Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 9/De divers artistes flamands

Jean van Eyck.
DE
DIVERS ARTISTES FLAMANDS

Nous avons parlé des travaux de plusieurs excellents peintres flamands, en divers endroits de ce livre, mais sans observer aucun ordre. Maintenant si nous ne pouvons donner des renseignements sur les productions de quelques-uns de leurs compatriotes qui sont venus étudier en Italie, et que nous avons connus pour la plupart, nous consignerons au moins leurs noms dans ces pages. C’est un hommage que nous croyons devoir rendre à leur talent et à leur mérite.

Après Martin de Hollande (1), Hubert van Eyck et Jean de Bruges, son frère, qui inventa, en 1410, la peinture à l’huile (2), et laissa de nombreux ouvrages à Gand, à Ypres et à Bruges, où il vécut et mourut honorablement, parut Rogier van der Weyde, de Bruxelles (3). Ce maître travailla beaucoup, mais principalement dans sa patrie. On voit de lui, dans le palais des Seigneurs, quatre beaux tableaux à l’huile où sont retracés des exemples mémorables de justice.

Rogier eut pour élève Ausse, duquel, comme nous l’avons dit ailleurs, on trouve, chez le duc de Florence, un petit tableau renfermant la Passion du Christ.

À Ausse succédèrent Louis, de Louvain ; Pierre Christa, Just, de Gand ; Hugo, d’Anvers, et plusieurs autres qui, n’étant jamais sortis de leur pays, conservèrent toujours la manière flamande. Nous en dirons autant d’Albert Durer, qui cependant visita l’Italie, et sut imprimer aux têtes de ses personnages un caractère de beauté et de vivacité que toute l’Europe admire.

Mais glissons sur ces maîtres et sur Lucas de Hollande, pour arriver à Michel Coxcie, que nous avons connu à Rome, en 1532 (4). Michel étudia, avec succès, la manière italienne, et peignit à Rome quantité de fresques, parmi lesquelles nous citerons celles dont il orna deux chapelles de l’église de Santa-Maria de Anima. Il retourna ensuite dans sa patrie où son talent est apprécié, et où l’on nous apprend qu’il a fait, entre autres choses, pour le roi d’Espagne, une copie du Triomphe de l’Agnus Dei, dont la ville de Gand est redevable à Jean van Eyck.

Peu de temps après Michel, vint à Rome Martin Hemskerck, bon peintre de figures et de paysages. Il a fait, en Flandre, une foule de tableaux et de dessins qui ont été gravés, ainsi que je l’ai noté ailleurs, par Jérôme Kock que j’ai connu à Rome, pendant que j’étais au service du cardinal Hippolyte de Médicis (6). Tous les artistes que je viens de nommer ont déployé une grande richesse d’invention et se sont montrés fidèles observateurs de la manière italienne.

L’an 1545, je fus intimement lié à Naples avec Jean Kalcker, qui s’assimila la manière italienne avec une telle perfection, qu’il était impossible de prendre ses ouvrages pour ceux d’un Flamand. Malheureusement il mourut à Naples dans un âge peu avancé, au moment où l’on concevait de lui les plus hautes espérances (7). C’est à lui que l’on doit les dessins du livre d’anatomie de Vesale. Avant Jean Kalcker, florissaient Dirk, de Louvain, et Quintin Messys, d’Anvers (8). Ce dernier s’efforça surtout d’imiter la nature dans ses figures ; exemple que suivit un de ses fils, nommé Jean.

Joseph Cleef, grand coloriste et habile portraitiste, a peint pour François, roi de France, une foule de seigneurs et de nobles dames (9).

Rangeons encore parmi les peintres fameux, Jean d’Emsen ; Mathieu Kock, d’Anvers ; Bernard, de Bruxelles ; Jean Cornelis, d’Amsterdam ; Lambert (10), de la même ville ; Henri, de Dinan ; Joachim Patenier, de Bovines (11) ; et Jean Schooreel, chanoine d’Utrecht, qui porta en Flandre maints procédés empruntés à l’Italie (12). Il ne faut pas non plus oublier Jean Bellagamba, de Douai ; Dirk d’Harlem ; et François Mostaert, qui peignit des paysages et des sujets fantastiques avec un rare talent.

François Mostaert fut imité par Jerome Bos, de Bois-le-Duc, et par Pierre Breughel, de Breda (13).

Lansloot Blondeel se distingua dans l’art de rendre les effets produits par les ténèbres et par les flammes.

Les tableaux de Pierre Koeck dénotent une riche imagination (14). Il a fait de magnifiques cartons pour des tapisseries. Ses connaissances en architecture lui ont permis de traduire en allemand les œuvres de Sebastiano Serlio, de Bologne.

Jean de Mabuse fut, pour ainsi dire, le premier qui porta d’Italie en Flandre l’art de peindre le nu et de traiter les sujets poétiques. Il décora de sa main une grande tribune dans l’abbaye de Middelbourg, en Zélande.

Tous ces détails m’ont été fournis par le peintre Jean Stradan, de Bruges, et par le sculpteur Jean Bologne, de Douai, tous deux Flamands et excellents artistes, comme on le verra dans notre notice sur les Académiciens.

Arrivons aux maîtres flamands aujourd’hui vivants. Le premier d’entre eux est Franc-Flore, d’Anvers, élève de Lambert Lombard. Personne, dit-on, n’a mieux que lui exprimé la douleur, la tristesse, en en un mot, toutes les diverses affections de l’âme. Ses admirateurs l’égalent au Sanzio, et l’ont surnommé le Raphaël flamand. Il est vrai que ce titre ne nous semble pas entièrement justifié par les gravures qui ont été exécutées d’après les tableaux de Franc-Flore, mais il faut penser aussi que le graveur, si habile qu’il soit, reste toujours bien loin en arrière des originaux qu’il copie.

Franc-Flore eut pour condisciple dans l’atelier de Lambert Lombard, Wilhelm Rey, de Breda, homme plein de sagesse, de gravité et de jugement. Wilhelm Rey imita fidèlement la nature, et se distingua en outre par le bon goût de ses inventions et la suavité de son coloris. S’il ne brille pas par autant de facilité, de fierté et de vigueur, que son condisciple Franc-Flore, il n’est pas moins, et à bon droit, regardé comme un maître excellent (15).

L’importateur de la manière italienne en Flandre, Michel Coxcie, que nous avons mentionné plus haut, s’est rendu célèbre par la gravité de ses compositions et la physionomie sévère et virile de ses personnages. Messire Dominique Lampsonius dit, en parlant de Franc-Flore, de Wilhelm Rey et de Michel Coxcie, que l’on peut les comparer à trois musiciens dont chacun exécute avec perfection, sa partie, dans un beau trio.

Antoine Moor, d’Utrecht, en Hollande, peintre de Sa Majesté Catholique, est aussi tenu en haute estime. Ses ouvrages, assure-t-on, luttent de vérité avec la nature, et trompent les yeux les mieux exercés. Lampsonius m’écrit que Moor a peint un merveilleux tableau qui représente un Christ ressuscité, accompagné de deux Anges, de saint Pierre et de saint Paul (16).

Martin de Vos s’est également fait remarquer par la beauté de ses inventions et de son coloris, et par la correction de son dessin (17).

En première ligne des paysagistes on met Jacques Grimmer (18), Hans Bol (19), et plusieurs autres vaillants peintres d’Anvers, sur lesquels je n’ai pu me procurer de renseignements.

Pierre Aertsen dit Pierre-le-Long, a laissé à Amsterdam, sa patrie, un tableau muni de volets, qui a coûté deux mille écus, et qui représente la Vierge et différents saints (20).

On compte encore au nombre des bons peintres Lambert, d’Amsterdam (21), qui habita Venise pendant plusieurs années, et qui saisit très-bien la manière italienne. Ce Lambert est le père de notre académicien Frédéric que nous retrouverons ailleurs.

Pierre Breughel est pareillement considéré comme un excellent maître, ainsi que le Hollandais Lambrecht van Oort, d’Amersfoort (22).

Enfin, Gilles Mostaert, frère du peintre François, est un habile architecte (23), et le jeune Pierre Porbus a déjà prouvé qu’il excellerait un jour dans l’art de la peinture (24).

Parmi les meilleurs miniaturistes flamands on range Marin, de Zirizec ; Guerard Horebout, de Gand ; Simon Benic, de Bruges, et Guérard (25). Quelques femmes se sont aussi illustrées dans la miniature. On cite particulièrement Suzanne, sœur de Guerard Horebout. Elle fut appelée en Angleterre par le roi Henri VIII, qui la garda à son service tant qu’elle vécut. On cite encore Clara Skeysers, de Gand, qui, dit-on, mourut vierge à l’âge de quatre-vingts ans ; Anna, fille de maître Segher, médecin ; et Levina, fille de maître Simon Benic, de Bruges. Levina alla, comme Suzanne Horebout, en Angleterre, où son talent la fit marier noblement par le roi Henri, et lui valut les bonnes grâces de la reine Marie et de la reine Élisabeth. Catherine, fille de maître Jean d’Emsen, se rendit en Espagne, et entra au service de la reine de Hongrie, qui lui assigna une forte pension. En somme, beaucoup d’autres Flamandes ont exercé le même art avec distinction.

La Flandre a eu de vaillants peintres-verriers, tels que Art Van-Ort, de Nimègue ; Borghese, d’Anvers ; Jacobs Felart ; Dirick Stas, de Campen ; et Jean Ack, d’Anvers, de la main duquel sont les fenêtres de la chapelle du Saint-Sacrement, à Sainte-Gudule, de Bruxelles. Gaultier et George, de Flandre, ont fait, en Toscane, pour le duc de Florence, quantité de belles verrières, d’après les dessins du Vasari.

Les plus célèbres sculpteurs et architectes flamands sont Sébastien d’Oia, d’Utrecht, qui servit Charles-Quint et le roi Philippe, en qualité d’ingénieur militaire ; Guillaume, d’Anvers ; Guillaume Cock, de Hollande, à la fois sculpteur et architecte ; de même que Jean, de Dale, qui, de plus, fut poëte ; et Jacques de Beuch, qui exécuta divers ouvrages de sculpture et d’architecture, pour la reine régente de Hongrie. Ce Jacques de Beuch fut le maître de Jean Bologne, de Douai, notre académicien dont nous parlerons ailleurs.

Jean Minescheren, de Gand, mérite aussi d’être mentionné comme architecte, et Mathieu Manemacken, d’Anvers, comme sculpteur.

Cornille Flore, frère de Franc, montra du talent en sculpture et en architecture. Il fut le premier qui introduisit en Flandre l’art des grotesques.

Voici les noms de quelques autres sculpteurs dont les ouvrages sont renommés : Guillaume Palidam, frère de Henri ; Jean de Sart, de Nimègue ; Simon, de Delft ; et Gios Jason, d’Amsterdam.

Lambert Suavius, de Liège, habile architecte, a gravé au burin, et a été suivi par George Robin, d’Ypres, par Dirick Volckaert, de Harlem ; par Philippe Galle, de la même ville ; par Lucas, de Leyde, et par divers maîtres qui sont allés étudier en Italie les chefs-d’œuvre antiques.

Mais de tous les Flamands que j’ai nommés, aucun n’est supérieur à Lambert Lombard, de Liège (26), homme très-versé dans les lettres, peintre judicieux, savant architecte, et ce qui n’est pas son moindre titre, maître de Franc-Flore et de Wilhelm Key. C’est à l’érudit Messire Dominique Lampsonius, de Liège, aujourd’hui secrétaire de monseigneur l’évêque-prince de Liège, que je dois quelques renseignements sur Lambert Lombard et sur plusieurs autres artistes. Il m’a même envoyé la biographie de Lambert, écrite en latin, et plusieurs fois il m’a salué au nom de divers maîtres de son pays. Je conserve une de ses lettres, datée du 30 octobre 1564, qui est ainsi conçue : « Voilà quatre ans que j’ai le désir de vous remercier de deux grands services que vous m’avez rendus. Cet exorde d’un homme qui ne vous a jamais approché vous paraîtra étrange, sans doute ; et ce serait avec raison si je ne vous connaissais pas ; mais je vous connais depuis que ma bonne étoile, ou pour mieux dire, depuis que Dieu a fait tomber entre mes mains vos excellentes biographies des peintres, des sculpteurs et des architectes. Alors je ne savais pas un mot d’italien, tandis que maintenant, en lisant votre livre, j’en ai, Dieu merci, appris assez pour oser vous écrire cette lettre. Oui, le désir d’apprendre l’italien m’a été inspiré par vos écrits. J’ai voulu les comprendre parce que, dès mon enfance, j’ai nourri un incroyable amour pour les trois arts du dessin, et surtout pour la peinture. Les secrets de cet art divin m’étant inconnus, maintenant votre livre que j’ai lu et relu m’en a dévoilé une partie qui, si minime qu’elle soit, suffit pour me rendre la vie agréable et joyeuse ; et ce peu que j’ai acquis, je l’estime plus que tous les honneurs, toutes les jouissances et toutes les richesses de ce monde. Je puis peindre à l’huile et d’après nature, mais principalement les nus et les draperies ; car je ne me suis pas senti le courage d’aborder des sujets plus difficiles, comme les paysages, les arbres, les eaux, les nuages, etc., qui réclament une main plus ferme et plus exercée. Cependant, au besoin, peut-être, serais-je en état de montrer que votre livre m’a fait faire quelques progrès dans le genre dont je viens de parler. Quoi qu’il en soit, je m’en suis tenu au portrait, d’autant que j’y ai été forcé par les nombreuses occupations que ma place entraîne nécessairement à sa suite.

Pour vous témoigner combien je suis reconnaissant de ce que vous m’avez poussé à apprendre la peinture et l’italien, je vous aurais envoyé un petit portrait que j’ai fait d’après moi-même, à l’aide d’un miroir, si je n’eusse craint que cette lettre ne vous trouvât point à Rome ; car en ce moment, peut-être, êtes-vous à Florence, ou à Arezzo, votre patrie. » Cette lettre se termine par des particularités qu’il est inutile de rapporter ici.

Messire Dominique Lampsonius m’écrivit ensuite au nom de plusieurs de ses compatriotes qui, ayant su que ces biographies se réimprimaient, me priaient d’y joindre trois traités sur la peinture, la sculpture et l’architecture, accompagnés de figures explicatives, comme les livres d’Albert Durer, du Serlio, et de Leon-Battista Alberti, les œuvres duquel ont été traduites par Messer Cosimo Bartoli, gentilhomme et académicien florentin. J’aurais bien volontiers accédé à ce désir, si mon intention formelle n’eût pas été de me borner à écrire les vies de nos artistes.

Ce travail lui-même a déjà pris entre mes mains, une extension qui dépasse mes prévisions ; mais je n’ai pu ni dû l’abréger, soutenu que j’étais par la volonté de rétribuer chacun selon son mérite, et par l’espoir d’être utile et agréable à ceux qui me liront.



Chez les peuples de l’Occident on ne trouve plus que de rares vestiges des peintures du moyen âge. La plupart ont été détruites par le temps, délaissées par l’insouciance ou reléguées dans les greniers par l’envie ou par l’ignorance qui a jugé bon de leur substituer des images plus fraîches. Mais c’est surtout de la réforme de l’église que les monuments primitifs de l’art occidental ont eu à souffrir. La réforme, tout en offrant un nouveau champ à l’activité humaine, traita les beaux-arts d’une manière hostile et les punit d’avoir illustré les anciennes croyances. D’un côté une dédaigneuse et stupide indifférence, de l’autre côté une violence ouverte et une rage aveugle se réunirent pendant trois cents ans pour anéantir ce que l’âge antérieur avait laissé de remarquable et de grand.

Depuis peu d’années seulement, quelques archéologues, animés d’une énergie intime, soutenus par un enthousiasme calme et patient, et guidés par un esprit impartial, ont osé pénétrer dans les ténèbres de cette époque de l’histoire de l’art, et recueillir les débris dispersés du passé ; bientôt, il faut l’espérer, leurs persévérantes recherches réhabiliteront une foule de précieuses productions qui serviront à combler les nombreuses lacunes qui existent dans les ouvrages de ce temps et à démontrer avec évidence que le Nord, loin d’être resté étranger au développement de l’art, y a au contraire puissamment contribué.

Le peu de documents que l’on a réunis jusqu’à présent sur les premières phases de la peinture dans les Pays-Bas ne doit pas cependant faire supposer qu’elle y ait été tardivement cultivée. Elle dut y pénétrer avec la civilisation romaine et s’y fixer avec le christianisme. Plusieurs anciens chroniquers néerlandais témoignent, en effet, que partout, dans ces provinces, les apôtres de la foi nouvelle et les princes se plaisaient à encourager et à protéger les peintres, et que les palais, les églises, les monastères et, en un mot, tous les édifices publics étaient abondamment pourvus de tableaux.

Ces renseignements, à coup sûr, ne sont pas destinés à jeter une bien vive lueur sur les commencements des écoles jumelles de Flandre et de Hollande. Mais, sans avoir recours à eux, il est facile au moins d’établir par voie d’induction que, durant le moyen âge, l’art eut ses foyers dans les Pays-Bas tout aussi bien que dans les autres contrées occidentales.

Si, comme personne ne l’ignore, la peinture a été exercée en France dès le VIe siècle, et en Allemagne dès le IXe siècle, n’a-t-elle pas dû nécessairement être pratiquée aussi vers les mêmes temps dans les Pays-Bas qui touchent aux frontières de la France et de l’Allemagne ? Comment supposer le contraire, surtout quand on songe que la Flandre et le Brabant, grâce au commerce et à l’industrie, devancèrent leurs voisines dans les autres branches de la civilisation ; que le christianisme s’y introduisit plus tôt et y fit naître une foule de couvents et d’églises qui là, comme ailleurs, furent le berceau de l’art moderne ? Du reste, le savant Fiorillo, qui put mettre à contribution les richesses bibliographiques de Gœttingue, ne nous apprend-il pas que, vers l’an 745, les religieuses d’un couvent flamand de l’ordre de saint Benoît consacraient leurs loisirs à l’étude de la peinture ; que les carmes de la ville de Harlem, dont le monastère avait été fondé en 1249, firent représenter sur les murs de leur église les portraits des comtes de Hollande depuis Dietrich Ier jusqu’à Marie de Bourgogne, et que l’évéque Everhard, qui gouverna Liége en 959, orna une de ses églises de tableaux contenant les miracles de saint Martin. Enfin Gramaye, dans ses Antiquités d’Anvers, ne rapporte-t-il pas qu’en 1396, cette ville, encore fort peu importante[1], possédait déjà cinq ateliers de peintres et de sculpteurs ? Cette notice statistique atteste suffisamment, il nous semble, que la peinture et la sculpture furent accueillies de bonne heure, et avec faveur, dans les Pays-Bas. Il est vrai que van Mander, dans la préface de ses Vies des peintres néerlandais, écrit : « Je ne trouve pas que dans ces provinces l’on connaisse ou l’on cite des peintres plus anciens que Van Eyck : » mais la perfection qui distingue les ouvrages de van Eyck n’autorise-t-elle pas à conclure avec certitude que la patrie de cet artiste vit fleurir avant lui une grande école ? Bien que van Eyck appartienne évidemment au nombre de ces puissantes individualités dans lesquelles la nature semble avoir renfermé en quelque sorte le germe et la fleur d’un art tout entier, il n’est pas moins certain qu’un maître qui, comme lui, déploie autant de supériorité dans les différentes parties de son art, ne tombe pas tout à coup du ciel et n’offre que le résultat du développement artistique de plusieurs générations.

Il est donc du plus haut intérêt d’étudier les rapports que van Eyck a eus avec ses prédécesseurs. Goethe, dans son journal intitulé l’Art et l’antiquité sur les bords du Rhin et du Mein, et d’autres critiques très-estimés ont prétendu trop légèrement, selon nous, que les van Eyck avaient reçu directement l’initiation de l’ancienne école de Cologne. Cette assertion les a conduits ensuite tout droit à dire que la peinture flamande et hollandaise de l’époque antérieure à celle de van Eyck a présenté absolument le même caractère que la peinture allemande du pays voisin de Cologne. Les arts, dans ces contrées, comme dans toute l’Europe, à l’exception de l’empire grec, ont affecté, à la vérité, le même caractère et la même technique pendant les premiers siècles du moyen âge ; mais les tableaux de l’école de Cologne du XIVe siècle, constamment soumis au principe ogival, diffèrent essentiellement des ouvrages de van Eyck, qui sont basés sur une imitation plus expresse de la nature. Les premiers sont en outre tellement inférieurs aux seconds, sous le rapport de l’exécution matérielle, qu’on est irrésistiblement amené à supposer aux initiateurs du célèbre Flamand une technique et des principes plus avancés que ceux des anciens maîtres de Cologne.

Ce n’est, du reste, qu’en remontant à l’origine d’un art qu’on peut espérer d’arriver à démêler les véritables principes qui ont présidé à son développement. Examinons donc quand et comment la peinture se dégagea en Flandre des langes où on la voit croupir jusqu’au XIIe siècle chez les autres nations occidentales.

Quelques écrivains ont attribué la renaissance de l’art dans les Pays-Bas aux progrès incessants de l’industrie et du commerce, de la richesse publique et de la liberté politique pendant le XIIIe et le XIVe siècle. Le goût du luxe, l’amour de la liberté, l’activité des citoyens peuvent bien assurément contribuer à accélérer la marche d’un art naissant ; mais renferment-ils en eux-mêmes des éléments capables de régénérer un art, d’enfanter un art nouveau ? Nous ne le croyons pas. Pour qu’un art dégradé, corrompu par la barbarie, ou épuisé par sa propre décrépitude, sorte de cet avilissement, il faut toujours une impulsion venant du dehors, un exemple plus parfait et assez puissant pour enflammer les artistes d’une noble émulation et pour les pousser à abandonner la routine et à se lancer dans la voie du progrès.

M. de Rumohr pense que la prise de Constantinople par les croisés, en 1204, a beaucoup aidé l’art italien à se relever de l’état de langueur et de dépérissement où il se trouvait avant le XIIIe siècle. Quantité de villes d’Italie, écrit-il, ont pris part au pillage de Byzance, et la propagation des anciens ouvrages néo-grecs qui s’ensuivit a sans doute engagé les artistes italiens à s’approcher de la manière de représenter et d’exécuter qui fut propre aux Byzantins, et qui apparaît dans les peintures toscanes et ombriennes après le commencement du XIIIe siècle.

Le même événement, selon nous, exerça en Flandre une action salutaire sur l’art et prépara son essor. Byzance seule, malgré sa lamentable décadence, conservait alors une technique satisfaisante. L’art y servait en cent manières aux besoins les plus délicats de la vie. Avec le luxe des Grecs, leur goût pour les beaux-arts et leurs principes durent s’introduire dans les pays du nord. Tout le monde sait que les Flamands n’ont pas seulement coopéré activement au siége de Constantinople, mais encore que leur chef, le comte Baudouin de Flandre, y fut couronné empereur, et que sa famille s’y maintint sur le trône jusqu’en 1261. On sait de plus que les successeurs de ce Baudouin ont entretenu des rapports constants avec leurs parents de Flandre, et que Baudouin II retourna même dans sa patrie après avoir été expulsé par Michel Paléologue. Or, à quelle époque les modèles constantinopolitains auraient-ils pu être transportés plus facilement dans les villes flamandes, et de là dans celles des autres provinces néerlandaises de la Basse-Allemagne, que pendant tout le temps où la Flandre eut des relations directes et animées avec la ville où ses comtes étaient empereurs ? En outre, ne peut-on pas admettre aussi que la technique, qui distinguait les Néo-Grecs de toutes les autres nations, fut importée en Flandre par des artistes flamands qui étaient allés faire leur apprentissage à Constantinople, ou par des peintres grecs envoyas par les empereurs à leurs cousins de Flandre ? Quoi qu’il en soit, toujours est-il que les Flamands, dans leur peinture, repoussèrent ces nuances faibles et timides, et ces teintes fuyardes et nuageuses dont les enveloppaient les brouillards de leurs marécages, et qu’ils adoptèrent les tons robustes, éclatants et splendides que les Grecs avaient dérobés à leur ciel ardent et pur. Enfin, à l’instar des Orientaux, les Flamands cherchèrent encore à augmenter l’éclat des couleurs par les artifices du coloris, par la hardiesse des contrastes et de l’effet, ainsi que le témoignent ces miniatures antérieures à van Eyck dont nous avons parlé dans le volume précédent.

Tout porte donc à croire que la Flandre reçut, non de Cologne comme on l’a prétendît, mais de l’Orient, une impulsion salutaire, ou pour mieux dire une véritable initiation.

Mais si l’on ne peut nier l’action que l’art de l’Orient exerça sur l’art des Pays-Bas ; s’il est certain que celui-ci se rattache au premier par le procédé de la coloration, par le fond même des types ; en un mot, s’il est évident qu’il en est issu ; d’un autre côté, il faut reconnaître qu’il existe, entre l’initiateur et l’initié, des différences non moins radicales que celles qui séparent l’art grec de l’art égyptien. En effet, au grossier et ténébreux symbolisme mélangé d’un vague souvenir de l’antique qui compose l’essence de l’art de l’Orient, les peintres du Nord substituèrent, sans retour possible, des principes lumineux et sympathiques, basés sur l’observation la plus attentive de la nature, sur le sentiment le plus exquis de la réalité ; et ces principes leur appartiennent si bien, qu’ils suffisent pour les distinguer même des Italiens : il est facile de s’en convaincre. L’art italien, ainsi que la langue italienne, ont leurs racines dans le sol antique, et leurs plus belles productions ne renient jamais complètement cette origine. L’Italie trouva naturellement, dans les chefs-d’œuvre antiques que chaque jour sa terre féconde livrait à ses méditations, un élément qui, marié à l’étude de la nature, devait lui servir à s’affranchir promptement des types orientaux, et à conduire l’art de progrès en progrès à son entier épanouissement. Les Pays-Bas, au contraire, où l’antiquité païenne n’avait laissé aucune trace, conservèrent longtemps une grande déférence pour les modèles néo-grecs ; et lorsque, plus tard, après s’être approprié les procédés techniques des maîtres byzantins, ils voulurent secouer le joug de la tradition, ils furent forcés, pour suppléer aux précieux enseignements qu’offraient aux Italiens les restes imposants de l’antiquité, de demander exclusivement à la nature de nouveaux principes, de nouvelles formules. Aussi virent-ils de bonne heure germer et se développer, sur leur sol, avec une vigueur frappante, des idées éminemment indépendantes et originales, qui imprimèrent à toutes les conceptions de leurs artistes un profond cachet d’individualité, et assurèrent à leur école, dans le domaine de la peinture, une place à peu près semblable à celle que la langue allemande occupe parmi les langues modernes. Une fois lancés à la poursuite de la réalité, les peintres du Nord rencontrèrent mille germes de vérité, de poésie, de naïveté et d’indépendance, desquels ils dégagèrent un style qui sut être le plus éloquent, et à la fois le plus fidèle interprète de la nature et de la personnalité humaine.

Ce style, qui était appelé à moduler toutes les harmonies de la terre, commence déjà à poindre au XIIIe siècle, dans l’art septentrional. Déjà les miniatures de divers manuscrits de cette époque révèlent une volonté et une tendance qui présagent les progrès de l’avenir. Déjà le peintre repousse les thèmes imposés par la tradition, et ose aborder les scènes de la vie réelle. La roideur, la monotonie, l’austérité des formes consacrées disparaissent pour faire place à des lignes pleines d’élan, de variété et d’originalité. Les attitudes, jusqu’alors immobiles et anguleuses, s’animent gracieusement. Aux anciens ajustements succédé le costume contemporain qui acquiert quelque souplesse. Les variétés d’incidents, d’épisodes et d’accessoires, sans nuire à l’unité d’action, empêchent l’esprit d’être fatigué par la continuité du même effet. Enfin, les physionomies et les gestes des personnages, parfois maniérés et exagérés, mais plus souvent gracieux, simples et naïfs, ou énergiquement mouvementés, s’essaient à exprimer toutes les passions, toutes les affections qui se disputent l’intérieur de l’homme. C’est le réveil du sentiment individuel qui, bien que faible et grossier encore, se manifeste dans les personnages représentés, ou les pénètre à son insu.

Au XIIIe siècle, les contrées du Nord, surtout la France septentrionale, l’Allemagne et les Pays-Bas, développent cet élément qui sonde la réalité en tous sens, et apparaît aussi bien dans la peinture que dans les productions nombreuses d’une poésie originale et nationale.

Néanmoins, malgré d’incontestables progrès, les artistes, dans la période qui nous occupe, sont encore loin d’être arrivés à un point satisfaisant sous le rapport de la vie, de la vérité et de l’individualité. Forcés de lutter contre les anciens modèles consacrés par la tradition, et sanctionnés par une longue domination, ils cherchent à traduire leur pensée en ayant recours aux moyens les plus violents, les plus extrêmes, dictés par l’inexpérience, et peut-être aussi par l’impuissance.

Dans le siècle suivant, ces exagérations s’adoucissent, et l’idée nouvelle revêt des formes plus nobles et plus pures. Mais ce n’est qu’au commencement du XVe siècle que s’épanouissent de la manière la plus heureuse tous les germes qui, jusqu’alors, n’avaient guère travaillé qu’à se dégager des flancs du chaos. À partir de cette auguste époque, le sentiment de la nature illumine et féconde toutes les productions de l’art.

Les maîtres, tournés vers les objets de la réalité, réussissent, en les reproduisant avec fidélité et en les ennoblissant, à affranchir la peinture de la servitude architectonique, et à lui faire décidément acquérir une valeur indépendante.

L’école de Flandre, à la tête de laquelle marchent les frères Hubert et Jean van Eyck, représente les commencements de cette nouvelle phase de l’art septentrional. Les figures isolées et les groupes symétriquement ordonnés sont répudiés ; la splendeur monotone des fonds d’or est remplacée par des perspectives variées, où l’œil du spectateur peut se promener à l’aise. Le monde entier des phénomènes extérieurs, le ciel et la terre, les chaînes de montagnes gracieusement ondulées, les forêts qui voilent leurs pentes, les fleuves et les lacs qui baignent leurs pieds, les horizons moirés d’ombres et de clartés qui couronnent leurs têtes, les arbres chargés de fruits, les prairies émaillées de fleurs et de lueurs humides qui chatoient dans leurs herbes, les torrents, les ruisseaux, les ruines, les palais, les châteaux, les habitations privées, avec leurs meubles, leurs ustensiles et leurs ornements, tout, en un mot, se réfléchit dans les œuvres des deux illustres chefs de l’école flamande, et surtout dans celles de Jean van Eyck, qui a absorbé presque toute la gloire de son frère aîné[2]

L’apparition d’une individualité aussi puissante que celle de Jean van Eyck dut nécessairement exercer une grande influence sur les tendances de l’art contemporain. Ses principes, en effet, dépassèrent de bonne heure les frontières, et envahirent les écoles étrangères.

L’école de Cologne fut une des premières à les accueillir. Dès la seconde moitié du XVe siècle, un de ses maîtres les plus distingués réunit les pratiques locales à celles de van Eyck. La fameuse Passion, qui appartient à M. Lieversberg, de Cologne, et d’autres tableaux dus à la même main, et conservés à Munich, à Nuremberg et à Coblentz, en sont la preuve. Leur auteur, auquel on a donné sans raison plausible le nom d’un orfévre et graveur contemporain, Israël von Meckenem, est malheureusement resté inconnu. Les fonds dorés, le jet des draperies, et d’autres particularités qu’on remarque dans les pages attribuées à cet artiste, rappellent encore le style de Meister Wilhelm ; mais l’exécution, l’agencement des groupes et le caractère des têtes, sont évidemment empruntés à van Eyck.

Les écoles de l’Allemagne méridionale ressentirent puissamment l’action de van Eyck. Ces écoles, comme tout le monde le sait, n’acquirent une grande importance que vers la fin du XVe siècle, grâce aux efforts de Frédéric Herlin, de Martin Schœngauer, de Jean Holbein le père, et de Michel Wohlgemuth. Or tous ces maîtres, non-seulement adoptèrent les procédés techniques perfectionnés par van Eyck, mais encore s’approprièrent son naturalisme et sa manière de disposer et de traiter les sujets. Frédéric Herlin surtout marcha scrupuleusement sur ses traces. Quant à Jean Holbein le père, Martin Schœngauer et Michel Wohlgemuth, tout en révélant un talent plus original, ils portent l’empreinte visible du style de van Eyck.

Au déclin du XVe siècle, van Eyck trouva aussi des adeptes fervents en Westphalie. Au commencement du siècle suivant, ses doctrines y fructifièrent au point qu’on y rencontre des tableaux qu’il serait facile de confondre avec ceux de l’école flamande.

L’Italie elle-même ne resta pas étrangère à la direction imprimée à l’art par van Eyck. Avant le XVIe siècle, les tableaux de van Eyck n’étaient déjà plus rares en Italie, et ils y obtenaient un immense succès, si l’on en croit Facius et Vasari. Bientôt les peintures d’Albert van Ouwater, de Roger de Bruges, de Hans Hemling et de Jérôme Bos, y devinrent populaires, et donnèrent lieu à de nombreux et irrécusables emprunts. Déjà nous avons signalé, à la suite de la biographie du Titien, l’influence exercée par Jean van Eyck et ses disciples sur les œuvres vénitiennes des premières périodes. Elle est également facile à reconnaître à Naples, et même à Florence, dans les productions d’une foule de maîtres de la seconde moitié du XVe siècle, parmi lesquels il nous suffira de citer Domenico Ghirlandaio.

Les principes et les procédés de van Eyck pénétrèrent jusqu’en Espagne. Au milieu du XVe siècle, l’art y était encore dans l’enfance ; aussi dut-il ne point se montrer rebelle aux enseignements qui lui furent offerts. Or, aucun pays autant que l’Espagne n’a été visité par les peintres flamands. Parmi les artistes que Jean II, roi de Castille, attira à sa cour, on trouve un certain Rogel de Flandre, qui peut-être n’est autre que Roger de Bruges ; car, dans les archives de la chartreuse de Miraflorès, près de Burgos, il est appelé le grand et fameux Flamand[3]. Un de ses compatriotes, que les biographes espagnols désignent sous le nom de Juan Flamenco, peignait, de 1496 à 1499, dans la même chartreuse, deux tableaux que l’on y voit encore, et dont l’un représente plusieurs épisodes de la vie de saint Jean-Baptiste, et l’autre l’Adoration des Mages[4]. M. de Keverberg, dans son livre intitulé Ursule, princesse britannique, d’après la légende et les peintures d’Hemling, et madame JoHanna Schœpenhauer, dans sa Vie de Jean van Eyck, pensent que, dans ce Juan Flamenco, il faut reconnaître Hans Hemling, qui serait allé finir ses jours en Espagne. Cette opinion n’est pas sans quelque vraisemblance, mais elle est loin d’être fondée sur des documents positifs. Peut-être ce Juan Flamenco est-il le même que Juan de Flandes, qui orna de quelques tableaux la cathédrale de Palencia. Au XVIe siècle, le nombre des peintres flamands qui s’établissaient en Espagne, ou ceux qui y séjournaient passagèrement, alla toujours en augmentant[5]. Cornille Vermeyen y suivit Charles-Quint en 1534. Deux autres Flamands, maître Pierre et Franz Krutet, vécurent à Séville de 1537 à 1548. Sous le règne de Philippe II, Michel Coxcie, Antoine Moor, Christophe d’Utrecht et Antoine Pupiler, travaillèrent à Madrid. À la même époque, Pierre Campana, Antoine de Bruxelles, et Fernand Sturm, de Ziricksee, étaient occupés à Séville, et Jean Flores à Placencia et à Madrid. Ces maîtres et les tableaux envoyés par leurs compatriotes durent, on le comprend, contribuer, de la manière la plus puissante, au développement de l’art espagnol, qui, dans le XVIIe siècle seulement, atteignit l’âge de majorité, et parla sa propre langue.

Mais ce fut dans sa patrie que Jean van Eyck exerça l’influence la plus souveraine et la plus incontestée. Il y créa une nombreuse école qui se répandit dans toutes les provinces des Pays-Bas, et qui, pendant longtemps, conserva la plus entière déférence pour ses principes.

Les successeurs immédiats de Jean van Eyck furent Roger de Bruges, Hugo van der Goes, Peter Cristophsen, Albert van Ouwater, fondateur de l’école de Harlem, et Hans Hemling, le plus considérable et le plus original de tous ses élèves et imitateurs.

Hemling, après une jeunesse fort agitée, se fit soldat. À la suite d’une blessure, il entra à l’hospice Saint-Jean, de Bruges, dont le régime lui plut, au point qu’il y prolongea sa convalescence pendant six ans. Des portraits, une Adoration des Mages, l’admirable châsse de sainte Ursule, et le Mariage mystique de sainte Catherine, si justement célèbre, furent le prix des bons soins qu’on lui prodiguait.

Les tableaux de Hemling, reproduisent d’une manière singulièrement austère, le style de van Eyck. Il donne, en général, à ses têtes, moins de grâce, mais plus d’accent et de noblesse ; les personnages sont aussi sveltes et aussi élancés, mais plus énergiquement mouvementés ; son exécution est plus précise, quoique moins détaillée ; quant à l’ordonnance des groupes, il observe une rigide symétrie, et il n’admet ordinairement que les acteurs indispensables. En revanche, il cherche à épuiser la partie historique de ses sujets, et, dans presque toutes ses œuvres, il aime à représenter épisodiquement les événements qui précèdent ou qui suivent l’action principale. Mais toujours l’harmonie morale la plus élevée est là pour remédier à ce désordre apparent. L’austérité de son esprit se révèle surtout dans la conception et le coloris des paysages. Si les paysages de Jean van Eyck resplendissent d’un éclat printanier, ceux de Hemling réfléchissent la maturité de l’été ; la verdure y est plus sombre, les arbres y sont plus touffus, les ombres plus vigoureuses et les masses de lumière plus grandes et plus calmes.

Parmi les derniers peintres qui se rattachent plus ou moins étroitement à l’école de van Eyck, nous citerons Rogier van der Weyde, de Bruxelles ; Quintin Messys, le célèbre forgeron d’Anvers ; et Bartholomé van Bruyn.

Les maîtres qui leur succédèrent parurent au moment où la peinture italienne enfantait ses chefs-d’œuvre. Mais leurs productions et celles des Italiens ne diffèrent pas seulement sous le rapport de la direction particulière, de l’intention et de la disposition individuelles, mais encore sous celui de la solution satisfaisante des sujets. Une longue et riche série d’œuvres parfaitement belles naquit sur le sol italien. Cette terre privilégiée vit se renouveler ces temps merveilleux de l’antiquité grecque, où la beauté se révéla dans toute sa splendeur, où la pensée divine s’incarna dans les formes les plus accomplies, où la dignité souveraine de l’homme fut représentée par les images les plus sublimes.

Cet élément de la suprême beauté, qui éclata avec tant de magnificence en Italie, n’était pas destiné à s’épanouir dans les contrées du Nord. Cependant les populations cisalpines n’étaient pas dépourvues des dispositions nécessaires pour comprendre et développer le beau. On voit, dans les premières périodes du style gothique ou germanique, se manifester chez quelques artistes du Nord une tendance dominante à concevoir l’idéal, et l’imperfection extrême des moyens seule les empêcher de l’exprimer clairement. Plus tard, Jean van Eyck et ses élèves, en s’attachant à la réalité, surent la colorer de ce qui pouvait la relever et l’anoblir. Ces maîtres ont une grande affinité avec les prédécesseurs de Raphaël, le Pérugin, Andrea Mantegna, Giovan Bellini, Pinturicchio. Dans les ouvrages des deux écoles de cette époque, on remarque le même degré d’expression intime, de naïve intelligence et de noblesse sympathique dans les physionomies. Les Flamands se distinguent même par une connaissance plus étendue des secrets de la technique. On pouvait donc espérer que les peintres du Nord, en conservant la vérité et la naïveté de leurs devanciers, feraient subir à leur art la même transformation qui rendit l’art italien du XVIe siècle si parfaitement harmonieux, si parfaitement beau. Malheureusement il n’en est point arrivé ainsi, et cette époque de la peinture flamande est loin de correspondre au siècle de Léon X. Cette infériorité peut, en grande partie, être attribuée, il nous semble, à l’influence d’un principe fatal auquel on est convenu de donner le nom de fantastique, et qui forme un des traits fondamentaux du caractère des populations et de la nature septentrionales.

Dans le Midi, la sérénité du ciel, la transparence et la clarté de l’air, les ondulations magiques des montagnes, les efflorescences pittoresques de la végétation, enchantent les regards et remplissent l’âme d’une douce et sublime poésie.

Dans le Nord, au contraire, dans ces régions éloignées du soleil, les nuages voilent le firmament, le brouillard pèse sur les vallons ; durant six mois de l’année, la terre dépouillée de ses fleurs et couverte de neige paraît dormir d’un sommeil léthargique. L’homme doit nécessairement réfléchir les objets qui l’entourent : puis, obsédé par l’image constante de la caducité et de la mort qu’il a sous les yeux, pour trouver la vie, il se jette hors du cercle où il en voit si peu. Alors il fouille dans son cœur, son âme se concentre en elle-même, et son esprit actif est excité à peupler les solitudes de créatures imaginaires. Mais lorsque la fantaisie s’aventure dans un monde sans règle et sans limites ; lorsqu’elle abandonne les lois de l’organisme qui constituent le type des formes naturelles ; lorsque, enfin, elle cherche à régner souverainement et arbitrairement, on peut hardiment proclamer que l’empire du beau est en danger. Les rêveries, les songes de la fantaisie pourront se formuler en combinaisons ingénieuses et s’agiter dans une sphère attrayante ; mais elles ne conduiront jamais à un sentiment pur, noble, et élevé de la beauté.

La tendance au fantastique n’est pas tout à fait étrangère aux périodes les plus anciennes de l’art septentrional, bien qu’elle n’y joue ordinairement qu’un rôle subalterne, et que, en certains cas rares, elle s’unisse aux exigences supérieures de la beauté. Elle apparaît déjà dans le caractère hyperbolique des derniers ouvrages de Meister Stephan, de Cologne, dans le célèbre Enfer de van Eyck qui décore la cathédrale de Dantzick, dans la vision du Mariage mystique de sainte Catherine, de Hemling, et dans les folles productions de Jérôme Dos, aussi bien que dans les œuvres des artistes flamands, hollandais et allemands, qui vinrent ensuite, tels que les Breughel, les Lucas de Leyde, les Albert Durer, les Albrecht Altdorfer, les Bartholomé Beham[6]. Mais pourquoi ce pernicieux élément s’est-il montré avec plus de force que jamais, précisément dans les dernières phases du développement de l’art septentrional ? Nous croyons qu’il faut en chercher la cause dans les circonstances générales de l’histoire. C’est l’esprit de protestantisme qui se révèle dans ce fait. La réforme alluma le flambeau de la science, mais éteignit le feu sacré de l’inspiration et étouffa le sentiment au profit de la pensée. Or, quand la pensée domine exclusivement, elle pousse vite aux hiéroglyphes, aux symboles. Alors une forme moins pure suffit pour traduire la pensée ; alors la fantaisie, qui sert de médiatrice entre la pensée et la forme, voit se dérouler devant elle un plus libre espace, un plus vaste champ d’arbitraire. Les anciens songes fabuleux se réveillent, troublent l’imagination et contrarient sa marche sublime vers la beauté. Au milieu de ce désordre, de grands talents, sans doute, peuvent surgir ; mais jamais ils n’atteignent les cimes de l’art, jamais le soleil de la beauté parfaite n’arrive à fondre la glace de leurs créations nébuleuses.

Parmi les causes qui s’opposèrent le plus à l’entier épanouissement de l’art septentrional, nous devons encore signaler la manie d’imiter et de singer les maîtres d’Italie, manie qui s’empara de tous les artistes du Nord pendant la seconde moitié du XVIe siècle. Le style sévère, calme et retenu des Jean van Eyck, des Hans Hemling, fut abandonné. Franc-Flore, les Porbus, les frères Franck, Martin de Vos, Octavius van Veen, Michel Coxcie, cessèrent d’étudier les anciens maîtres de leur pays, et de naturaliser en Flandre le goût italien. Ils s’inspirèrent surtout des écoles florentine et romaine où ils espéraient trouver ce qui leur manquait ; mais ils ne réussirent qu’à s’approprier les types extérieurs de leurs modèles. L’idéal auquel ils s’élevèrent resta toujours un idéal purement de forme, sans importance et sans vie intérieure.

À la fin du XVIe siècle, une immense révolution s’opéra dans la peinture flamande. Après avoir affecté avec le secours du goût italien les apparences d’un art religieux, elle se modela sur les mœurs du pays. Aux riches bourgeois de Flandre, endurcis par l’industrialisme et blasés par les voluptés, il fallait de la débauche en grand. Pour les émouvoir, il fallait leur jeter devant les yeux des drames effroyables avec du sang ruisselant et des chairs palpitantes : pour les égayer, il fallait leur montrer de ces sauvages kermesses, où mâles et femelles lampent le vin et la bière, fument, ripaillent, sautent, roulent et tourbillonnent avec une frénétique ardeur. Alors surgit Pierre Paul Rubens qui, par la multiplicité et la hardiesse de ses conceptions, par la pompe et l’ampleur de son exécution et le faste de son ardent coloris, sut satisfaire à toutes les exigences de son temps. À sa suite marchèrent van Dyck, Jacques Jordaens, Abraham Diepenbeke, van Thulden, Guerard Seghers, Gaspard de Crayer.

Vers la même époque, Rembrandt intronisait définitivement en Hollande le réalisme de l’art, et tirait des ténèbres la personnalité humaine pour la couronner d’une mystérieuse auréole. Une multitude de peintres furent entraînés par l’exemple de ce grand homme. Gerbrand van den Eeckout, Govaert Flinck, Jean Victoor, Ferdinand Bol, Nicolas Maas, furent ceux qui suivirent de plus près les principes de ce merveilleux coloriste. Mais aucun d’eux néanmoins n’obtint ses gigantesques et magiques résultats.

Une révolution nouvelle amena ensuite le règne des peintres de genre, de paysages, de marine, d’animaux, d’architecture et de nature morte. Alors florissent et prospèrent Terburg, Gérard Dow, Metzu, Mieris, Netscher, Pieter van Slingelandt, Jean Steen, Pieter de Hooch, Adrien Brauwer, les Ostade, Pieter de Laar, Wouvermans, Paul Potter, Adrien van den Velde, Albert Cuyp, Bergbem, Karel Dujardin, van Goyen, Jean Wynants, Ruysdael, Hobhema, van der Neer, Backhuysen, Jean van der Heyden, Melchior Hondekoeter, van Huysum et tant d’autres maîtres, dont on ne peut malheureusement admirer les œuvres sans songer avec tristesse qu’ils se sont plu à descendre des hauteurs où brillaient leurs pères, et qu’entre leurs mains se sont dissipés les derniers débris de l’immense fortune que leur avaient amassée une longue suite de prudents ancêtres.

NOTES.

(1) Ce Martin de Hollande est peut-être le même que celui que Vasari a appelé Martino Tedesco dans la biographie de Michel-Ange ; et Martino d’Anvers, dans celle de Marc-Antonio de Bologne. Voyez tom. V, p. 110 et 111, la note 6, p. 289, et t. VIII, p. 77 et 78. — Avertissons ici que Vasari a défiguré de la manière la plus étrange le nom des artistes qu’il a introduits dans cette notice. Ainsi, pour lui Michel Coxcie s’appelle Cockisien, Pierre Koeck, Pierre Coe, Schooreel, Scoorle, Bos de Bois-le-Duc, Bos di Ertoghen Bosc, Aertsen, Arsen, Jacques de Beuch, Jacopo Bruca, Guillaume Cock, Guglielmo Cucur, etc. Nous avons rétabli dans notre traduction la plupart de ces noms tels qu’ils doivent être ; mais il y en a quelques-uns, nous l’avouons, qui sont restés pour nous de véritables hiéroglyphes. Nous les avons donc laissés tels que les donne le texte italien.

(2) Voyez le commentaire d’Antonello de Messine, tome III, sur la prétendue invention de la peinture à l’huile.

(3) Rogier florissait vers l’an 1500, il mourut en 1529.

(4) Michel Coxcie de Malines, né en 1497, mort en 1592.

(5) Martin Willemsz, né en 1498, au village d’Hemskerck, dont il prit le nom, mourut à Harlem, à l’âge de soixante-seize ans. Après avoir eu différents maîtres, il entra chez Jean Schooreel qui, bientôt jaloux du talent de son disciple, le chassa de son atelier. Martin était tellement estimé, que l’an 1572, les Espagnols qui assiégeaient Harlem lui permirent de sortir de la ville et de se retirer à Amsterdam chez son élève Rawaert. Martin légua, par son testament, une somme dont les revenus devaient servir à doter chaque année plusieurs jeunes filles de son village, sous la condition expresse que le jour de la noce, les mariés iraient danser sur sa fosse. Cette cérémonie a été exactement observée jusqu’à nos jours.

(6) Vasari a déjà parlé de Jérôme Kock, dans la biographie de Marc-Antonio. Voyez tome VIII.

(7) Jean van Ralcker mourut en 1546.

(8) Quintin Messys, dit le maréchal d’Anvers, parce qu’il exerça ce métier jusqu’à l’âge de vingt ans, naquit à Anvers, et mourut vers l’an 1529, dans un âge très-avancé.

(9) Joseph van Cleef naquit à Anvers. On ignore la date de sa naissance et celle de sa mort ; mais on croit qu’il fut reçu à l’Académie d’Anvers, en 1511. L’orgueil le poussa à la folie. Il avait une si grande opinion de lui-même, écrit Descamps, qu’en Espagne, ayant été présenté au roi par son peintre Antoine Moor, il souffrait de voir qu’on préférait les ouvrages du Titien aux siens ; il devint furieux, et dit tant d’injures à Antoine Moor, qu’à la fin ce peintre l’abandonna. Sa folie augmenta toujours, et on le vit courir dans les rues avec un habit verni de térébenthine. Il fit encore d’autres extravagances, mais les plus fâcheuses furent qu’à mesure qu’il put retrouver ses tableaux, il les mit en pièces ou les gâta. Il peignait ses panneaux des deux côtés, afin qu’en les retournant on ne vît rien de désagréable. Sa famille le fit enfermer. — Descamps, Vies des Peintres flamands.

(10) Lambert Susterman, né à Liége, vers 1506, florissait vers 1550.

(11) Sandrart et Descamps font naître Patenier à Dinan.

(12) Jean Schooreel naquit l’an 1495, dans le bourg de Shooreel, près d’Alcmaër, en Hollande. Il mourut à Utrecht, en 1562. Franc-Flore le nomme le flambeau des peintres flamands.

(13) Pierre Breughel, dit le vieux, né à Breughel, près de Breda, florissait en 1505. L’année de sa naissance et celle de sa mort ne sont pas connues.

(14) Pierre Koeck d’Aelst naquit en 1500, et mourut en 1553. Il traduisit les Œuvres de Serlio en flamand, et non en allemand comme le dit Vasari.

(15) Wilhelm Key entra à l’Académie en 1540. Il mourut de peur le 5 juin 1568. Voyez Sandrart, page 255.

(16) Antoine Moor, né à Utrecht, mourut à Anvers en 1588, à l’âge de soixante-seize ans.

(17) Martin de Vos naquit à Anvers, en 1520 ; et mourut dans la même ville, en 1604. Il fut élève du Tintoret.

(18) Jacques Grimmer florissait en 1540. Il est auteur de quelques poésies.

(19) Hans ou Jean Bol naquit à Malines, en 1534, et mourut à Amsterdam, en 1583.

(20) Pierre Aertsen naquit à Amsterdam, en 1519, et mourut dans la même ville, en 1573.

(21) C’est-à-dire, Lambert Zustris ou Susterman.

(22) Lambrecht van Oort d’Amersfoort, peintre et architecte, naquit vers l’an 1520. Il fut admis dans la corporation des peintres d’Anvers, l’an 1547.

(23) Gilles et François Mostaert naquirent dans la petite ville d’Ulst, près d’Anvers. Ils entrèrent tous deux dans l’Académie d’Anvers en 1555. François mourut jeune, et Gilles dans un âge très-avancé, en 1601, suivant Descamps, ou en 1598, suivant Sandrart.

(24) Pierre Porbus naquit à Gouda, et mourut en 1583. Il fut le premier maître du célèbre François Porbus, son fils.

(25) L’annotateur de l’édition romaine du Vasari prétend que ce Guérard est le même que Gérard Honthorst, surnommé della Notte. Nous nous bornerons à faire observer que Honthorst naquit en 1592, c’est-à-dire, dix-huit ans après la mort de notre auteur. Il est probable que ce Guérard n’est autre que Guérard Horebout, nommé à tort par Vasari Lucas Hurembout.

(26) Vasari commet une erreur en distinguant Lambert Lombard de Lambert Suavius.

  1. C’est ce qui résulte du petit nombre d’artisans qu’on comptait dans les corporations principales de la ville. Anvers n’avait alors que huit bouchers, six brasseurs, quinze boulangers et autant de tailleurs.
  2. Les frères van Eyck doivent ce nom au lieu de leur naissance Maas-Eyck, petite ville située au bord de la Meuse, sur la frontière de l’électorat de Cologne. L’aîné des deux frères s’appelait Hubert, et le plus jeune, Hans ou Jean. Hubert, suivant le témoignage de van Mander, naquit vers 1366, et mourut à Gand en 1426. Jean lui survécut de près de vingt ans. On ignore, dit van Mander, chez quel maître Hubert fit son apprentissage ; mais on sait qu’il fut l’instituteur de Jean. Selon quelques auteurs, leur père même aurait été peintre. Quoi qu’il en soit, toute la famille semblait inspirée par le génie de l’art, car leur sœur Marguerite cultiva aussi avec succès la peinture, et, pour pouvoir s’y consacrer entièrement, refusa de se marier. Les van Eyck choisirent d’abord Bruges pour résidence. Dans nulle autre cité ils n’auraient rencontré des ressources aussi variées, aussi essentielles pour l’exercice de leur art. Bruges, depuis longtemps déjà, entrepôt des villes anséatiques et rivale de Venise, était alors parvenue au plus haut degré de richesse et de prospérité. Les étrangers, que le commerce y attirait de toutes parts, recherchaient avec passion les œuvres de leur pinceau et leur offraient mille occasions d’étudier les traits, les costumes et les mœurs des nations les plus diverses. Les habitants de la ville, si justement renommés pour leur beauté, leur présentaient les plus admirables modèles. Les édifices même, pleins de caractère et de magnificence, leur fournissaient les plus heureux motifs pour les fabriques et les fonds d’architecture dont ils enrichissaient leurs tableaux. Après l’an 1420, les deux frères qui, en remettant en lumière et en perfectionnant le procédé de la peinture à l’huile, avaient acquis une immense réputation, se rendirent à Gand pour y exécuter le fameux retable de Saint-Bavon, dont ils avaient été chargés par Philippe le Bon, qui, dès 1419, avait pris possession du gouvernement. Ce prince, fondateur de l’ordre de la Toison d’or, s’était formé la cour la plus pompeuse de l’Europe. Les seigneurs les plus opulents et les plus nobles tenaient à honneur d’en faire partie. C’est là sans doute que Jean van Eyck, que Philippe le Bon avait nommé son conseiller intime, trouva ces rois et ces chevaliers aux visages majestueux, aux tournures superbes, aux vêtements magnifiques, aux armures resplendissantes, dont il peupla ses toiles. Hubert mourut avant l’achèvement du retable de Saint-Bavon, qui devait passer pour le chef-d’œuvre de son frère Jean. Celui-ci le termina donc seul et retourna ensuite à Bruges, où, jusqu’à sa mort, il peignit une multitude de pages où la réalité est traduite avec la plus saisissante vérité.
  3. Anno MCCCCXLV donavit prædicatus rex (D. Joannes II) pietiosissimum et devotum oratorium tres historias habens, nativitatem scilicet Jesu Christi, Descensionem ipsius de cruce, quæ alias quinta angustia nuncupatur, et Apparitionem ejusdem ad matrem port resurrectionem. Hoc oratorium a magistro Rogel, magno et favioso Flandresco, fuît depictum. V. Fiorillo, Histoire de la peinture en Espagne, page 55 et suiv.
  4. Voyez Fiorillo, loco citato.
  5. Voyez Fiorillo, p. 62.
  6. Toutefois la tendance au fantastique produisit entre les mains de ces derniers artistes quelques pages merveilleuses. Albert Altdorfer, surtout, tira de cet élément des effets où éclate une richesse d’imagination qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Il donne en général à ses œuvres un attrait si singulièrement fabuleux, un caractère d’une originalité si étrange, il déploie devant vos regards une telle multitude de phénomènes surnaturels, qu’on se laisse volontiers entraîner au milieu de ce cercle magique. Les représentations de Jérôme Bos, au contraire, épouvantent le spectateur : ce sont de véritables cauchemars que, du reste, il formule avec une verve remarquable.