Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 8/Simone Mosca


SIMONE MOSCA,

SCULPTEUR ET ARCHITECTE.

Les Grecs et les Romains ont sculpté les bases, les chapiteaux, les frises, les corniches, les festons, les trophées, les mascarons, les candélabres, les oiseaux, les grotesques et, en un mot, tous les ornements de ce genre avec un talent qui n’a été égalé, chez les modernes, que par Simone Mosca de Settignano. Les magnifiques résultats qu’il obtint montrèrent combien les anciens étaient restés supérieurs à ses devanciers, qui n’avaient su traiter les feuillages qu’avec sécheresse, crudité et maigreur. Ceux du Mosca, au contraire, se distinguent par la hardiesse, la richesse et la variété de leurs formes. Des liserons, des fleurs, des oiseaux d’une grâce ravissante ajoutent encore à leur beauté : aussi peut-on affirmer (n’en déplaise à personne) que Simone est le seul qui soit parvenu à tirer du marbre des ouvrages qui luttent de vérité avec la nature même.

Dans sa jeunesse, Simone Mosca se livra avec succès à l’étude du dessin et de la sculpture. Maestro Antonio da San-Gallo apprécia son génie et le conduisit à Rome, où il commença par lui faire

simone mosca.
exécuter des chapiteaux, des bases, des feuillages

pour l’église de San-Giovanni-de’-Fiorentini, et divers travaux pour le palais du cardinal Farnèse (1).

Comme Simone employait tous les moments dont il pouvait disposer, et principalement les jours de fête, à copier les antiquités de Rome, il ne tarda pas à dessiner les plantes mieux qu’Antonio lui-même. Dans ses recherches, en glanant çà et là, il se composa, au bout de peu d’années, une manière pour ainsi dire presque universelle qui lui permit de mener à bonne fin tout ce qu’il entreprenait. Les écussons qu’il fit pour l’église de San-Giovanni-de’-Fiorentini en fournissent la preuve. L’un de ces écussons renferme un énorme lys si merveilleusement rendu, qu’il excita l’admiration générale.

Antonio da San-Gallo, ayant été chargé par Messer Agnolo Cesis de surveiller le revêtement en marbre d’une chapelle et la construction d’un tombeau qui fut mis en place, l’an 1550, dans l’église de Santa-Maria-della-Pace, confia au Mosca le soin d’y sculpter quelques pilastres et une partie du soubassement. Notre artiste s’acquitta de sa tâche de telle façon, que l’on reconnaît à leur grâce et à leur perfection, entre tous ceux qui les entourent, les morceaux qui lui sont dus. Sur le soubassement, il représenta des autels dans le goût antique qui ne sauraient être plus beaux.

Simone orna ensuite de ravissants mascarons la margelle du puits que San-Gallo établit dans le cloître de San-Pietro-in-Vincola.

À peu de temps de là, le Mosca, qui s’était acquis une bonne réputation, retourna à Florence. Il y sculpta des festons et d’autres ornements d’une élégance exquise sur le piédestal que Benedetto da Rovezzano préparait pour la statue d’Orphée, à laquelle travaillait alors Baccio Bandinelli.

Après avoir fait divers ouvrages en pierre de macigno, le Mosca songea à regagner Rome ; mais le sac de cette ville le força de renoncer à son projet : il resta donc à Florence, et il s’y maria. Malheureusement, comme il était sans fortune, il se vit réduit à accepter toute espèce de commandes pour sustenter sa famille.

Sur ces entrefaites vint à Florence Pietro di Subisso, qui avait continuellement sous ses ordres une foule d’ouvriers, attendu que rien ne se construisait à Arezzo, sa patrie, sans qu’il y présidât (2). Il emmena Simone à Arezzo, et il lui donna à faire une cheminée en pierre de macigno et un évier dans une salle de la maison des héritiers de Pellegrino da Fossombrone. Cette maison avait été vendue par les neveux de l’habile astrologue Messer Piero Geri, qui l’avait bâtie sur les dessins d’Andrea Sansovino. Le Mosca se mit à l’œuvre et forma sa cheminée de deux pilastres surmontés d’un architrave, d’une frise et d’une corniche, au-dessus desquels il pratiqua un fronton accompagné de festons et des armoiries de Pellegrino da Fossombrone. Bien que cette cheminée fût simplement en pierre de macigno, le Mosca l’enrichit de sculptures si variées et si délicates, qu’elle devint entre ses mains plus belle que si elle eût été de marbre. Il orna les pilastres de trophées en demi-relief et en bas-relief les plus riches et les plus pittoresques que l’on puisse se figurer, composés de casques, de targes, de carquois et de différentes armures. Il y introduisit aussi des mascarons, des monstres marins et d’autres gracieuses fantaisies qu’il travailla de telle façon, qu’on les croirait en argent. Il décora ensuite la frise qui est entre la corniche et l’architrave d’un enroulement de feuillages couverts d’oiseaux, se détachant du fond d’une manière vraiment miraculeuse. On remarque encore une guirlande de feuilles et de fruits qui surpassent pour ainsi dire la nature elle-même, tant ils sont finement et précieusement traités. Des têtes grotesques et des candélabres d’une rare beauté complètent la décoration de cette cheminée. Malgré la modique rétribution qui lui était assignée, Simone, soutenu par l’amour de l’art, déploya dans ce travail une application inimaginable ; mais il n’en fut pas de même pour son évier, qui est d’une beauté fort ordinaire.

Dans le même temps, Simone traça pour Piero di Subisso, lequel n’était pas très savant, une foule de dessins de maisons, de portes, de fenêtres et de divers détails d’architecture. Ainsi on lui doit la belle fenêtre qui est à l’encoignure des Albergotti, au-dessous de l’école de la commune, deux autres fenêtres qui ornent la maison de Ser Bernardino Serragli, à Pelliceria, et les armoiries en pierre de macigno du pape Clément, qui occupent l’angle du palais des Priori (3). Ce fut encore d’après ses dessins que l’on construisit, pour Bernardino di Cristofano da Giovi, dans l’abbaye de Santa-Fiore d’Arezzo, une chapelle d’ordre corinthien et en pierre de macigno (4). Bernardino voulut faire peindre le tableau de cette chapelle par Andrea del Sarto, et ensuite par le Rosso ; mais, différents motifs les en ayant empêchés, il eut recours à Giorgio Vasari, avec lequel il eut également beaucoup de peine à s’entendre. Comme la chapelle était dédiée à saint Jacques et à saint Christophe, Bernardino tenait à ce que l’on y représentât, outre la Vierge, l’Enfant Jésus et saint Jacques, le géant saint Christophe, portant un second Christ sur son épaule. Ce projet était monstrueux et, de plus, presque impossible à réaliser ; car il fallait introduire une figure colossale, de six brasses de hauteur, dans un tableau qui n’avait que quatre brasses. Cependant Vasari, poussé par le désir de contenter Bernardino, lui composa un dessin où l’on voyait saint Christophe à demi agenouillé, recevant l’Enfant Jésus des mains de la Vierge placée sur un nuage. Saint Jacques et d’autres saints étaient disposés, dans le fond, de manière à ne point produire un effet choquant. Ce dessin aurait été mis en œuvre si, par malheur, la mort ne fût venue frapper Bernardino.

Pendant que le Mosca travaillait à cette chapelle. Antonio da San-Gallo, de retour de Parme, où il était allé inspecter les fortifications, passa par Arezzo avant de rejoindre le Tribolo, Raffaello da Montelupo, le jeune Francesco da San-Gallo, Girolamo de Ferrare, Simone Cioli et d’autres sculpteurs et tailleurs de pierre qu’il avait envoyés à Loreto pour conduire à fin ce qu’Andrea Sansovino avait laissé inachevé dans la chapelle de la Madone. Antonio profita de son séjour à Arezzo pour déterminer le Mosca à le suivre à Loreto. Là, il le chargea de surveiller l’exécution de tous les ornements de la chapelle. Le Mosca s’acquitta parfaitement de cette mission, et, en outre, sculpta de sa main plusieurs morceaux, parmi lesquels nous citerons les petits anges de marbre qui se trouvent au-dessus des portes, et qui sont bien supérieurs à ceux de Simone Cioli que l’on voit à côté. De plus, le Mosca fit tous les gracieux et admirables festons de marbre qui courent autour des parois ; aussi n’est-il pas étonnant qu’une foule d’artistes soient venus de loin pour visiter cette admirable chapelle.

Antonio da San-Gallo, juste appréciateur du mérite du Mosca, n’attendait qu’une occasion pour le récompenser et lui témoigner son estime. Paul III, successeur de Clément VII, lui ayant ordonné de clore le puits d’Orvieto et d’y pratiquer des portes, il emmena le Mosca et lui confia ce travail qui ne laissait pas d’offrir quelques difficultés ; mais notre artiste s’en tira avec bonheur. Il fut ensuite forcé d’y sculpter les lys des Farnèse dans les boules que présentait l’écusson des Médicis, c’est-à-dire de remplacer par les armes de Paul III celles de Clément VII, bien que ce dernier fut le véritable auteur de ce magnifique et royal monument.

Tandis que Simone Mosca exécutait cet ouvrage, les intendants de la cathédrale d’Orvieto résolurent d’achever la chapelle de marbre commencée et menée jusqu’à la hauteur du soubassement sur les dessins de Michele San-Micheli de Vérone. Les intendants proposèrent cette entreprise à Simone qui l’accepta. La considération dont il était entouré à Orvieto l’engagea à y appeler sa famille, ce qui lui permit de travailler avec l’esprit en repos. Il débuta par sculpter quelques pilastres et divers ornements où son talent éclata de telle sorte qu’on lui assigna une pension annuelle de deux cents écus d’or. Le milieu du fond de la chapelle devait recevoir un bas-relief. Le Mosca le fit allouer à son intime ami Raffaello da Montelupo qui représenta une superbe Adoration des Mages, comme nous l’avons déjà dit ailleurs (5).

De chaque côté de l’autel de la chapelle, est une espèce de soubassement large de deux brasses et demie, sur lequel s’élèvent deux pilastres hauts de cinq brasses. Au milieu de ces pilastres se trouve l’Adoration des Mages, accompagnée de candélabres ornés de grotesques, de mascarons, de figurines et de feuillages d’une beauté divine. Sur l’autel est un gradin qui renferme un petit ange dont les mains soutiennent un cartel enrichi de festons. Au-dessus de l’Adoration des Mages, est un hémicycle occupé par des anges et terminé par une corniche surmontée d’un Père Éternel, en demi-relief. Deux Victoires, également en demi-relief, placées aux côtés de l’hémicycle, complètent cette décoration où l’on ne peut se lasser d’admirer la richesse de l’ensemble et la délicatesse exquise des chapiteaux, des corniches, des mascarons, des festons, des candélabres et de tous les autres détails ou accessoires.

Simone Mosca avait auprès de lui, à Orvieto, un fils âgé de quinze ans, appelé Francesco et surnommé le Moschino. Ce jeune homme était né, pour ainsi dire, avec le ciseau à la main. Il faisait tout ce qu’il voulait avec une grâce extraordinaire. C’est par lui que furent sculptés, sous la direction de Simone, les anges de l’hémicycle et du gradin, le Père Éternel, et ces deux Victoires dont nous venons de parler. Le succès que ce travail obtint fut cause que les intendants de la cathédrale chargèrent Simone de décorer de la même manière une seconde chapelle située de l’autre côté du chœur. Il fut convenu que l’on ne changerait rien à l’architecture ; que les figures seules seraient différentes. Le bas-relief confié au Moschino devait représenter la Visitation de la Vierge. Tout en consacrant ses soins à cette entreprise, Simone se montra utile à la ville d’Orvieto, en fournissant à divers citoyens des dessins d’architecture. Ainsi il traça le plan de plusieurs bâtiments pour les seigneurs comtes della Cervara, et celui de la maison de Messer Raffaello Gualtieri, père de l’évêque de Viterbe et de l’honorable gentilhomme Messer Felice. Enfin Simone rendit les mêmes services dans les environs d’Orvieto, et particulièrement au signor Pirro Colonna da Stripicciano.

Sur ces entrefaites, Antonio da San-Gallo appela notre artiste à Pérouse pour exécuter les ornements de la forteresse que le pape faisait élever sur l’ancien emplacement des maisons des Baglioni. Le Mosca donna donc les dessins des portes, des fenêtres, des cheminées, et ceux de deux immenses et magnifiques armoiries de Sa Sainteté. Ces travaux le mirent en relation avec Messer Tiberio Crispo, gouverneur de la forteresse, lequel l’envoya à Bolsena pour construire, à l’endroit le plus élevé de ce village et du côté du lac, une vaste et belle habitation accompagnée de riches escaliers.

Peu de temps après, Messer Tiberio, ayant été nommé gouverneur du château de Sant’-Agnolo, manda le Mosca à Rome et l’employa à la restauration des salles de cette citadelle. Entre autres choses, il lui fit sculpter en marbre, au-dessus des arcs d’entrée de la nouvelle loge, deux armoiries du pape, où l’on admire la merveilleuse habileté avec laquelle sont traités les festons et les mascarons qui entourent les clefs de saint-Pierre et la tiare pontificale.

Le Mosca retourna ensuite à Orvieto pour achever sa chapelle ; et tant que vécut le pape Paul, il y travailla de telle sorte qu’elle fut peut-être encore plus belle que la première. Le Mosca, en effet, moins avide d’argent que de gloire, nourrissait un si profond amour pour son art, que parfois il tentait l’impossible.

L’an 1550, l’élection du pape Jules III fit penser au Mosca que l’édification de Saint-Pierre allait être sérieusement poussée en avant. Il se rendit aussitôt à Rome et pria les intendants de la fabrique de lui confier l’exécution de quelques chapiteaux de marbre ; néanmoins, en faisant cette demande, il était poussé par le désir d’être agréable à son gendre Giovan Domenico plus que par tout autre motif. Sur ces entrefaites, Giorgio Vasari, alors au service du pape, ayant rencontré le Mosca qu’il aimait beaucoup, résolut de lui procurer de l’ouvrage. Il voulait lui donner à sculpter de riches ornements sur le tombeau du cardinal di Monte, que Jules III, héritier et neveu de ce prélat, lui avait ordonné d’élever dans l’église de San-Piero-a-Montorio. Mais le pape montra les modèles de Vasari à Michel-Ange, et celui-ci dit à Sa Sainteté qu’il ne fallait point s’embarrasser d’ornements ; car, ajouta-t-il, si d’un côté ils enrichissent un ouvrage, d’un autre côté, ils nuisent aux figures, et leur enlèvent du ressort. Le pape adopta cet avis, et Vasari fut forcé de remercier le Mosca et de terminer sans ornements son tombeau, qui, du reste, fut ainsi mieux qu’il n’aurait été autrement.

Le Mosca regagna, donc Orvieto. Il y dessina deux grands tabernacles de marbre qui furent construits dans la croisée[1] de l’église. Raffaello da Montelupo laissa un Christ nu et en marbre dans l’un de ces tabernacles, et le Moschino fit pour l’autre un saint Sébastien également nu. La même église doit au Moschino un saint Pierre et un saint Paul qui ne méritent que des éloges.

Pendant ce temps la chapelle de la Visitation ne fut pas abandonnée. Lorsque le Mosca mourut, il ne lui restait plus à y sculpter que deux oiseaux qu’il aurait sans aucun doute achevés, si Messer Bastiano Gualtieri, évêque de Viterbe, ne l’eût employé à exécuter un bas-relief en quatre pièces, qui fut envoyé en France au cardinal de Lorraine. Cet ouvrage est regardé comme l’un des meilleurs qu’ait jamais produits Simone.

Bientôt après, en 1554, notre artiste mourut âgé de cinquante-huit ans. Il fut honorablement enterré dans la cathédrale d’Orvieto.

Sa place fut donnée par les intendants de l’église à son fils Francesco Moschino, qui, s’en souciant peu, la céda à Raffaello da Montelupo et alla à Rome où il conduisit à fin deux gracieuses figures de marbre pour Messer Roberto Strozzi, c’est-à-dire le Mars et la Vénus que l’on voit dans la cour du palais de ce seigneur. Le Moschino représenta ensuite, presque en ronde-bosse, Diane se baignant avec ses nymphes et métamorphosant en cerf Actéon dévoré par ses propres chiens. Il apporta ce morceau à Florence et l’offrit au duc Cosme au service duquel il désirait vivement entrer. Le duc accepta le présent du Moschino et s’empressa d’utiliser son talent dans la cathédrale d’Orvieto. Le Moschino y fit à son honneur, dans la chapelle de la Nunziata, construite par Stagio di Pietrasanta, entre un ange et une Madone, l’un et l’autre hauts de quatre brasses, Adam et Ève à côté de l’arbre fatal. Un Père Éternel et des enfants dont il enrichit la voûte lui valurent non moins d’éloges que ses précédents ouvrages. Comme cette chapelle est à peu près finie. Son Excellence vient d’ordonner que l’on ait à commencer celle de l’Incoronata qui se trouve en face, tout à l’entrée de l’église, à main gauche.

Le Moschino s’est également distingué dans les travaux qui lui ont été confiés à l’occasion des noces de la sérénissime reine Jeanne et de l’illustrissime prince de Florence.



Simone Mosca joignit au talent de sculpteur celui d’architecte. C’est essentiellement à la réunion de ces deux talents, il n’en faut pas douter, qu’il dut la prodigieuse habileté qu’il déploya dans l’art du décorateur. En effet, le mérite du Mosca réside moins dans la beauté des ornements considérés en eux-mêmes, que dans leur harmonie et leur accord avec les édifices auxquels ils sont liés. Là où le Mosca s’est exercé, une intelligence unique semble avoir présidé à la décoration et à la construction, et de telle sorte que l’on ne saurait décider si Tarchitecte fut le décorateur, ou le décorateur l’architecte. De cette unité ressort la suprême perfection qui distingue ses œuvres et que ses contemporains récompensèrent par cette juste admiration dont Vasari s’est rendu l’écho.

Si les résultats obtenus par le Mosca et la plupart des grands ouvriers de son siècle sont effectivement dus à la réunion et à l’accord des différents arts dans l’enseignement et la pratique, n’est-on pas amené à en inférer qu’aujourd’hui la faiblesse et l’énervement des arts sont les conséquences rigoureuses de leur désaccord et de l’isolement auquel chacun d’eux a été condamné par les procédés et les habitudes de nos écoles ? Combien, par exemple, l’architecture et la décoration n’ont-elles pas perdu l’une et l’autre à ce désaccord, à cet isolement ? Si, comme l’a remarqué un écrivain qui a consacré à l’architecture des pages judicieuses, si une foule de constructions modernes présentent les disparates les plus ridicules, et la profusion la plus insensée d’ornements absurdes, contradictoires et inutiles, n’est-ce point parce que l’architecte, étranger aux règles de l’ornementation, est obligé d’abandonner le soin de finir ses édifices à un décorateur qui, de son côté, ignorant les premières notions architecturales, en dégrade la forme et l’aspect par un amas burlesque d’ornements insipides ? Cet abus a été vivement senti, mais comment y a-t-on remédié ? par un autre abus. Trop en garde contre les délires du décorateur qu’il désespère de conduire et qu’il ne saurait faire aller de concert avec lui, l’architecte prend le parti de s’en passer entièrement ; il bannit des intérieurs la peinture dont il ne peut modérer les licences et à laquelle son ignorance dans cet art l’empêche de mettre un frein et de prescrire des règles. Quant à l’extérieur de ses édifices, dénué des ressources de la sculpture, il n’offre plus qu’un squelette d’architecture, privé de vie, de mouvement et de grâce. En vain l’architecte prétend-il tirer de son art seul les beautés qu’il ne veut point devoir aux autres arts, ses monuments inanimés, décolorés, ne montrent que l’image d’une pauvreté, qui, pour être volontaire, n’est pas moins rebutante. On n’ignore pas que les architectes de profession accusent les peintres et les sculpteurs d’avoir dénaturé dans leurs édifices le génie propre à l’architecture, d’y avoir substitué celui de la décoration, enfin d’avoir fait prévaloir dans leurs monuments l’art qu’ils possédaient le mieux et dont les ressources leur étaient plus familières. On sait ce que l’architecture, longtemps subordonnée à la peinture et à la sculpture, perdit de sa grandeur et de sa beauté intrinsèques ; mais qu’on y prenne garde : c’est moins à la peinture et à la sculpture qu’au mauvais goût dominant alors dans tous les arts qu’il faut attribuer ce genre vicieux que les peintres durent plus facilement encore communiquer à l’architecture. Qu’on examine les monuments dirigés et inventés par les peintres ou les sculpteurs des beaux temps, on les verra pleins du goût sage et pur qui régnait dans leurs ouvrages. Ce n’est point parce qu’ils étaient peintres que Cortone et Borromini ont fait de l’architecture licencieuse, puisque Raphaël, Jules Romain, Jean Goujon et tant d’autres peintres ou sculpteurs, nous ont laissé des modèles de l’architecture la plus régulière et la plus raisonnée : mais les uns et les autres appliquèrent à l’architecture le goût et le style des autres arts qu’ils

professaient, et dont les principes, bons ou mauvais, suivant les temps, sont également communs à l’architecture.
NOTES.

(1) Le cardinal Farnèse fut élu pape sous le nom de Paul III.

(2) On ne trouve aucun renseignement sur ce Pietro di Subisso.

(3) Ces armoiries ont été détruites.

(4) Cette chapelle fut démolie dans le XVIe siècle, lorsque l’on reconstruisit l’église de Santa-Fiore.

(5) Voyez la vie de Raffaello da Montelupo, tome VI.

  1. On appelle ici croisée le travers qui forme les deux bras d’une église bâtie sur le plan d’une croix.