Vies et doctrines des philosophes de l’Antiquité/Aristote

Traduction par Charles Zévort.
Charpentier (Tomes I et IIp. 213-228).
LIVRE V.


CHAPITRE PREMIER.


ARISTOTE.

Aristote de Stagire était fils de Nicomaque et de Phestias. Hermippus dit, dans le traité qu’il lui a consacré, que son père, l’un des descendants de Nicomaque, fils de Machaon et petit-fils d’Esculape, vivait à la cour d’Amyntas, roi de Macédoine, dont il était en même temps le médecin et l’ami. Timothée dit, dans les Vies, qu’Aristote, le plus illustre des disciples de Platon, avait la voix faible, les jambes grêles et les yeux petits ; qu’il était toujours vêtu avec recherche, portait des anneaux et se rasait la barbe. Il ajoute qu’il eut d’Herpyllis, sa concubine, un fils nommé Nicomaque.

Il n’attendit pas la mort de Platon pour le quitter ; aussi Platon disait-il de lui qu’Aristote l’avait traité comme les poulains qui, à peine nés, ruent contre leur mère. Hermippus rapporte, dans les Vies, que pendant une absence d’Aristote, retenu auprès de Philippe par une mission dont l’avaient chargé les Athéniens, Xénocrate prit la direction de l’Académie, et qu’Aristote, trouvant à son retour l’école occupée par un autre, adopta dans le Lycée une galerie où il allait discourir en se promenant avec ses disciples, jusqu’à l’heure où l’on se parfumait. C’est de là, suivant Hermippus, que lui vint le surnom de péripatéticien ; d’autres prétendent qu’on le surnomma ainsi parce que durant une convalescence d’Alexandre il discourait avec ce prince en se promenant. Cependant lorsque le nombre de ses disciples se fut accru il ouvrit une école ; car, disait-il,

Il serait honteux de se taire et de laisser parler Xénocrate.

Il exerçait ses élèves à discuter sur une thèse donnée et les formait en même temps à la rhétorique. Il se rendit ensuite auprès de l’eunuque Hermias, tyran d’Atarne, qui s’était, dit-on, prostitué à lui. Suivant une autre version, Hermias l’aurait reçu dans sa famille en lui donnant sa fille ou sa nièce ; tel est du moins le récit de Démétrius de Magnésie dans le traité des Poëtes et écrivains de même nom. Il ajoute qu’Hermias était Bithynien, esclave d’Eubulus, et qu’il avait tué son maître. Aristippe prétend de son côté, dans le traité de la Sensualité antique, qu’Aristote avait conçu une violente passion pour la concubine d’Hermias, et que celui-ci la lui ayant accordée il l’épousa et fit à cette femme, dans les transports de sa joie, des sacrifices semblables à ceux que les Athéniens offrent à Cérès d’Éleusis. Il composa aussi à l’honneur d’Hermias un hymne que nous rapportons plus bas. De là il alla en Macédoine, auprès de Philippe, devint précepteur d’Alexandre, fils de ce prince, et obtint le rétablissement de Stagire, sa patrie, détruite par Philippe. Il donna lui-même des lois à ses concitoyens.

Il avait établi, à l’exemple de Xénocrate, des règlements dans l’intérieur de son école, et tous les dix jours on y élisait un chef. Lorsqu’il crut avoir assez fait pour s’attacher Alexandre, il retourna à Athènes, après avoir recommandé à ce prince Callisthène d’Olynthe, son parent. Callisthène avait coutume de parler sans ménagement à Alexandre et de mépriser ses ordres ; Aristote lui avait même dit à ce sujet :

Ta vie sera courte, ô mon fils, à en juger par ton langage[1].

C’est ce qui arriva en effet : Callisthène, ayant été impliqué dans la conspiration d’Hermolaüs contre Alexandre, fut enfermé dans une cage de fer et promené ainsi quelque temps, dévoré par la vermine et la malpropreté, puis jeté aux lions.

Aristote, de retour à Athènes, y dirigea son école pendant treize ans et se retira ensuite secrètement à Chalcis pour se soustraire aux poursuites de l’hiérophante Eurymédon ou, suivant d’autres, à celle de Démophile. Hermippus dit, dans les Histoires diverses, que Démophile l’accusait en même temps pour l’hymne à Hermias dont nous avons parlé et pour l’inscription suivante qu’il avait fait graver à Delphes sur la statue de ce tyran :

Le roi de Perse, armé de l’arc, l’a tué traîtreusement, au mépris des lois divines de la justice. Il ne l’a point vaincu au grand jour, la lance à la main, dans un combat sanglant ; mais il a caché sa fourberie sous les dehors de l’amitié.

Eumélus dit, au cinquième livre des Histoires, qu’Aristote s’empoisonna à l’âge de soixante-dix ans. Il ajoute qu’il avait trente ans lorsqu’il s’attacha à Platon ; mais c’est une erreur, car il ne vécut pas au delà de soixante-trois ans, et il en avait dix-sept lorsqu’il devint disciple de Platon.

Voici l’hymne en question :

Ô vertu, toi que poursuivent si péniblement les mortels,
Toi le but le plus noble de la vie ;

C’est pour toi, vierge auguste, pour tes charmes,
Que les Grecs bravent à l’envi la mort,
Et supportent courageusement les durs travaux.
De quelle ardeur tu remplis les âmes ! Quels germes immortels tu y déposes, plus précieux que l’or,
Que la famille, que les douceurs du sommeil !
Pour toi le divin Hercule et les fils de Léda
Ont bravé mille maux,
Entraînés par l’attrait de ta puissance.
Ardents à te poursuivre, Achille
Et Ajax sont descendus au séjour de Pluton.
Séduit aussi par tes attraits,
Le fils d’Atarne a fermé les yeux aux rayons du soleil attristé.
Mais la gloire de ses grandes actions ne périra pas ;
Les filles de Mémoire,
Les Muses, célébreront éternellement son nom ;
Elles diront son respect pour Jupiter hospitalier, son inaltérable amitié.

J’ai fait moi-même les vers suivants sur Aristote :

Eurymédon, prêtre des mystères de Cérés, se préparait à accuser Aristote d’impiété ; mais il le prévint en buvant du poison. C’était donc au poison à triompher d’injustes calomnies.

Phavorinus dit, dans les Histoires diverses, qu’Aristote est le premier qui ait composé pour lui-même une défense judiciaire, précisément à propos de cette accusation. Il y disait qu’à Athènes

La poire naît sur le poirier et la figue sur l’accusation[2].

Apollodore dit dans les Chroniques qu’Aristote, né la première année de la quatre-vingt-dix-neuvième olympiade, s’était attaché à Platon dans sa dix-septième année, et avait suivi ses leçons pendant vingt-cinq ans. La quatrième année de la cent huitième olympiade il alla à Mitylène, sous l’archontat d"Eubulus. La première année de cette même olympiade, à l’époque de la mort de Platon, Théophilus étant archonte, il était allé auprès d’Hermias où il passa trois ans. Sous l’archontat de Pythodotus, il se rendit à la cour de Philippe, la seconde année de la cent neuvième olympiade, Alexandre ayant alors quinze ans ; il revint à Athènes la seconde année de la cent onzième olympiade, établit son école au Lycée et y enseigna treize ans. Il se retira ensuite à Chalcis la troisième année de la cent treizième olympiade et y mourut de maladie, à l’âge de soixante-trois ans, l’année même où Démosthène mourut dans l’île de Calauria, sous l’archontat de Philoclès. On dit que l’issue de la conjuration de Calliclès l’avait vivement irrité contre Alexandre et que ce prince de son côté, pour chagriner Aristote, avait comblé de faveurs Anaximène et envoyé des présents à Xénocrate.

Théocrite de Chio a fait contre lui une épigramme citée par Ambryon dans la Vie de Théocrite ; la voici :

Aristote, cet esprit vide, a élevé ce tombeau vide à Hermias, eunuque et esclave d’Eubulus.

Timon le critique aussi en ces termes :

Ni les misérables futilités d’Aristote.

Telle fut la vie de ce philosophe. Je transcris ici son testament qui m’est tombé entre les mains :

Il ne m’arrivera rien de fâcheux ; cependant, en cas d’événenement, voici mes volontés : Je nomme Antipater exécuteur général et universel. En attendant le mariage de Nicanor avec ma fille, j’institue pour curateurs de mes enfants et d’Herpyllis, ainsi que pour administrateurs des biens que je laisse, Timarque, Hipparque, Diotelès et Théophraste (si toutefois il veut accepter cette charge). Quand ma fille sera nubile, on la mariera à Nicanor. Que si elle venait à mourir avant son mariage ou sans avoir d’enfants, — que les dieux la préservent et détournent ce malheur ! — je laisse Nicanor libre de disposer de mon fils et de mes biens comme il convient et à lui et à moi. Il prendra également soin du fils et de la fille de Nicomaque, veillera à tous leurs intérêts et leur tiendra lieu de père et de frère. Si Nicanor venait à mourir, — ce que je ne veux point prévoir, — avant d’épouser ma fille ou sans avoir d’enfants, son testament, s’il en a fait un, aura son plein effet. Si, dans ce cas, Théophraste veut prendre ma fille, il sera substitué à tous les droits de Nicanor ; sinon, les tuteurs, de concert avec Antipater, prendront à l’égard de mon fils et de ma fille les mesures qu’ils jugeront les plus convenables. Je demande aussi qu’en souvenir de moi les tuteurs et Nicanor veillent sur Herpyllis, qui m’a donné des preuves nombreuses d’affection, et sur tout le reste. Si elle veut se marier, que celui qu’elle épousera ne soit pas indigne de moi. On lui donnera, indépendamment de ce qu’elle a déjà reçu, un talent d’argent prélevé sur ce que je laisse, trois servantes si elle le veut, outre celle qu’elle a déjà, et le jeune Pyrrhéus. Si elle désire demeurer à Chalcis, elle y occupera le logement contigu au jardin ; si au contraire elle préfère Stagire, elle habitera la maison de nos pères ; quelle que soit l’habitation qu’elle choisisse, les tuteurs la feront meubler d’une manière convenable et selon ses goûts. Nicanor veillera également à ce que le jeune Myrmex soit reconduit à ses parents d’une manière digne de moi, avec tout ce que j’ai reçu de lui. Ambracis sera libre à l’époque du mariage de ma fille, et on lui donnera cinq cents drachmes avec la servante qu’elle a maintenant. On donnera également à Thalé, outre la servante que je lui ai achetée, mille drachmes et une autre servante. On achètera pour Simon un esclave, ou bien on lui en donnera la valeur en argent, indépendamment de la somme qu’il a déjà reçue pour en acheter un autre. Tachon sera libre à l’époque du mariage de ma fille, ainsi que Philon, Olympius et son fils. Les enfants de mes esclaves ne pourront être vendus : ils passeront au service de mes héritiers, pour être affranchis quand ils seront adultes, s’ils l’ont mérité. On veillera aussi à ce que les statues que j’ai commandées à Gryllion soient mises en place lorsqu’elles seront terminées, ainsi que celles de Nicanor et de Proxène, que j’avais l’intention de lui commander, et celle de la mère de Nicanor. On fera également mettre en place celle d’Arimnestus, qui est exécutée ; car il n’a pas laissé d’enfants, et je désire qu’un monument conserve son souvenir. On consacrera à Cérès la statue de ma mère, soit à Némée, soit ailleurs si on le juge convenable. Quel que soit le lieu que l’on choisisse pour mon tombeau, on y déposera les restes de Pythias, conformément à sa volonté. Enfin, Nicanor remplira le vœu que j’ai fait pour sa conservation, et consacrera à Jupiter et à Minerve sauveurs, dans Stagire, des animaux de pierre de quatre coudées.

Telles sont ses dispositions testamentaires. On raconte qu’il se trouva chez lui à sa mort une foule de vases de terre. Lycon rapporte qu’il avait coutume de se baigner dans un bassin rempli d’huile chaude qu’il revendait ensuite. On dit aussi qu’il s’appliquait sur la poitrine une outre remplie d’huile chaude, et qu’au lit il tenait à la main une boule de cuivre suspendue au-dessus d’un bassin, afin que cette boule en tombant le réveillât.

On cite de lui une foule de sentences remarquables : quelqu’un lui ayant demandé ce qu’on gagnait à mentir, il répondit : « De n’être pas cru quand on dit la vérité. »

On lui reprochait d’avoir donné l’aumône à un méchant homme : « J’ai eu pitié de l’homme, dit-il, et non du caractère. »

Il disait fréquemment à ses amis et aux nombreux visiteurs qui se pressaient autour de lui, en quelque lieu qu’il se trouvât, que la vue perçoit la lumière au moyen de l’air ambiant et l’âme par l’intermédiaire des sciences.

Souvent aussi il critiquait les Athéniens de ce qu’ayant découvert le froment et les lois, ils se servaient du froment, mais non des lois.

« Les racines de l’instruction sont amères, disait-il encore, mais les fruits en sont doux. »

On lui demandait quelle est la chose qui vieillit vite : « La reconnaissance, » répondit-il. A. cette autre question : qu’est-ce que l’espérance ? il répondit : « Le songe d’un homme éveillé. »

Diogène lui ayant présenté une figue, il songea que s’il la refusait le cynique devait avoir un bon mot tout prêt ; il prit donc la figue, et dit : « Diogène a perdu en même temps sa figue et son bon mot. » Diogène lui en ayant donné une autre, il la prit, l’éleva en l’air à la manière des enfants, et s’écria : «  Ô grand Diogène ! » puis il la lui rendit.

Il disait que l’instruction suppose trois choses : un heureux naturel, l’éducation, l’exercice.

Informé que quelqu’un parlait mal de lui, il se contenta de dire : « Qu’il me donne même des coups de fouet, s’il le veut, en mon absence. »

Il disait que la beauté est la meilleure de toutes les recommandations. D’autres prétendent que cette définition est de Diogène et qu’Aristote la définissait : « l’avantage d’un noble extérieur. » Socrate l’avait définie de son côté : « une tyrannie de peu de durée ; » Platon : « le privilège de la nature ; » Théophraste : « une tromperie muette ; » Théocrite : « un mal brillant ; » Carnéade : « une royauté sans gardes. » On demandait à Aristote quelle différence il y a entre un homme instruit et un ignorant : « La même, répondit-il, qu’entre un vivant et un mort. »

« L’instruction, disait-il, est un ornement dans la prospérité et un refuge dans l’adversité. »

« Les parents qui instruisent leurs enfants sont plus estimables que ceux qui leur ont seulement donné le jour : aux uns on ne doit que la vie ; on doit aux autres l’avantage de bien vivre. »

Un homme se vantait devant lui d’être d’une grande ville : « Ce n’est pas là ce qu’il faut considérer, lui dit-il ; il faut voir si l’on est digne d’une patrie illustre. »

Quelqu’un lui ayant demandé ce que c’est qu’un ami, il répondit : « Une même âme en deux corps. »

Il disait que parmi les hommes les uns économisent comme s’ils devaient vivre éternellement, et les autres prodiguent leur bien comme s’ils n’avaient plus qu’un instant à vivre.

On lui demandait pourquoi on aime à être longtemps dans la compagnie de la beauté : « C’est là, dit-il, une question d’aveugle. »

Interrogé une autre fois sur les avantages que lui avait procurés la philosophie, il dit : « Je lui dois de faire sans contrainte ce que les autres ne font que par la crainte des lois. »

On lui demandait ce que doivent faire des disciples pour profiter, il répondit : « Tâcher d’atteindre ceux qui sont devant, sans attendre ceux qui sont derrière. »

Un bavard lui ayant dit, après l’avoir accablé d’injures : « T’ai-je assez étrillé maintenant ? » il répondit : « Je ne t’ai pas même écouté. »

On lui reprochait d’avoir fait du bien à un homme peu estimable (car on rapporte aussi ce trait de cette manière) : « Ce n’est pas l’homme, dit-il, que j’ai eu en vue, mais l’humanité. »

Quelqu’un lui ayant demandé comment il fallait en agir avec ses amis, il répondit : « Comme nous voudrions qu’ils en agissent avec nous. »

Il définissait la justice : « une vertu qui consiste à donner à chacun suivant son mérite ; » et disait que l’instruction est le meilleur viatique pour la vieillesse.

Phavorinus rapporte au second livre des Commentaires qu’il disait fréquemment : « Ô mes amis, il n’y a point d’amis. » Cette maxime se trouve en effet au septième livre de la morale.

Telles sont les maximes remarquables qu’on lui attribue. Il a composé une infinité d’ouvrages dont j’ai jugé à propos de donner ici le catalogue, eu égard au rare génie qu’il a déployé dans tous les genres[3] : de la Justice, IV livres ; des Poëtes, III ; de la Philosophie, III[4] ; le Politique, I ; de la Rhétorique, ou Gryllus, I ; Nérinthus, I ; le Sophiste, I ; Ménéxène, I ; l’Amoureux, I ; le Banquet, I ; de la Richesse, I ; Exhortations, I ; de l’Âme, I[5] ; de la Prière, I ; de la Noblesse, I ; de la Volupté, I ; Alexandre, ou des Colons, I ; de la Royauté, I ; de l’Instruction, I ; du Bien, III ; sur quelques passages des lois de Platon, III ; sur quelques passages de la République, II ; Économique, I[6] ; de l’Amitié, I ; de la Passivité, I[7] ; des Sciences, I ; des choses sujettes à controverse, II ; Solutions de controverses, IV ; Divisions sophistiques, IV ; des Contraires, I ; des Espèces et des Genres, I ; du Propre, I ; Commentaires épichérématiques, III ; Propositions sur la vertu, III ; Objections, I ; des acceptions diverses, ou Traité préliminaire, I[8] ; des Mouvements de la colère, I ; Éthique, V ; des Éléments, III ; de la Science, I ; du Principe, I ; Divisions, XVIII ; des choses divisibles, I ; de l’Interrogation et de la réponse, II ; du Mouvement, II ; Propositions, I ; Propositions éristiques, IV ; Syllogismes, I ; premiers Analytiques, IX ; seconds, ou grands Analytiques, II ; des Problèmes, I ; sur la Méthode, VIII ; du Mieux, I ; de l’Idée, I ; Définitions, comme préambule aux Topiques, VII ; Syllogismes, II ; Syllogistique et Définitions, I ; du Désirable et de l’Accidentel, I ; Préambule aux lieux, I ; Topiques sur les définitions, II ; des Passions, I ; de la Divisibilité, I ; des Mathématiques, I ; Définitions, XIII ; Epichérèmes, II ; de la Volupté, I ; Propositions, I ; de la Détermination volontaire, I ; du Beau, I ; Questions épichérématiques, XXV ; Questions érotiques, IV ; Questions sur l’amitié, II ; Questions sur l’âme, I ; Politique, II ; Leçons sur la politique, dans le genre de Théophraste, VIII ; des Actions justes, II ; Collection des Arts, II ; l’Art oratoire, II ; l’Art, I  ; un autre ouvrage également intitulé : Art, II ; Méthode, I ; Introduction à l’Art de Théodecte, I ; Traité de l’Art poétique, II ; Enthymèmes de rhétorique ; de la Grandeur, I ; Division des enthymèmes, I ; de la Diction, II ; des Conseils, I ; Collection, II ; de la Nature, III ; Physique, I ; sur la Philosophie d’Archytas, III ; Doctrines de Speusippe et de Xénocrate, I ; Extrait des doctrines de Timée et d’Archytas, I ; contre les doctrines de Mélissus, I ; contre les doctrines d’Alcméon, I ; contre les Pythagoriciens, I ; contre Gorgias, I ; contre Xénophane, I ; contre Zénon, I ; sur les Pythagoriciens, I ; des Animaux, IX ; Anatomie, VIII ; Choix de questions anatomiques, I ; des Animaux composés, I ; des Animaux mythologiques, I ; de l’Impuissance à procréer, I ; des Plantes, II ; sur la Physiognomonie, I ; Matière médicale, II ; de la Monade, I ; Signes des tempêtes, I ; Astronomie, I ; Optique, I ; du Mouvement, I ; de la Musique, I ; Mnémonique, I ; Difficultés d’Homère, VI ; Poétique, I ; Physique, par ordre alphabétique, XXXVIII ; Problèmes résolus, II ; Encycliques, II ; Mécanique, I ; Problèmes tirés de Démocrite, II ; de l’Aimant, I ; Paraboles, I ; ouvrages divers, XII ; divers sujets traités selon leur genre, XIV ; Droits, I[9] ; Vainqueurs olympiques, I ; Vainqueurs aux jeux pythiens, dans les concours de musique, I ; Pythique, I ; Liste des vainqueurs aux jeux pythiens, I ; Victoires dionysiaques, I ; des Tragédies, I ; Renseignements, I[10] ; Proverbes, I ; Loi de recommandation, I ; des Lois, IV ; catégories, I ; de l’Élocution, I ; Gouvernement de cent cinquante-huit villes, leur administration démocratique, oligarchique, aristocratique, tyrannique ; Lettre à Philippe ; Lettre des Selymbriens ; quatre lettres à Alexandre, neuf à Antipater, une à Mentor, une à Thémistagoras, une à Philoxénus, une à Démocrite. Il a laissé aussi un poëme qui commence ainsi :

Ô Dieu antique et vénérable, toi qui lances au loin les traits,

et des élégies dont le commencement est :

Fille d’une mère ornée de tous les talents.

Tels sont les ouvrages d’Aristote ; ils forment en tout quatre cent quarante-cinq mille deux cent soixante-dix lignes.

Voici maintenant les doctrines qu’il y enseigne :

La philosophie comprend deux parties : pratique et théorique. La philosophie pratique se divise elle-même en morale et politique, cette dernière embrassant tout ce qui a rapport au gouvernement des États et à l’administration domestique. La philosophie théorique comprend la physique et la logique. Cette dernière partie toutefois ne forme pas une simple subdivision roulant sur un point spécial ; c’est l’instrument de la science tout entière, et un instrument d’une rare perfection. Elle a un double objet, la persuasion et la découverte du vrai, et, dans chacune de ces fonctions, elle dispose de deux instruments : de la dialectique et de la rhétorique comme moyens de persuasion, de l’analyse et de la philosophie pour découvrir la vérité. Du reste, Aristote n’a rien négligé de ce qui a trait soit à la découverte, soit à l’appréciation de la vérité, soit à l’application des règles : ainsi, en vue de la découverte du vrai, il donne les Topiques, et les ouvrages sur la méthode, véritable arsenal de propositions, d’où on peut tirer pour toutes les questions possibles des arguments qui portent la conviction. Comme critérium, il donne les premières et les secondes Analytiques ; les premières contiennent l’examen critique des principes et les secondes l’examen des conclusions qu’on en tire. Enfin, en vue de l’application des règles, il a composé les ouvrages sur la discussion, sur l’interrogation et la dispute, la réfutation des sophistes, le traité des syllogismes, etc.

Il admet un double critérium : les sens pour les représentations sensibles, l’entendement pour les idées morales et toutes celles qui ont rapport au gouvernement des villes, à l’administration domestique, aux lois. La fin de l’homme, selon lui, est la pratique de la vertu dans une vie parfaite. Le bonheur se compose de trois espèces de biens : ceux de l’âme, les premiers en dignité ; ceux du corps, comme la santé, la force, la beauté et les autres avantages du même genre ; enfin les biens extérieurs, richesse, naissance, gloire, etc.

La vertu seule ne suffit point au bonheur ; il faut qu’il s’y joigne les biens extérieurs et ceux du corps ; de sorte que le sage sera malheureux s’il est accablé par la pauvreté et rongé par la douleur ou par d’autres maux semblables. Cependant le vice à lui seul rend malheureux, eût-on en abondance les biens extérieurs et ceux du corps. Les vertus ne sont pas nécessairement liées l’une à l’autre, car on peut posséder la prudence et la justice sans la tempérance et la continence. Le sage n’est pas sans passions, mais seulement modéré dans ses passions.

Il définissait l’amitié : « une bienveillance égale et réciproque, » et distinguait trois espèces d’amitié : celle qui naît des liens du sang ; l’amitié érotique et celle qui résulte des relations d’hospitalité. Il distinguait également deux sortes d’amour, l’amour charnel et l’amour philosophique. Il pensait que le sage peut aimer, se mêler des affaires publiques, se marier et vivre dans la société des rois.

Trois genres de vie, selon lui : spéculative, pratique, voluptueuse ; la première de beaucoup supérieure aux autres. Il regardait les connaissances libérales comme utiles à l’acquisition de la vertu. Enfin personne n’a poussé plus loin que lui la recherche des causes naturelles, à tel point qu’il n’y a si petite chose dont il n’ait donné la cause ; c’est à cela qu’il faut attribuer cette multitude de commentaires physiques qu’il a composés.

Pour lui, comme pour Platon, Dieu est incorporel. Sa providence embrasse les phénomènes célestes ; il est immobile. Une sorte de sympathie unit les choses de la terre à celles du ciel et fait qu’elles obéissent à leur action. Indépendamment des quatre éléments, il en existe un cinquième, dont sont composés les corps célestes et qui possède un mouvement propre à lui seul, le mouvement circulaire. L’âme est également incorporelle ; elle est la première entéléchie, c’est-à-dire l’entéléchie d’un corps physique et organique, possédant la vie en puissance. Il appelle entéléchie ce qui a une forme incorporelle, et il en distingue deux espèces : l’une seulement en puissance, — telle est, par exemple, la propriété qu’a la cire d’être façonnée et de devenir un Hermès, ou la propriété qu’a l’airain de devenir une statue ; — l’autre en acte : ainsi l’Hermès ou la statue réalisés.

Il l’appelle entéléchie d’un corps physique parce que certains corps sont l’œuvre de l’art et ont été façonnés par l’homme : par exemple, une tour, un vaisseau ; et que les autres au contraire sont des œuvres de la nature, comme les plantes et les corps des animaux ; d’un corps organique, c’est-à-dire organisé pour une fin, comme la vue pour voir et l’ouïe pour entendre.

Possédant la vie en puissance, c’est-à-dire en lui-même. Le mot puissance se prend dans deux sens : la puissance est ou latente ou en acte ; en acte, par exemple l’état de l’âme chez un homme éveillé ; latente, dans le sommeil. C’est pour faire rentrer ce dernier cas dans la définition, qu’il a employé le mot en puissance.

Aristote a traité longuement une foule d’autres questions qu’il serait trop long d’énumérer ici ; car en toutes choses il a porté une ardeur et une facilité d’invention incomparables, ainsi que le prouvent ses écrits dont nous avons donné le catalogue et qui, à n’y comprendre que les ouvrages d’une autorité incontestée, forment près de quatre cents traités. On lui attribue beaucoup d’autres écrits, ainsi que des maximes pleines de sens et de sel, conservées seulement par tradition.

Il y a eu huit Aristote : le premier est celui dont il est ici question ; le second administra la république d’Athènes et a laissé des harangues judiciaires d’une grande élégance ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un rhéteur sicilien, auteur d’une réfutation du Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythus, était ami d’Eschine, disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et a écrit sur la poétique ; le septième est un chef de gymnase cité par Aristoxène dans la Vie de Platon ; le huitième est un grammairien obscur, auteur d’un traité sur le pléonasme.

Aristote de Stagire eut un grand nombre de disciples ; le plus célèbre est Théophraste dont nous allons parler.

  1. Homère, Iliade, XVIII, 95.
  2. Je rétablis le texte des deux manuscrits de la Bibl. royale : σῦκον δ’ ἑπὶ δίκῃ. Figue est pris ici pour calomnie. Homère avait dit (Odyss., VIII, 120) : « La poire naît sur le poirier et la figue sur le figuier. »
  3. Ce catalogue est loin d’être complet. D’un autre côté, beaucoup des ouvrages qu’il comprend ne sont que des parties détachées des traités que nous possédons.
  4. Samuel Petit croit que ces trois livres correspondent aux livres XII, XIII, XIV de la Métaphysique.
  5. Cet ouvrage diffère des trois livres sur l’Âme, que nous possédons ; car c’était un dialogue. (Voy. Plutarque, Vie de Dion, ch. xxii.)
  6. Il existe aujourd’hui deux livres sous ce titre.
  7. Jonsius (de Ordine librorum Arist.) fait remarquer avec raison que ce n’était pas là un ouvrage distinct, mais bien une partie du traité des Animaux, livre IV, ch, iii.
  8. Cinquième livre de la Métaphysique.
  9. Droits réciproques des villes grecques dans les rapports internationaux.
  10. Histoire des Poëtes anciens et modernes.