Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 6/Peintres du Frioul


Le Pordenone.

GIOVAN-ANTONIO LICINIO DE PORDENONE

ET AUTRES PEINTRES DU FRIOUL.

Comme nous l’avons déjà dit ailleurs, la nature, cette généreuse mère, prodigue parfois ses dons les plus rares aux contrées qui jusqu’alors en avaient été sevrées. Parfois encore elle y fait naître des hommes si heureusement organisés pour la peinture, qu’ils arrivent au plus haut degré de talent sans le secours d’aucun autre maître qu’elle-même. Et souvent, à peine un seul artiste a-t-il paru, qu’aussitôt s’élèvent autour de lui une foule de rivaux qui, enflammés d’une noble émulation, se livrent à de tels travaux, qu’ils obtiennent des résultats merveilleux, sans avoir visité Rome, Florence ou quelque autre ville pleine de chefs-d’œuvre. C’est ce qui est advenu dans le Frioul, qui, de nos jours, a vu ainsi commencer une multitude d’excellents peintres, après en avoir été privé pendant des siècles.

Parmi les élèves que Giovan Bellini rassembla dans son école, à Venise, il compta Pellegrino, d’Udine, appelé ensuite de San-Daniello, et Giovanni Martini, d’Udine. Ce dernier observa toujours la manière du Bellini. Elle avait tant de crudité et de sécheresse, que Martini, malgré son fini précieux, ne put jamais lui donner plus de douceur et de morbidesse ; et il en fut peut-être ainsi, parce qu’il recherchait certaines oppositions d’ombres et de lumières brusquement tranchées, qui, en dépit de ses efforts pour imiter la nature, rendaient âpre et choquant l’aspect de son coloris.

On rencontre de nombreux ouvrages de Giovanni Martini en plusieurs endroits du Frioul, et particulièrement à Udine. La cathédrale de cette ville possède de lui un saint Marc assis et entouré de divers personnages. Ce tableau, qui est peint à l’huile, est le meilleur qu’il ait jamais fait. Dans l’église des religieux de San-Pier-Martire, sur l’autel de Sant’-Orsola, on en voit encore un autre de sa main, représentant sainte Ursule, environnée de quelques vierges dont les têtes sont pleines d’agrément.

Sans parler de son talent de peintre qui, en somme, était assez distingué, Giovanni fut doué par la nature d’un extérieur beau et gracieux, d’une pureté de mœurs exemplaires, et (ce qui n’est à dédaigner) d’un tel esprit d’ordre, qu’il laissa, après sa mort, de gros biens à sa femme, à défaut d’enfants mâles. Cette dame qui était, m’a-t-on dit, aussi sage que belle, sut se conduire, pendant son veuvage, de façon à marier ses deux filles aux maisons les plus riches et les plus nobles d’Udine.

Pellegrino de San-Daniello surpassa Giovanni Martini, son condisciple et son rival. Il fut baptisé sous le nom de Martino, qu’il changea pour celui de Pellegrino, que son maître Giovan Bellini lui donna comme un témoignage de l’admiration qu’il avait pour son talent. Et, de même qu’on lui avait changé son nom, le hasard voulut qu’on lui assignât une autre patrie que la sienne. Son long séjour à San-Daniello, village situé à dix milles d’Udine, et où il se maria, fut cause qu’on l’appela toujours, non Martino d’Udine, mais Pellegrino de San-Daniello.

Il fit à Udine un grand nombre de peintures, parmi lesquelles subsistent encore celles dont il orna les volets du vieil orgue. À l’extérieur de ces volets il représenta saint Pierre assis et remettant le bâton pastoral à saint Ermagoras, accompagné d’une multitude de personnages. De l’autre côté des mêmes volets, il figura les quatre Docteurs de l’Église.

Dans la chapelle de San-Giuseffo, il laissa un tableau à l’huile, dessiné et colorié avec beaucoup de soin, renfermant saint Joseph dans une belle et grave attitude, et l’enfant Jésus avec saint Jean-Baptiste vêtu en berger. Cet ouvrage est très-estimé. On peut croire, comme on le prétend, que Pellegrino l’exécuta avec toute l’application imaginable, pour surpasser le saint Marc de Martini dont nous avons parlé plus haut. Ajoutons que ses efforts furent couronnés par le succès. Il fit également à Udine, chez Messer Pre Giovanni, agent des illustres seigneurs della Torre, une Judith tenant la tête d’Holopherne, et sur le maître-autel de l’église de Santa-Maria, à Civitale, un immense tableau à l’huile, divisé en quatre compartiments, contenant quelques têtes de vierges et diverses figures d’une grande beauté. Enfin, dans une chapelle de l’église de Sant’-Antonio, à San-Daniello, il peignit à fresque une Passion du Christ, avec une telle perfection, qu’elle lui fut payée plus de mille écus.

Le haut mérite de Pellegrino lui valut l’amitié des ducs de Ferrare, qui, entre autres faveurs, lui accordèrent deux canonicats, dans la cathédrale d’Udine, pour deux de ses parents.

Parmi ses élèves, qui furent nombreux et qu’il employa très souvent dans ses travaux, en les rémunérant largement, on remarque un Grec qui imita son style et qui eut un grand talent. Néanmoins cet artiste aurait été bien inférieur au favori de Pellegrino, Luca Monverde d’Udine, si celui-ci n’eût été enlevé prématurément au monde. Le premier et dernier tableau de Luca Monverde décore le maître-autel de Santa-Maria-delle-Grazie, à Udine, et représente, sur un fond d’architecture en perspective, l’enfant Jésus entre les bras de la Vierge, assise sur un trône et accompagnée de deux Saints. Ces figures sont d’une telle beauté, qu’il est évident que leur auteur aurait excellé dans son art, s’il eût vécu plus longtemps.

Bastianello Florigorio (1), autre disciple de Pellegrino, peignit, sur le maître-autel de San-Giorgio, à Udine, une quantité innombrable de petits anges adorant l’enfant Jésus, porté par Marie qui s’élève dans les airs au-dessus d’un magnifique paysage. Il y a encore un saint Jean et un saint Georges à cheval, perçant de sa lance le serpent, non loin duquel est une jeune fille qui remercie de ce secours Dieu et la glorieuse Vierge. On dit que la tête de saint Georges offre le portrait de Bastianello. Dans le réfectoire des religieux de San-Pier-Martire, il fit, à fresque, la Mort de saint Pierre martyr, et le Christ bénissant le pain des deux disciples d’Emmaüs. Bastianello orna encore d’un saint Jean, à fresque et en raccourci, une niche placée à l’encoignure du palais de l’excellent docteur Marguando. Puis, à cause de certains démêlés avec la justice, il fut forcé de s’enfuir d’Udine, et de s’exiler à Civitale pour vivre en paix.

Bastianello aimait à dessiner d’après des modèles éclairés par une lampe ; aussi ses compositions, riches et abondantes du reste, sont-elles d’une couleur crue et tranchante. Il se plaisait à peindre des portraits d’après nature, et il en fit de très beaux et très ressemblants, entre autres celui de Messer Raffaello Belgrade, à Udine, et celui du père de Messer Gio. Battista Grassi, peintre et architecte de talent, à la gracieuse bienveillance duquel nous sommes redevables d’une foule de détails sur les artistes du Frioul dont nous écrivons la vie (2).

Bastianello vécut quarante ans environ.

Pellegrino eut encore, au nombre de ses élèves, Francesco Fioriani, d’Udine, peintre et architecte de mérite, aujourd’hui vivant, ainsi que son jeune frère, Antonio Fioriani, qui est maintenant au service de Sa Majesté l’empereur Maximilien. On voyait, il y a deux ans, une Judith peinte avec un soin admirable par Francesco Fioriani, chez Maximilien, qui possède du même auteur un livre plein de dessins d’architecture, exécutés à la plume, et représentant des fabriques, des théâtres, des arcs de triomphe, des portiques, des ponts, des palais, etc. (3).

Gensio Liberale, autre élève de Pellegrino, fut surtout très-habile à peindre des poissons. Il est aujourd’hui, et à bon droit, en très haut crédit auprès de Ferdinand, archiduc d’Autriche qui l’a attaché à son service (4).

Mais de tous les peintres les plus distingués du Frioul, Gio. Antonio Licinio, appelé aussi Cuticello, est, sans contredit, le plus étonnant et le plus célèbre (5). Il surpassa de beaucoup ses prédécesseurs pour ce qui touche à l’invention des sujets, au dessin, à la hardiesse, à la distribution des couleurs ; et il ne déploya pas moins de supériorité dans la peinture à fresque, par la rapidité de son pinceau, par le relief de ses figures et par tous les autres détails qui concernent son art.

Il naquit à Pordenone, village du Frioul, situé à vingt-cinq milles d’Udine. Grâce à ses heureuses dispositions pour la peinture, il se mit, sans le secours d’aucun maître, à étudier la nature et à imiter le style de Giorgione da Castelfranco, qu’il avait souvent admiré à Venise. Après avoir appris de la sorte les éléments de l’art, il fut forcé de quitter sa patrie pour échapper à une maladie contagieuse et mortelle qui la ravageait. Il alla passer plusieurs mois à la campagne, et il y exécuta de nombreux essais de peinture à fresque aux dépens des paysans dont il décorait les habitations. Comme le meilleur et le plus sûr moyen de s’instruire est de travailler beaucoup, il acquit ainsi une extrême habileté pratique, et découvrit le mode d’arriver avec diverses couleurs aux effets que d’autres n’obtiennent qu’à l’aide du blanc qui a l’inconvénient de sécher l’enduit et de détruire toute harmonie par son trop vif éclat.

Quand le Pordenone, par un long exercice, eut découvert les secrets de la fresque, il retourna à Udine, où il fit dans le couvent de San-Pier-Martire, sur l’autel de la Nunziata, un tableau à l’huile qui représente Dieu le Père entouré de petits anges, et envoyant le saint Esprit vers la sainte Vierge à laquelle l’ange Gabriel annonce sa mission céleste. Cet ouvrage, d’un dessin gracieux et plein de vigueur et de relief, est regardé par les connaisseurs comme le meilleur qu’ait jamais produit notre artiste. Il peignit encore à l’huile sur le parapet de l’orgue de la cathédrale, au-dessous des volets décorés par Pellegrino, un épisode de l’histoire des saints Ermagoras et Fortunat. Puis, afin de gagner l’amitié des signori Tinghi, il orna la façade de leur palais d’une fresque, où il introduisit diverses ordonnances architecturales qui témoignent de son talent dans ce genre de décoration. Au milieu de niches contenant des statues, et entre deux compartiments de forme étroite et allongée, il ménagea un carré dans lequel il plaça une colonne corinthienne, dont le piédestal est baigné par les flots. Elle est soutenue à droite par une sirène, et à gauche par un Neptune nu. Son chapiteau est surmonté d’un chapeau de cardinal ; c’est, dit-on, la devise de Pompeo Colonna, intime ami des maîtres de ce palais. Les deux autres compartiments renferment, l’un les géants foudroyés par Jupiter, l’autre une foule de Divinités contemplant du haut du ciel Diane, qui se défend fièrement avec une torche contre deux géants armés de massues.

À Spelimbergo, gros village situé à quinze milles au-dessus d’Udine, notre artiste figura, sur la façade de l’orgue de la grande église, l’Assomption de la Vierge, saint Pierre et saint Paul devant Néron, la Conversion de saint Paul et la Nativité du Christ,

Tous ces travaux ayant mis le Pordenone en crédit et en réputation, il fut appelé à Vicence, où il laissa quelques ouvrages ; puis, il se rendit à Mantoue, sur l’invitation de Messer Paris, qui le chargea de décorer une façade. Parmi les belles inventions que l’on remarque dans cette fresque, nous citerons la frise, placée sous la corniche et couverte de lettres antiques entre lesquelles se glissent une multitude de petits enfants merveilleusement gracieux. Après avoir terminé cette tâche, le Pordenone retourna à Vicence. Il y peignit entre autres choses la tribune de Santa-Maria-di-Campagna, que son départ l’empêcha de terminer entièrement ; mais qui, plus tard, fut soigneusement menée à fin par Maestro Bernardo de Vercelli, Il enrichit de fresques deux chapelles de la même église, l’une de sujets tirés de la vie de sainte Catherine, l’autre, d’une Nativité du Christ et d’une Adoration des Mages. Il représenta ensuite quelques sujets poétiques dans le magnifique jardin du docteur Barnaba dal Pozzo, et un saint Augustin dans l’église de Santa-Maria-di-Campagna de laquelle nous venons de parler.

Toutes ces belles peintures furent cause que les gentilshommes de Vicence prirent notre artiste en grande vénération, et lui firent épouser une femme de leur ville.

Il alla ensuite à Venise où il avait déjà travaillé autrefois. Il y décora une façade à San-Geremia, sur le Canal-Grande et laissa, à la Madonna-dell’-Orto, un tableau à l’huile renfermant entre autres personnages un saint Jean-Baptiste dans lequel il s’efforça particulièrement de déployer tout son savoir (6). Il orna encore, sur le Canal-Grande, la façade de Martin d’Anna de fresques où l’on admire surtout un Curtius à cheval et en raccourci, qui semble complètement en relief, de même qu’un Mercure volant dans les airs. Cet ouvrage plut souverainement aux Vénitiens, et valut à Pordenone plus d’éloges que n’en avait jamais reçu aucun peintre de la ville.

Parmi les divers motifs qui le poussèrent à apporter un soin incroyable à toutes ses productions, le plus puissant fut la concurrence du grand Titien. Il se mit à lutter contre lui avec l’espoir qu’à l’aide d’une application continuelle, jointe à sa manière hardie et rapide d’exécuter les fresques, il s’emparerait de la glorieuse place que cet illustre maître avait conquise par tant de chefs-d’œuvre et par son affabilité, sa courtoisie, ses relations avec les hommes les plus considérables, et, en un mot, par son universalité. Du reste, cette rivalité lui fut vraiment utile ; car elle le força de traiter ses ouvrages avec toute la conscience possible : aussi sont-ils dignes d’être éternellement admirés.

Les surintendants de San-Rocco l’ayant chargé de peindre à fresque la chapelle et toute la tribune de cette église, il fit dans la tribune Dieu le Père environné d’une multitude de petits enfants, dont les attitudes sont aussi belles que variées. Dans la bordure, il plaça huit figures de l’Ancien-Testament, dans les angles, les quatre Évangélistes, sur le maître-autel, la Transfiguration du Christ, sur les côtés, dans les deux hémicycles, les quatre Docteurs de l’Église (7) ; et au milieu du temple deux grands tableaux, dont l’un montre le Christ guérissant des malades (8), et l’autre, saint Christophe portant l’enfant Jésus sur ses épaules. Enfin, sur le tabernacle de bois où l’on serre les ornements d’argent, il fit un saint Martin à cheval en compagnie d’une foule de pauvres : cet immense travail fut couvert d’éloges. Il valut au Pordenone honneur et profit, et fut cause que Messer Jacopo Soranzo rechercha son amitié, et lui fit allouer en concurrence du Titien, la salle de’ Pregai, où il exécuta un grand nombre de belles figures en raccourci, et une frise de monstres marins. Le sénat fut tellement satisfait de ces peintures, qu’il assigna à leur auteur une honorable pension qui lui fut servie jusqu’à son dernier jour.

Comme le Pordenone saisissait avec empressement toutes les occasions qu’il rencontrait de travailler dans les lieux où le Titien s’était déjà exercé, il peignit à San-Giovanni-di-Rialto, un saint Jean distribuant des aumônes aux pauvres, et au-dessus d’un autel, saint Sébastien accompagné de saint Roch et d’autres saints. Ce tableau est beau sans doute, mais il est loin d’égaler celui du Titien, malgré la préférence que quelques personnes lui accordent, plutôt par malignité que par justice.

Dans le cloître de Santo-Stefano, le Pordenone fit à fresque plusieurs sujets de l’Ancien-Testament, et un du Nouveau, séparés par diverses figures allégoriques de Vertus, remarquables par la hardiesse des raccourcis. Il affectionnait ce genre de difficultés qu’il introduisit dans toutes ses compositions, et dont il se tirait mieux qu’aucun autre peintre.

Le prince Doria avait construit à Gènes un palais dont le célèbre Perino del Vaga ornait, par son ordre, tous les salons, les chambres et les antichambres de peintures à l’huile et à fresque d’une richesse et d’une beauté merveilleuses. Afin d’aiguillonner l’ardeur de Perino qui se ralentissait faute de concurrence, le prince appela le Pordenone qui commença par représenter, sur une terrasse, des enfants occupés à décharger des objets maritimes qui remplissent une barque. Il peignit, en outre, Jason prenant congé de son oncle avant de partir pour la conquête de la Toison d’or. Mais Doria, choqué du contraste que produisaient les ouvrages de Pordenone à côté de ceux de Perino, remercia notre artiste et manda à sa place un peintre plus habile, Domenico Beccafumi de Sienne. Pour s’attacher à un si grand prince, ce maître n’hésita pas à quitter sa patrie où l’on voit tant de chefs-d’œuvre de sa main, mais il ne fit qu’un seul tableau dans le palais, Perino ayant achevé seul tout le reste.

De retour à Venise, le Pordenone fut engagé à entrer au service d’Ercole, duc de Ferrare, qui manquait de bons dessinateurs pour exécuter les cartons des tapisseries qu’il voulait faire tisser en soie, en or, en filoselle et en laine par les maîtres qu’il avait amenés d’Allemagne. Ercole avait bien sous la main Girolamo de Ferrare ; mais celui-ci était plus propre à peindre des portraits que des sujets guerriers qui réclament toute la force de l’art et du dessin. Excité par l’espérance d’acquérir non moins de gloire que de fortune, le Pordenone abandonna donc Venise et se rendit à Ferrare, où Ercole l’accueillit de la manière la plus flatteuse. Malheureusement, peu de temps après son arrivée, il fut assailli de cruelles douleurs de poitrine qui le forcèrent de se mettre au lit à demi mort. Le mal alla toujours en augmentant, et, au bout de trois jours à peu près, le conduisit au tombeau. Il était âgé de cinquante-six ans. Sa mort étonna le duc et ses amis, et on ne fut pas sans l’attribuer au poison. On lui fit d’honorables funérailles. Il fut très-regretté surtout à Venise.

Le Pordenone aimait la musique avec passion, était versé dans la littérature latine, avait une conversation pleine de vivacité et d’agrément, et comptait de nombreux amis.

Il se plaisait à peindre de grandes figures. Ses tableaux étaient extrêmement riches d’invention. Il réussissait également bien à peindre tous les sujets ; mais il se faisait particulièrement remarquer par la hardiesse et la rapidité de son exécution dans les fresques.

Il eut pour élève et pour gendre Pomponio Amalteo de San-Vito, qui marcha toujours sur ses traces et se distingua brillamment, comme le prouvent les volets du nouvel orgue d’Udine, sur lesquels il peignit à l’huile, d’un côté le Christ chassant les marchands du temple, et de l’autre côté la Résurrection de Lazare et l’histoire de la Piscine probatique.

Dans l’église de San-Francesco, de la même ville, Amalteo laissa un tableau à l’huile qui représente saint François recevant les stigmates. Cette composition renferme un beau paysage éclairé par un soleil levant qui lance, du milieu de rayons éclatants, la lumière séraphique qui perce les pieds, les mains et le côté de saint François, dévotement agenouillé, et près duquel se tient un personnage en raccourci que la vue du miracle frappe de stupeur.

Pomponio fit encore à fresque, au bout du réfectoire des religieux de la Vigna, le Christ entre les deux disciples, à Emmaüs. Dans l’église de Santa-Maria, à San-Vito, sa patrie, située à vingt milles d’Udine, il décora la chapelle de la Vierge de fresques qui obtinrent un tel succès, que le révérendissime cardinal Maria Grimani, patriarche d’Aquilée et seigneur de San-Vito, le mit au nombre des nobles de ce pays (9).

Dans cette biographie, nous avons jugé à propos de faire mention de ces excellents artistes du Frioul, parce qu’ils nous ont paru dignes de cet honneur, et afin que l’on voie combien ont été plus grands encore leurs successeurs, ainsi que nous le dirons dans la vie de Giovanni d’Udine, auquel notre siècle est redevable du perfectionnement des stucs et des grotesques.

Mais revenons au Pordenone. Après avoir achevé à Venise, du temps du sérénissime Gritti, les travaux dont nous avons parlé plus haut, il mourut, dit-on, l’an 1540. Il fut un des plus vaillants hommes de notre âge, et sut donner à ses figures un tel relief, qu’elles paraissaient se détacher du fond des tableaux ; aussi peut-on le compter à bon droit parmi ceux qui ont contribué aux progrès de l’art (10).



Toute cette école du Frioul se rattache essentiellement à la grande école des coloristes de Venise. Il serait inutile de lutter ici pour poser les généralités dans lesquelles il faudrait encadrer ces biographies pour les apprécier convenablement. C’est un soin que nous remettons à plus tard. Le cours de notre publication nous amènera bientôt au centre de l’école vénitienne.



NOTES.

(1) Bastiano Florigorio, ou plutôt Florigerio, nom que ce peintre signa au bas d’une fresque qu’il laissa à Udine, travaillait en 1533.

(2) Giovanni Battista Grassi est rangé par Orlandi dans l’école du Pordenone. Il vivait en 1568.

(3) Francesco et Antonio Floriani d’Udine vivaient en 1568. Il existe du premier, à Udine, un tableau avec la date de 1579 et un autre avec la date de 1586. Voyez Renaldis, Della pittura friulana.

(4) Genzio Liberale est nommé Gennezio par Ridolfi, et Giorgio ou Gennezio par le Renaldis.

(5) Le chevalier Giovanni Antonio Licino ou Licinio, dit ensuite Regillo et aussi Cuticello, ce que l’on doit rectifier en écrivant Corticellis, est plus généralement appelé le Pordenone. Il mourut en 1540 suivant Vasari et Ridolfi, ou en 1539. Ms. Mottensi.

(6) Les personnages du tableau de la Madonna-dell’-Orto que Vasari passe sous silence, sont : saint Jean-Baptiste, saint Augustin, saint François et saint Laurent Giustiniani.

(7) Ces fresques ont été complètement gâtées par des retouches à l’huile !

(8) Le Christ guérissant les malades est dû au Tintoret, et non au Pordenone.

(9) Pomponio Amalteo naquit en 1505, et mourut vers 1588. Voyez Renaldis.

(10) Le Musée du Louvre possède un dessin du Pordenone où l’on voit Jésus présenté au Temple pour satisfaire à la loi.