir, tout à coup, surgir un décor d’opéra représentant une ville forte du moyen âge. Sur le ciel bleu se découpent les rochers gris et âpres ; parmi les rochers, la ville qui semble elle-même un rocher de maçonnerie, élevé il y a cinq cents ans. Sainte Thérèse y a vécu, et, à voir la désolation du paysage, l’austérite des hommes et des choses, on s’explique bien les extases auxquelles la religion fait appel : son âme s’élançait hors d’une prison pour rêver du ciel, du printemps, de la liberté et de l’amour. - Le printemps, l’avait-elle jamais vu ? Est-ce qu’il y a un printemps à Avila, où jamais le soleil ne rencontre que de la poussière et des pierres ?

Le chemin de fer monte encore jusqu’au sommet de la sierra ; puis descend et s’arrête : c’est l’Escurial.

Je ne sais pas pourquoi les voyageurs ont jusqu’à ce jour tant maltraité l’Escurial. Sans doute le palais, à l’extérieur, n’est qu’une agglomération de bâtiments lourds et froids ;

CATHÉDRALE DE BURGOS
CATHÉDRALE DE BURGOS
Page:Cadiot - Vingt jours en Espagne.pdf/21 sur chacune des huit façades les cercueils sont rangés par

ordre de date et de succession. La reine Mercedès, morte sans enfants, n’y est pas entrée ; la place de la reine Isabelle est prête, et certes, quand Alphonse XII, à certaine date de l’année, vient là, seul, entendre une messe mortuaire, il doit ressentir une de ces émotions profondes qui étreignent tous les cœurs humains, même les cœurs des rois !

Laissons les tableaux de maîtres, les richesses de marbre, de bronze et de cristal qui sont enfermées dans l’Escurial. Nous avons vu ; nous avons senti ; nous avons évoqué l’âge de fer des temps modernes… Passons !

— Passons ! N’est ce pas là le mot final de l’humanité qui passe ? Passons donc ! et passons vite en ce temps où il faut voir beaucoup en peu de temps, où l’on veut absorber des siècles dans des heures !