Vingt-quatre heures d’une femme sensible/Lettre 29

Librairie de Firmin Didot Frères (p. 92-93).



LETTRE XXIX.

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Si je ne vous écrivais pas, que ferais-je de mon temps, de moi-même ? l’amour tient tant de place dans la vie ! c’est quand il n’est plus là qu’on sent le poids de ces longues minutes qui doivent s’écouler sans lui ; c’est quand nous l’avons perdu que nous voyons qu’il était le motif de toutes nos actions, le charme de toutes nos pensées, le foyer de tous nos sentiments ; c’est alors seulement que nous comprenons bien ses véritables délices, et que, privés de la plus chère moitié de nous-mêmes, nous errons dans le vide de notre âme, et ne jetons plus autour de nous que des regards tristes et désenchantés. Voilà ce que j’éprouve. Vous ne m’aimez plus, tout est changé pour moi ; je ne suis plus même ce que j’étais avant de vous connaître. Je n’ai plus cette force, ce courage qui me distinguait, disait-on, des autres femmes. J’ai perdu jusqu’à ce noble orgueil qui tant de fois a fait bouillonner mon sang à la seule pensée d’un affront souvent imaginaire. Vous m’abandonnez, et je pleure ; vous m’outragez, et je veux mourir. Déchue des grandeurs de l’amour, je suis aussi déchue de moi-même ; je rentre dans la route commune de la vie, je ne suis plus qu’une femme ordinaire.

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