Vies et doctrines des philosophes de l’Antiquité/Livre IX

Vies et doctrines des philosophes de l’Antiquité
Livre IX
Traduction française de Charles Zévort
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LIVRE IX.


CHAPITRE PREMIER.
HÉRACLITE.

Héraclite d’Éphèse, fils de Blyson ou, suivant quelques-uns, d’Héracionte, florissait vers la soixante neuvième olympiade. Il était vain autant qu’homme au monde et plein de mépris pour les autres : on en trouve la preuve dans son livre, où il dit : « De vastes connaissances ne forment pas l’intelligence ; elles n’ont servi de rien à Hésiode, à Pythagore, à Xénophane et à Hécatée ; » et plus loin : « car la sagesse consiste uniquement à connaître la pensée qui, partout présente, gouverne toutes choses. » Il prétendait qu’Homère et Archiloque méritaient d’être chassés des concours et souffletés. Il avait pour maximes qu’il faut étouffer l’injustice avec plus d’empressement qu’un incendie et que le peuple doit combattre pour la loi comme pour ses murailles.

Il reprochait amèrement aux Éphésiens l’expulsion de son ami Hermodore : « Les Éphésiens, disait-il, mériteraient qu’on mît à mort, chez eux, tous les jeunes gens et qu’on chassât tous les enfants de la ville ; car ils ont exilé le meilleur d’entre eux en disant : Que personne ne se distingue ici par ses vertus ; s’il en est un, qu’il aille vivre ailleurs ; nous ne voulons point de lui. » Ses concitoyens l’ayant prié de leur donner des lois, il ne daigna pas s’en occuper, alléguant pour prétexte que déjà la corruption avait pénétré trop avant dans les mœurs publiques. Retiré dans le temple de Diane, il s’amusait à jouer aux osselets avec les enfants, et lorsque les Éphésiens étonnés faisaient cercle autour de lui, il leur disait : « Ne vaut-il pas mieux m’occuper à cela que de partager avec vous l’administration des affaires ? » À la fin, cédant à sa misanthropie, il quitta la société et se retira dans les montagnes ; mais comme il n’y vivait que de légumes, il contracta une hydropisie qui le força à redescendre à la ville. Il s’en allait demandant énigmatiquement aux médecins s’ils ne pourraient pas changer l’humidité en sécheresse, et comme on ne le comprenait pas il s’enterra dans une étable, espérant que la chaleur du fumier ferait évaporer l’eau qui le tourmentait ; mais le remède ne lui réussit point et il mourut bientôt, âgé de soixante ans. J’ai fait à ce sujet l’épigramme suivante :


Je me suis souvent demandé avec étonnement comment Héraclite avait pu se soumettre à un régime qui devait le mener à une si triste fin : une cruelle hydropisie inonda son corps, éteignit la lumière de ses yeux et les couvrit de ténèbres.


Hermippus rapporte autrement les faits : suivant lui, Héraclite avait demandé aux médecins s’il leur était possible, en comprimant ses intestins, d’en faire sortir l’eau, et sur leur réponse négative il était allé se coucher au soleil et avait ordonné à des enfants de le couvrir de fiente de bœuf ; le surlendemain on le trouva mort dans cette position et on l’enterra sur la place publique. Néanthe de Cyzique prétend qu’il ne put se débarrasser du fumier et que, rendu méconnaissable par les ordures qui le couvraient, il fut dévoré par des chiens.

Il s’était fait remarquer dès son enfance : jeune, il prétendait ne rien savoir ; devenu homme, il déclarait ne rien ignorer. Il n’avait eu aucun maître ; aussi disait-il qu’il s’était pris pour objet d’étude et que c’était de lui-même qu’il avait tout appris. Sotion prétend cependant que quelques auteurs le font disciple de Xénophane ; il ajoute que d’après Ariston, dans le traité sur Héraclite, il s’était guéri de son hydropisie et mourut d’une autre maladie. C’est ce que dit aussi Hippobotus.

Le livre qui porte son nom, et qui roule sur la nature en général, est divisé en trois parties : de l’univers, politique, théologie. Il l’avait déposé, suivant quelques-uns, dans le temple de Diane et l’avait à dessein écrit obscurément, afin que les doctes seuls pussent le comprendre et qu’il ne fût pas exposé au dédain en tombant dans le domaine public.

Timon l’a caractérisé en ces termes :


Au milieu d’eux s’élève ce monotone parleur à la voix de coucou, ce détracteur du peuple, l’énigmatique Héraclite.


Théophraste attribue à son humeur mélancolique l’imperfection de certaines parties de son ouvrage et ses contradictions. Antisthène, dans les Successions, allègue comme preuve de sa grandeur d’âme, qu’il céda à son frère le titre de roi[1] avec les prérogatives qui y étaient attachées. Ses ouvrages eurent une telle réputation qu’il se forma une secte dont les membres s’appelèrent de son nom héraclitiens.

Voici d’une manière générale quelle était sa doctrine ; il admettait que tout vient du feu et y retourne, que l’harmonie de toutes choses résulte de transformations contraires auxquelles préside la destinée ; que tout est plein d’âmes et de démons. Il a aussi traité des phénomènes particuliers de l’univers ; Il prétendait que le soleil n’est pas plus grand qu’il ne paraît ; qu’en vain suivrait-on toutes les routes, on ne pouvait pas trouver les limites de l’âme, tant ses profondeurs sont incommensurables. Il appelait l’arrogance une maladie sacrée et disait que la vue est trompeuse. Quelquefois ses écrits sont clairs et saisissants ; accessibles alors aux plus lentes intelligences, ils excitent dans l’âme un vif enthousiasme. Le style en est toujours d’une concision et d’une vigueur incomparables.

Quant aux détails de son système, il enseigne que le feu est l’élément unique et que tout provient des transformations du feu, en vertu de raréfactions et de condensations successives ; du reste il n’entre à ce sujet dans aucune explication. La contrariété préside à ces changements, et toutes choses sont dans un flux perpétuel, comme les eaux d’un fleuve. L’univers est fini, le monde est un ; il est tour à tour produit et embrasé par le feu, suivant certaines périodes déterminées, et cela de toute éternité ; la destinée préside à ces mouvements. Parmi les contraires, ceux qui poussent à la production sont la guerre et la discorde ; ceux qui produisent l’embrasement sont la concorde et la paix. Le changement est un mouvement de bas en haut et de haut en bas, en vertu duquel est produit le monde. Le feu condensé produit l’humidité ; celle-ci prend de la consistance et devient eau ; de l’eau vient la terre ; c’est là le mouvement de haut en bas. Réciproquement la terre liquéfiée se change en eau et de l’eau viennent les autres choses qu’il rapporte presque toutes à l’évaporation de la mer ; c’est là le changement de bas en haut. La terre et la mer exhalent également des vapeurs, les unes brillantes et pures, les autres ténébreuses ; celles qui sont brillantes s’ajoutent à la masse du feu, les autres, à l’élément humide. Il ne dit rien sur la nature de l’espace qui nous environne ; cependant il admet qu’il s’y trouve des espèces de bassins dont la concavité tournée vers nous reçoit les vapeurs brillantes qui s’y enflamment et forment les astres. La flamme du soleil est la plus brillante et la plus vive. Si les autres astres ont moins d’éclat et de chaleur, cela tient à ce qu’ils sont éloignés de la terre ; la lune, il est vrai, est plus rapprochée, mais elle traverse des espaces impurs ; le soleil, au contraire, placé dans un espace pur et sans mélange, est en même temps à une distance convenable de la terre et c’est pour cela qu’il donne plus de chaleur et de lumière. Les éclipses de soleil et de lune proviennent de ce que la concavité des bassins se tourne vers le haut. Les phases de la lune tiennent également à ce que le bassin qui la renferme se retourne peu à peu. Le jour et la nuit, les mois et les saisons, les années, les pluies, les vents et les phénomènes analogues ont pour cause les différences des vapeurs : ainsi les vapeurs brillantes s’enflammant dans le disque du soleil produisent le jour ; la prédominance des vapeurs contraires amène la nuit. La chaleur accrue par l’excès de la lumière produit l’été ; les ténèbres font prédominer l’humidité et causent l’hiver. Il explique d’une manière analogue tous les autres phénomènes ; mais il ne dit rien ni de la nature de la terre ni des bassins des astres. Voilà quelles sont ses doctrines.

Nous avons déjà parlé dans la vie de Socrate du mot que lui prête Ariston au sujet du livre d’Héraclite que lui avait procuré Euripide. Séleucus le grammairien prétend qu’au dire d’un certain Croton, dans le Plongeur, le livre avait été apporté pour la première fois en Grèce par un nommé Cratès et que c’était lui qui disait qu’il faudrait être plongeur de Délos pour ne pas étouffer dans cet ouvrage. On lui a donné différents titres : les uns l’intitulent les Muses ; d’autres, de la Nature ; Dioclès le désigne ainsi :


Un sûr gouvernail pour la conduite de la vie.

Quelques-uns l’appellent : la Science des mœurs, l’ordre des changements de l’unité, l’ordre des changements de toutes choses[2].

On dit que quelqu’un ayant demandé à Héraclite pourquoi il gardait le silence, il répondit : « Pour te faire parler. » Darius désirant s’entretenir avec lui, lui écrivit la lettre suivante :

LE ROI DARIUS, FILS D’HYSTASPE, AU PHILOSOPHE HÉRACLITE D’ÉPHÈSE, SALUT.

Tu as composé un traité sur la nature, difficile à comprendre et à expliquer. Quelques passages, interprétés conformément à tes expressions, paraissent renfermer une théorie de l’ensemble de l’univers, des phénomènes qu’il embrasse et des mouvements divins qui s’y accomplissent ; mais le plus souvent l’esprit reste en suspens, et ceux-là même qui ont le plus étudié ton ouvrage ne peuvent démêler exactement le sens de tes paroles. Aussi le roi Darius, fils d’Hystaspe, désire-t-il t’entendre et être initié par toi à la science des Grecs. Viens donc au plus tôt et que je te voie dans mon palais. Les Grecs en général n’accordent pas aux savants toute l’estime qu’ils méritent ; ils dédaignent leurs nobles enseignements, dignes cependant d’une étude sérieuse et attentive. Auprès de moi, au contraire, aucun honneur ne te manquera ; tu y trouveras chaque jour d’honorables entretiens, un auditeur dévoué et cherchant à régler sa conduite sur tes préceptes.

Voici la réponse :

HÉRACLITE D’ÉPHÈSE AU ROI DARIUS, FILS D’HYSTASPE, SALUT.

Tous les hommes aujourd’hui s’écartent de la vérité et de la justice, tout entiers à l’ambition et à la gloire, les misérables insensés ! Pour moi qui ignore complétement le mal, qui n’ai rien tant à cœur que d’éviter l’envie importune et d’échapper à l’orgueil de la puissance, je ne mettrai pas le pied sur la terre des Perses. Je me contente de peu et je vis à ma fantaisie.


Tel était Héraclite, même à l’égard d’un roi. Démétrius rapporte dans les Homonymes qu’il ne daigna pas non plus visiter les Athéniens, qui cependant avaient de lui une haute opinion, et que, malgré le mépris des Éphésiens pour sa personne, il préféra rester dans sa patrie. Démétrius de Phalère parle aussi de lui dans l’Apologie de Socrate.

Il a eu un grand nombre de commentateurs : Antisthène, Héraclide de Pont, Cléanthe, Sphérus le stoïcien, Pausanias, surnommé l’Héraclitiste, Nicomède, Denys, et, parmi les grammairiens, Diodote. Ce dernier prétend que le traité d’Héraclite ne roule pas sur la nature, mais bien sur la politique, et que ce qui a trait à la nature ne s’y rencontre qu’à titre d’exemple. Enfin, on trouve dans Hiéronymus que Scynthius, poète ïambique, avait entrepris de mettre cet ouvrage en vers. Il existe sur Héraclite plusieurs épigrammes, celle-ci entre autres :


Je suis Héraclite ; pourquoi me torturez-vous ? ignorants. Ce n’est pas pour vous que j’ai travaillé, mais pour ceux qui peuvent me comprendre. Pour moi un homme en vaut trente mille ; une multitude n’en vaut pas un seul. Voilà ce que je vous dis du fond du palais de Proserpine.


Et cette autre :


Ne vous hâtez pas en parcourant le livre d’Héraclite d’Éphèse ; la route est difficile ; les ténèbres, une impénétrable obscurité, l’environnent ; mais si quelque initié vous conduit, elle deviendra plus lumineuse que le soleil.


Il y a eu cinq Héraclite : le premier est celui qui nous occupe ; le second est un poëte lyrique, auteur d’un Éloge des douze dieux ; le troisième était un poëte élégiaque d’Halicarnasse ; Callimaque lui a adressé les vers suivants :


On m’a dit ton triste sort, Héraclite, et j’ai versé des larmes ; je me suis rappelé ces jours si nombreux que nous avons passés en de doux entretiens. Et toi, cher fils d’Halicarnasse, tu n’es déjà plus que poussière ! Mais les chants vivront, et sur eux Pluton, qui emporte toutes choses, ne portera pas la main.


Le quatrième, de Lesbos, a composé une histoire de Macédoine. Le cinquième, d’abord joueur de harpe, abandonna cet art pour se livrer à la composition d’ouvrages où la gravité se cache sous la forme comique.



CHAPITRE II.
XÉNOPHANE.

Xénophane, fils de Dexias, ou d’Orthomène, suivant Apollodore, était de Colophon. Timon fait de lui cet éloge :


Xénophane, moins orgueilleux, flagellant les sottises d’Homère.


Chassé de sa patrie, il alla vivre à Zancle, en Sicile, et à Catane. Quelques auteurs prétendent qu’il n’eut aucun maître ; d’autres le font disciple soit de Boton, d’Athènes, soit d’Archélaüs[3] ; Sotion le dit contemporain d’Anaximandre. Il a laissé des poésies épiques, des élégies et des ïambes dirigés contre Hésiode et Homère, dont il attaque la théologie. Il chantait lui-même ses vers. On dit aussi qu’il critique Thalès et Pythagore, sans excepter même Épiménide. Il vécut très-vieux, comme il l’atteste lui-même :

Soixante-sept ans se sont écoulés
Depuis que ma pensée est ballottée sur la terre de Grèce ;
Lorsque j’y vins j’en comptais vingt-cinq,
Si tant est que je puisse encore supputer mon âge avec certitude.

Suivant lui, toutes choses proviennent de quatre principes ; les mondes sont infinis et immuables. Les nuages résultent de la condensation dans l’espace des vapeurs élevées par le soleil. Dieu est une substance sphérique ; il n’a aucune ressemblance avec l’homme. Le Tout voit, le Tout entend, mais il ne respire pas. Il est en même temps toutes choses, intelligence, pensée, éternité. Xénophane a le premier proclamé que tout ce qui est engendré est périssable, et que l’âme est un souffle. Il enseignait encore que la pluralité est inférieure à l’intelligence[4]. Une de ses maximes était qu’il faut fréquenter les tyrans ou le moins possible, ou le plus agréablement qu’on peut. Empédocle lui ayant dit que le vrai sage était introuvable, il répondit : « Je le conçois, car pour discerner un sage il faut d’abord être sage soi-même. » Sotion prétend qu’il a le premier contesté la certitude de toutes les perceptions, mais c’est là une erreur.

Xénophane avait composé deux mille vers sur la fondation de Colophon et la colonisation d’Élée en Italie. Il florissait vers la soixantième olympiade. On lit dans Démétrius de Phalère (traité de la Vieillesse) et dans Panétius le stoïcien (traité de la Tranquillité) qu’il ensevelit ses fils de ses propres mains, comme Anaxagore. Phavorinus dit au premier livre des Commentaires qu’il eut pour ennemis[5] les pythagoriciens Parméniscus et Orestadès.

Il y a eu un autre Xénophane, poëte ïambique, originaire de Lesbos.

Tels sont ceux qu’on a appelés philosophes isolés.



CHAPITRE III.
PARMÉNIDE.

Parménide d’Élée, fils de Pyrès, était disciple de Xénophane, ou d’Anaximandre, suivant Théophraste, dans l’Abrégé. Cependant, quoique disciple de Xénophane, il laissa de côté ses doctrines pour s’attacher à Aminias et au pythagoricien Diochète, homme pauvre, au dire de Sotion, mais honnête et vertueux. Diochète était son maître de prédilection, et après sa mort il lui éleva une chapelle comme à un héros. Riche et d’une naissance illustre, il dut, non pas à Xénophane, mais bien à Aminias, sa vocation pour les études philosophiques et la tranquillité qu’elles procurent.

Il a le premier proclamé que la terre est ronde et qu’elle occupe le centre du monde. Il admettait deux éléments, le feu et la terre, le premier considéré comme principe organisateur, l’autre comme matière. Il faisait naître primitivement les hommes du limon de la terre, et identifiait avec la terre et le feu le froid et le chaud dont il tirait toutes choses. Pour lui, l’âme et l’intelligence sont une seule et même chose, ainsi que l’atteste Théophraste dans la Physique, ouvrage où il a exposé les doctrines de presque tous les philosophes.

Parménide distinguait deux espèces de philosophie, l’une fondée sur la vérité, l’autre sur l’opinion ; voici ses paroles :

Il faut que tu connaisses toutes choses, et les entrailles incorruptibles de la vérité persuasive, et les opinions des mortels, qui ne renferment pas la vraie conviction.

C’est en vers qu’il avait exposé ses idées philosophiques, aussi bien qu’Hésiode, Xénophane et Empédocle. Il voyait dans la raison le criterium du vrai et n’admettait pas la certitude des données sensibles ; ainsi il dit :

Que la coutume ne te jette pas dans cette route battue où l’on ne porte que des yeux aveugles, des oreilles et une langue retentissantes ; mais juge avec la raison cette solide démonstration.

C’est là ce qui a fait dire de lui par Timon :

Parménide, cet esprit vigoureux, ce philosophe illustre,
Qui a rapporté aux vaines images les erreurs de la pensée.

Platon a composé sur lui un dialogue intitulé Parménide, ou des Idées. Il florissait vers la soixante-neuvième olympiade. Phavorinus dit au cinquième livre des Commentaires qu’il a le premier découvert que Vesper et Lucifer sont un même astre ; d’autres attribuent cette observation à Pythagore. Callimaque prétend que le poëme qui porte son nom n’est pas de lui. Speusippe assure, dans l’Histoire des Philosophes, qu’il avait donné des lois à ses concitoyens, et Phavorinus, au cinquième livre des Histoires, lui attribue l’invention de l’argument d’Achille[6].

Il y a eu un autre Parménide ; c’était un rhéteur qui a écrit sur les règles de son art.



CHAPITRE IV.


MÉLISSUS.


Mélissus de Samos, fils d’Ithagène, était disciple de Parménide. Il avait aussi été en rapport avec Héraclite, et même il l’avait recommandé à l’admiration des Éphésiens, qui méconnaissaient son génie, comme Hippocrate révéla Démocrite aux Abdéritains. Il s’adonna aux affaires publiques et fut en grande estime auprès de ses concitoyens ; lorsqu’il fut appelé par eux au commandement de la flotte, ses qualités naturelles brillèrent encore d’un plus vif éclat dans ces hautes fonctions.

Suivant lui, l’univers est infini, immuable, immobile, un, partout semblable à lui-même et absolument plein. Le mouvement n’est pas réel, mais seulement apparent. Il ne faut pas définir la nature divine, parce qu’elle échappe à notre intelligence. Apollodore dit qu’il florissait vers la quatre-vingt quatrième olympiade.



CHAPITRE V.


ZÉNON D’ÉLÉE.


non d’Élée était fils de Téleutagoras et fils adoptif de Parménide, suivant les chroniques d’Apollodore[7]. Timon parle de lui et de Mélissus en ces termes :

Tout cède à Zénon et à Mélissus, à leur parole à double tranchant, à leur éloquence puissante, irrésistible. Supérieurs à beaucoup de préjugés, ils n’en conservent qu’un bien petit nombre.

Zénon était disciple de Parménide et son mignon. Il était de haute taille, ainsi que l’atteste Platon dans le Parménide. Dans le Phèdre, il l’appelle le Palamède d’Élée. Aristote, dans le Sophiste, attribue à Zénon l’invention de la dialectique, et à Empédocle celle de la rhétorique. Il ne se distingua pas moins dans la politique que dans la philosophie, et a laissé des ouvrages pleins de sens et d’érudition.

Héraclide rapporte dans l’Abrégé de Satyrus qu’ayant conspiré contre le tyran Néarque, — d’autres disent Diomédon, — il fut découvert, et qu’interrogé sur ses complices et sur les armes qu’il avait réunies à Lipara, il dénonça tous les amis du tyran afin de le priver de ses soutiens. Feignant ensuite d’avoir quelque secret à lui communiquer, il lui mordit l’oreille et ne lâcha prise que lorsqu’il fut percé de coups, comme Aristogiton, meurtrier d’un autre tyran. Démétrius assure dans les Homonymes qu’il lui arrache le nez. Antisthène, dans les Successions, donne une autre version : Lorsqu’il eut nommé tous les amis du tyran, interrogé par lui s’il n’avait pas d’autres complices, il répondit : « Toi-même, le fléau de cette ville. » Puis s’adressant aux spectateurs : « J’admire votre lâcheté, dit-il, vous que la crainte d’un sort semblable rend esclaves du tyran ; » à ces mots il se coupa la langue et la cracha au visage de Néarque, ce qui enflamma tellement ses concitoyens qu’à l’heure même ils tuèrent le tyran. La plupart des historiens sont d’accord sur ces circonstances ; cependant Hermippus prétend qu’il fut jeté dans un mortier et broyé. J’ai fait sur lui les vers suivants :

Tu voulus, Zénon, tu voulus — noble dessein ! — tuer un tyran et affranchir Élée de l’esclavage. Mais tu succombas ; le tyran se saisit de toi et te broya dans un mortier. Que dis-je ! ce n’est pas toi ; ton corps seul fut vaincu.

Zénon avait, entre autres qualités, un dédain pour les grands égal à celui d’Héraclite. Il préféra à la magnificence des Athéniens le séjour d’Élée sa patrie. Ce n’était qu’une chétive bourgade fondée par les Phocéens et nommée primitivement Hylé ; mais elle était recommandable par la probité de ses habitants. C’est là qu’il habitait ordinairement, n’allant que rarement à Athènes. Il est l’inventeur de l’argument d’Achille, attribué à Parménide par Phavorinus, et de quelques autres raisonnements du même genre.

Voici sa doctrine : Le monde existe[8] ; le vide n’existe pas. Tous les êtres sont produits par le chaud et le froid, le sec et l’humide, en vertu de transformations réciproques de ces principes. L’homme est né de la terre ; son âme est un assemblage des quatre éléments précédents dans une proportion telle qu’aucun d’eux ne prédomine.

On rapporte que quelqu’un l’ayant blâmé de s’être mis en colère à propos d’une injure, il répondit : « Si j’étais insensible à l’injure, je ne serais pas sensible à la louange. »

Nous avons dit dans la vie de Zénon de Citium, qu’il y a eu dix Zénon. Celui-ci florissait dans la soixante-dix-neuvième olympiade.



CHAPITRE VI.


LEUCIPPE.


Leucippe, disciple de Zénon, était d’Élée. Quelques auteurs cependant le disent Abdéritain, d’autres Milésien. Il admettait la pluralité infinie des êtres et leurs transformations réciproques, ainsi que l’existence simultanée du vide et du plein dans l’univers. Suivant lui les mondes se produisent lorsque des corps tombent dans le vide et s’y agglomèrent. Ces corps, accrus par des additions successives et animés d’un mouvement propre, forment les astres. Le soleil, placé au delà de la lune, parcourt un cercle plus grand. La terre, située au centre, est emportée par un mouvement circulaire ; sa forme est celle d’un tambour. Leucippe a le premier enseigné que les atomes sont les principes des choses.

À cette exposition générale ajoutons quelques détails : il admet, comme nous l’avons dit, l’infinité de l’univers, et il y fait entrer deux éléments, le vide et le plein. Ces éléments sont l’un et l’autre infinis, ainsi que les mondes qu’ils produisent et qui se résolvent en eux. Les mondes se forment de cette manière : un grand nombre de corps, détachés de l’infini et affectant toutes les formes possibles, se meuvent dans l’immensité du vide ; de leur ensemble résulte un tourbillon unique où, ballottés circulairement, s’entre-choquant l’un l’autre, ils finissent par se démêler de telle sorte que ceux qui sont semblables se réunissent. Mais comme toutes les particules ne peuvent pas, à cause de leur multitude, suivre uniformément le mouvement du tourbillon, les plus légères sont relancées vers le vide extérieur. Les autres restent et, embrassées dans le même mouvement, elles s’enlacent et forment une sorte de continu, un premier assemblage sphérique, une membrane qui enveloppe des corps de toute espèce. Bientôt la continuité du mouvement circulaire, unie à la résistance du noyau central, fait que les corps se portent incessamment vers le centre, la membrane extérieure devenant de moins en moins dense ; une fois au centre, ils y restent unis, et ainsi se forme la terre. D’un autre côté, il se produit dans l’espace une autre enveloppe qui s’accroît sans cesse par l’apport des corps extérieurs et qui, animée elle-même d’un mouvement circulaire, entraîne et s’adjoint tout ce qu’elle rencontre. Quelques-uns de ces corps ainsi enveloppés se réunissent et forment des composés d’abord humides et boueux ; desséchés ensuite et entraînés dans le mouvement universel du tourbillon circulaire ils s’enflamment et constituent la substance des astres. L’orbite du soleil est la plus éloignée, celle de la lune la plus rapprochée de la terre ; entre les deux sont les orbites des autres astres.

Tous les astres sont enflammés par la rapidité de leur mouvement ; le soleil doit aux autres astres sa chaleur et sa lumière ; la lune n’en reçoit qu’une faible partie. Les éclipses de soleil et de lune tiennent…[9] à ce que la terre est inclinée au midi. Les régions arctiques sont couvertes de neige, de frimas et de glaces. La rareté des éclipses de soleil et la fréquence de celles de la lune ont pour cause l’inégalité des orbites de ces astres. Leucippe admet aussi que la production des mondes, leur accroissement, leur diminution et leur destruction tiennent à une certaine nécessité dont il ne détermine pas du reste la nature.



CHAPITRE VII.


DÉMOCRITE.


Démocrite d’Abdère, ou de Milet, suivant quelques auteurs, était fils d’Hégésistrate ; — d’autres disent d’Athénocrite ou de Damasippus. Hérodote rapporte que Xerxès, ayant reçu l’hospitalité chez son père, y laissa des Mages et des Chaldéens qui furent les maîtres de Démocrite. Il apprit d’eux, tout enfant, la théologie et l’astronomie ; plus tard, il suivit les leçons de Leucippe et même, au dire de quelques auteurs, d’Anaxagore, plus âgé que lui de quarante ans. Cependant Démocrite prétendait, suivant Phavorinus, dans les Histoires diverses, que les doctrines d’Anaxagore sur le soleil et la lune n’étaient pas de lui et que c’étaient d’anciennes découvertes qu’il s’était appropriées ; il critiquait son système sur l’organisation du monde et sur l’intelligence ; enfin il nourrissait contre lui des sentiments hostiles parce qu’il ne l’avait pas admis à ses entretiens. Comment donc aurait-il été son disciple comme on le prétend ? Démétrius, dans les Homonymes, et Antisthène dans les Successions, assurent qu’il voyagea en Égypte pour apprendre la géométrie auprès des prêtres, et qu’il alla aussi chez les Chaldéens, en Perse et jusqu’à la mer Rouge. Quelques auteurs prétendent même qu’il s’entretint avec les gymnosophistes de l’Inde et parcourut l’Éthiopie.

Il avait deux frères plus âgés que lui, avec lesquels il partagea l’héritage paternel. La plupart des auteurs s’accordent à reconnaître qu’il prit pour lui l’argent comptant, afin de subvenir aux frais de ses voyages, mais qu’il ne se réserva que la plus petite portion de l’héritage, ce qui pourtant ne le garantit pas contre les soupçons de ses aînés. Démétrius prétend que sa part s’élevait à plus de cent talents et qu’il les dépensa entièrement. Démétrius cite aussi un exemple de son ardeur sans bornes pour l’étude : il s’était réservé, dans le jardin qui entourait la maison, une petite cellule où il s’enfermait seul ; un jour son père amena à ce même endroit et y attacha un bœuf qu’il voulait sacrifier ; Démocrite ne s’en aperçut pas pendant fort longtemps, et il fallut que son père vînt l’appeler pour le sacrifice et l’avertît que le bœuf était là. On lit encore dans Démétrius qu’il alla à Athènes et que, peu soucieux de la gloire, il ne chercha pas à se faire connaître ; il aurait même connu Socrate, mais sans être connu de lui. « Je suis venu à Athènes, dit-il lui-même, et personne ne m’y a connu. » D’un autre côté, on lit dans Thrasylus : « Si les Rivaux sont de Platon, Démocrite paraît être cet interlocuteur anonyme, différent d’Œnopide et d’Anaxagore, qui, dans un entretien avec Socrate, disserte sur la philosophie et compare le philosophe à l’athlète vainqueur au pentathle[10]. En effet, il était lui-même philosophe dans ce sens ; il avait cultivé la physique, la morale, les mathématiques, les lettres, et avait une expérience consommée dans les arts. Cet axiome est de lui : la parole est l’ombre des actions.

Démétrius de Phalère dit dans l’Apologie de Socrate qu’il n’était jamais venu à Athènes. Si cela est, le dédain qu’il témoigna pour une telle ville doit nous le faire paraître plus grand encore, puisqu’au lieu de devoir sa gloire aux lieux qu’il habitait il aima mieux les ennoblir par sa présence.

Ses écrits montrent assez quel il était. Thrasylus dit qu’il avait pris pour modèles les pythagoriciens ; et en effet il a lui-même cité Pythagore avec éloge dans le traité qui porte le nom de ce philosophe. On pourrait même croire, n’était la différence des temps, qu’il lui a dû toutes ses doctrines et a été son disciple. Du reste, Glaucus de Rhèges, son contemporain, dit qu’il avait eu pour maître un pythagoricien ; Apollodore de Cyzique cite même nommément Philolaüs. Démétrius nous le montre confiné dans la solitude et retiré au milieu des tombeaux, afin de pouvoir méditer à l’aise et exercer librement son intelligence. Suivant le même auteur, il dépensa tout son bien en voyages et revint dans un complet dénûment, si bien que son frère Damasus fut obligé de le nourrir ; mais une prédiction qu’il avait faite et que l’événement confirma lui valut auprès de la plupart de ses concitoyens la réputation d’un homme divin. Sachant, dit Antisthène, qu’une loi interdisait d’ensevelir dans sa patrie celui qui avait dépensé son patrimoine, et ne voulant pas donner prise aux envieux et aux calomniateurs, il lut à ses concitoyens son Mégas Diacosmos[11], le meilleur sans contredit de tous ses ouvrages ; l’enthousiasme fut tel que, non contents de lui accorder cinq cents talents, ils lui élevèrent des statues. À sa mort, il fut enseveli aux frais du public. Il avait vécu au delà de cent ans.

Démétrius prétend que ce furent ses parents qui lurent au public le Mégas Diacosmos, et que la récompense ne s’éleva qu’à cent talents. C’est ce que dit aussi Hippobotus. Aristoxène rapporte, dans les Commentaires historiques, que Platon avait eu l’intention de brûler tous les écrits de Démocrite qu’il avait pu rassembler, mais que les pythagoriciens Amyclas et Clinias l’en détournèrent en lui représentant qu’il n’y gagnerait rien, puisqu’ils étaient très-répandus. Ce qui confirme ce récit, c’est que Platon, qui a parlé de presque tous les anciens philosophes, ne cite pas une fois Démocrite, pas même lorsqu’il serait en droit de le combattre, sans doute parce qu’il savait bien à quel redoutable adversaire il aurait affaire. Timon fait de lui cet éloge :

Tel était le sage Démocrite, roi par l’éloquence,

Habile discoureur, l’un des plus illustres philosophes que j’aie lus.

Quant à l’époque de sa vie, il dit lui-même dans le Micros Diacosmos[12] qu’il était jeune quand Anaxagore était déjà vieux, et qu’il avait quarante ans de moins que lui. Il nous apprend aussi qu’il avait composé le Micros Diacosmos sept cent trente-sept ans après la prise de Troie. Apollodore, dans les Chroniques, place sa naissance dans la quatre-vingtième olympiade ; mais Thrasylus, dans l’ouvrage intitulé Préparation à la lecture des écrits de Démocrite, le fait naître la troisième année de la soixante-dix-septième olympiade, un an avant Socrate. Suivant ce calcul, il aurait eu pour contemporains Archélaüs disciple d’Anaxagore et Œnopide qu’il cite d’ailleurs dans ses écrits. Il cite également comme fort célèbres de son temps Parménide et Zénon, à propos de leur doctrine de l’unité ; il fait aussi mention de Protagoras d’Abdère, que l’on s’accorde à regarder comme contemporain de Socrate.

Athénodore raconte, au huitième livre des Promenades, qu’Hippocrate étant venu le trouver, Démocrite fit apporter du lait, et qu’en le voyant il déclara que ce lait provenait d’une chèvre noire qui n’avait mis bas qu’une fois, ce qui donna à Hippocrate une haute idée de sa pénétration. Hippocrate avait amené avec lui une jeune fille ; le premier jour Démocrite lui dit en l’abordant : « Salut, jeune fille ; » mais le lendemain il lui dit : « Salut, jeune femme. » En effet, elle avait perdu sa virginité pendant la nuit.

Hermippus rapporte ainsi les circonstances de sa mort : accablé de vieillesse, il était au moment de rendre le dernier soupir ; mais voyant sa sœur s’affliger de ce que, sa mort survenant pendant les Thesmophories, elle ne pourrait rendre ses devoirs à la déesse, il lui dit de prendre courage et de faire apporter chaque jour des pains chauds : l’odeur seule de ces pains qu’il approchait de son nez lui suffit pour se soutenir pendant toute la fête ; lorsqu’elle fut terminée, c’est-à-dire trois jours après, il mourut sans aucune douleur au dire d’Hipparchus. Il était alors âgé de cent neuf ans. J’ai fait sur lui les vers suivants dans mon recueil de toute mesure :

Quel homme a été aussi sage que Démocrite, à la science de qui rien n’échappait ? Qui a accompli d’aussi grandes choses ? La mort était prête ; elle était sous son toit, et, trois jours durant, il l’arrêta, sans offrir autre chose à cet hôte que la fumée de pains chauds.

Après avoir raconté sa vie, passons à ses doctrines. Les principes de toutes choses sont les atomes et le vide ; tout le reste n’a d’existence que dans l’opinion. Il y a une infinité de mondes sujets à production et à destruction. Rien ne vient du non-être ; rien ne se résout dans le non-être. Les atomes, infinis en quantité, et occupant l’espace infini, sont emportés à travers l’univers par un mouvement circulaire, et produisent ainsi tous les complexes, le feu, l’eau, l’air et la terre ; car ce sont là des composés d’atomes. Les atomes seuls sont à l’abri de toute action extérieure, de tout changement, grâce à leur solidité et à leur dureté. Le soleil et la lune sont produits par ces tourbillons d’atomes, par ces particules animées d’un mouvement circulaire ; il en est de même de l’âme, qui d’ailleurs n’est pas distincte de l’intelligence. La vision s’opère par l’intermédiaire d’images qui pénètrent dans l’âme. La nécessité préside à tout ; car la cause de toute production est le tourbillonnement des atomes, qu’il déclare fatal. La fin de l’homme est la tranquillité d’âme, qu’il faut se garder de confondre avec la volupté, comme on l’a fait quelquefois, faute de bien entendre sa pensée : c’est un état dans lequel l’âme, calme et paisible, n’est agitée par aucune crainte, aucune superstition, aucune passion. Il donne encore à cet état plusieurs autres noms, en particulier celui de bien-être. Enfin il prétend que tout ce qui est phénomène n’a de réalité que dans l’opinion, mais que les atomes et le vide sont dans la nature et ont une existence absolue. Telles sont ses doctrines.

Thrasylus a dressé un catalogue méthodique de ses ouvrages qu’il divise comme ceux de Platon en quatre classes. En voici la liste :

Ouvrages moraux : Pythagore ; Disposition du sage ; des Enfers ; Tritogénie[13] (ainsi nommée, parce que d’elle viennent trois choses dans lesquelles se résume tout l’homme[14] ) ; de la Probité ou de la Vertu ; la Corne d’Amalthée ; de la Tranquillité d’âme ; Commentaires moraux. Quant au traité du Bien-être, il ne se trouve point.

Ouvrages physiques : Grande organisation du monde (attribué à Leucippe par Théophraste) ; Petite organisation du monde ; Cosmographie ; sur les Planètes ; de la Nature, premier traité ; de la Nature de l’homme, ou de la chair, deux livres ; de l’Intelligence ; des Sens ; (on réunit quelquefois les deux derniers ouvrages sous le titre de traité de l’Âme) ; des Humeurs ; des Couleurs ; des différentes Figures ; du Changement des figures ; Preuves à l’appui (complément des ouvrages précédents) ; de l’Image, ou de la Providence, des Pestes ou des Maladies pestilentielles, trois livres ; Difficultés. Tels sont les ouvrages sur la physique.

Ouvrages non classés : Causes célestes ; Causes de l’air ; Causes des Plans ; Causes du feu et des divers phénomènes qu’il présente ; Causes de la voix ; Causes des semences, des plantes et des fruits ; Causes des animaux, trois livres ; Causes diverses ; de l’Aimant.

Ouvrages mathématiques : de la Différence d’opinion, ou de la Tangence du cercle et de la sphère ; de la Géométrie ; des Nombres ; des Lignes incommensurables et des solides ; Explications ; la Grande année, ou Tableau astronomique ; Discussion sur la clepsydre ; Uranographie ; Géographie ; Polographie ; Actinographie.

Ouvrages sur la musique : du Rhythme et de l’Harmonie ; de la Poésie ; de la Beauté des Vers ; des Lettres bien et mal sonnantes ; sur Homère, ou de la bonne prononciation et des dialectes ; du Chant ; des Mots ; des Noms.

Sur les arts : Pronostics ; du Régime, ou Théorie médicale ; Causes, sur l’inopportunité et l’opportunité ; de l’Agriculture, ou Géorgiques ; de la Peinture ; de la Tactique et de l’art militaire.

Quelques auteurs donnent des titres particuliers aux ouvrages suivants tirés de ses mémoires : Caractères sacrés de Babylone ; Caractères sacrés de Méroé ; Périple de l’Océan ; de l’Histoire ; Discours chaldéen ; Discours phrygien ; de la Fièvre ; de la Toux ; Principes des lois ; les Sceaux, ou Problèmes. On lui attribue encore d’autres traités ; mais ce sont ou bien de simples extraits de ses livres, ou des ouvrages évidemment supposés.

Il y a eu six Démocrite : le premier est le philosophe en question ; le second est un musicien de Chio, son contemporain ; le troisième un statuaire cité par Antigonus ; le quatrième a écrit sur le temple d’Éphèse et la ville de Samothrace ; le cinquième est un épigrammatiste élégant et fleuri ; le sixième un orateur de Pergame.



CHAPITRE VIII.


PROTAGORAS.

Protagoras était fils d’Artémon, ou de Méandre, suivant Apollodore et Dinon dans les Persiques. Héraclide de Pont dit, dans le traité des Lois, qu’il était d’Abdère et avait donné des lois aux habitants de Thurium ; mais Eupolis dans les Flatteurs, lui donne Téos pour patrie ; car il dit :

Ici dedans est Protagoras de Téos.

Protagoras et Prodicus de Céos faisaient des lectures publiques moyennant salaire. Platon dit à ce sujet, dans le Protagoras, que Prodicus avait une voix forte et sonore. Protagoras fut disciple de Démocrite. Phavorinus dit dans les Histoires diverses qu’on l’avait surnommé Sagesse. Il est le premier qui ait prétendu qu’en toute question on peut soutenir le pour et le contre et qui ait appliqué cette méthode à la discussion. Il commence ainsi un de ses ouvrages : « L’homme est la mesure de toutes choses, de l’être en tant qu’il est, du non-être en tant qu’il n’est pas. » Il enseignait aussi, au dire de Platon dans le Théétète, que l’âme n’est pas distincte des sens et que tout est vrai. Un autre de ses traités commence par ces mots : « Quant aux dieux, je ne puis dire s’ils existent ou non ; bien des raisons m’en empêchent, entre autres l’obscurité de la question et la brièveté de la vie humaine. » Cette proposition le fit expulser par les Athéniens ; ordre fut donné par un héraut à quiconque possédait ses ouvrages de les livrer, et on les brûla sur la place publique. Il est aussi le premier qui ait exigé pour ses leçons un salaire de cent mines. Le premier il a déterminé les parties du temps et expliqué l’importance de l’à-propos. Il institua les luttes oratoires et donna aux jouteurs l’arme du sophisme ; on lui doit aussi l’invention de ces futiles discussions, aujourd’hui en honneur, qui laissent les choses pour ne s’attacher qu’aux mots. C’est là ce qui a fait dire de lui par Timon :

L’insaisissable Protagoras, cet habile disputeur.

On lui doit également l’invention de l’argumentation appelée socratique. Platon dit dans l’Euthydème, qu’il s’est le premier servi des raisonnements par lesquels Antisthène cherchait à établir qu’on ne peut rien contredire. Il est le premier, au dire d’Artémidore le dialecticien dans le traité Contre Chrysippe, qui ait institué l’argumentation régulière sur un sujet donné. Aristote, dans le traité de l’Éducation, lui attribue l’invention des coussinets pour porter les fardeaux ; car il était portefaix, ainsi que l’atteste quelque part Épicure ; on dit même que c’est en le voyant lier un faix de bois que Démocrite conçut pour lui une haute estime. Il a le premier divisé le discours en quatre parties : la prière, l’interrogation, la réponse et l’injonction. D’autres prétendent qu’il distinguait sept parties : narration, interrogation, réponse, injonction, déclaration, prière, invocation, et qu’il appelait ces parties les fondements du discours. Alcidamas au contraire ne distingue que quatre parties du discours : affirmation, négation, interrogation, appellation.

Le premier ouvrage de Protagoras lu par lui en public est son traité sur les Dieux, dont nous avons donné le commencement : il en fit la lecture dans la maison d’Euripide, ou, suivant une autre version, dans celle de Mégaclide. On a aussi prétendu que la lecture en avait été faite au Lycée par un de ses disciples, Archagoras fils de Théodotus. Il fut accusé au sujet de cet ouvrage par Pythodorus, l’un des quatre cents, fils de Polyzélus, ou, suivant Aristote, par Évathlus. Ceux de ses ouvrages qui subsistent encore sont : l’Art de la Discussion ; de la Lutte ; des Sciences ; du Gouvernement ; de l’Ambition ; des Vertus ; de l’organisation première ; des Enfers ; des Mauvaises Actions des hommes ; Préceptes ; Plaidoyer pour le salaire ; deux livres de Contradictions. Platon a composé un dialogue sous le nom de Protagoras.

Philochorus prétend que le vaisseau qui le portait en Sicile périt dans la traversée, et qu’Euripide fait allusion à cet événement dans l’Ixion. Suivant d’autres auteurs, il serait mort pendant la traversée à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Apollodore assure de son côté qu’il ne vécut que soixante ans, sur lesquels il en consacra quarante à la philosophie, et qu’il florissait vers la quatre-vingt-quatrième olympiade. J’ai fait sur lui les vers suivants :

Protagoras, j’ai appris ton sort : tu venais de quitter Athènes lorsque la mort te surprit en chemin dans un âge avancé. Les fils de Cécrops t’avaient exilé ; mais toi, si tu as pu fuir la ville de Pallas, tu n’as point échappé à Pluton.

Un jour, dit-on, il réclamait à Évathlus, son disciple, le salaire de ses leçons ; celui-ci lui ayant répondu : « Je n’ai encore gagné aucune cause, » il répliqua : « Mais moi si je gagne ma cause, je serai payé, et si tu la gagnes je le serai également[15]. »

Il y a eu deux autres Protagoras : un astronome dont Euphorion a fait le panégyrique et un philosophe stoïcien.



CHAPITRE IX.


DIOGÈNE D’APOLLONIE.


Diogène d’Apollonie[16], fils d’Apollothémis, est un des plus célèbres philosophes de l’école physique. Antisthène dit qu’il était disciple d’Anaximène et contemporain d’Anaxagore[17]. Démétrius de Phalère rapporte, dans l’Apologie de Socrate, que la jalousie de ses ennemis faillit lui coûter la vie à Athènes.

Voici sa doctrine : L’air est le principe de toutes choses. Il y a une infinité de mondes[18] et le vide est également infini. L’air produit les mondes en se condensant et en se raréfiant. Rien ne vient du non-être ; rien ne se résout dans le non-être. La terre est ronde, et occupe le milieu du monde ; elle y est fixée par le mouvement circulaire de l’air chaud qui l’environne, et elle doit sa propre consistance à l’action du froid. Le traité de Diogène commence ainsi : « Tout ouvrage doit nécessairement, selon moi, avoir pour point de départ un principe incontestable ; l’exposition doit en être simple et grave. »



CHAPITRE X.


ANAXARQUE.

Anaxarque d’Abdère était disciple de Diogène de Smyrne, ou, suivant d’autres, de Métrodore de Chio, celui qui disait : « Je ne sais pas même que je ne sais rien. » Métrodore avait lui-même eu pour maître Nessus de Chio ; d’autres disent Démocrite.

Anaxarque vivait dans la familiarité d’Alexandre, et

florissait vers la cent dixième olympiade. Il avait pour ennemi Nicocréon, tyran de Chypre. Alexandre lui ayant un jour demandé dans un festin ce qu’il pensait de l’ordonnance du repas, il répondit : « Grand roi, tout y est magnifique ; il n’y manque qu’une seule chose : la tête de certain satrape, » désignant par là Nicocréon. Celui-ci garda souvenir de l’injure, et, après la mort d’Alexandre, Anaxarque ayant été poussé par les vents contraires sur la côte de Chypre, il s’empara de lui, et le fit jeter dans un mortier, pour y être broyé à coups de masse de fer. Ce fut alors qu’Anaxarque, sans s’inquiéter du supplice, prononce ces mots célèbres : « Broie tant que tu voudras l’enveloppe d’Anaxarque, tu ne broieras pas Anaxarque. » Le tyran irrité ordonna de lui arracher la langue ; mais il se la coupa lui-même avec les dents, et la lui cracha au visage. J’ai fait sur lui ces vers :

Broyez, redoublez d’efforts, ce n’est que l’enveloppe ;
Broyez : Anaxarque est depuis longtemps auprès de Jupiter.
Et toi, bientôt tu t’entendras mander par une voix redoutable
La voix de Proserpine qui te dira : «Viens ici, exécrable bourreau. »

On l’avait surnommé l’Eudémonique, à cause de son caractère impassible et de sa tranquillité d’âme. Les orgueilleux trouvaient en lui un censeur plein de sagacité et de finesse ; par exemple il donna cette leçon indirecte à Alexandre, qui se croyait un Dieu : voyant le sang couler d’une blessure qu’il s’était faite, il le lui montra et lui dit : « C’est bien là du sang ; ce n’est pas

Cette liqueur céleste qui coule dans les veines des dieux.[19]

Plutarque met ces mots dans la bouche d’Alexandre lui-même s’adressant à ses amis. Une autre fois, il passa à Alexandre la coupe dans laquelle il venait de boire, et lui dit :

Un dieu sera frappé par la main d’un mortel,[20].



CHAPITRE XI.


PYRRHON.


Pyrrhon d’Élis était fils de Plistarchus, suivant Dioclès. Apollodore dit, dans les Chroniques, qu’il avait d’abord cultivé la peinture ; il s’attacha ensuite, au dire d’Alexandre dans les Successions, à Bryson, fils de Stilpon, et plus tard à Anaxarque dont il devint inséparable. Il l’accompagna jusque dans l’Inde, et visita avec lui les gymnosophistes et les mages. C’est de là qu’il paraît avoir rapporté, comme le dit Ascanius d’Abdère, cette noble philosophie qu’il a le premier introduite en Grèce, l’acatalepsie et la suspension du jugement. Il soutenait que rien n’est honnête ni honteux, juste ni injuste, et de même pour tout le reste ; que rien, en un mot, n’a une nature déterminée et absolue, et que les actions des hommes n’ont pas d’autre principe que la loi et la coutume, puisqu’une chose n’a pas plus tel caractère que tel autre. Sa conduite était d’accord avec sa doctrine : il ne se détournait, ne se dérangeait pour rien ; il suivait sa route quelque chose qui se rencontrât, chariots, précipices, chiens, etc. ; car il n’accordait aucune confiance aux sens. Heureusement, dit Antigonus de Caryste, ses amis l’accompagnaient partout et l’arrachaient au danger. Cependant Énésidème assure que, tout en proclamant dans la théorie la suspension du jugement, il n’agissait pas indistinctement et au hasard. Il vécut jusqu’à l’âge de quatre-vingt-dix ans.

Antigonus de Caryste, dans le livre intitulé Pyrrhon, donne sur lui les détails suivants : « Il avait d’abord été peintre, mais pauvre et obscur. On conserve même dans le gymnase d’Élis des lampadophores assez médiocres de sa composition. Il voyageait souvent, recherchait la solitude, et ne se montrait que rarement dans sa patrie. Il se réglait en cela sur ce qu’il avait entendu dire à un Indien qui reprochait à Anaxarque son assiduité dans le palais des rois, et le peu de soin qu’il prenait de former les hommes à la vertu. Il avait une égalité d’âme inaltérable, si bien que, quand on l’abandonnait au milieu d’un discours, il n’en continuait pas moins à parler ; et cependant il avait eu dans sa jeunesse un caractère bouillant et emporté. Souvent il se mettait en voyage, sans prévenir personne de son dessein, et prenait pour compagnons de route ceux qui lui agréaient. Un jour qu’Anaxarque était tombé dans un bourbier, il continua son chemin sans le secourir ; quelqu’un lui en fit reproche, mais Anaxarque lui-même loua le calme inaltérable et l’impassibilité de son caractère. Une autre fois on le surprit à parler tout seul, et, comme on lui en demandait la raison, il répondit : Je médite sur les moyens de devenir homme de bien. Dans les discussions, on prisait beaucoup sa manière, parce que ses réponses, justement appropriées aux questions, allaient toujours au but. C’est par là qu’il séduisit Nausiphane tout jeune encore. Nausiphane prétendait qu’il fallait suivre Pyrrhon pour le fond mais n’avoir d’autre guide que soi-même pour l’expression. Il racontait aussi qu’Épicure l’interrogeait souvent sur le compte de Pyrrhon, dont il admirait la vie et le caractère. »

Pyrrhon excita à un si haut point l’admiration, que ses concitoyens lui conférèrent les fonctions de grand prêtre et rendirent en sa faveur un décret qui exemptait d’impôts les philosophes. Aussi son système de l’indifférence eut-il de nombreux partisans. Timon a dit de lui à ce sujet, dans le Python et dans les Silles :

Noble vieillard, ô Pyrrhon, comment et par quelle route as-tu pu t’échapper au milieu de cet esclavage des doctrines et des futiles enseignements des sophistes ? Comment as-tu brisé les liens de l’erreur et de la croyance servile ? Tu ne t’épuises pas à scruter la nature de l’air qui enveloppe la Grèce, l’origine et la fin de toutes choses.

Et ailleurs dans les Images :

Ô Pyrrhon, je désire ardemment apprendre de toi comment, encore sur la terre, tu mènes cette vie heureuse et tranquille ; comment seul, parmi les mortels, tu jouis de la félicité des dieux.

Dioclès dit que les Athéniens lui accordèrent ledroit de cité pour avoir tué Cotys de Thrace[21]. Il vivait dans une chaste intimité avec sa sœur qui était sage-femme, suivant Érathostène dans le traité de la Richesse et de la Pauvreté. Il portait lui-même au marché, quand cela se rencontrait, la volaille et les cochons de lait à vendre ; indifférent à tout, il nettoyait les ustensiles de ménage, et même il lavait la truie, à ce qu’on assure. Un jour qu’il s’était emporté contre sa sœur Philista, on lui fit remarquer cette inconséquence : « Ce n’est pas d’une femmelette, dit-il, que dépend la preuve de mon indifférence. » Une autre fois on lui reprochait de s’être mis en garde contre un chien qui l’attaquait ; il répondit qu’il était difficile de dépouiller entièrement l’humanité, mais qu’il fallait faire tous ses efforts pour mettre sa conduite en harmonie avec les choses, ou, si on ne le pouvait pas, pour y approprier du moins ses discours. On rapporte qu’une blessure qu’il avait nécessita l’emploi des révulsifs et même l’usage du fer et du feu, et qu’on ne le vit point sourciller pendant l’opération. Timon a bien dépeint son caractère dans l’écrit à Pithon. Philon d’Athènes, un de ses amis, raconte qu’il citait fréquemment Démocrite et Homère pour lesquels il professait une haute admiration. Il avait sans cesse à la bouche ce vers du poëte :

Les hommes sont semblables aux feuilles des arbres[22].

Il aimait aussi la comparaison qu’il fait des hommes avec les guêpes, les mouches et les oiseaux. Il citait également ces vers :

Mais toi, meurs à ton tour. Pourquoi gémir ainsi ? Patrocle est mort, et il valait mieux que toi[23] ;


et tous ceux qui expriment la fragilité, la vanité et la futilité des choses humaines.

Posidonius rapporte de lui le trait suivant : surpris par une tempête, et voyant ses compagnons consternés, il resta calme et, pour relever leur courage, il leur montra un pourceau qui mangeait à bord du vaisseau, et leur dit que le sage devait avoir la même tranquillité et la même confiance. Numenius est le seul qui ait prétendu qu’il avait des dogmes positifs.

Pyrrhon a eu des disciples célèbres, entre autres Euryloque, dont on cite ce trait d’inconséquence : Un jour, dit-on, il s’irrita tellement contre son cuisinier, qu’il saisit une broche chargée de viande et le poursuivit ainsi jusqu’à la place publique. Une autre fois, fatigué des questions qu’on lui adressait dans une discussion à Élis, il jeta son manteau et se sauva en traversant l’Alphée à la nage. Timon dit qu’il était l’ennemi déclaré des sophistes ; Philon, au contraire, aimait à discuter ; de là ces vers de Timon :

Fuyant les hommes, tout entier à l’étude, il converse avec lui-même,
Sans s’inquiéter de la gloire et des disputes où se complaît Philon.

Pyrrhon eut encore pour disciples Hécatée d’Abdère, Timon de Phlionte, l’auteur des Silles, dont nous parlerons plus tard, et Nausiphane de Téos, que quelques-uns donnent pour maître à Épicure. Tous ces philosophes s’appelaient pyrrhoniens, du nom de leur maître, ou bien encore aporétiques[24], sceptiques[25], éphectiques[26] et zététiques[27]. Ils s’appelaient zététiques parce qu’ils cherchaient partout la vérité ; sceptiques, parce qu’ils examinaient toujours sans jamais trouver ; le nom d’éphectiques indiquait le résultat de leurs recherches, c’est-à-dire la suspension du jugement ; enfin on les nommait aporétiques, parce qu’ils prétendaient que les dogmatiques cherchaient la vérité sans l’avoir rencontrée encore, et qu’eux-mêmes ne faisaient pas autre chose. Théodose prétend, dans les Sommaires sceptiques, que la philosophie sceptique ne doit pas être appelée pyrrhonienne ; « car, dit-il, puisque d’après les principes du scepticisme il est impossible de connaître les pensées d’un autre, nous ne pouvons pas connaître les sentiments de Pyrrhon, et par conséquent nous ne pouvons nous nommer pyrrhoniens. » Il ajoute que Pyrrhon d’ailleurs n’est pas l’inventeur du scepticisme et qu’il n’avait aucun dogme ; que par conséquent le titre de pyrrhonien indique tout au plus une analogie de sentiments.

Quelques-uns prétendent qu’Homère est le premier auteur de ce système, parce que, plus qu’aucun autre écrivain, il exprime sur les mêmes choses des idées différentes, sans jamais rien affirmer ni définir expressément. Ils trouvent aussi le scepticisme chez les sept sages, par exemple dans cette maxime : Rien de trop ; et dans cette autre : Caution, ruine prochaine, indiquant que faire une promesse positive c’est s’exposer à quelque malheur. Archiloque et Euripide sont aussi sceptiques, suivant eux, Archiloque pour avoir dit :

Cher Glaucus, fils de Leptine, les opinions des mortels changent avec les jours que leur envoie Jupiter ;

Euripide pour ces vers :

Misérables mortels ! pourquoi parler de notre sagesse ? Nous

dépendons de toi en toutes choses ; nous ne faisons qu’obéir à ta volonté[28].

Ils rangent encore parmi les sceptiques Xénophane, Zénon d’Élée et Démocrite ; Xénophane, parce qu’il dit :

Personne n’a jamais su, personne ne saura clairement la vérité.

Zénon parce qu’il supprime le mouvement en disant : « L’objet en mouvement ne se meut ni dans le lieu où il est ni dans celui où il n’est pas. » Démocrite, parce qu’il nie l’existence des qualités lorsqu’il dit : « Le froid et le chaud, tout cela dépend de l’opinion ; en réalité il n’y a que les atomes et le vide ; » et ailleurs : « Nous ne savons rien absolument ; la vérité est au fond d’un abîme. »

Platon, suivant eux, attribue la connaissance de la vérité aux dieux et aux fils des dieux ; il ne laisse aux hommes que la recherche de la vraisemblance. Euripide dit encore :

Qui sait si la vie n’est pas la mort,
Si la mort n’est pas ce que les mortels appellent la vie ?


Empédocle dit de son côté :

L’homme ne peut ni voir ni entendre ces choses ; elles échappent à son intelligence ;

et plus bas : N’ajoutons foi qu’aux idées qui se présentent à chacun de nous.

Ils citent aussi ces paroles d’Héraclite : « Sur les plus hautes questions ne faisons point de conjectures téméraires. » Ils invoquent encore Hippocrate, qui dit que « toute opinion est douteuse et purement humaine. » Enfin ils citent Homère qui avait dit avant tous ces auteurs[29] :

La langue des mortels est changeante, inconstante en ses discours ;
et :

On peut parler beaucoup dans un sens et dans l’autre ;
et :

Telles seront vos paroles, telle sera la réponse.

Ce qui veut dire que les raisons pour et contre ont même valeur.

Les sceptiques combattaient les doctrines de toutes les écoles et n’en proposaient aucune pour leur compte. Ils se contentaient d’énoncer, d’exposer les opinions des autres, sans rien affirmer eux-mêmes, pas même qu’ils n’affirmaient rien. Dire « nous n’affirmons rien » c’eût été déjà affirmer quelque chose ; ils supprimaient donc jusqu’à cette dernière affirmation. « Nous énonçons, disaient-ils, les doctrines des autres pour montrer notre complète indifférence ; c’est comme si nous exprimions la même chose par un simple signe. Ainsi ces mots nous n’affirmons rien, indiquent l’absence de toute affirmation, comme ces autres propositions : Pas plus une chose qu’une autre, — À toute raison est opposée une raison égale, et toutes les maximes semblables. » Les mots pas plus que, ont quelquefois un sens affirmatif et indiquent l’égalité de certaines choses ; dans cette phrase par exemple : Le pirate n’est pas plus méchant que le menteur. Mais les sceptiques les prennent dans un sens purement négatif, comme quand on conteste une chose et qu’on dit : Il n’y a pas plus de Scylla que de Chimère. Le mot plus exprime aussi la comparaison : Le miel est plus doux que le raisin. Il peut encore avoir une signification tout à la fois affirmative et négative ; ainsi cette phrase : La vertu est plus utile que nuisible, signifie que la Vertu est utile et qu’elle n’est pas nuisible. Du reste les sceptiques supprimaient même le principe : Pas plus une chose qu’une autre. « De même, disaient-ils, que la proposition : Il y a une providence, n’est pas plus vraie que fausse, de même aussi il n’y a pas plus de vérité que de fausseté dans le principe : Pas plus une chose qu’une autre. » Ces mots expriment simplement, suivant Timon dans le Python, l’absence de toute affirmation, l’abstention du jugement. De même aussi cette proposition : À toute raison, etc., entraîne la suspension du jugement ; car du moment où, les choses étant différentes, les raisons opposées ont la même valeur, il s’ensuit que la vérité ne peut être connue.

Du reste à cette assertion elle-même est opposée une assertion contraire, qui, après avoir détruit toutes les autres, se tourne contre elle-même et se détruit, semblable à ces purgatifs qui, après avoir débarrassé l’estomac, sont rejetés eux-mêmes sans laisser de traces. Aussi les dogmatiques prétendent-ils que tous ces raisonnements, bien loin d’ébranler l’autorité de la raison, ne font que la confirmer. À cela les sceptiques répondent qu’ils ne se servent de la raison que comme d’un instrument, parce qu’il n’est pas possible de renverser l’autorité de la raison sans employer la raison. C’est ainsi que pour dire que l’espace n’existe pas, il faut employer le mot espace ; mais alors c’est dans un sens négatif, et non dogmatiquement. De même encore pour dire que la nécessité n’est cause de rien, il faut nommer la nécessité. C’est de la même manière que les sceptiques disent que les choses ne sont point en elles-mêmes ce qu’elles nous paraissent, et que tout ce qu’on peut en affirmer, c’est qu’elles paraissent telles. « Nous doutons, disent-ils, non pas de ce que nous pensons, — car notre pensée est pour nous évidente, — mais de la réalité des choses qui nous sont connues par les sens. »

Le système pyrrhonien est donc « une simple exposition des apparences, ou des notions de toute espèce, au moyen de laquelle, comparant toute chose à toute chose, on arrive à ce résultat qu’il n’y a entre ces notions que contradiction et confusion. » Telle est la définition qu’en donne Énesidème dans l’Introduction au Pyrrhonisme. Quant à la contradiction des doctrines, après avoir montré d’abord comment et par quelles raisons les objets obtiennent notre assentiment, ils s’appuient sur ces raisons mêmes pour détruire toute croyance à l’existence de ces objets. Ainsi ils disent que nous regardons comme certaines les choses qui produisent toujours des impressions analogues sur les sens, celles qui ne trompent jamais ou ne trompent que rarement, celles qui sont habituelles ou établies par les lois, celles qui nous plaisent ou excitent notre admiration ; ensuite ils prouvent que les raisons opposées à celles sur lesquelles se fonde notre assentiment méritent une égale créance.

Les difficultés qu’ils élèvent relativement à l’accord des apparences sensibles ou des notions, forment dix tropes ou arguments dont l’objet est d’établir que le sujet et l’objet de la connaissance changent sans cesse. Voici ces dix tropes, tels que les propose Pyrrhon :

Le premier porte sur la différence qu’on remarque entre les sentiments des animaux, eu égard au plaisir, à la douleur, à ce qui est nuisible et utile. On en conclut que les mêmes objets ne produisant pas les mêmes impressions, cette différence est pour nous une raison de suspendre notre jugement. En effet, parmi les animaux, les uns sont produits sans accouplement, comme ceux qui vivent dans le feu, le phénix d’Arabie et les vers ; pour d’autres au contraire, par exemple l’homme et les autres animaux, cette condition est nécessaire ; de plus leur constitution diffère, et de là de nombreuses inégalités entre leurs sens : l’épervier a la vue perçante, le chien l’odorat subtil ; or il est évident que si les sens diffèrent, les images qu’ils transmettent diffèrent également. Les chèvres broutent les jeunes branches que l’homme trouve amères ; les cailles mangent la ciguë qui est un poison pour l’homme ; le fumier répugne au cheval et le porc s’en nourrit.

Le second trope a trait à la constitution de l’homme et à la différence des tempéraments : ainsi Démophon, maître d’hôtel d’Alexandre, avait chaud à l’ombre et froid au soleil. Andron d’Argos traversait sans boire les déserts brûlants de la Libye, au rapport d’Aristote. Celui-ci est porté à la médecine, un autre a du goût pour l’agriculture, un troisième pour le commerce. Ce qui nuit aux uns est utile aux autres ; il faut donc s’abstenir de prononcer.

Le troisième a pour objet la différence des organes des sens : une pomme est jaune à la vue, douce au goût, agréable à l’odorat ; un même objet affecte différentes formes quand il est vu dans des miroirs différents ; d’où il suit qu’il n’y a aucune raison de croire qu’il est tel qu’il paraît et non autre.

Le quatrième s’appuie sur les dispositions du sujet et les diverses modifications qu’il subit, par exemple la santé, la maladie, le sommeil, la veille, la joie, la tristesse, la jeunesse, la vieillesse, la confiance, la crainte, le besoin, l’abondance, la haine, l’amitié, le chaud, le froid, la respiration facile, l’obstruction du canal respiratoire. Les objets nous paraissent différents suivant les dispositions du moment ; la folie elle-même n’est pas un état contre nature ; car qui nous prouve de quel côté est la raison, de quel côté la folie ? Nous-mêmes ne voyons-nous pas le soleil immobile ? Le stoïcien Théon de Tithora se promenait tout endormi sur le haut d’un toit ; un esclave de Périclès en faisait autant.

Le cinquième trope porte sur les institutions, les lois, la croyance aux mythes religieux, les conventions particulières à chaque nation, les opinions dogmatiques. Il embrasse tout ce qui a rapport au vice et à l’honnêteté, au vrai et au faux, au bien et au mal, aux dieux, à la production et à la destruction de toutes choses. Ainsi la même action est juste pour les uns, injuste pour les autres, bonne ici, mauvaise ailleurs. Les Perses trouvent tout naturel d’épouser leur sœur ; aux yeux des Grecs, c’est un sacrilége. Les Massagètes, suivant Eudoxe, dans le Ier livre du Tour du Monde, admettent la communauté des femmes ; les Grecs la réprouvent. Les Ciliciens approuvent le vol ; les Grecs le condamnent. Autres pays, autres dieux : les uns croient à la providence, les autres non ; les Égyptiens embaument leurs morts ; les Romains les brûlent ; les Péoniens les jettent dans des marais. Autant de motifs pour ne rien prononcer sur la vérité.

Le sixième se tire du mélange et de la confusion des objets : aucune chose ne nous apparaît en elle-même et sans mélange ; elle est unie à l’air, à la lumière, à l’humidité, à la solidité, à la chaleur, au froid, au mouvement, à des vapeurs, à mille autres forces. La pourpre ne paraît pas avoir la même couleur au soleil qu’à la lumière de la lune ou à celle d’une lampe. La couleur de notre corps n’est pas la même à midi et au coucher du soleil. Une pierre qu’on ne peut soulever dans l’air est facilement déplacée dans l’eau, soit parce qu’elle est lourde en elle-même, et que l’eau la rend légère, soit parce que, légère en elle-même, elle est rendue pesante par l’air. De même donc que nous ne pouvons discerner l’huile dans un onguent, de même aussi il nous est impossible de démêler les qualités propres de chaque chose.

Le septième est relatif aux distances, à la position, à l’espace et aux objets qui sont dans l’espace. On établit dans ce trope que ce que nous croyons grand semble petit dans certains cas ; ce que nous croyons carré semble rond ; ce qui est uni paraît couvert d’aspérités ; le droit semble courbe ; le jaune offre l’apparence d’une autre couleur ; le soleil nous paraît petit à cause de la distance ; les montagnes, vues de loin, ressemblent à des masses aériennes parfaitement polies ; de près, elles sont âpres et abruptes. Le soleil n’a pas la même apparence à son lever et au milieu de sa course. L’aspect d’un même corps varie suivant qu’on le voit dans une forêt ou en rase campagne. Les images des objets changent selon leur position par rapport à nous : le cou de la colombe se nuance diversement si on l’examine de différents points. Comme, d’un autre côté, on ne peut connaître les choses abstraction faite du lieu et de la position, leur nature véritable nous échappe.

Le huitième trope se tire des qualités des choses, de leur température plus ou moins élevée, de la vitesse et de la lenteur de leur mouvement, de leur teinte plus ou moins pâle, plus ou moins colorée : ainsi le vin, pris modérément, fortifie ; pris avec excès, il énerve ; de même pour la nourriture et les choses analogues.

Le neuvième est relatif à la fréquence et à la rareté des choses, à leur étrangeté. Les tremblements de terre n’excitent aucun étonnement là où ils sont communs ; le soleil ne nous frappe pas, parce que nous le voyons chaque jour. Ce neuvième trope est placé au huitième rang par Phavorinus, et au dixième par Sextus et Énésidème. Le dixième devient le huitième dans Sextus, et le neuvième dans Phavorinus.

Le dixième a rapport à la comparaison des choses entre elles ; par exemple du léger avec le lourd, du fort avec le faible, du grand avec le petit, du haut avec le bas ; ainsi ce que nous appelons la droite n’a pas ce caractère d’une manière absolue ; un objet ne paraît à droite qu’en vertu de sa position par rapport à un autre ; que celui-ci se déplace, et le premier ne sera plus à droite. De même encore les notions de père et de frère sont purement relatives ; le jour est relatif au soleil ; tout est relatif à la pensée ; donc rien ne peut être connu en soi, tout étant relatif.

Tels sont les dix tropes pyrrhoniens.

Agrippa en ajoute cinq autres à ceux-ci ; il les tire de la différence des doctrines, de la nécessité de remonter à l’infini d’un raisonnement à un autre, des rapports, du caractère des principes et de la réciprocité des preuves. Celui qui a pour objet la différence des doctrines montre que toutes les questions que se proposent les philosophes ou qu’on agite généralement sont pleines d’incertitudes et de contradictions. Celui qui se tire de l’infinité établit qu’il est impossible d’arriver jamais, dans ses recherches, à une vérité incontestable, puisqu’une vérité est établie au moyen d’une autre, et ainsi à l’infini. L’argument emprunté aux rapports repose sur ce que jamais un objet n’est perçu isolément et en lui-même, mais bien dans ses rapports avec d’autres ; il est donc impossible de le connaître. Celui qui porte sur les principes est dirigé contre ceux qui prétendent qu’il faut accepter les principes des choses en eux-mêmes, et les croire sans examen ; opinion absurde, car on peut tout aussi bien poser des principes contraires à ceux-là. Enfin celui qui est relatif aux preuves réciproques s’applique toutes les fois que la preuve de la vérité cherchée suppose préalablement la croyance à cette vérité : par exemple si, après avoir prouvé la porosité des corps par l’émanation, on prouve ensuite l’émanation par la porosité.

Les sceptiques suppriment toute démonstration, tout criterium du vrai, aussi bien que les signes, les causes, le mouvement ; ils nient la possibilité de la science, la production et la destruction, la réalité du bien et du mal. Toute démonstration, disent-ils, s’appuie ou sur des choses qui se démontrent elles-mêmes ou sur des principes indémontrables ; si sur des choses qui se démontrent, celles-ci ont besoin elles-mêmes de démonstrations, et ainsi à l’infini ; si sur des principes indémontrables, du moment où la totalité de ces principes, ou seulement un certain nombre, un seul même, est mal établi, toute la démonstration croule à l’instant. Que si on suppose, disent-ils encore, qu’il y a des principes qui n’ont pas besoin de démonstration, on s’abuse étrangement en ne voyant pas qu’il faudrait d’abord démontrer ce point, à savoir que certaines choses emportent avec elles une certitude directe et immédiate ; car on ne saurait prouver qu’il y a quatre éléments par la raison qu’il y a quatre éléments. D’un autre côté, si, dans une démonstration complexe, on conteste les preuves partielles, on rejette par cela même l’ensemble de la démonstration. Bien plus, pour reconnaître qu’il y a démonstration, il faut un criterium, et, pour établir un criterium, il faut une démonstration, deux choses qui échappent à toute certitude, puisqu’elles se ramènent réciproquement l’une à l’autre. Comment donc pourra-t-on arriver à la certitude sur les choses obscures, si on ignore même comment il faut démontrer ? Car ce qu’on cherche à connaître, ce ne sont pas les apparences des choses, mais leur nature et leur essence.

Ils traitent d’absurdes les dogmatiques, en disant que les conclusions tirées par eux de leurs principes, ne sont pas des vérités scientifiques et démontrées, mais bien de simples suppositions ; que par la même méthode on pourrait établir des choses impossibles. Ils disent encore que ceux qui prétendent qu’il ne faut pas juger les choses par leur entourage et leurs accessoires, mais prendre pour règle leur nature même, ne s’aperçoivent pas, dans leur prétention à donner la mesure et la définition exacte de toutes choses, que si les objets offrent telle ou telle apparence, cela tient uniquement à leur position et à leur arrangement relatif. Ils concluent de là qu’il faut dire ou que tout est vrai ou que tout est faux ; car si certaines choses seulement sont vraies, comment les reconnaître ? Évidemment ce ne seront pas les sens qui jugeront les choses sensibles ; car toutes les apparences ont pour les sens une égale valeur ; ce ne sera pas davantage l’entendement, par la même raison. Mais en dehors de ces deux facultés, on ne trouve aucun autre critérium. Ainsi, disent-ils, si l’on veut arriver à quelque certitude relativement aux données sensibles ou intelligibles, on devra d’abord établir les opinions antérieurement émises à propos de ces données ; car ces opinions sont contradictoires ; il faudra ensuite les apprécier au moyen des sens ou de l’entendement ; mais l’autorité de ces deux facultés est contestée. Il devient donc impossible de porter un jugement critique sur les opérations des sens et de l’entendement.

D’un autre côté, la lutte des diverses opinions nous condamnant à la neutralité, la mesure qu’on croyait devoir appliquer à l’appréciation de tous les objets, est par là même enlevée, et on doit accorder à toutes choses une égale valeur.

« Nos adversaires nous diront peut-être[30] : « Les apparences sont-elles fidèles ou trompeuses ? » Nous répondons que si elles sont fidèles, ils n’ont rien à objecter à ceux qui se rendent à l’apparence contraire à celle qu’ils adoptent eux-mêmes ; car s’ils sont croyables lorsqu’ils disent ce qui leur semble vrai, celui auquel semble le contraire, l’est également ; que si les apparences sont trompeuses, ils ne méritent eux-mêmes aucune confiance lorsqu’ils avancent ce qui leur paraît vrai. Il ne faut pas croire d’ailleurs qu’une chose soit vraie par cela seul qu’elle obtient l’assentiment ; car tous les hommes ne se rendent pas aux mêmes raisons ; le même individu ne voit pas toujours de la même manière. La persuasion tient souvent à des causes extérieures, à l’autorité de celui qui parle, à son habileté, à la douceur de son langage, à l’habitude, au plaisir. »

Ils suppriment encore le criterium du vrai par ce raisonnement : ou le criterium a été contrôlé lui-même, ou il n’est pas susceptible de l’être ; dans ce dernier cas, il ne mérite aucune confiance et ne peut servir à discerner le vrai du faux ; si au contraire il a été contrôlé, il rentre dans la classe des choses particulières qui ont besoin d’un criterium, et alors juger et être jugé sont une seule et même chose ; le criterium qui juge est jugé par un autre, celui-ci par un troisième et ainsi à l’infini. Ajoutez à cela, disent-ils, qu’on n’est pas même d’accord sur la nature de ce criterium du vrai : les uns disent que le criterium c’est l’homme, les autres les sens ; ceux-ci mettent en avant la raison, ceux-là la représentation cataleptique. Quant à l’homme, il est en désaccord et avec lui-même et avec les autres, comme le prouve la diversité des lois et des coutumes ; les sens sont trompeurs, la raison est en désaccord avec elle-même, la représentation cataleptique est jugée par l’intelligence, et l’intelligence est changeante ; donc on ne peut trouver aucun criterium, et par suite la vérité nous échappe.

Il n’y a pas non plus de signes. Car s’il y a des signes, disent-ils, ils sont ou sensibles ou intelligibles : ils ne sont pas sensibles ; car tout ce qui est sensible est général, et le signe est quelque chose de particulier ; de plus l’objet sensible a une existence propre, le signe est relatif. Le signe n’est pas non plus intelligible, car dans ce cas il doit être ou la manifestation visible d’une chose visible, ou la manifestation invisible d’une chose invisible, ou le signe invisible d’une chose visible ou le signe visible d’une chose invisible ; rien de tout cela n’est possible. Donc il n’y a pas de signes. En effet il n’est pas le signe visible d’une chose visible ; car ce qui est visible n’a pas besoin de signe ; il n’est pas non plus le signe invisible d’une chose invisible ; car quand une chose est manifestée par le moyen d’une autre, elle doit devenir visible. Il n’y a pas davantage de signes invisibles d’objets visibles ; car ce qui aide à la perception d’autre chose doit être visible. Enfin il n’est pas la manifestation visible d’une chose invisible ; car le signe étant une chose toute relative, doit être perçu dans ce dont il est le signe, et cela n’est pas. Il suit donc de là que rien de ce qui n’est pas évident de soi, ne peut être perçu ; car on considère les signes comme aidant à percevoir ce qui n’est pas évident par soi-même.

Ils suppriment également l’idée de cause au moyen de ce raisonnement : la cause est quelque chose de relatif ; elle est relative à ce dont elle est cause ; mais ce qui est relatif est seulement conçu et n’a pas d’existence réelle ; l’idée de cause est donc une pure conception ; car à titre de cause elle doit être cause de quelque chose ; autrement elle ne serait pas cause. De même que le père ne peut être père s’il n’existe pas un être par rapport auquel on lui donne ce titre, de même aussi pour la cause. Or il n’existe rien relativement à quoi la cause puisse être conçue comme cause ; car il n’y a ni production ni destruction, ni rien de pareil, donc il n’y a pas de cause. Admettons cependant qu’il y ait des causes : ou bien le corps sera cause du corps, ou bien l’incorporel de l’incorporel ; ni l’un ni l’autre n’est possible ; donc il n’y a pas de cause ; en effet le corps ne peut être cause d’un autre corps, puisqu’ils ont l’un et l’autre même nature ; si l’on disait que l’un est cause, en tant que corps, l’autre serait aussi cause au même titre ; on aurait donc deux causes réciproques, deux agents et point de patient. L’incorporel n’est pas cause de l’incorporel, par les mêmes raisons. L’incorporel n’est pas cause non plus du corps ; car rien d’incorporel ne peut produire un corps. Le corps ne peut pas davantage être cause de l’incorporel ; car dans toute production il doit y avoir une matière passive ; mais l’incorporel étant par sa nature à l’abri de toute passivité, ne peut être l’objet d’aucune production ; donc il n’y a pas de cause. D’où il résulte que les premiers principes de toutes choses n’ont aucune réalité ; car qui dit principe dit agent et cause efficiente.

Il n’y a pas non plus de mouvement, car l’objet en mouvement doit se mouvoir ou dans le lieu où il est, ou dans celui où il n’est pas. Dans le lieu où il est, c’est impossible ; dans celui où il n’est pas, même impossibilité ; donc il n’y a pas de mouvement.

Ils suppriment aussi toute science. Si quelque chose peut être enseigné, disent-ils, c’est ou l’être en tant qu’être, ou le non-être en tant que non-être ; mais l’être en tant qu’être ne s’enseigne pas ; car il est dans la nature de l’être de se manifester et de se faire connaître directement à tous ; il en est de même du non-être en tant que non-être, car le non-être n’a aucun attribut ; par conséquent il n’est pas susceptible d’être enseigné.

Il n’y a pas de production, disent-ils encore : l’être n’est pas produit ; il est ; le non-être pas davantage, puisqu’il n’a aucune réalité ; ce qui n’est pas, ce qui n’a aucune existence réelle, ne peut être produit.

Le bien et le mal n’ont pas non plus une existence absolue ; car si quelque chose est bien ou mal en soi, il doit être tel pour tout le monde, comme la neige est froide pour tous. Mais bien loin de là, il n’y a pas une seule chose que l’on s’accorde universellement à déclarer bonne ou mauvaise. Donc le bien et le mal n’existent pas absolument. En effet, il faut ou déclarer bien ce qui semble tel à chacun, ou faire un choix ; la première supposition est impossible ; car ce que l’un déclare bien, l’autre le trouve mal ; Épicure veut que le plaisir soit un bien ; c’est un mal pour Antisthène ; il s’en suivrait que la même chose est bonne et mauvaise. Si au contraire on ne regarde pas comme bien tout ce à quoi l’on a donné ce titre, il faudra faire un choix entre les doctrines, ce qui est impossible, les arguments contraires ayant même valeur. Il est donc impossible de connaître le bien en soi.

Du reste on peut étudier tout l’ensemble de leur système dans leurs propres écrits. Pyrrhon n’a rien écrit ; mais ses disciples, Timon, Énésidème, Numénius, Nausiphane et les autres, ont laissé des ouvrages.

Les dogmatiques opposent aux Pyrrhoniens que, contrairement à leurs principes, ils admettent certaines notions, et sont eux-mêmes dogmatiques. Car alors même qu’ils ne paraissent que réfuter les autres, ils énoncent une opinion, et par conséquent ils affirment et professent certains dogmes. En effet, quand ils disent qu’ils n’affirment rien, qu’à toute raison est opposée une raison égale, ce sont déjà là des affirmations, des assertions dogmatiques. À cela ils répondent : « Nous reconnaissons parfaitement que comme hommes nous éprouvons certains sentiments ; ainsi nous avouons qu’il fait jour, que nous vivons, nous ne contestons aucune des apparences dont se compose la vie ; mais à l’égard des principes que les dogmatiques établissent par le raisonnement, et qu’ils prétendent percevoir avec certitude, nous nous abstenons ; nous déclarons ces principes obscurs et n’admettons comme réelles que nos propres impressions[31]. »

« Ainsi nous reconnaissons que nous voyons ; nous savons que nous pensons ; mais comment voyons-nous ? comment pensons-nous ? nous ne le savons pas. Nous disons, comme simple expression d’un sentiment, que tel objet nous paraît blanc ; mais nous n’affirmons pas qu’il le soit réellement. Quant à l’expression : Je ne définis rien, et toutes les autres du même genre, elles n’ont dans notre bouche aucune valeur dogmatique. Il n’y a aucune analogie en effet entre cette proposition et un principe comme celui-ci : Le monde est sphérique. Dans le dernier cas on affirme une chose incertaine ; nous, au contraire, nous faisons simplement l’aveu de nos incertitudes ; en disant que nous n’affirmons rien, nous n’affirmons pas même cette dernière proposition. »

Les dogmatiques leur reprochent encore de supprimer la vie en rejetant tout ce dont elle se compose ; mais ils repoussent cette nouvelle imputation comme mensongère « Nous ne supprimons pas la vision, disent-ils, mais nous ignorons comment elle s’accomplit ; nous acceptons l’apparence, mais sans affirmer qu’elle réponde à la réalité. Nous sentons que le feu brûle, mais quant à dire qu’il est dans son essence de brûler, nous nous abstenons. Nous voyons qu’un homme est en mouvement et qu’il meurt, mais nous ignorons comment cela se fait. Nos raisonnements ne tombent que sur les conséquences incertaines que l’on tire des apparences. Lorsque l’on dit qu’une image offre des saillies, on ne fait qu’exprimer une apparence ; mais lorsque l’on affirme qu’elle n’a pas de saillies, alors on ne se tient plus à l’apparence, on exprime autre chose. » C’est pour cela que Timon dit dans le Python, qu’il ne détruit point l’autorité de la coutume ; il dit encore dans les Images :

L’apparence est reine et maîtresse partout où elle se présente ;


et à propos des sens : « Je n’affirme pas que tel objet est doux, mais je déclare qu’il me semble tel. » Énésidème assure également dans le premier livre des Discours pyrrhoniens, que « Pyrrhon ne posait jamais aucune assertion dogmatique, à cause de l’équivalence des raisons contraires, mais qu’il s’en tenait aux apparences. » On retrouve la même idée dans le livre Contre la Sagesse et dans le traité de la Recherche. Zeuxis, ami d’Énésidème, dans le traité des Raisons Pour et Contre, Antiochus de Laodicée et Apellas, dans l’Agrippa, s’en tiennent également à l’apparence. D’où il suit qu’aux yeux des sceptiques le criterium est l’apparence. C’est ce qu’enseigne d’ailleurs expressément Énésidème. Telle est aussi l’opinion d’Épicure. Démocrite prétend, au contraire, qu’il n’y a aucun criterium des apparences, et qu’elles-mêmes ne sont pas le criterium du vrai.

Les dogmatiques attaquent ce criterium tiré de l’apparence, en disant que les mêmes objets présentent quelquefois des apparences différentes, qu’une tour peut paraître ronde et carrée, que par conséquent si le sceptique ne se détermine pas entre ces apparences diverses, il n’agira point ; que si au contraire il préfère l’une ou l’autre, il n’accordera plus aux apparences une valeur égale. Les sceptiques répondent à cela qu’en présence d’apparences différentes, ils se contentent de dire qu’il y a plusieurs apparences, et que c’est précisément parce que les choses apparaissent avec divers caractères qu’ils prennent pour guides les apparences.

La fin de l’homme pour les sceptiques est la suspension du jugement, laquelle est suivie de la sérénité de l’âme, comme de son ombre, suivant l’expression de Timon et d’Énésidème. En effet, nous n’avons pas à éviter ou à rechercher les choses qui dépendent de nous-mêmes ; quant à celles qui ne tiennent pas à nous, mais à la nécessité, comme la faim, la soif, la douleur, nous ne pouvons les éviter, car la raison n’a pas de prise sur elles. Les dogmatiques objectent que le sceptique ne refusera pas même de tuer son père[32], si on le lui ordonne. À cela, ils répondent qu’ils peuvent parfaitement vivre, sans s’inquiéter des spéculations des philosophes dogmatiques ; mais qu’il n’en est pas de même des choses qui ont rapport à la conduite et à la conservation de la vie. Aussi, disent-ils, nous évitons certaines choses, nous recherchons les autres, suivant en cela la coutume ; nous obéissons aux lois.

Quelques auteurs prétendent que la fin de l’homme, pour les sceptiques, est l’impassibilité ; suivant d’autres, c’est la douceur.



TIMON.

Apollonide de Nicée, un des nôtres[33], rapporte dans le premier livre des Commentaires sur les Silles, dédié à Tibère, que Timon était fils de Timarchus et originaire de Phlionte. Ayant perdu son père dès sa jeunesse, il s’adonna d’abord à la danse, puis il y renonça et s’en alla à Mégare auprès de Stilpon. Après avoir passé quelque temps avec lui, il revint dans sa patrie et s’y maria. De là, il alla avec sa femme trouver Pyrrhon à Élis, et pendant le séjour qu’il y fit, il eut plusieurs enfants ; il donna à l’aîné le nom de Xanthus, lui enseigna la médecine, et lui confia l’héritage de ses doctrines. Sotion rapporte, au onzième livre, qu’il s’était acquis, dès cette époque, une haute renommée. Cependant, forcé par le besoin, il passa sur les côtes de l’Hellespont et de la Propontide, et se mit à enseigner à Chalcédoine où sa réputation ne fit que grandir. Devenu plus riche, il partit de là pour Athènes et y resta jusqu’à sa mort, à part une courte absence qu’il fit pour aller à Thèbes. Il fut connu et estimé du roi Antigone et de Ptolémée Philadelphe, ainsi qu’il l’atteste lui-même dans les Iambes.

Antigonus dit qu’il aimait à boire, et s’occupait de travaux tout à fait étrangers à la philosophie. Ainsi, il a composé divers ouvrages poétiques, des poëmes épiques, des tragédies, des satyres, trente drames comiques, soixante drames tragiques, des silles et des pièces bouffonnes. On a aussi de lui divers ouvrages en prose qui ne forment pas moins de vingt mille lignes, et que cite Antigonus de Caryste, auteur de la Vie de Timon.

Les silles forment trois livres dans lesquels, en sa qualité de sceptique, il critique et injurie tous les philosophes dogmatiques en parodiant les vers des anciens poètes. Le premier est une exposition continue ; le second et le troisième sont sous forme de dialogues. Il interroge sur chacun des philosophes Xénophane de Colophon, et celui-ci répond d’une manière continue, sans que le dialogue intervienne de nouveau. Le second livre roule sur les anciens, et le troisième, sur les modernes ; de là vient que quelques auteurs ont donné à ce dernier le nom d’épilogue. Le premier livre traite les mêmes questions que les deux autres à cette seule différence près qu’il n’est pas dialogué ; il commence ainsi :

Venez tous à moi, maintenant, sophistes, gens affairés.

Il mourut âgé de près de quatre-vingt-dix ans, suivant Antigonus et Sotion, dans le onzième livre. J’ai ouï dire qu’il était borgne ; et en effet il se donnait lui-même le nom de Cyclope.

Il y a eu un autre Timon, surnommé le misanthrope.

Timon le philosophe aimait les jardins et la solitude, au dire d’Antigonus. On rapporte qu’Hiéronymus le péripatéticien disait de lui : « Les philosophes sont comme les Scythes qui lancent leurs traits et dans l’attaque et dans la retraite ; les uns gagnent des disciples à force de les poursuivre ; les autres, comme Timon, en les fuyant. Il avait l’esprit vif et mordant, aimait à écrire et excellait à composer des canevas pour les poëtes et à régler avec eux l’ordonnance de leurs drames. Il s’associait lui-même dans la composition de ses tragédies Alexandre et Homère[34]. Lorsqu’il était dérangé par les caquetages des servantes et les aboiements des chiens, il ne faisait plus rien ; car il voulait avant tout la tranquillité. On raconte qu’Aratus lui ayant demandé comment il pourrait se procurer un Homère correct et fidèle, il répondit qu’il fallait chercher un vieil exemplaire qui n’eût pas été revu et corrigé. Quant à lui, ses ouvrages traînaient au hasard, souvent en lambeaux. Il faisait un jour une lecture à Zopyre le rhéteur, et tout en déroulant le volume il lui citait les passages qui se présentaient, lorsque arrivé au milieu il trouva une lacune dont il ne s’était pas encore aperçu, tant il était indifférent à cet égard. Sa complexion était tellement vigoureuse, qu’il voulait qu’on supprimât le dîner. On raconte que voyant un jour Arcésilas traverser la place des Cercopes[35], il lui cria : « Que viens-tu faire ici au milieu de nous autres hommes libres ? »

À ceux qui invoquaient le témoignage de l’intelligence pour juger les sens, il disait fréquemment :

Attagas et Numénius se sont réunis[36].

Ce ton railleur lui était du reste habituel. Il dit un jour à un homme qui s’étonnait de tout : « Pourquoi ne t’étonnes-tu pas de ce qu’étant trois nous n’ayons que quatre yeux ? » En effet, l’interlocuteur avait bien ses deux yeux, mais Timon était borgne ainsi que Dioscoride son disciple. Une autre fois Arcésilas lui demandait pourquoi il était revenu de Thèbes : « C’est, dit-il, pour vous voir en face, et rire de vous à l’aise.» Cependant quoiqu’il n’ait pas ménagé Arcésilas dans les Silles, il lui a donné des éloges dans l’ouvrage intitulé : Banquet funèbre d’Arcésilas.

Ménodote prétend que Timon n’eut point de successeur, et que sa secte finit avec lui, pour être relevée ensuite par Ptolémée de Cyrène. Mais, suivant Hippobotus et Sotion, il eut pour disciples Dioscoride de Chypre, Nicolochus de Rhodes, Euphranor de Séleucie et Praylus de Troade, homme d’une telle résignation, suivant l’historien Philarchus, que, quoique innocent, il se laissa mettre en croix comme traître par ses concitoyens, sans daigner leur adresser une parole.

Euphranor eut pour disciple Eubulus d’Alexandrie, auquel succéda Ptolémée, maître de Sarpédon et d’Héraclide. À Héraclide succéda Énésidème de Gnosse, auteur de huit livres de Raisonnements pyrrhoniens ; à Énésidème, Zeuxippe Politès ; Zeuxippe, Zeuxis Goniopus ; à Zeuxis, Antiochus de Laodicée en Lycie ; à Antiochus, Ménodote de Nicomédie, médecin empirique, et Théiodas de Laodicée ; à Ménodote, Hérodote de Tarse, fils d’Ariée ; à Hérodote, Sextus Empiricus, auteur de dix livres sur le Scepticisme et d’autres ouvrages excellents ; à Sextus succéda Saturninus Cythénas, empirique comme lui.


Notes modifier

  1. Suivant Strabon, les descendants d’Androclus, fondateur d’Éphèse, portaient le titre de roi, et à ce titre étaient attachés certaines prérogatives.
  2. Je lis avec Schleiermacher ἕνος ἢ ξυμπάντων (henos ê xumpantôn).
  3. Xénophane est antérieur à Archélaüs de près d’un siècle.
  4. C’est-à-dire à l’unité.
  5. Je conserve le texte ancien : πεπρᾶσθαι (peprasthai) ; de πίπρνημι (piprêmi), « chagriner. »
  6. Voir Zénon de Citium.
  7. Je suis ici la correction de Rossi. Le texte reçu porte : « Suivant les chroniques d’Apollodore, Zénon était fils de Pyrès et Parménide, fils de Téleutagoras, était fils adoptif de Parménide. »
  8. Je suis la leçon d’Hésychius M. χόσμον. Le texte vulgaire χόσμονς est contraire à la doctrine de l’école d’Élée.
  9. Il y a très-probablement ici une lacune.
  10. Combat composé de cinq exercices.
  11. Grande organisation du monde.
  12. Petit traité sur l’organisation du monde
  13. Minerve.
  14. Bien raisonner, bien exprimer sa pensée, bien agir.
  15. Ce trait ainsi isolé est inintelligible ; nous en trouvons l’explication dans Aulu-Gèle (livre V, chap. x) : « Évathlus voulant prendre des leçons de Protagoras, celui-ci lui fit payer comptant la moitié du salaire qu’il exigeait, et il fut convenu que le reste ne serait payable que le jour où Évathlus aurait gagné sa première cause. Le disciple devint fort habile ; mais pour se dispenser de le payer il refusa obstinément de plaider. Protagoras le cita alors en justice et lui proposa ce dilemme : « Si tu perds ta cause, tu dois me payer en vertu de la sentence ; si tu la gagnes, tu me payeras également d’après nos conventions. » Mais Évathlus retourna l’argument contre son maître, et les juges embarrassés laissèrent la cause pendante. »
  16. Ville de Crète.
  17. Simplicius, dans le commentaire sur la Physique d’Aristote, f. 6, A, dit qu’il est presque le dernier des physiciens et qu’il a copié Anaxagore et Leucippe. Cette assertion est justifiée par l’étude de sa doctrine. Voyez sur ce point la thèse de Schorn (Bonn, sans date).
  18. Cette assertion est inexacte si on l’entend de l’existence simultanée des mondes. Suivant Simplicius (Phys. d’Arist., f. 257, B), et Stobée (Ecl., ph., I), Diogène admet que le monde est un, mais qu’il est périssable. Un monde succède à un autre, et dans ce sens seulement on peut dire que les mondes sont infinis.
  19. Homère, Iliade, V, 340.
  20. Euripide, Oreste, v. 265.
  21. Ce n’est pas à Pyrrhon, mais bien à Python, disciple de Platon, que cet honneur fut accordé.
  22. Iliade, XXIV, 146.
  23. Ibid., XXI, 106 et 107
  24. Douteurs.
  25. Observateurs.
  26. Qui suspendent leur jugement.
  27. Chercheurs.
  28. Suppliantes, v. 734.
  29. Iliade, XX, 248, 249, 250.
  30. Diogène transcrit ici, sans en avertir, les raisonnements de quelque sceptique.
  31. C’est-à-dire nos propres idées, sans savoir si ces idées répondent à une réalité extérieure.
  32. Puisque tout lui est indifférent.
  33. C’est-à-dire qui suivait les mêmes principes philosophiques que moi.
  34. Deux poëtes membres de la pléiade tragique.
  35. Des Gueux.
  36. C’est-à-dire l’accord de l’intelligence et des sens ne sera pas de longue durée : Attagas et Numénius étaient deux insignes brigands.