Villars diplomate
Revue des Deux Mondes3e période, tome 77 (p. 284-317).
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VILLARS
DIPLOMATE

I. Mémoires de Villars, publiés par la Société de l’histoire de France, t. I. — II. Hippeau, Avènement des Bourbons au trône d’Espagne. — III. Reynald, Louis XIV et Guillaume III. — IV. C. von Noorden, der Spanische Erbfolgekrieg. — V. A. Gædeke, die Polttik OEsterreichs in der Spanischen, Erbfolgefrage. — VI. Sirtema de Grovestins, Guillaume III et Louis XIV. — VII. Archives du ministère des affaires étrangères. — VIII. Archives Imp. roy. de Vienne.

[1]

La mission diplomatique que Villars reçut en 1698 se rattache à la période dernière et décisive de la grande négociation qui occupa toute la seconde partie du règne de Louis XIV, la négociation relative à la succession d’Espagne : elle doit à cette circonstance son principal intérêt. Bien que le rôle assigné à Villars fût secondaire, il n’en tint pas moins une place nécessaire dans le grand drame qui se jouait sous les yeux de l’Europe : étudié à la lumière des documens nouvellement produits, il nous permet de mieux saisir le jeu des principaux acteurs, de mieux comprendre le dénoûment final. En essayant de faire partager au lecteur l’intérêt que nous avons trouvé à cette étude, nous ne cédons pas seulement à l’attrait de la curiosité historique ; nous croyons faire œuvre utile ; nulle question n’a donné lieu à des appréciations plus passionnées, ni plus divisé les historiens ; le moment est venu de porter un jugement impartial et de fixer définitivement les responsabilités.

Tous les élémens du procès sont à notre disposition : toutes les archives ont été ouvertes ; les pièces les plus secrètes ont été publiées ou utilisées. Il ne s’agit que de conclure. Cette conclusion eût dû être exposée par l’éminent historien qui, le premier, a su discerner l’importance de la négociation et remonter aux sources pour en écrire l’histoire. Malheureusement Mignet a laissé son œuvre inachevée. Nous connaissons du moins le sens de ses conclusions, résumées à la fin de l’introduction magistrale qui est dans toutes les mémoires. Un de ses élèves, M. Reynald, qui avait reçu du maître les matériaux rassemblés par ses soins, les a développées, non sans talent. Ces conclusions, avons-nous besoin de le dire, sont celles que nous avons adoptées : si l’autorité de Mignet nous manque pour les exposer, nous avons du moins la bonne fortune de pouvoir les appuyer de preuves nouvelles, tirées de documens dont Mignet n’a pas eu connaissance.

Deux systèmes contradictoires se partagent l’opinion des historiens.

Le premier, le plus répandu en Europe, et qui a trouvé même en France d’habiles défenseurs, fait peser sur Louis XIV de lourdes responsabilités : le testament de Charles II serait son œuvre, les traités de partage n’auraient été qu’une ruse diplomatique destinée à endormir l’Europe et à peser sur l’opinion espagnole ; l’intérêt dynastique et les vues ambitieuses l’auraient emporté, dans l’esprit du roi, sur l’intérêt du pays et le respect de la foi jurée. Douze années de guerre et les désastres qui ont compromis la situation de la France seraient le fruit de cette politique tortueuse. Ce thème a surtout été développé dans les u manuels » destinés à entretenir outre-Rhin les jalousies nationales et à préparer les revendications que notre époque a vues se produire.

Suivant le système contraire, la loyauté de Louis XIV ne saurait être mise en doute; sa modération, son désir d’assurer la paix de l’Europe, seraient évidens ; les traités de partage ont été sincèrement conclus ; le testament de Charles II a été le produit spontané du patriotisme espagnol ; l’attitude de l’Autriche a obligé le roi de France à l’accepter, de même qu’elle a entraîné l’Europe dans une guerre que Louis XIV avait tout fait pour éviter.

Cette opinion est la véritable, et, je me hâte de le dire, les historiens allemands, vraiment dignes de ce nom, qui l’ont récemment soumise à une critique rigoureuse, l’ont impartialement reconnue comme telle. Ranke, dans son Histoire de France, a péremptoirement lavé Louis XIV et ses ministres du reproche de duplicité. M. Gædeke est aussi explicite : après avoir compulsé avec une scrupuleuse exactitude les archives de Vienne, il s’est rangé au même avis dans le commentaire aussi clair qu’impartial dont il a accompagné la publication des documens conservés dans ce riche dépôt. Enfin, un jeune écrivain, enlevé trop totaux lettres sérieuses, C. de Noorden, dans les premiers volumes du grand travail qu’il comptait consacrer à l’histoire de l’Europe au XVIIIe siècle, a serré de près la question qui nous occupe : après avoir consciencieusement étudié les archives de toutes les capitales[2], il est arrivé à cette conclusion, qu’étranger à la rédaction du testament de Charles II, Louis XIV ne pouvait faire autrement que de l’accepter. Rappelons enfin que Torcy, l’habile et consciencieux interprète de la pensée royale, a toujours repoussé la paternité du testament, même en écrivant ses mémoires, à une époque où il avait tout intérêt à en revendiquer l’honneur. Saint-Simon et Voltaire ont appuyé son témoignage de leur autorité : Mignet et son continuateur M. Reynald l’ont confirmé, alors que MM. S. de Grovestins et Hippeau le contestaient. Mais les affirmations de ces honorables écrivains ne sauraient prévaloir contre les textes, contre un ensemble de preuves aussi complet, présenté par des autorités historiques aussi considérables. Nous osons croire que le lecteur partagera notre avis s’il veut prendre la peine de lire jusqu’au bout le rapide résumé que nous allons lui soumettre.

« La succession d’Espagne, a dit Mignet, fut le pivot sur lequel tourna presque tout le règne de Louis XIV. » Elle était devenue la principale préoccupation du grand roi ; le souci qu’elle lui causait, le sentiment qu’il avait de la fin prochaine de Charles II contribuèrent, autant que sa modération naissante, à la rapide conclusion de la paix de Ryswick. Il voulait sa liberté d’action et s’empressa de s’en servir. A peine le dernier acte du traité signé, il se mit à l’œuvre, sans délai et sans relâche. Son ambition était de régler cette importante question, non par la guerre, mais par la diplomatie. Le grand revirement qui s’était opéré dans son esprit ne saurait être mis en doute. Rassasié de gloire militaire, il était arrivé à l’âge où les fumées de la victoire et l’éclat des lauriers ne suffisent pas à aveugler sur les effroyables maux de la guerre : les souffrances du peuple étaient profondes ; l’écho de ses plaintes avait percé l’atmosphère artificielle de Versailles et pénétré jusqu’au roi, dont il avait ému le cœur paternel ; le roi voulait la paix, et l’influence croissante de Mme de Maintenon soutenait sa volonté avec une efficacité que les agens étrangers eux-mêmes constatent dans leurs rapports. Louis XIV ne tenait d’ailleurs, ni pour lui, ni pour aucun des siens, à l’ensemble de l’héritage espagnol : cette mosaïque d’états sans lien réel, cette étendue de côtes difficiles à défendre, ne le tentaient pas ; le sentiment de l’équilibre européen lui était venu ; il comprenait les concessions qu’exigeait la défiance des puissances; il était prêt à assurer à la France, par l’abandon de certaines provinces, les parties vraiment utiles de la monarchie espagnole.

Dans cet ordre d’idées, il n’avait que deux partis à prendre : ou s’arranger directement avec l’Autriche ; c’était en apparence la voie la plus naturelle ; ou s’arranger avec l’Europe et imposer à l’Autriche une solution concertée sans elle.

Le premier système lui avait déjà réussi en 1668 : à cette époque, il avait trouvé l’empereur Léopold disposé à traiter et avait conclu secrètement avec lui un arrangement qui, en cas de mort de Charles II sans enfans, attribuait à la France la Franche-Comté, les Pays-Bas, la Navarre, Naples et la Sicile ; à l’Autriche, l’Espagne, les Indes, Milan, les îles, les présides de Toscane. Ce partage pouvait se renouveler, et Louis XIV y était tout disposé ; mais il avait la conviction que Léopold ne l’accepterait pas, et, en cela, il avait raison ; son instinct politique et la connaissance qu’il avait du caractère de son beau-frère ne le trompaient point ; l’événement l’a prouvé. En 1698, Léopold ne pensait plus comme en 1668. Non-seulement trente années de luttes avaient élargi le fossé qui le séparait de la maison de Bourbon, mais il se croyait appelé à recueillir tout l’héritage espagnol ; il fondait son droit sur la renonciation plus ou moins valable qu’il avait arrachée à sa fille en la mariant à l’électeur de Bavière ; il fondait ses espérances sur les sentimens autrichiens de Charles II, sur l’influence de la reine sa belle-sœur, l’aversion de la nation espagnole pour la France et l’appui de l’Europe stipulé en 1689. Louis XIV avait pénétré la pensée de Léopold : aussi renonça-t-il à lui faire des ouvertures qui auraient tourné au détriment de ses droits.

Il ne lui restait donc qu’à s’adresser à l’Europe, c’est-à-dire à celui qui, depuis dix ans, résumait en sa personne les défiances, les résistances et l’activité de l’Europe coalisée, à Guillaume d’Orange. L’entreprise était difficile. Guillaume avait le sentiment de la force qu’il avait acquise en groupant tous les souverains contre Louis XIV isolé ; s’il n’avait pas vaincu le grand roi, il l’avait contenu et, pour la première fois, obligé à renoncer à ses conquêtes ; personnellement il ne l’aimait pas, et ne croyait pas à sa bonne foi ; il avait, d’ailleurs, grâce à sa double qualité, des intérêts complexes à sauvegarder : en Hollande, la sécurité des frontières à assurer contre la France ; en Angleterre, la prépondérance maritime et commerciale à conserver ; dans les deux pays, il avait à compter avec les passions religieuses et les partis parlementaires. Pour agir sur lui il fallait non-seulement calmer ses défiances et satisfaire ses intérêts, mais il importait de ne pas se mettre à sa merci : il fallait se montrer prêt à se passer de son concours, s’il le refusait; c’est-à-dire prendre à Madrid et à Vienne une position telle qu’il pût craindre ou que le roi traitât avec l’Autriche, ou qu’il imposât à l’Espagne des résolutions favorables à sa cause. Les négociations avec Guillaume devaient en outre être tenues absolument secrètes ; connues à Vienne ou à Madrid, elles pouvaient y provoquer des mesures dangereuses pour le succès même de l’entente commune.

En un mot, la diplomatie française devait, à la fois, à La Haye et à Londres, désintéresser et convaincre; à Madrid, effrayer et séduire ; à Vienne, provoquer des propositions sans en faire, et se préparer à faire accepter les résolutions qui auraient été convenues ailleurs.

Pour cette triple mission, il fallait des hommes bien choisis : Louis XIV s’appliqua à les distinguer, et son choix tomba non sur trois diplomates de profession, mais sur trois généraux de ses armées : Tallard, Harcourt et Villars.

Les deux premiers furent expédiés à leurs postes respectifs, l’un à la fin de l’année 1697, l’autre au commencement de 1698. Les instructions qui leur furent remises sont de véritables chefs-d’œuvre et nous font toucher du doigt la singulière valeur de l’admirable instrument que Louis XIV s’était façonné dans le personnel du ministère des affaires étrangères. Dans ces remarquables morceaux on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou de la profonde connaissance des cours étrangères, ou de la netteté des vues politiques, ou de l’exquise habileté du langage. Tallard et Harcourt avaient les qualités nécessaires pour répondre aux intentions du roi. Ils se ressemblaient par plus d’un côté : tous deux avaient de la finesse, de l’application, du tact, et par-dessus tout l’art de plaire ; tous deux avaient l’indépendance d’esprit et de langage nécessaire pour dire la vérité au roi et lui donner de courageux conseils. Au bout de très peu de temps, Tallard avait déjà obtenu des résultats considérables : il s’était complètement identifié avec son rôle et avait attaché son honneur à la conclusion d’un traité. Pour mettre d’accord les deux souverains, il lui fallait non-seulement vaincre les résistances et les défiances de Guillaume, mais amener Louis XIV à des concessions qui dépassaient de beaucoup ses intentions premières. Le plan de Louis XIV était de faire reconnaître le dauphin comme seul héritier du roi d’Espagne, sauf à désintéresser les tiers dans une mesure qu’il espérait aussi restreinte que possible : Guillaume avait rejeté bien loin une combinaison qui donnait à la France une situation maritime prépondérante, et Louis XIV s’était résigné : sa volumineuse et remarquable correspondance nous le montre abandonnant successivement ses prétentions, non sans des hésitations et des regrets qui témoignent de sa sincérité ; sacrifiant à son grand désir de la paix ses plus chères ambitions, à ce point qu’une négociation commencée par lui avec l’intention manifeste d’assurer à sa maison la couronne d’Espagne se termina par un traité de partage où la moindre part était assignée à la France.

Au mois de juin 1698, les choses n’étaient pas encore aussi avancées : l’idée de partage était pourtant admise et des projets de répartition avaient été ébauchés. Un temps d’arrêt se produisit alors dans la négociation : des nouvelles inattendues étaient venues d’Espagne. Harcourt y avait fait merveille ; lui aussi s’était complètement identifié à son rôle et poursuivait l’héritage espagnol avec l’ardeur et l’habileté que Tallard mettait à en amener la division. Reçu à Madrid avec une froideur non dissimulée, tenu à distance par la cour, par les Grands, objet de telles préventions que la marquise de Gudana était exilée dans ses terres pour lui avoir donné accès dans le jardin qu’elle ouvrait à tout le monde, Harcourt avait réussi en six mois à modifier profondément la situation qui lui était faite. A force de souplesse, de bonne grâce, de générosité, de fermeté et de tact dans le langage, aidé par les qualités aimables de la marquise d’Harcourt, il avait rompu le cercle de glace qui l’entourait, pénétré dans les cabinets de la reine, agi sur l’opinion publique, attiré chez lui, non-seulement la société élégante, mais des hommes en état d’influer sur les événemens. Ne laissant douter ni des droits du dauphin à la couronne ni de la force dont Louis XIV pouvait les appuyer, il insinuait discrètement qu’un changement de dynastie serait tout à l’avantage de l’Espagne, que Louis XIV saurait respecter son indépendance, son autonomie, son intégrité: qu’au besoin, un des fils du dauphin pourrait être substitué à son père, nommé prince des Asturies, reconnu par les cortès, amené seul en Espagne pour y être élevé dans les habitudes, les traditions, l’amour de son nouveau pays. Ce langage avait été écouté, colporté, commenté ; la foule, qui n’aimait ni l’entourage allemand de la reine, ni l’ambassadeur autrichien Harrach, comparait les manières hautaines de l’un, les habitudes rapaces des autres aux manières affables, à la large existence de l’ambassadeur de France ; elle s’habituait peu à peu à l’idée de demander à la France une protection qu’elle pensait devoir être moins lourde et qu’elle savait être plus efficace que la protection autrichienne : parmi les grands se formait un petit cercle groupé autour du cardinal Porto-Carrero, qui, malgré son peu de sympathie pour la France, commençait à se demander si l’avènement d’un prince français n’était pas le seul moyen d’empêcher le démembrement de la monarchie : son intérêt était d’accord avec son patriotisme pour lui conseiller cette solution. Harcourt, prompt à relever tous ces symptômes, à en accentuer la portée, ne manquait pas de les signaler au roi : dès le mois de juin, il lui écrivait que rien ne lui semblait plus facile que de mettre un petit-fils de France sur le trône d’Espagne.

Cette affirmation fit une certaine impression sur l’esprit de Louis XIV : il parut un instant regretter les négociations engagées avec Guillaume ; il les laissa un instant sommeiller afin de se donner le temps de contrôler les rapports d’Harcourt et de se renseigner du côté de l’Autriche. Jusque-là, il avait laissé l’ambassade de Vienne inoccupée, n’étant pas disposé à rétablir trop vite des relations que la cour impériale ne paraissait pas pressée de renouer. Il y avait maintenant urgence à y pourvoir. C’est alors que Villars fut désigné pour ce poste. Le choix n’était pas mauvais : Villars n’avait ni la distinction de manières d’Harcourt, ni la fine souplesse de Tallard; mais, à défaut des qualités du grand seigneur, il avait celles du soldat, fort appréciées à Vienne, où l’on est bon juge; il avait laissé de bons souvenirs dans l’armée autrichienne, y avait noué d’agréables relations : il avait de la bonne humeur, de l’application, une grande activité d’esprit et de plume ; il convenait à ce rôle tout d’observation et d’où l’initiative diplomatique était exclue.

Les instructions qui lui furent remises par Torcy avaient l’étendue de celles données à Tallard et à Harcourt : elles témoignaient d’une connaissance non moins approfondie de la cour impériale et des affaires allemandes, mais, sur la question du jour, elles étaient beaucoup plus réservées. Bien que la succession d’Espagne y fût signalée à l’attention de Villars comme la question capitale, comme « le point fatal dont la tranquillité de l’Europe dépendait entièrement, » il n’était chargé que d’étudier les intentions de l’Autriche et les ressources dont elle pourrait les soutenir. Le roi « voulant maintenir la paix, » Villars devait examiner s’il conviendrait davantage « au maintien de la paix, » soit de « traverser les vues de l’empereur, soit de s’entendre avec lui. » Le roi était tout disposé à traiter, mais il ne croyait pas l’empereur dans les mêmes dispositions et ne voulait pas risquer, en lui faisant des avances inutiles, de laisser croire qu’il doutait des droits du dauphin, ni s’exposer à « changer l’inclination que les Espagnols témoignaient présentement pour un des princes de France, afin d’éviter le démembrement. » Villars devait donc s’abstenir de toute proposition, écouter celles qui lui seraient faites, les encourager même, offrir au besoin comme modèle le traité secret de 1668, mais en référer au roi et ne rien faire sans de nouveaux ordres.

Les instructions s’étendaient ensuite longuement sur les affaires intérieures de l’Allemagne, non pour inviter Villars à y intervenir, mais pour lui dicter un langage pacifique ; il ne devait pas parler de la force du roi, « qui est assez connue, » mais de la a modération, » dont il a donné tant de preuves et ne pas oublier que, « désormais, le roi n’a rien à démêler avec l’empire. » Tant il est vrai que, dans la pensée de Louis XIV, le traité de Ryswik avait définitivement fixé les limites orientales de la France et supprimé toute cause de conflit ultérieur.

Quant aux négociations pendantes avec Guillaume III, les instructions les passaient absolument sous silence. Louis XIV, désirant les cacher à la cour d’Autriche, avait cru plus prudent de les laisser ignorer à son ambassadeur ; il ne voulait mettre à l’épreuve ni sa discrétion, ni sa conscience.

Ces instructions furent remises à Villars, le 15 juin 1698. Il les reçut avec une joie peu dissimulée; prompt aux illusions, il se persuada que le premier rôle lui était réservé et qu’il était destiné à régler, par un traité avec l’empereur, la question qui préoccupait si sérieusement tous les esprits : cette perspective souriait à son ambition ; il se croyait assez habile et se savait assez heureux pour l’envisager avec confiance.

Vers la fin du mois, il se mit en route. Le voyage d’un diplomate de Paris à Vienne était alors long et compliqué ; il fallait cheminer à petites journées sur des routes en mauvais état, traînant derrière soi un lourd convoi. Villars n’avait pas le rang d’ambassadeur (une délicate question de préséance avec l’ambassadeur d’Espagne, que le roi ne voulait pas soulever, lui avait fait donner la qualité d’envoyé extraordinaire) ; néanmoins, les circonstances imposaient à l’envoyé du roi un équipage peu différent de celui d’un ambassadeur ; trois carrosses à huit chevaux pour lui, ses six pages et ses quatre gentilshommes défilèrent sur la route royale de Strasbourg, suivis de quatre chariots pour les domestiques, de six charrettes pour les bagages, les meubles, la vaisselle : près de cent chevaux tiraient ces lourdes machines. Villars, toujours avisé pour ses intérêts particuliers, les avait fait acheter à vil prix sur les marchés de l’est encombrés par la réforme des régimens de cavalerie ; rendus à Paris, ils lui revenaient à trente et quelques livres par tête. En arrivant à Ulm, après vingt jours de route, il vendit les chevaux 150 livres pièce et s’embarqua sur le Danube. L’opération, qu’il eut la singulière franchise de conter au roi, couvrit toutes les dépenses du voyage : trois grands chalands préparés d’avance le reçurent avec son personnel et son matériel et le descendirent à Vienne au fil de l’eau. Il arriva dans la capitale de l’Autriche dans les premiers jours d’août.

Chemin faisant, il avait fait quelques visites utiles à ses relations ou à ses informations. A Nancy, il s’était arrêté chez le duc de Lorraine, qu’il avait trouvé tout entier à la joie d’être rentré dans ses états, de chasser dans ses forêts, de jouer au ballon dans ses jardins, « ne donnant qu’une médiocre attention aux dames et réservant sa tendresse pour Mlle de Chartres, » qu’il était sur le point d’épouser et dont le portrait ne le quittait pas. En passant à Pfortzheim, Villars avait poussé jusqu’à Wildbad pour y voir le prince de Bade qui boudait la cour impériale, se plaignait de l’inaction où le laissait la conclusion de la paix et lui donna de curieux renseignemens sur la cour de Vienne et les secrètes rivalités de ses hommes d’état. A Stuttgart, il avait été reçu avec de grands honneurs par la duchesse douairière de Wurtemberg; à Ulm, « Messieurs de la ville » lui avaient fait un compliment auquel il avait été très sensible.

A Vienne, une première déception l’attendait : l’accueil qu’il reçut ne répondait ni à ses souvenirs, ni à son attente. La cour fut polie, courtoise, mais réservée ; elle ne voyait plus en lui le brillant volontaire qui venait jouer sa vie à son service et chargeait si galamment les Turcs à la tête des escadrons autrichiens ; il n’était plus pour elle que l’envoyé du rude adversaire qui, depuis dix ans, avait si malmené ses armées et auquel elle se préparait à disputer par tous les moyens, même les armes à la main, l’héritage espagnol. Villars fut très mortifié de cette réception inattendue : mais il eut le bon goût de ne pas laisser voir son dépit, il désarma la froideur par sa bonne humeur, sa rondeur cavalière, attira les gens chez lui en tenant table ouverte, et réussit au moins à se créer personnellement des relations suffisantes : il était de toutes les fêtes et les décrivit longuement dans ses dépêches, auxquelles la matière politique manquait un peu. Personne ne lui parlait d’affaires, et c’est ce qui le mortifiait le plus : il avait essayé d’aborder le terrain politique en offrant les bons offices du roi dans les laborieuses négociations que la cour poursuivait avec le Turc. Kinsky avait poliment, mais péremptoirement décliné son intervention. Cependant les mois se passaient et aucune bouche autorisée ne s’ouvrait pour lui faire les communications sur lesquelles reposait tout l’échafaudage de ses combinaisons et de ses ambitions diplomatiques. Une fois seulement, Schwarzenberg, le grand maître de la cour de l’impératrice, vint secrètement l’entretenir de la succession d’Espagne et insister auprès de lui sur la nécessité d’une transaction. Schwarzenberg avait une certaine inclination pour la France, à laquelle sa famille avait des obligations : son grand-père, premier ministre de Brandebourg, recevait 10,000 écus de pension de Louis XIII; son père, lors de l’invasion suédoise, avait sauvé ses terres par la protection du roi de France ; lui-même faisait élever à Angers son fils unique. Il était de l’école de Lobkowitz, le signataire du traité de 1668, et aurait personnellement été heureux de contribuer à un rapprochement entre les deux couronnes. Mais il était sans mandat : l’évêque de Passau, le futur cardinal Lamberg, le comte Jerger, statthalter de Vienne, firent aussi à Villars des allusions de même nature, mais ils n’étaient pas plus autorisés que Schwarzenberg. Villars n’en transmit pas moins à Louis XIV la substance de ces entretiens ; il profita de l’occasion pour exposer au roi ses propres idées et développer les avantages qu’il voyait à un traité direct avec l’empereur; il laissa trop voir le désir qu’il avait d’être chargé de faire des ouvertures en ce sens ; Louis XIV, qui avait d’autres vues et touchait alors au terme d’une négociation toute différente, arrêta court ces velléités d’initiative et ces conversations inutiles : « Il ne convient ni à ma dignité, écrivit-il le 19 septembre, ni à mes intérêts de faire des propositions sur cet article ; » peu après, revenant sur les confidences de Schwarzenberg et de Jerger, il les attribua au désir de provoquer des ouvertures et termina en disant : « Il y a apparence qu’ils ne vous en parleront plus. » Personne, en effet, ne parla plus à l’envoyé français de la question d’Espagne, ni de toute autre question politique. Villars se vit forcé, pour donner un peu d’intérêt à sa correspondance, de reprendre ses études de mœurs. Il s’appliqua à faire connaître les principaux personnages de la cour, leur caractère, le genre de vie qu’ils menaient, décrivant les fêtes, les chasses, les divertissemens à la mode, ne craignant pas d’emprunter à la chronique scandaleuse de la cour le sujet de digressions assez piquantes dans lesquelles le cadre et la nature de cette étude ne ne nous permettent pas de le suivre. Ces descriptions témoignent, sinon d’un grand talent d’écrivain, du moins de facultés d’observation assez développées et renferment des traits qui ne manquent pas d’une certaine finesse. En les contrôlant et les complétant à l’aide de renseignemens puisés aux sources authentiques, nous voudrions essayer de faire connaître les principaux personnages auxquels il avait affaire. Il y a pour nous un véritable intérêt à être renseigné sur les hommes qui vont avoir à prendre une des plus grosses résolutions qui se soient imposées à la décision des chefs d’une grande nation.

L’empereur Léopold, d’abord destiné à l’église, avait conservé, dans son caractère et dans ses manières, quelque chose de sa vocation primitive : il était doux, consciencieux et mystique. Bon et accueillant comme la plupart des princes de la maison d’Autriche, il ne savait ni réprimer une faute, ni écarter une sollicitation : cette faiblesse se compliquait d’irrésolution ; se défiant de lui-même et des autres, il hésitait toujours à conclure ; pour se soustraire à l’effort de la décision, il s’en remettait à la Providence du soin de ses intérêts, attendant volontiers de sa bonté « le miracle » que des prophéties colportées en famille promettaient à la maison impériale. Sa piété couvrait sa lenteur d’esprit ; elle donnait, en outre, à toute sa vie une gravité et une sérénité qui lui permirent de traverser sans trouble les poignantes alternatives de revers et de succès qui signalent son long règne. Passionné pour la chasse, ayant le goût des arts et des divertissemens littéraires, il ne sacrifiait pas facilement ses distractions favorites. Il était, d’ailleurs, appliqué au travail, esclave du devoir, et voulait tout voir par lui-même; mais son intervention retardait plus qu’elle ne l’aidait l’expédition des affaires. En résumé, il avait les vertus de l’homme privé plutôt que les qualités du souverain.

Son fils aîné, l’archiduc Joseph, roi des Romains, tenait de sa mère, l’impératrice Éléonore de Neubourg, une nature plus décidée, mais un tempérament emporté. Ses bonnes qualités, ses facultés intelligentes étaient gâtées par une violence de caractère qui rendait son commerce difficile et embarrassaient souvent son père. Villars raconte « l’avoir vu accabler ses pages de coups de poing devant toute la cour : l’empereur détournait les yeux pour ne pas le voir. » La chasse était son occupation principale : il courait le lièvre dans le Marchfeld, poursuivait le cerf, l’ours dans les montagnes de l’Autriche ou de la Hongrie, recherchant le danger, faisait preuve d’adresse et de vigueur ; ses courtisans renonçaient à le suivre. Cette activité corporelle nuisait aux affaires, pour lesquelles il montrait peu de goût, mais elle le préparait à la guerre, qu’il paraissait aimer.

L’archiduc Charles, le second fils de l’empereur, celui auquel il destinait le trône d’Espagne, n’avait alors que dix-sept ans ; il ressemblait à son père, tenait de lui des qualités aimables, le goût de l’étude et de la paix. Il n’était mêlé en rien aux affaires et était encore sous la direction de son gouverneur, ou ajo, le prince Antoine de Liechtenstein. Celui-ci joignait au culte de l’étiquette, qui rentrait dans ses attributions, la haine de tout ce qui était français; ce sentiment lui était inspiré non-seulement par la rivalité des deux cours, mais par des rancunes de famille : la sœur de sa femme était cette jolie demoiselle de Löwenstein, que la dauphine avait amenée en France et que le roi avait mariée à Dangeau. Le prince Liechtenstein ne pardonnait pas à la cour de Versailles cette grave mésalliance. Son intervention ne facilitait pas les rapports de l’archiduc avec le corps diplomatique : la plupart des envoyés étrangers n’avaient pu lui être présentés, parce qu’il exigeait d’eux certaines formes de respect qui n’étaient dues qu’aux souverains. Villars avait reçu de Louis XIV l’ordre formel de ne prendre d’audience que lorsque ces prétentions seraient abandonnées.

Le premier personnage de la cour était le grand-maître, prince Dietrichstein ; mais son âge avancé le rendait impropre aux affaires et la véritable autorité était exercée par le comte Ulrich Kinsky, chancelier de Bohême, vice-chancelier de l’empire : homme instruit, appliqué, désintéressé, qui avait succédé à Strattmann, sans avoir ni la netteté, ni la souplesse de son esprit. Défiant, ayant le goût des voies détournées, il excellait dans l’art de créer des difficultés et de compliquer les questions les plus simples. Il penchait vers une entente avec la France : ses rapports avec Villars devaient, d’ailleurs, être très courts, car il mourait au printemps de 1699, de chagrin de n’avoir pas été nommé grand-maître de la cour à la mort de Dietrichstein. L’empereur lui préféra Harrach, pour lequel il avait une véritable amitié, et qui lui plaisait autant par ses défauts que par ses qualités. Intelligent, sûr et de bon conseil, Ferdinand-Bonaventure, comte d’Harrach était, comme l’empereur, d’un caractère doux et indécis qui ne froissait pas l’irrésolution impériale : d’une piété sincère, il comptait, comme son maître, sur la protection spéciale de la Providence, et croyait au « miracle » attendu. Ambassadeur en Espagne, s’il n’avait pas utilement servi les intérêts de l’Autriche, il l’avait représentée avec dignité et avait de très bonne foi entretenu les illusions de l’empereur. Par la confiance du souverain, par sa situation personnelle, il tenait incontestablement la première place, mais il n’avait ni l’ambition, ni l’ardeur au travail qui assurent le premier rôle.

Le personnage le plus actif de tout le conseil était Dominique-André, comte Kaunitz : nous l’avons déjà rencontré à Munich, ainsi que sa femme, la belle Éléonore de Sternberg; nous avons pu juger des ressources de son esprit, de son activité, de son habileté à profiter des circonstances sans préjugés, pour ne pas dire sans scrupules. Villars n’avait pas oublié ses luttes avec lui, mais il en avait gardé un bon souvenir : il croyait être cause de son départ de Munich et de la rupture de Max-Emmanuel avec la comtesse de Kaunitz : il lui savait gré de cette apparente défaite ; il reconnaissait, d’ailleurs, ses talens et son influence croissante. « Depuis la mort de Kinsky, écrivait-il au roi, le 30 septembre 1699, qui gouvernait absolument et, pour dire la vérité, avec plus d’étendue d’esprit, d’élévation et de génie que tout ce qui approche présentement l’empereur, le comte de Kaunitz a trouvé que toutes les affaires luy venoient naturellement. Le comte d’Harrach est paresseux, le chancelier de cour est un très pauvre homme, le chambellan de même, le président de guerre ne sort pas de sa sphère et d’ailleurs accablé de maladies. L’empereur hait Mansfeld et estime médiocrement le prince de Salm. Le cardinal Collonitz, d’un esprit très borné, gouverne même fort mal les affaires de Hongrie. Ainsy tout revient presqu’au comte de Kaunitz. La considération qu’il s’attire excite bien l’envie du comte d’Harrach, mais ne change pas son tempérament, qui n’est pas porté à la peine. »

Le chancelier et le chambellan, dont Villars parlait avec cette désinvolture, étaient l’un le comte Bucelini, homme médiocre en effet, et conduit par ses subordonnés ; l’autre, le comte Waldstein, que Villars jugeait trop sévèrement et qui avait plus de décision dans le caractère que la plupart de ses collègues du conseil. Quant au prince de Salm, c’était un homme vigoureux et énergique, qui plaisait à l’archiduc Joseph, dont il avait été ajo, et déplaisait peut-être à l’empereur pour ce motif. « Il est fort ennemi de la France, écrivait Villars ailleurs, et si jamais le roi des Romains est à la tête des armées, ou le prince de Salm n’aura pas de crédit, ou elles seront tournées contre nous. » Le président du conseil de guerre était le vieux Rudiger Stahrenberg, l’illustre défenseur de Vienne, qui se renfermait dans les devoirs de sa charge sans parvenir à les remplir intégralement : il mourut avant la fin de l’ambassade de Villars et fut remplacé par Mansfeld, dont le principal mérite était d’être profondément dévoué à l’empereur, qui ne l’aimait pas, s’il faut en croire notre auteur.

Quant aux deux hommes de guerre les plus en vue, c’étaient le prince Louis de Bade et le prince Eugène de Savoie. Villars avait avec l’un et l’autre de cordiales relations, que la guerre même, suivant les courtoises habitudes du siècle, ne devait pas détruire. Il les jugeait avec sa perspicacité ordinaire, Eugène, comme un grand capitaine, déjà célèbre à trente-cinq ans et destiné à de plus grands succès ; Louis de Bade, comme un général actif, vigilant, habile, mais sans grand vol, et avec une tendance fâcheuse à marchander ses services : « Il a toutes les qualités les plus propres pour commander dignement une armée et pour ôter l’envie de la lui confier. »

Pendant que Villars se livrait à l’étude platonique de ces caractères, les événemens avaient marché à Versailles, à Londres et à La Haye. Louis XIV, que nous avons laissé sous l’impression des nouvelles d’Espagne, hésitant à poursuivre les négociations commencées avec Guillaume, était vite revenu à ses premières résolutions, aux pensées de modération, de paix qui les avaient inspirées. Il avait résolument écarté les séduisantes tentatives dont Harcourt s’était fait l’organe, pour écouter les sages conseils de Tallard. La négociation reprise n’avait plus été interrompue, elle avait abouti au premier traité de partage, signé le 25 septembre, qui attribuait la couronne d’Espagne au prince électoral de Bavière et partageait les possessions italiennes de l’Espagne entre l’Autriche et la France.

C’était pour Guillaume d’Orange un grand succès : il avait fait capituler le grand roi et prévaloir les intérêts maritimes et commerciaux de l’Angleterre et de la Hollande ; il avait mis une singulière âpreté à les défendre. Sa loyauté envers Louis XIV n’avait pas été moindre : il n’avait rien laissé deviner ni à l’Autriche, dont il trahissait la cause, ni à l’Espagne, dont il disposait sans titre et sans son aveu. Sa discrétion avait été telle, que ni Goes ni Auersperg, les envoyés impériaux en Hollande, ni Hoffmann, envoyé à Londres, n’avaient rien soupçonné de ce qui se tramait à côté d’eux ; ils avaient bien remarqué les allées et venues de Tallard, les conférences tenues à Loo, mais ils n’en avaient pas pénétré le motif. La cour d’Espagne fut plus rapidement renseignée : dès le 7 octobre, elle était informée de l’existence du traité, et, dès le 14 elle y répondait, ab irato, par le testament que Charles II signait en faveur du prince électoral de Bavière. Harrach, en apprenant cette résolution, qui déjouait tous ses calculs, en fut tout désorienté : il avoua à Harcourt qu’il ne restait d’autre ressource à l’empereur que de s’entendre avec Louis XIV et qu’il lui écrivait en ce sens.

Les communications étaient lentes entre Madrid et Vienne, les dépêches d’Harrach ne parvinrent à la cour qu’à la fin de décembre ; elles y causèrent un émoi facile à comprendre, mais dont on sut habilement cacher l’expression. Villars ne se douta de rien. Cependant des informations venues de Hollande et d’Angleterre dans le courant de janvier, confirmèrent les rapports d’Harrach ; l’existence du traité de partage ne pouvait plus être mise en doute, mais ses termes exacts étaient encore inconnus. L’embarras du conseil aulique était extrême, il ne savait à quel parti s’arrêter ; espérant obtenir au moins quelques lumières et se renseigner sur les dispositions de la France, il résolut de sonder Villars, et Kinsky fut chargé de le faire parler.

Kinsky aborda Villars, le 22 janvier 1609, dans l’antichambre de l’empereur, lui exprima le grand désir qu’avait son souverain de vivre en bonne intelligence avec Louis XIV, fit des allusions éloignées aux négociations de la France, essaya d’amener la conversation sur la succession d’Espagne. Villars, qui ne savait rien, put, en toute sûreté de conscience, protester des bonnes intentions de son souverain ; mais, entre ces deux interlocuteurs, dont l’un était mal renseigné et l’autre ne Tétait pas du tout, la conversation ne pouvait aller loin : ils jouèrent ainsi, deux jours de suite, aux propos interrompus, sans que Kinsky eût obtenu les éclaircissemens qu’il désirait et sans que Villars eût compris le motif de sa démarche. Villars interpréta le langage du ministre dans le sens de ses espérances; il crut à des ouvertures pour un traité direct et les enregistra avec une naïve satisfaction. Kinsky revint à la charge le 30 janvier, et, cette fois, il fut plus explicite : il se plaignit du silence de la France, alors qu’il était notoire que son activité diplomatique était grande à Madrid et à Londres ; il savait que des négociations étaient engagées pour le partage de la monarchie espagnole. Pourquoi les cachait-on à l’Autriche? Voulait-on la tenir à l’écart? Le testament du roi d’Espagne était un grave événement. On n’en disait rien : pourquoi ne pas échanger ses impressions? Villars ne savait que répondre et multipliait les assurances banales, tout en rejetant sur le silence observé à son égard la cause du silence du roi. Il se chargea de transmettre au roi, sans délai, les ouvertures qui lui étaient faites.

Il était tout à la joie que lui causait ce premier début de négociation, lorsqu’un incident inattendu vint, à son grand déplaisir, suspendre tout commerce entre la cour impériale et lui.

Il y avait, le même soir, bal à la cour. L’usage était de n’inviter à ces réunions restreintes que les personnes qui prenaient part aux danses : le corps diplomatique, quelques étrangers de distinction, assistaient à la fête dans de petites loges séparées de la salle de bal par une balustrade. La salle où se donnait ce divertissement dépendait de l’appartement de l’impératrice douairière, dont l’archiduc Charles occupait une partie. Villars s’y rendit et se plaça dans une de ces loges avec Hop, l’envoyé de Hollande; l’envoyé de Suède, le nonce, les ambassadeurs d’Espagne, de Venise et de Savoie en occupaient une autre ; l’évêque de Raab soupait dans une loge voisine « de la desserte de l’empereur. » Rappelons que ni Villars, ni la plupart des diplomates présens n’avaient, pour des causes rapportées ci-dessus, été présentés à l’archiduc.

Quelques instans avant l’ouverture du bal, le prince Liechtenstein, ajo de l’archiduc, entra dans la salle : apercevant Villars, il marcha droit à lui, lui dit qu’il trouvait étrange sa présence chez l’archiduc, auquel il n’avait pas été présenté, et l’engagea à se retirer. Surpris par cette brusque interpellation, Villars la reçut assez mal et répondit, non sans vivacité, qu’il n’était pas le seul dans le même cas; que d’ailleurs il se trouvait, non chez l’archiduc, mais chez l’empereur, et avait le droit d’y rester. Liechtenstein ayant insisté, Villars sut se maîtriser et sortit. Les autres envoyés ne furent pas interpellés et demeurèrent.

L’aventure, comme on peut le penser, fit grand bruit et donna à la cour impériale des soucis qu’elle n’avait pas recherchés. Les torts du prince Liechtenstein étaient évidens. Quant à Villars, on n’avait rien à lui reprocher : toujours maître de lui, il se contenta de se plaindre à Kaunitz de l’affront qu’il avait subi et de l’avertir qu’ayant pris les ordres du roi, il les attendait en silence.

La réponse du roi, datée du 11 février, arriva à Vienne le 25. Elle était d’une grande hauteur. Louis XIV exigeait que le prince Liechtenstein vînt à la légation de France exprimer à son envoyé « son déplaisir de ce qui s’était passé et d’avoir manqué au respect dû à son caractère. » Tant que cette satisfaction n’aurait pas été obtenue, Villars avait l’ordre de suspendre tout commerce d’affaires avec les ministres de l’empereur.

Cette demande du roi jeta la cour dans un grand embarras, non qu’elle la trouvât excessive : elle ne défendait pas l’acte du prince Lichtenstein, qui avait agi de son propre mouvement et contre les convenances les plus élémentaires ; mais la forme de la satisfaction demandée soulevait une grave question d’étiquette. D’après les usages espagnols en vigueur à la cour impériale, l’ajo de l’archiduc ne pouvait sortir du palais sans l’archiduc et ne pouvait rendre de visites que lorsqu’il accompagnait le prince confié à sa garde. Déroger à cette règle, dans un milieu aussi étroitement formaliste, était un acte inouï dont aucun ministre ne voulait prendre la responsabilité. On s’efforça donc d’obtenir la modification de cette condition. Alors commença une longue et laborieuse négociation dont nous ne saurions suivre tous les détails. Tout fut mis en œuvre soit pour convaincre Louis XIV, soit pour agir sur Villars et l’amener à se départir des instructions très précises du roi. On lui offrit des satisfactions équivalentes, peut-être même supérieures, s’il consentait à renoncer à la visite de Liechtenstein ; Villars écarta toutes ces combinaisons avec autant de fermeté dans le fond que de modération dans la forme ; il montra un désintéressement qui ne lui était pas habituel, s’effaçant entièrement, écrivant au roi de faire servir l’incident à sa politique générale, soit qu’il désirât une rupture, soit qu’il poursuivît un accommodement avec l’Autriche sur la question espagnole. Louis XIV ne voulait pas rompre, mais il n’était pas fâché de faire durer un incident qui le dispensait de répondre aux embarrassantes ouvertures de Kinsky ; il pensait d’ailleurs, avec raison, que ses demandes étaient fort modérées ; il les maintint et prescrivit à Villars de quitter Vienne le 15 avril, si satisfaction ne lui était pas accordée. Le ministre autrichien s’adressa alors à Londres et à La Haye et pria les deux puissances maritimes d’agir officieusement à Versailles pour expliquer à Louis XIV les usages particuliers de la cour de Vienne et lui demander d’en tenir compte. Hemskerke, l’envoyé hollandais, en parla à Torcy : mis au courant de l’affaire, il reconnut le bien fondé et la modération des demandes françaises et écrivit à Harrach une lettre pressante pour l’engager à ne pas s’arrêter à une insignifiante question d’étiquette. Il obtenait en même temps du roi que le délai assigné au retour de Villars fût retardé. Villars fixa définitivement son départ au 30 avril et en informa Harrach. Les pourparlers reprirent, les conférences se succédèrent: le nonce, les ambassadeurs de Venise et de Savoie s’entremirent, sans que la question avançât d’un pas, et le 30 avril arriva sans que rien eût été réglé. L’émotion était grande dans la ville : l’éventualité d’une rupture avec la France, pour un motif aussi futile, préoccupait vivement les esprits. Sous la pression des circonstances, la cour découvrit un expédient qui sauvegardait les principes sacrés de l’étiquette : par le plus grand des hasards, la sœur du prince Liechtenstein, la comtesse Trautmannsdorf, habitait la même maison que Villars et était malade. La maladie d’un proche parent était un de ces cas exceptionnels qui légitimaient une dérogation à la règle et permettaient à un ajo de sortir sans son archiduc. L’empereur autorisa donc Liechtenstein à aller voir sa sœur; pour s’y rendre, il était obligé de passer devant l’appartement de Villars : si, au moment où il passerait, Villars se trouvait par hasard sur sa porte, il n’était pas interdit au ajo de s’arrêter un instant et de causer avec lui. On fit donc demander à Villars, par l’ambassadeur de Savoie, s’il ne consentirait pas à se trouver sur sa porte, à une heure déterminée, et à y recevoir les excuses de Liechtenstein. La nuance était bien faible, en apparence; mais Villars eut l’intuition de l’équivoque qu’elle recouvrait et refusa. Il ne se dissimula pas la responsabilité qu’il encourait en risquant une rupture pour ne pas accepter une aussi légère modification aux instructions royales : « j’ose dire, écrivait-il au roi le lendemain, que j’ai donné, en cette circonstance, une preuve certaine que ma fortune m’est indifférente quand il s’agit de la gloire et de la délicatesse de Votre Majesté. »

Villars refusa donc et commanda les chevaux de poste pour le soir même. A trois heures, sa calèche était devant la porte, les chevaux attelés, au milieu d’un grand concours de peuple : Villars se préparait à partir quand l’ambassadeur de Savoie accourut de nouveau et lui demanda d’attendre encore qu’il eût le temps d’aller faire un dernier effort au palais : deux heures après, il revenait annonçant que la satisfaction était accordée sans réserve. Il était bientôt suivi du ajo, qui se présentait chez Villars, était reçu par lui sur sa porte, entrait dans l’appartement et s’arrêtant dans le salon, où se trouvait le portrait du roi, débitait la formule d’excuses très mitigée qui avait été préalablement convenue. La nuit était arrivée, les domestiques avaient allumé des flambeaux pour éclairer la sortie du prince ; une foule inquiète, curieuse, s’était amassée dans la rue, dans la cour, dans les escaliers ; la visite du ajo reçut ainsi une publicité et un éclat qu’elle n’aurait pas eus si elle eût été simplement et rapidement accordée : les hésitations de la cour n’avaient servi qu’à rendre plus solennelle la réparation donnée à l’envoyé du roi de France.

Le règlement de cette délicate question permettait de revenir aux affaires sérieuses. Mais, pendant les trois mois qu’avait duré l’interruption des relations, de graves changemens s’étaient produits. Kinsky était mort; avec lui avait disparu l’un des ministres les mieux intentionnés pour la France ; Kaunitz, qui lui avait succédé, n’était pas hostile aux idées de conciliation, mais son influence était contre-balancée par celle d’Harrach, récemment nommé grand-maître de la cour. Harrach avait rapporté de son ambassade à Madrid une haute idée des droits de l’Autriche sur la succession tout entière, et de grandes illusions sur ses chances de l’obtenir. Un grave événement avait d’ailleurs complètement modifié l’échiquier diplomatique. Le prince électoral de Bavière était décédé, emportant dans la tombe les fragiles combinaisons échafaudées sur sa chétive existence. Les conventions de partage avaient été déchirées par la mort, « qui n’avait pas souscrit à notre traité, écrit Tallard au roi, et n’était pas entrée dans l’engagement de conserver les jours du jeune prince. »

Louis XIV, sans se laisser troubler par ce brusque accident, avait immédiatement repris les négociations avec Guillaume sur la base première : l’équitable partage de la monarchie entre les ayans droit. « Il y avait trois héritiers, écrivait-il à Tallard, il n’y en a plus que deux, » et il ajoutait cette phrase remarquable, qui prouve à quel degré la notion de l’équilibre européen avait pénétré dans son esprit : « Je sais combien l’Europe serait alarmée de voir une puissance s’élever au-dessus de celle de la maison d’Autriche, de sorte que l’espèce d’égalité dont elle fait dépendre son repos cessât de se trouver entre l’une et l’autre. » Il avait donc proposé une répartition des états espagnols entre le dauphin et l’archiduc. Le roi d’Angleterre, surpris par un événement qu’il n’avait pas prévu, au milieu des embarras d’une crise parlementaire, avait assez froidement accueilli ces ouvertures : l’opinion s’était vivement prononcée en Angleterre. Contre le premier traité de partage ; elle était généralement favorable à l’Autriche; Guillaume hésitait à la froisser de nouveau. Cependant, la pression d’intérêts qui n’avaient pas changé, le souvenir des engagemens pris, l’habile argumentation de Tallard avaient agi sur son esprit : au moment où nous sommes parvenus, c’est-à-dire au commencement de mai 1699, il était revenu à l’idée d’un partage réglé par une convention : mais toujours préoccupé de ne pas mettre les ressources maritimes de l’Espagne et des Indes entre des mains puissantes, il cherchait à faire remplacer le prince électoral par un souverain de second ordre, soit l’électeur de Bavière, soit le duc de Savoie ; ce fut Louis XIV qui plaida la cause de l’archiduc et qui réussit à la faire triompher. Le 11 juin 1699, après des négociations dont nous n’avons pas à refaire l’histoire, le second traité de partage était provisoirement signé entre le roi de France et le roi d’Angleterre ; il ne devait devenir définitif qu’après l’accession de la Hollande; trois mois étaient donnés à l’empereur pour y accéder de son côté. On sait que ce traité attribuait à l’archiduc l’Espagne, les Pays-Bas et les Indes, au dauphin l’Italie, moins le Milanais, qu’il devait échanger contre la Lorraine. Si l’empereur, à l’expiration du délai fixé, n’avait pas signé le traité, les puissances s’entendraient pour le choix d’un troisième prince qui recevrait la part refusée par l’Autriche.

Guillaume fut chargé d’amener l’empereur à accepter ces conditions. Il le fit sonder par Hop, son envoyé à Vienne : lui-même fit des ouvertures à Auersperg. Le souverain et le ministre reçurent, chacun de leur côté, la même réponse, à savoir que l’empereur était le seul légitime héritier de Charles II, depuis la mort du prince électoral, en vertu du testament de Philippe IV et de la renonciation de la reine de France, que l’Angleterre et la Hollande s’étaient engagées en 1689 à soutenir ses droits, que la grande alliance n’était pas rompue et que l’empereur comptait sur ses alliés pour le défendre éventuellement contre les prétentions de la France. Il n’était pas besoin de nouveaux arrangemens, les anciens suffisaient. L’argumentation était serrée, mais elle n’était plus de saison. Guillaume, lié avec Louis XIV, n’était plus disposé à faire la guerre au seul bénéfice de l’Autriche et à dépenser les ressources de ses deux états pour mettre l’Europe sous la dépendance d’une seule dynastie : il le fit sentir à la cour de Vienne et insista, sans encore lui révéler l’existence du traité, pour qu’elle se prêtât à une transaction. Il se crut écouté. Vers la même époque, Kaunitz, reprenant avec Villars le thème de Kinsky, lui faisait des ouvertures banales que l’envoyé de France prenait pour des avances et signalait au roi avec empressement. A Versailles comme à Londres, on crut un instant à la possibilité d’une entente. Mais c’était une illusion; à Vienne, on ne cherchait qu’à gagner du temps, à empêcher le rapprochement de l’Angleterre et de la France : on se croyait sûr de l’héritage espagnol, on ne voulait pas risquer dans des compromissions douteuses les chances que l’on croyait tenir de son droit, de l’inclination connue de Charles II, et de la protection d’en haut.

Cette politique d’atermoiement convenait à l’esprit irrésolu et mystique de Léopold, à la lenteur proverbiale du conseil aulique : les avances faites à Villars ne servaient qu’à la couvrir ; pendant que l’envoyé du roi les enregistrait avec une naïve satisfaction, la cour prenait ses précautions à Madrid : des bruits alarmans ayant couru sur la santé du roi, l’empereur s’empressait de signer le 9 juillet des pleins pouvoirs donnés éventuellement au conseil de Castille pour gouverner l’Espagne en son nom. En même temps, feignant d’entrer dans les vues de Guillaume, il lui faisait proposer de donner les Indes à la France et le Milanais à l’Autriche. Guillaume et Heinsius étaient trop avisés pour ne pas discerner le véritable sens d’une proposition aussi directement contraire aux intérêts des puissances maritimes ; ils la repoussèrent comme dérisoire et commencèrent à douter du succès ; ils n’en insistèrent pas moins avec une louable persévérance. Guillaume s’épuisa en vains efforts pour persuader la cour de Vienne de la nécessité d’une transaction sérieuse. Toute l’année 1699 se passa en inutiles négociations.

Ce n’était pas seulement à Vienne que le roi d’Angleterre rencontrait des résistances inattendues : en Hollande, les états généraux se refusaient à signer le traité. « Messieurs d’Amsterdam, » avec leur sens pratique, comprenaient ce qu’avait de précaire un arrangement repoussé par la partie la plus intéressée et qui laissait indéterminée une question aussi grave que la nomination du futur roi d’Espagne ; de plus, ces parlementaires défians demandaient l’enregistrement du parlement de Paris. On voit d’ici l’indignation du grand roi en apprenant une semblable prétention : il répondit avec hauteur que le parlement de Paris était un corps judiciaire qui n’avait pas à connaître de sa politique, mais il se montra prêt à attendre patiemment l’adhésion de l’Autriche et à s’entendre avec Guillaume sur une liste de candidats au trône d’Espagne : ces concessions n’amenèrent aucun résultat. Louis XIV commençait à perdre patience ; Guillaume, de son côté, s’alarmait et craignait que le roi, poussé à bout, ne s’entendît directement avec l’Autriche ; il fit un dernier et vigoureux effort et enleva le consentement des états-généraux ; le 3 mars 1700, ils signèrent 16 traité tel qu’il avait été arrêté entre les deux rois. Les ratifications furent échangées à la fin d’avril.

A Vienne, Guillaume fut moins heureux : il n’obtint que des fins de non-recevoir. Seul pendant toute cette année, il avait conduit la négociation par l’intermédiaire de Hop. Villars s’était tenu à l’écart par l’ordre du roi, qui pensait avec raison que l’ancien allié de Léopold était mieux placé que lui pour amener l’empereur à traiter. Villars ne devait pas laisser soupçonner aux ministres autrichiens que son souverain fût d’accord avec le roi d’Angleterre. Pourtant, quand l’adhésion des états de Hollande eut donné au traité un caractère nouveau, Louis XIV pensa avec raison que son abstention n’avait plus de motif, que le traité ne pouvait être caché à Madrid et qu’il devait être communiqué à Vienne.

A Madrid, la cour n’ignorait pas les projets de partage, mais elle ne savait pas exactement quel était le rôle de la France : Harcourt le lui dissimulait avec soin, espérant toujours que Louis XIV ne persévérerait pas dans cette voie. Pendant six mois tenu par le roi au courant des moindres détails, il n’avait cessé de lui déconseiller le traité, soutenant qu’un traité n’empêcherait pas la guerre ; il considérait la guerre comme inévitable dans tous les cas ; ne valait-il pas mieux la faire, d’accord avec la nation espagnole, pour mettre et maintenir un fils de France sur le trône, que contre la nation pour lui imposer un archiduc d’Autriche? Le roi calmait cette ardeur; il ne croyait pas à l’efficacité du sentiment public : « Ce sont des vœux sans effet, » écrivait-il; quand même l’avènement de son petit-fils eût été facile à obtenir, il ne pouvait espérer le maintenir sans guerre : « Il préférait à cette vue celle de prendre des mesures plus convenables à la paix de l’Europe et au repos de la chrétienté ; » un traité conclu avec les puissances maritimes et consenti par l’Autriche était à ses yeux le seul moyen d’assurer la tranquillité. Harcourt se soumit, non sans regret, et demanda un congé pour ne pas assister à l’écroulement de ses espérances. « Le parti de Votre Majesté ne consiste que dans l’inclination du peuple et très peu de seigneurs qui ne se sont pas expliqués : il tombera de lui-même. » Le roi l’avait pourtant maintenu à son poste tant que la Hollande avait résisté, afin de pouvoir revenir à ses idées, « si le traité ne s’achevait pas. » Quand le traité eut été achevé, Louis XIV n’insista plus : «Il n’est plus question de négocier à Madrid, écrivit-il le 11 mars 1700... Mon intention est que vous preniez présentement vos audiences de congé. » Harcourt s’était hâté d’obéir; sa femme était déjà rentrée en France. Il partit aussi vite que le lui permit la nécessité de liquider un grand établissement : au mois de mai, il avait quitté le sol de l’Espagne, laissant M. de Blécourt comme chargé d’affaires avec la triste mission de liquider la faillite diplomatique à laquelle il ne voulait pas attacher son nom.

Au même moment, Villars reçut du roi le texte du traité avec mission de le communiquer à l’empereur et de lui demander son adhésion. Villars, comme Harcourt, n’était guère satisfait de la tournure que prenaient les événemens. La mission ingrate qu’il recevait n’était pas celle qu’il avait rêvée; il doutait grandement de sa réussite; il ne l’accomplit pas moins avec une scrupuleuse exactitude, sinon avec succès. Pour bien comprendre les difficultés auxquelles il se heurta et bien saisir le véritable rôle de l’Autriche, il nous faut reprendre les choses d’un peu plus haut. On se rappelle que Hop avait été seul chargé par son gouvernement de faire des ouvertures à la cour de Vienne; sans lui révéler l’existence même du traité, il devait l’amener à l’idée d’un partage de la monarchie espagnole, suivant le système de répartition qui faisait la base du traité. On se rappelle aussi les propositions dérisoires et les fins de non-recevoir opposées aux démarches de l’envoyé hollandais. L’attitude inerte et fataliste de la cour impériale n’avait pas été adoptée sans des discussions et des tiraillemens qu’il est bon de connaître. Nous avons à cet égard les renseignemens les plus curieux et les plus authentiques. C’est la série des procès-verbaux des séances du conseil, conservée aux archives I. R. de Vienne. Cette incomparable collection est la source incontestée de l’histoire véritable. M. Gædeke l’a utilisée avec sagacité et en a publié les principales pièces. Tout y est curieux, jusqu’à la forme. Ce sont de courtes notes, prises au cours de chaque séance, à l’aide de ce bizarre mélange de mots allemands, latins, français, italiens à la mode dans les chancelleries allemandes ; les discours de chaque membre du conseil y sont résumés en quelques phrases rapides, brèves, dont l’incorrection même garantit la sincérité; mieux que les dépêches les plus correctes et les plus étudiées, ces témoins irrécusables nous font connaître la pensée entière de la cour et assister au laborieux enfantement de ses résolutions. Le conseil ou conférence chargé d’étudier la question d’Espagne se composait de Harrach, grand-maître de la cour, de Waldstein, grand-chambellan, de Buceleni, grand-chancelier, de Kaunitz, de Mansfeld, plus deux conseillers d’état servant de secrétaires. Le roi des Romains assistait aux séances importantes qui avaient lieu en présence de l’empereur. Quand les questions avaient été discutées, l’opinion de la majorité était soumise à l’empereur, qui décidait. De tous ces hommes d’état, les seuls qui parussent avoir des idées nettes étaient le roi des Romains et Kaunitz : le premier ne croyait pas à une solution pacifique; sans se refuser à un essai de négociation directe avec la France, il insistait pour que l’on prît résolument et rapidement des mesures militaires. Kaunitz croyait une entente avec la France possible, il conseillait de la tenter franchement, tout en se préparant à faire la guerre si les tentatives de conciliation échouaient. Les autres flottaient incertains entre des opinions contradictoires : le plus irrésolu de tous était l’empereur. Dans les conclusions qui terminaient chaque séance, les récriminations stériles, les propositions vagues tenaient plus de place que les résolutions positives. L’accord s’était pourtant fait sur un point : l’impossibilité d’accepter les propositions hollandaises. Tout le conseil était d’avis que le projet de répartition des états espagnols ne tenait pas un compte suffisant des intérêts autrichiens, et en cela, il faut le reconnaître, il n’avait pas tort : le point de vue qui avait dominé dans la rédaction du traité était le point de vue anglo-hollandais, c’est-à-dire le point de vue maritime et commercial : les aspirations naturelles des deux dynasties rivales et les convenances géographiques des deux états n’avaient pas été prises en considération; la base normale d’une entente directe entre l’Autriche et la France était celle de 1668, à savoir les Pays-Bas à l’une et le Milanais à l’autre ; elle avait été écartée à cause des susceptibilités anglo-hollandaises, que Louis XIV voulait à tout prix satisfaire ; le lot assigné à l’Autriche, en lui fermant l’Italie, en l’isolant dans les Pays-Bas, en lui donnant l’Espagne ruinée à garder sans armée et les Indes lointaines à exploiter sans marine, ne répondait à aucun de ses intérêts actuels. Aussi, lorsque Hop l’offrit pour la première fois aux ministres autrichiens, l’indignation fut-elle grande au sein du conseil : il n’y eut qu’une voix pour flétrir la trahison des Anglais et des Hollandais, qui manquaient à leur foi et à l’alliance conclue en 1689. À cette impression de colère en avait succédé une de découragement : les idées de négociation directe avec la France avaient alors gagné du terrain ; mais on n’avait pas su se mettre d’accord sur les termes de la proposition à lui faire ; tout s’était borné à cette offre dérisoire des Indes, que nous avons vu Guillaume repousser avec tant de hauteur, et à quelques banales conversations avec Villars.

On avait pourtant pris une résolution positive, celle d’envoyer un ministre en France ; que l’on se décidât ou non à traiter, il était indispensable de pourvoir un poste depuis trop longtemps vacant ; on y avait mis le comte Sinzendorf, jeune débutant de bonne maison, mais on lui avait interdit toute initiative et mesuré parcimonieusement les instructions et les renseignemens; comme Villars, il devait observer, écouter et attendre. Torcy avait bientôt reconnu le vide de ses informations et cessé de le prendre au sérieux. Le silence et la réserve de Villars avaient failli l’exposer au même traitement. Le premier effarement passé, Kaunitz avait obtenu que l’on étudiât au moins avec soin la question de savoir s’il convenait ou non de traiter avec la France et sur quelle base, celle de 1668 ou toute autre. Plusieurs séances du conseil en août et septembre 1699 avaient été consacrées à cette étude : le conseil semblait pencher vers la conciliation ; lorsqu’on en était venu à discuter le mode de procéder, en cas de négociation, Mansfeld avait conseillé de prendre un autre intermédiaire que Villars : « Il doutait que Villars eût le crédit suffisant pour que le roi lui confiât une négociation de cette importance. » Ce fut Kaunitz qui avait insisté pour que Villars ne fût pas mis de côté, non prœtereundum : « Il ne pouvait pas croire que l’envoyé du roi fût laissé dans l’ignorance de ce qui se passait. » Puis il avait développé un système qui consistait à donner à l’archiduc, outre l’Espagne et les Indes, le Milanais, Final et les ports de Toscane, enfin les Pays-Bas à échanger avec l’électeur contre la Bavière : le dauphin aurait eu Naples, la Sicile, et la Sardaigne à échanger contre la Lorraine. Sur le premier point, Kaunitz avait eu gain de cause ; il avait été convenu que Villars serait tenu au courant des négociations, quand même Sinzendorf serait chargé de les conduire à Versailles; mais, sur le second point, Kaunitz n’avait obtenu aucune résolution positive : l’attention qu’il avait eue pour Villars était restée sans application, car aucune négociation n’avait été sérieusement entamée, ni à Versailles, ni à Vienne : les conférences s’étaient succédé pendant toute la fin de 1699 et le commencement de 1700, sans que rien eût été décidé : l’empereur ne donnait aucune conclusion, par calcul autant que par inertie. Les velléités de conciliation qu’il avait semblé avoir au début avaient été subitement arrêtées en septembre 1699, par les démarches du roi d’Espagne. Charles II, informé des projets de partage, avait adressé à Londres une protestation indignée, avait rappelé (27 août) son ambassadeur et écrit à Léopold qu’il comptait sur sa fidélité ; l’empereur, dont toutes les espérances reposaient sur les sentimens de Charles II, s’était empressé de répondre qu’il ne souffrirait pas le démembrement de la monarchie, et s’était empressé d’éviter toute compromission avec les souverains prévoyans et sacrilèges qui, du vivant du roi, se partageaient ses dépouilles. Il s’était retranché dans un silence obstiné, confiant dans l’affection du roi d’Espagne et dans la protection divine, qui n’avait jamais manqué à sa maison : Oculis tamen videmus quod Deus multa operatus est pro Austria, auch in Spanîen. Sinzendorf avait seulement été autorisé à sonder la cour de France en lui faisant « comme de lui-même » quelques vagues propositions au sujet des Indes et du Milanais. Torcy n’avait eu qu’à demander à l’envoyé autrichien s’il parlait en son propre nom ou au nom de son gouvernement, pour que la conversation tombât d’elle-même. Elle n’avait pas été reprise.

En résumé, depuis deux ans, aucun commerce sérieux n’avait existé entre Léopold et Louis XIV ; ni l’un ni l’autre ne voulant, pour des causes que nous avons suffisamment fait connaître, prendre l’initiative d’un arrangement direct. Quant à un arrangement collectif, l’empereur se refusait à y participer : il était engagé vis-à-vis de Madrid par ses promesses et ses espérances, vis-à-vis de Londres, par ses résistances mêmes, par l’indignation que lui causait la trahison de Guillaume III. Le conseil était divisé; la minorité, conduite par Kaunitz, n’était pas éloignée d’accepter le traité, à condition toutefois que certaines modifications y fussent introduites, que Milan, par exemple, fût assuré à l’archiduc. La majorité repoussait un arrangement auquel l’empereur refusait de souscrire : le mot de guerre avait même été prononcé ; le roi des Romains l’avait jeté au milieu de la discussion, comme la ressource suprême de l’honneur compromis et des intérêts méconnus.

C’est dans ces conditions que Villars fut officiellement chargé de l’ingrate mission que nous avons déjà indiquée, celle de communiquer à l’empereur le texte même du traité de partage et de solliciter son adhésion.

Les ordres du roi étaient datés du 6 mai 1700. Ils étaient accompagnés d’une longue dépêche, modèle de précision, de modération, de prudence, de force contenue. Louis XIV y développait dans un magnifique langage les raisons qui l’avaient porté à abandonner partiellement les droits de son fils et à renoncer à se servir, pour les soutenir, des forces dont chacun savait qu’il pouvait disposer; il avait voulu éviter à ses peuples et à l’Europe les horreurs d’une nouvelle guerre; si l’empereur accédait au traité, la redoutable question de la succession d’Espagne serait réglée sans effusion de sang. Le roi faisait un éloquent appel à la prudence et à la piété de Léopold; il ne pouvait pas croire que l’empereur préférât les événemens incertains d’une guerre et les malheurs qui en sont inséparables à un arrangement raisonnable et équitable; il le conjurait de l’accepter sans délai.

Villars composa avec les termes mêmes de la dépêche du roi, en atténuant seulement quelques expressions, un discours qu’il tint à l’empereur le 18 mai au soir ; il lui remit en même temps la copie du traité de partage. Léopold répondit à cette communication en termes généraux, protestant de son intention de vivre en bonne intelligence avec le roi, rappelant la modération qu’il croyait avoir montrée depuis un an, pendant les négociations de Hop avec ses ministres, insistant sur les longs délais qu’exigeait l’examen d’une matière aussi importante.

Harrach et Kaunitz, que Villars vit après l’audience impériale, furent moins réservés ; ils ne dissimulèrent pas leur mauvaise humeur. Le premier s’exprima en termes très vifs sur le compte de ces alliés de la veille, si prompts à disposer du bien d’autrui, de ces marchands d’Amsterdam qui se mêlaient de donner des fiefs de l’empire. Kaunitz montra le ciel en disant : « Il y a quelqu’un là-haut qui travaillera encore à ces partages. »

Le conseil fut immédiatement convoqué ; il tint plusieurs conférences consécutives; la question fut examinée sous toutes ses faces; ses inconvéniens furent analysés; divers systèmes furent discutés; la préoccupation qui domine ces délibérations confuses est celle de rompre l’alliance conclue entre la France et les puissances maritimes, et de ne rien faire qui pût altérer les bonnes dispositions du roi d’Espagne pour l’archiduc. Kaunitz plaida de nouveau la cause de la conciliation : à son sens, le traité serait acceptable s’il accordait le Milanais à l’Autriche ; ne pourrait-on essayer d’échanger cette province contre la Belgique en donnant la Belgique au duc de Lorraine ? On commencerait par offrir les Indes à la France, mais il faudrait auparavant solliciter l’agrément du roi d’Espagne. Kaunitz se trompait s’il croyait encore une entente directe avec la France possible : le moment était passé; tant que Louis XIV n’était pas officiellement engagé avec les puissances maritimes, il pouvait se prêter à des négociations séparées ; il les aurait certainement acceptées si elles lui avaient été alors franchement offertes; mais, à l’heure présente, lié par un traité solennel, il ne pouvait plus écouter de propositions secrètes. Quant à l’offre des Indes, elle ne pouvait être sérieusement faite : le conseil n’ignorait pas que Portland avait déclaré qu’il se laisserait plutôt « couper les mains » que de signer une pareille clause. Un membre fit observer que la France ne saurait accepter les Indes sans s’exposer à une guerre interminable, bellum perpetuum, avec l’Angleterre et la Hollande, et qu’elle ne consentirait à les recevoir que si l’empereur lui promettait son assistance militaire. Malgré cette objection décisive, à cause d’elle peut-être, il fut décidé qu’on essayerait d’amener la France à une entente secrète et qu’on lui offrirait les Indes. Le sens de cette décision ressort des discussions qui l’avaient précédée; elle n’avait d’autre but, selon l’expression de Sinzendorf, que d’allécher la France et de l’entraîner à des démarches capables de la brouiller avec ses alliés. En même temps, des lettres pressantes furent adressées en Espagne, au roi, à la reine, pour protester de l’indignation de l’empereur, pour affirmer sa volonté de maintenir l’intégrité de la monarchie, pour solliciter de « mâles résolutions. »

A la suite de la décision prise, Harrach et Kaunitz vinrent mystérieusement, le 14 juin, lire à Villars deux mémoires : l’un ostensible, dans lequel ils discutaient les termes du traité, et donnaient des assurances banales de leur désir de s’entendre avec la France ; l’autre confidentiel, dans lequel il était dit que l’empereur ne pouvait admettre l’ingérence des puissances tierces dans une question qui ne relevait d’elles à aucun titre, mais qu’il était disposé à s’entendre directement et secrètement avec le roi de France. Si le roi entrait dans cette vue, des pleins pouvoirs pourraient être envoyés soit à Vienne, soit à Paris ; le traité secret une fois conclu, l’empereur accéderait pour la forme au traité de partage, mais il serait bien entendu qu’à la mort du roi d’Espagne le traité secret serait seul exécuté. En même temps, Sinzendorf se rendait chez Torcy et lui offrait de traiter soit en acceptant le Luxembourg à la place du Milanais, soit en échangeant toutes les Indes contre les possessions de l’Espagne en Italie.

Villars crut toucher au but si ardemment désiré : « Le fort de la négociation est à Vienne, » écrit-il complaisamment dans ses mémoires ; il essayait de faire partager au roi ses illusions. Mais Torcy était sur ses gardes ; il déclina courtoisement les propositions de Sinzendorf, qui ne lui parurent pas sérieuses et qui ne l’étaient pas en effet. Sinzendorf n’insista pas, « dans la crainte, écrivit-il à l’empereur, de découvrir le jeu de Votre Majesté, au cas où elle n’aurait pas l’intention de souscrire au traité... et de donner lieu de croire que Votre Majesté ne cherchait qu’à gagner du temps ou à brouiller la France avec les puissances maritimes. » Sinzendorf discuta alors l’article 9 du traité, celui qui empêchait la réunion de la couronne d’Espagne sur la même tête que la couronne de France ou la couronne impériale. Torcy, avant de suivre son interlocuteur sur ce terrain, lui demanda si, dans le cas où l’empereur recevrait satisfaction sur cet article, il accepterait le reste du traité. Sinzendorf répondit qu’il n’avait pas d’ordres à cet égard, mais qu’il croyait à l’acceptation de son souverain.

Ou l’envoyé impérial était mal renseigné sur les intentions de son maître, ou il cherchait à les dissimuler, car au moment même où il donnait à Torcy cette espérance formelle, Léopold montrait pour le traité un éloignement de plus en plus marqué: il avait reçu d’Espagne des lettres qui le confirmaient dans ses illusions. Le roi, indigné de l’abandon de Guillaume III, affirmait qu’il voulait conserver ses états à la maison d’Autriche; la reine et son entourage veillaient avec soin afin d’éloigner les influences contraires. Léopold se persuada qu’il n’avait qu’à attendre en paix l’effet de ces heureuses dispositions. Le conseil était moins optimiste : il savait que plusieurs ministres espagnols, pour sauver l’intégrité de la monarchie, parlaient de se donner à la France : l’ambassadeur d’Espagne à Vienne, quoique partisan de l’Autriche, avait dit tout haut qu’à la honte d’un démembrement son pays préférerait u la dure extrémité de subir un prince français. » Mansfeld, Kaunitz étaient inquiets, ils insistèrent pour que l’on tînt compte de ces avertissemens, demandèrent que l’on prît au moins des mesures militaires, que l’on renforçât le corps allemand qui occupait la Catalogne, que l’on se préoccupât de l’Italie, que l’on prît enfin à l’égard de la France une résolution positive. L’influence fataliste de Léopold prévalut ; l’état d’esprit qu’elle inspira se peint dans cette conclusion caractéristique de la conférence du 28 juillet : Respondendum Sinzendorf, ita ut nec sit affirmativa aut negativa. Quant à Villars, on l’amusa avec de feintes confidences et des entretiens sans conclusion. Les nouvelles venues d’Espagne étaient vraies ; le roi surveillé de près par la reine, par son confesseur tyrolien, restait fidèle à ses sentimens autrichiens, mais dans le conseil de Castille, dans l’opinion publique, un travail tout différent s’était produit. Contrairement aux prévisions d’Harcourt et de la cour de France, la divulgation du traité de partage, loin de faire tomber le parti français, l’avait considérablement accru. Blécourt le constate avec surprise : « La déclaration, écrivait-il dès le 13 juin, a produit un effet tout contraire à ce qu’on pouvait en attendre. » l’opinion se tournait vers un petit-fils de France, comme vers le seul souverain assez fort pour maintenir l’intégrité de la monarchie : Porto-Carrero, habile à profiter des circonstances, avait fait prendre au conseil de Castille une délibération dans le même sens.

Pour combattre ce mouvement, Harrach s’était empressé d’affirmer que Louis XIV, lié par le traité de partage, avait déclaré qu’il refuserait au duc d’Anjou l’autorisation d’accepter la couronne. L’ambassadeur autrichien, en répandant cette nouvelle décourageante, n’oubliait qu’un point très important, c’est que Louis XIV avait subordonné son refus à l’adhésion de l’empereur au traité. Interpellé par Sinzendorf le 20 mai 1700 sur la question de savoir si, l’empereur souscrivant au traité, le roi de France accepterait l’offre de la couronne pour un prince français, Torcy avait catégoriquement répondu : Non, et le roi lui-même avait écrit à Villars quelques jours après : « Je ne m’engage à refuser les propositions que les Espagnols pourraient faire à l’un de mes petits-fils qu’en cas que l’empereur ait signé et ratifié le traité. » l’engagement était formel, j’ajoute qu’il était sincère : il était la conséquence naturelle de toute la politique suivie par Louis XIV depuis trois ans. On peut affirmer que, si l’empereur d’Autriche avait accepté le traité, Louis XIV eût refusé la couronne d’Espagne pour son petit-fils. Sinzendorf n’en doutait pas et revient plusieurs fois dans ses dépêches sur les déclarations satisfaisantes qu’il avait reçues. Mais la réserve faite par le roi n’était pas moins formelle et l’engagement qu’il prenait n’était valable qu’autant que l’empereur de son côté se fût engagé à ne réclamer, de la succession espagnole, que la part assignée à son fils par le traité. La cour de Vienne ne l’ignorait pas, mais elle avait intérêt à ce qu’à Madrid on crût le contraire. Son ambassadeur s’y employa activement. Inquiet, Porto-Carrero s’adressa à Blécourt et lui demanda s’il était vrai que le roi eût fait la déclaration que lui prêtait Harrach : le roi lui fit répondre le 15 juillet que « l’empereur n’ayant pas souscrit au traité, il n’était pas encore temps de faire cette déclaration. » Le cardinal, rassuré par cette réponse, se joignit à ceux qui, pour un motif tout différent, dissuadaient l’empereur de s’engager avec les puissances alliées, et ce fut non-seulement en son nom, mais au nom du conseil de Castille tout entier et au nom des grands de sa cour, que Charles II put supplier Léopold de ne pas signer un traité attentatoire à l’honneur de sa couronne et aux droits de la maison d’Autriche. Il paraît probable qu’à ce message ostensible le roi d’Espagne en joignit un autre confidentiel, par lequel il promettait de faire un testament en faveur de l’archiduc.

Cette communication dissipa les dernières hésitations de l’empereur. Le 18 août, il faisait remettre à Villars, par Harrach, une note dans laquelle il déclarait qu’il aurait cru manquer à toutes les bienséances en s’occupant de la succession d’un roi vivant et en état d’avoir des enfans. Il refusait donc de souscrire au traité, et, tout en protestant de ses bons sentimens pour la France, il se disait disposé à empêcher, même par les armes, la prise de possession de l’Espagne par le troisième souverain dont on l’avait menacé.

En même temps, Léopold chargeait son ambassadeur à Madrid d’exprimer au roi d’Espagne la joie que lui causait son intention de conserver toute la monarchie pro domo nostra Austriaca ; il le chargeait, en outre, de remercier chaleureusement la reine de son active et puissante intervention, d’exposer au conseil et aux grands que, la France étant engagée dans le traité de partage, l’Autriche seule était en mesure de conserver l’intégrité de la monarchie et qu’elle était prête à la défendre; il annonçait, en conséquence, l’envoi de renforts au corps allemand de Catalogne, la mise sur pied de 30,000 hommes destinés aux Pays-Bas, et sollicitait des ordres aux vice-rois des provinces italiennes pour qu’ils eussent à se mettre en état de défense et à s’entendre avec la cour de Vienne sur les mesures militaires à prendre.

Villars reçut la communication du 18 août avec un dépit qu’il eut de la peine à dissimuler. Il voyait s’écrouler l’échafaudage de ses espérances et de ses ambitions. Pour cacher sa déception, il sollicita du roi un congé, qui lui fut refusé. Louis XIV avait encore besoin de sa présence à Vienne, car il avait à conformer son attitude à la situation nouvelle et périlleuse créée par le refus de l’empereur. Lui aussi voyait s’écrouler le fragile édifice de ses combinaisons ; il avait tout sacrifié au repos de l’Europe : son orgueil de souverain, ses habitudes de conquérant, ses intérêts de chef de dynastie; il avait fait des avances à son plus mortel ennemi, subi le marchandage des négocians d’Amsterdam, accepté, pour la première fois, le second rôle dans une négociation importante, le tout dans l’intérêt de la paix, et il voyait le fantôme de la guerre se dresser devant lui. Il s’était trompé sur les sentimens de Léopold ; il avait cru à sa modération et à sa perspicacité ; il avait compté sans cette obstination douce et fataliste, qui s’allie si bien à l’irrésolution dans les esprits faibles et ne leur laisse voir qu’un côté des questions. Léopold se jetait, les yeux fermés et de gaîté de cœur, dans la guerre, sans mieux en peser les conséquences qu’il n’en discernait les causes. La guerre devait durer douze ans, amener d’effroyables malheurs et donner à sa maison, malgré des succès militaires inespérés, des résultats inférieurs à ceux que lui assurait le traité. L’histoire impartiale lui laissera la responsabilité du sang versé inutilement : elle saura gré à Louis XIV de ses efforts pacifiques, de la violence qu’il dut faire à son caractère et à ses habitudes pour les concevoir, les multiplier et les poursuivre.

Le refus de l’empereur frappait de caducité le traité de partage avant même qu’il pût être appliqué. Conçu en vue de la paix, il ne répondait pas à l’état de guerre. Aussi Louis XIV, tout en s’efforçant encore d’en sauver les dispositions, songea-t-il à ne pas se laisser surprendre par les événemens. Il commença à prêter l’oreille aux offres espagnoles et à prendre des mesures militaires ; il massa un corps d’armée sur les Pyrénées et en donna le commandement à Harcourt, qui brûlait du désir de réparer par l’épée les échecs supposés de sa diplomatie. En même temps, le roi chargea Villars de faire savoir à la cour impériale qu’il considérerait comme une déclaration de guerre tout envoi de troupes dans les provinces espagnoles. Villars se tira de cette délicate mission avec tact et fermeté ; il obtint de l’empereur une déclaration qui, en donnant au roi toute sécurité, ne froissait aucune susceptibilité ; les deux souverains s’engageaient réciproquement à ne pas toucher aux territoires espagnols du vivant de Charles II. La formule était heureusement trouvée : Villars s’en attribua, à tort ou à raison, le mérite; c’était son premier succès diplomatique, il était excusable de s’en exagérer l’importance. Longtemps après, il en parlait avec complaisance; l’incident s’était, dans ses souvenirs, grossi avec les années ; dans les Mémoires qu’il écrivait vingt ans plus tard, il a pris les proportions d’un événement de premier ordre, qui a décidé du sort de l’Espagne et de l’Europe.

Les destinées de l’une et de l’autre se décidaient alors, non à Vienne, mais à Madrid, et sans aucune intervention de la diplomatie française. Le sentiment espagnol s’exaltait : Porto Carrero le soutenait et le dirigeait avec habileté et patriotisme ; l’avènement d’un petit-fils de France apparaissait de plus en plus comme le salut de la monarchie ; le seul obstacle venait des refus présumés de Louis XIV. Harrach exploitait avec activité l’adhésion du roi de France au traité de partage, et s’efforçait de décourager les espérances nationales. Porto Carrero fit une dernière et pressante demande auprès du roi afin de lui arracher son consentement. Louis XIV, qui commençait à désespérer du traité de partage, mais ne pouvait pas encore l’avouer, répondit avec habileté : « Je n’ai pas dit, écrivait-il à Blécourt, que je refuserais de pareilles offres, si elles étaient faites avec toutes les sûretés convenables; le silence que j’ai gardé sur ce sujet est tout ce que la nation peut me demander. » Le silence du roi suffisait à Porto Carrero, qui se remit à l’œuvre avec activité, persévérance et discrétion. On sait le reste. Nous n’avons pas à décrire ici les péripéties du drame qui se joua autour du lit où agonisait le dernier descendant de Charles-Quint ; la lutte fut vive entre la reine et le cardinal, menée de part et d’autre avec toutes les ressources de l’habileté et de l’intrigue ; tout fut mis en œuvre pour arracher un acte décisif à la volonté défaillante du moribond, tout fut exploité, jusqu’aux angoisses d’une conscience timorée, et aux affres de la mort prochaine ; enfin, la victoire se décida pour Porto Carrero : le 3 octobre 1700, Charles II signait le célèbre testament qui instituait le duc d’Anjou héritier de toutes les Espagnes.

Le surlendemain du jour où s’accomplissait ce mémorable événement, Louis XIV, qui n’y croyait pas, ne voulut pas renoncer aux espérances pacifiques du traité de partage sans avoir fait auprès de l’empereur un suprême et loyal effort. Il chargea Villars de dire à Léopold que la mort du roi d’Espagne paraissant imminente, il avait voulu faire une dernière démarche « afin de ne rien omettre de tout ce qui pourrait maintenir la paix et le repos de la chrétienté. » d’accord avec ses alliés, il avait suspendu l’exécution de l’article 7, par conséquent le choix d’un troisième prince à substituer à l’archiduc, et consentait à tenir secrète, jusqu’à la mort de Charles II, l’acceptation qu’il sollicitait. Villars ne devait pas cacher à Léopold les offres faites par la nation espagnole à un petit-fils de France, ni l’importance des troupes massées sur les Pyrénées; il devait ajouter qu’il dépendait de l’empereur seul de conserver dans sa maison des états considérables sans effusion de sang, ou de déchaîner sur l’Europe tout entière les maux d’une guerre longue et incertaine. Villars, en accomplissant cette démarche solennelle, joignit au message du roi tous les argumens qu’il crut de nature à impressionner l’empereur. Il lui fut facile de voir qu’il n’était pas écouté. Léopold venait de recevoir un courrier d’Espagne : Harrach lui annonçait la signature, par le roi, d’un testament et lui affirmait qu’il devait être en faveur de l’archiduc ! La reine, le père Gabriel, lui écrivaient dans le même sens.

Muni de ces renseignemens erronés, l’empereur convoqua le conseil : deux séances importantes furent tenues les 20 et 25 octobre ; tous les ministres y assistaient, ainsi que Jerger, Stahrenberg, et un certain nombre de hauts fonctionnaires. Communication fut donnée de la démarche de Villars, d’une dépêche de Sinzendorf relatant une démarche identique de Torcy et de la correspondance d’Espagne; celle-ci, à côté des informations dont on a pu apprécier l’exactitude, renfermait pourtant des avertissemens significatifs. Harrach constatait avec inquiétude qu’on l’avait écarté du palais, alors que le testament se rédigeait, que l’opinion publique croyait cet acte en faveur d’un prince français, qu’un revirement vers la France s’opérait non-seulement au sein du conseil, mais jusque dans l’entourage du roi : Confessarius etiam regis inciperet gallicare.

A l’appui de ces informations inquiétantes, Kaunitz donna lecture d’un mémoire écrit où la situation était analysée avec une netteté remarquable et une perspicacité prophétique. Il posait comme un fait acquis que le testament était en faveur d’un prince français : cela ressortait pour lui de tous les renseignemens, même des dépêches d’Harrach ; il insistait sur la gravité de ce fait. Charles II avait autant que Philippe IV le droit de tester ; après avoir soutenu la validité du testament da père, on pourrait difficilement contester celle du testament du fils ; toute l’Espagne l’accepterait, les vice-rois n’hésiteraient pas à le faire exécuter, l’Europe le reconnaîtrait. Si donc l’empereur persistait dans ses premières résolutions, c’était la guerre certaine, inévitable, déclarée dans de mauvaises conditions, sans alliés, sans armée, avec l’appui douteux des princes allemands, contre un ennemi redoutable et prêt.

L’opinion de Kaunitz était donc qu’il fallait traiter et traiter sans délai. Si le roi d’Espagne venait à mourir, il serait trop tard ; on serait alors trop heureux d’obtenir les conditions du traité de partage actuel ; aujourd’hui on pouvait encore les améliorer et il fallait s’y appliquer sans relâche. Il conseillait d’ailleurs d’armer activement afin de soutenir les négociations.

Cet avis si sage ne prévalut point contre l’inertie fataliste de l’empereur; le 25, après une discussion de cinq heures, on se décida à ne rien dire à Villars et à laisser les portes ouvertes à une négociation indéterminée : Respondendum Villars non esse adhuc rationem mutandi responsum antea. — Die porten tractandi offen zu lassen.

Les interrogations inquiètes et pressantes de Villars n’obtinrent de Kaunitz, d’Harrach, que des réponses vagues ou plaisantes : enfin, on lui remit le 5 novembre, une note dans laquelle il était dit que l’empereur persistait à considérer comme indécent et injuste de convenir de la succession d’un roi vivant, et qu’il était confirmé dans cette opinion par la confiance qu’il avait dans le prochain rétablissement de la santé du roi d’Espagne. C’est par une fin de non-recevoir aussi peu sérieuse et d’un goût, il faut bien le dire, si contestable, que la cour de Vienne répondait au suprême et éloquent appel de Louis XIV; elle ne semblait pas comprendre le grand et loyal effort que le roi de France avait dû faire sur lui-même pour se décider à une nouvelle démarche et pour tendre à Léopold une main si souvent repoussée. Elle ne comprenait pas davantage qu’en refusant non-seulement d’accepter le traité de partage, mais même de l’examiner, elle le frappait définitivement de caducité et risquait de rendre à Louis XIV une liberté qu’il avait spontanément consenti à enchaîner. Elle comptait sur la guérison du roi d’Espagne!

Charles II était mort depuis trois jours, quand cette phrase malencontreuse fut écrite. Mais on l’ignorait à Vienne ; la fatale nouvelle ne parvint que le 18 novembre dans la capitale de l’Autriche et troubla singulièrement la quiétude qui y régnait. La véritable teneur du testament y causa un effarement général. Le conseil tint séance trois jours de suite, déclara que le testament était nul comme contraire à celui de Philippe IV, décida qu’il fallait protester auprès de toutes les cours, agir auprès du pape, et enfin, traiter avec la France, « ne fût-ce que pour gagner du temps. » Mais le moment des négociations était passé ; les événemens se précipitaient avec une rapidité que le lent formalisme du conseil avait peine à suivre ; on apprenait coup sur coup l’ouverture du testament, son acceptation par Louis XIV, la mémorable scène de Fontainebleau, la proclamation du duc d’Anjou, l’adhésion de tous les vice-rois au nouveau règne, le prochain départ de Philippe V pour ses états; en même temps, l’Angleterre et la Hollande insistaient pour l’acceptation immédiate du traité de partage et laissaient entendre que leur concours était à ce prix. Le conseil fut obligé de reconnaître qu’il s’était trompé ; la vérité se fit jour ; elle éclata dans cette phrase révélatrice, que nous extrayons du rapport fait à l’empereur après la séance du 27 novembre et qu’il nous suffira de traduire pour achever d’édifier le lecteur sur l’esprit qui a inspiré le gouvernement impérial pendant tout le cours de cette longue négociation : « On a espéré de tout temps que, la France refusant la succession d’Espagne et s’en tenant au traité de partage, le gouvernement et le peuple espagnols reconnaîtraient leur erreur et reviendraient d’eux-mêmes à Votre Majesté et à sa glorieuse maison... On a de même espéré que l’Angleterre et la Hollande reprendraient leurs anciens liens avec Votre Majesté... Il faut reconnaître que tout cela manque et que Votre Majesté est réduite à faire presque seule, avec peu ou point d’alliés, la guerre non-seulement à la France, mais à l’Espagne et à l’Italie. »

Le dépit de l’erreur commise et le sentiment du danger rendirent à la cour de Vienne une activité qu’elle semblait avoir perdue. Les démarches diplomatiques furent multipliées pour chercher des alliés, susciter des ennemis à la France, créer des embarras au gouvernement nouveau ; les armemens furent poussés avec vigueur. Nous n’avons pas à raconter l’histoire de ces efforts, qui n’auraient peut-être pas abouti, en présence de la lassitude de l’Europe, si Louis XIV, par des fautes inexplicables, n’avait soulevé contre lui l’opinion de l’Angleterre et donné à la haine de Guillaume III les prétextes qu’elle cherchait. Nous revenons à Villars.

La situation de l’envoyé français à Vienne était devenue très difficile : le vide se faisait autour de lui ; il lui fallait beaucoup de tact pour éviter de plus sérieux désagrémens. Un jour, c’était le roi des Romains qui, à une course de têtes, lui faisait une avanie publique ; un autre jour, c’était la foule qui s’amassait devant sa porte en l’accusant d’intelligences avec les insurgés hongrois. Il suppliait le roi de mettre fin à sa mission ; mais Louis XIV tenait à le maintenir à Vienne, non-seulement pour être exactement renseigné sur les préparatifs militaires de l’empereur, mais pour retarder autant que possible la rupture et faire durer la fiction d’après laquelle, si l’Espagne était en état d’hostilité avec l’Autriche, la France était en paix avec l’empire. Un moment vint pourtant où la fiction fut dissipée par le canon. Un corps autrichien, conduit par Eugène de Savoie avec une rare vigueur, avait franchi les montagnes tyroliennes, passé l’Adige et envahi le Milanais espagnol ; il y avait rencontré des régimens français près de Carpi et les avait battus. Quoique l’affaire, en elle-même, eût été peu importante, elle avait eu un grand retentissement, elle avait montré que les Français n’étaient pas invincibles et révélait le capitaine qu’ils allaient avoir à combattre. Le prince Eugène préludait à ses victoires. Villars ne pouvait plus rester à Vienne; il reçut du roi un congé et s’empressa de revenir. Il trouva la cour de Versailles encore sous l’impression de joie et d’orgueil qu’avait produite la brillante solution de la question espagnole. Avoir contribué à l’avènement de Philippe V était le meilleur titre à la faveur ; des trois diplomates qui avaient tenu les principaux rôles, c’était à qui s’attribuerait l’honneur du dénoûment : d’Harcourt, qui en avait désespéré, de Tallard, qui l’avait combattu, et de Villars, qui l’avait ignoré. Louis XIV rétablit la gradation des mérites par celle des récompenses : il donna le duché à Harcourt, le cordon bleu à Tallard, et de bonnes paroles à Villars. Villars fut encore plus étonné que mécontent de son lot : « j’ai battu les buissons, écrivait-il familièrement à Chamillart, et ce sont mes camarades qui ont pris les oiseaux. » La guerre, que ses démarches n’avaient pas réussi à écarter, allait lui offrir l’occasion de remporter les succès et de mériter les honneurs refusés à sa diplomatie.


VOGÜÉ.

  1. Voir la Revue du 15 août 1885.
  2. Noorden a entr’autres étudié les archives du Grand Pensionnaire Heinsius, mises à sa disposition par le jonkheer van der Heim, possesseur aussi libéral qu’éclairé de cette importante collection.