LA MISE EN LIBERTÉ.


Libertas quæ sera tamen…
Virg.


Souffre, espère et poursuis, telle doit être la devise du prisonnier.

Je m’attendais, le lundi 9 juillet, à un nouvel interrogatoire, lorsque ma mise en liberté me fut apportée par ma femme. Elle était parvenue à trouver réunis MM. Massot et Schmidt et le dialogue avait été court. C’est que je n’avais plus à faire à cette police dont le zèle inintelligent compromet le pouvoir plus qu’elle ne le sert ; à cette police dont M. Odilon Barrot a dit : « Il n’y a point de révolution pour elle ; elle les traverse toutes avec ses habitudes, avec ses ignobles manœuvres et trop souvent avec son personnel. »

Mon sort était entre les mains de deux hommes d’honneur et ils se comprirent. Qu’en pensez-vous ? avait dit le procureur de la République ; Comme vous voudrez, avait répondu M. Schmidt et M. Massot s’était empressé de signer ma mise en liberté. J’avais eu pour auxiliaires aux sollicitations d’une épouse, l’intégrité d’un magistrat et la loyauté d’un soldat.

Je suis donc libre ! il est deux heures et demi. Je ne pense pas qu’on ait attendu jusque là pour me priver du droit de voter. Qu’importe après tout ! un bruit favorable à l’élection de Jules Favre, a circulé et est venu réjouir les prisonniers.

Je suis libre et ma vie recommence : est-ce vivre qu’être en prison ? Est-ce vivre que de compter lentement les heures dans une oisiveté qui énerve l’âme et le corps ?

Béni soit celui qui vous apporte la liberté ! et quand c’est une femme bien aimée ! un pareil moment de bonheur fait oublier bien des tourments.

Arrière ceux qui sourient de pitié aux épanchements de la vie intime ! ces gens là ne connaissent pas la poésie de l’âme.

Merci à toi, mon Élisa ! je n’oublierai jamais que, frêle et maladive, tu puisas dans ton cœur une force surhumaine. Oh ! ne dites pas que la famille n’est pas chose sainte et révérée, ne dites pas que la femme ne remplit pas une mission sublime, c’est dans l’adversité qu’on connaît tout son dévouement.

Je me plais à terminer par ces mots un opuscule que quelques uns jugeront être un pamphlet ; j’avais besoin de finir par des paroles de paix, et d’effacer ainsi de mon cœur l’amertume de mes pensées.

Qu’importe la persécution ! qu’importent les passions mauvaises d’hommes vils et coupables ! on est heureux de pouvoir reporter les yeux sur d’autres tableaux.

Sous ce rapport je bénis ma captivité ; elle m’a fait connaître le dévouement des êtres qui me sont chers ; elle m’a mis à même d’apprécier de nobles cœurs et de pouvoir dire : j’ai de véritables amis. N’ai-je donc pas plus gagné que perdu ?

Enfin je suis libre et mon premier mouvement est d’embrasser le digne lieutenant Ledoux ; son épouse me tend une main amie ; j’annonce à mes camarades ma mise en liberté et tous les bras s’ouvrent pour me serrer… Eux attendent leur liberté, mais ils oublient dans ce moment leur propre infortune.

À vous braves soldats, qui avez accompli avec fraternité un devoir pénible, à vous aussi salut ! vos mains cherchent la mienne et vos regards amis me suivent encore lorsque j’ai dépassé le pont que vingt-un jours auparavant je traversais captif.


Séparateur