Vies des peintres, sculpteurs et architectes/tome 10/Suite des Académiciens du dessin

Benvenuto Cellini.
VIES
DES PLUS CÉLÈBRES
PEINTRES, SCULPTEURS
ET
ARCHITECTES.

SUITE
DES ACADÉMICIENS DU DESSIN,
PEINTRES, SCULPTEURS ET ARCHITECTES.


L’Académie compte encore dans son sein plusieurs jeunes peintres de la ville et de l’état de Florence, qui ont travaillé aux décorations des obsèques de Michel-Ange et des noces de Son Altesse.

Alessandro del Barbiere, jeune Florentin, âgé de vingt-cinq ans, peignit, entre autres choses, à l’occasion des noces, d’après les dessins et sous la direction de Vasari, les toiles de la grande salle où sont représentés les plans de toutes les villes des états du seigneur duc. Le talent qu’Alessandro déploya dans ce travail fit concevoir de lui les plus hautes espérances. Le Vasari fut encore aidé dans ses entreprises par beaucoup d’autres de ses élèves et de ses amis, tels que Domenico Benci ; Alessandro Fortori, d’Arezzo ; Stefano Veltroni, son cousin ; Orazio Porta, de Monte-Sansovino ; et Tommaso del Verocchio.

L’Académie compte également au nombre de ses membres plusieurs excellents artistes étrangers dont nous avons déjà parlé au long en divers endroits. Il suffira donc de rappeler ici les noms de Federigo Zucchero, de Prospero Fontana et de Lorenzo Sabbatini, de Bologne ; de Marco, de Faenza ; de Tiziano Vecellio, de Paolo de Vérone ; de Giuseppe Salviati, du Tintoretto, d’Alessandro Vittoria, du sculpteur Danese, du peintre Battista Farinato, de Vérone, et de l’architecte Andrea Palladio.

Maintenant, je vais m’occuper des sculpteurs de l’Académie et de leurs ouvrages, sur lesquels cependant je m’arrêterai peu ; car ces maîtres sont vivants, et jouissent, pour la plupart, d’une grande réputation. Je dirai, pour commencer par les plus âgés et les plus respectables, que Benvenuto Cellini, citoyen florentin, aujourd’hui sculpteur, n’eut point d’égal dans l’orfévrerie, quand il s’y appliqua dans sa jeunesse, et fut peut-être maintes années sans en avoir, de même que pour exécuter les petites figures en ronde-bosse et en bas-relief et tous les autres ouvrages de cette profession. Il monta si bien les pierres fines, et les orna de chatons si merveilleux, de figurines si parfaites, et quelquefois si originales et d’un goût si capricieux, que l’on ne saurait imaginer rien de mieux. On ne peut assez louer les médailles d’or et d’argent qu’il grava, étant jeune, avec un soin incroyable. Il fit à Rome, pour le pape Clément VII, un bouton de chape dans lequel il représenta un Père éternel d’un travail admirable. Il y monta un diamant taillé en pointe, entouré de plusieurs petits enfants, ciselés en or avec un rare talent ; ce qui lui valut, outre son salaire, une charge de massier. Clément VII lui ayant commandé un calice d’or dont la coupe devait être supportée par les Vertus théologales, Benvenuto conduisit presque entièrement à fin cet ouvrage, qui est vraiment surprenant. De tous les artistes qui, de son temps, s’essayèrent à graver les médailles du pape, aucun ne réussit mieux que lui, comme le savent très-bien tous ceux qui en possèdent, ou qui les ont vues : aussi lui confia-t-on les gravures des coins de la monnaie de Rome, et jamais plus belles pièces ne furent frappées. Après la mort de Clément VII, Benvenuto retourna à Florence, où il grava la tête du duc Alexandre sur les coins de monnaie qui sont d’une telle beauté, que l’on en conserve aujourd’hui plusieurs empreintes comme de précieuses médailles antiques, et c’est à bon droit, car Benvenuto s’y surpassa lui-même. Enfin, il s’adonna à la sculpture et à l’art de fondre les statues. Il exécuta en France quantité d’ouvrages en bronze, en argent et en or, pendant qu’il était au service du roi François Ier. De retour dans sa patrie, il travailla pour le duc Cosme, qui lui commanda d’abord plusieurs pièces d’orfévrerie, et ensuite quelques sculptures. C’est alors que Benvenuto jeta en bronze Persée venant de couper la tête de Méduse. Cette statue est sur la place du Duc, non loin de la porte du palais, sur un piédestal en marbre, orné de magnifiques figurines de bronze, de la grandeur d’une brasse et un tiers. Cet ouvrage, étudié avec le plus grand soin dans toutes ses parties, est bien digne de la place qu’il occupe auprès de la Judith du célèbre Donato. Il est vraiment étonnant qu’après ne s’être exercé pendant tant d’années qu’à ciseler de petites figurines, Benvenuto soit parvenu à mener à bonne fin une statue d’une si énorme dimension. On lui doit aussi un Crucifix de marbre, en ronde-bosse, et grand comme nature, qui est, dans son genre, le morceau le plus beau et le plus rare qu’on puisse voir. Le duc le conserve précieusement dans son palais, et le destine à la chapelle ou petite église qu’il y construit. En effet, rien n’est plus digne de cet édifice sacré, et d’un si grand prince, que ce Crucifix, qui est au-dessus de tout éloge. Il me serait facile de m’étendre davantage sur le compte de Benvenuto, qui, dans toute sa conduite, s’est constamment montré intrépide, fier, ardent, énergique, terrible, et non moins audacieux avec les princes que dans ses ouvrages ; mais je n’en dirai plus rien, attendu qu’il a lui-même écrit sur sa vie et sur ses ouvrages avec beaucoup plus de méthode et d’éloquence que je ne saurais peut-être le faire. Il a composé deux traités, l’un sur la sculpture, et l’autre sur l’orfévrerie, la fonte et le jet des métaux, et les autres parties de cet art. Ce court sommaire de ses œuvres les plus remarquables est donc suffisant

Francesco da San-Gallo, sculpteur, architecte et académicien, aujourd’hui âgé de soixante ans, a fait, comme nous l’avons noté dans la vie de son père Giuliano, de nombreux ouvrages de sculpture, et, entre autres, les trois figures de marbre un peu plus grandes que nature, c’est-à-dire la sainte Anne, la Vierge et le Christ enfant, qui sont sur l’autel de l’église d’Orsanmichele, plusieurs autres statues de marbre pour le tombeau de Pierre de Médicis, à Monte-Casino, et enfin le mausolée de l’évéque de’ Mazzi, à la Nunziata, et celui de Monsignor Giovio l’historien. Francesco ne s’est pas moins distingué par son talent d’architecte, dont on trouve de bonnes preuves à Florence et ailleurs. Son mérite lui a valu la faveur constante de la maison de Médicis, à laquelle son père Giuliano était très-attaché : aussi le duc Cosme lui donna-t-il la place d’architecte de la cathédrale, lorsque la mort de Baccio d’Agnolo la laissa vacante.

Dans la biographie de Jacopo Sansovino, j’ai assez parlé de l’Ammannato, l’un de nos premiers académiciens ; je me bornerai donc à dire que l’académicien Andrea Calamec de Carrare fut son élève, et sculpta, sous sa direction, plusieurs figures. Après la mort de Martino, Calamec fut appelé à Messine. Il y succéda à Fra Giovan’ Agnolo, et y mourut. Battista di Benedetto, autre disciple de l’Ammannato, promet d’exceller un jour dans son art. Déjà il a produit quelques beaux morceaux, où il ne s’est montré inférieur ni à Calamec, ni à tout autre des jeunes sculpteurs de l’Académie.

Vincenzio de’ Rossi, de Fiesole, sculpteur, architecte et académicien florentin, est digne d’être mentionné ici, bien que nous l’ayons déjà cité dans la biographie de son maître Baccio Bandinelli. Lorsque Vincenzio eut quitté Baccio, il fit, avec une extrême habileté, malgré sa jeunesse, un saint Joseph et un Christ enfant, pour la Ritonda de Rome. Il éleva, dans l’église de Santa-Maria-della-Pace, deux tombeaux surmontés des statues des morts qu’ils renferment, et ornés de quelques prophètes de marbre en demi-relief, grands comme nature. Ces ouvrages lui valurent une haute réputation, et furent cause que le peuple romain lui confia le soin de sculpter la statue du pape Paul IV, que l’on plaça dans le Capitole. Mais à peine Paul IV fut-il mort, que la populace, qui poursuit aujourd’hui de sa haine celui qu’elle adorait hier, renversa et brisa sa statue. Vincenzio tira ensuite, d’un bloc de marbre, un groupe représentant l’Enlèvement d’Hélène par Thésée, roi d’Athènes. On ne saurait imaginer rien de plus étudié et de plus gracieux que ces deux figures. Le duc Cosme de Médicis, étant allé à Rome, voulut connaître, non-seulement les monuments antiques, mais encore les productions remarquables des artistes modernes. Il vit le groupe de Vincenzio, et le loua comme il le méritait. Alors, Vincenzio, qui était d’un caractère généreux, le lui donna courtoisement. Le duc l’envoya dans son palais Pitti, à Florence, récompensa richement Vincenzio, et le chargea, peu de temps après, de traduire en figures de marbre colossales les Travaux d’Hercule. Déjà Vincenzio a terminé la Mort de Cacus et le combat avec le Centaure. On espère que Vincenzio, dont le génie égale le profond jugement, conduira à bonne fin cette vaste et laborieuse entreprise.

Ilarione Ruspoli, jeune citoyen florentin, cultive avec succès la sculpture, sous la direction de Vincenzio. Les statues qu’il a exécutées, à l’occasion des obsèques de Michel-Ange et des noces du duc, témoignent qu’il n’est ni moins savant dessinateur, ni moins bon praticien que ses collègues de l’Académie.

Francesco Camilliani, sculpteur et académicien florentin, fut le disciple de Baccio Bandinelli. Après avoir montré son habileté dans maints ouvrages de sculpture, il consacra quinze années de sa vie à construire des fontaines et à les enrichir de ses statues. La fontaine la plus étonnante qu’on lui doive est celle qui est à Florence, dans le jardin du señor Don Luis de Tolède. Elle est décorée de figures d’hommes et d’animaux d’une variété extraordinaire et d’une somptuosité vraiment royale. Parmi les statues que Camilliani a laissées dans ce jardin, celles de l’Arno et du Mugnone sont d’une souveraine beauté, et particulièrement la dernière, qui peut, sans désavantage, soutenir la comparaison avec les productions des maîtres les plus éminents. En somme, le jardin du señor Don Luis de Tolède a été entièrement créé par Camilliani et n’a pas son pareil à Florence, et même en Italie. Sa fontaine principale, que l’on est sur le point d’achever, sera la plus magnifique du monde, tant à cause de la richesse de ses ornements que de l’abondance de ses eaux.

Jean Bologne, de Douai, jeune sculpteur flamand, qui, par son mérite, a su entrer fort avant dans les bonnes grâces de nos princes, fait aussi partie de l’Académie. Il a construit nouvellement, sur la place de San-Petronio, de Bologne, devant le palais des Signori, une fontaine entourée d’enfants et de mascarons bizarres, et dont les coins sont occupés par quatre syrènes. Au milieu de cette fontaine s’élève un superbe Neptune, en bronze, haut de six brasses, parfaitement étudié. Je passe sous silence tous les ouvrages que Jean Bologne a exécutés en terre, en cire et en autres matières du même genre, pour dire qu’il a sculpté en marbre une admirable Vénus, et presque terminé pour le duc un Samson combattant contre deux Philistins. Il a jeté en bronze un Bacchus colossal et un Mercure qui n’est appuyé que sur une jambe et sur la pointe du pied. Cette dernière statue fut envoyée à l’empereur Maximilien comme une pièce précieuse. Mais, si jusqu’à présent Jean Bologne a fait de nombreux et beaux ouvrages, il est à penser qu’à l’avenir il en fera encore de plus beaux et de plus nombreux ; car le duc, qui dernièrement lui a donné un logement dans son palais, et commandé une Victoire, haute de cinq brasses, qui doit servir de pendant à celle de Michel Ange, qui est dans la grande salle, lui offrira plus d’une occasion de déployer amplement son talent dans d’importantes entreprises. On trouve plusieurs morceaux et modèles remarquables exécutés par Jean Bologne, chez Messer Bernardo Vecchietti, gentilhomme florentin, et chez Maestro Bernardo, constructeur de tous les édifices dont Vasari a fourni les dessins.

Vincenzio Danti, de Pérouse, a montré non moins de génie que Jean Bologne, et bien d’autres sculpteurs de l’Académie. Puissamment protégé par le duc Cosme, Vincenzio a choisi Florence pour patrie. Dans sa première jeunesse, il s’appliqua à l’orfévrerie, et fit dans cette profession des choses vraiment incroyables. Il se livra ensuite à l’art de fondre les métaux, et il se sentit assez fort, à l’âge de vingt ans, pour jeter en bronze la statue du pape Jules III, qu’il représenta assis et donnant sa bénédiction. Cette figure est aujourd’hui sur la place de Pérouse. Vincenzio, étant allé à Florence, entra au service du doc Cosme, et modela en cire Hercule étouffant Antée. Ce groupe était destiné à être jeté en bronze, et à décorer la fontaine principale du jardin de la villa ducale de Castello ; mais soit par l’effet d’un déplorable hasard, soit parce que le métal était brûlé, ou pour toute autre raison, il ne put réussir à la fonte, bien que l’opération eût été tentée à deux reprises différentes. Alors Vincenzio, pour se mettre à l’abri des coups de la fortune, résolut d’attaquer le marbre. Il sculpta, en peu de temps, dans un seul bloc, deux figures, c’est-à-dire l’Honneur vainqueur de la Fraude. Ces statues sont traitées avec un tel soin, que Vincenzio sembla n’avoir jusqu’alors manié que le ciseau et le marteau. La tête de l’Honneur est d’une rare beauté ; sa riche chevelure est fouillée avec tant d’habileté qu’on la croirait naturelle. Ajoutons que les nus sont très-bien entendus. Ce groupe est maintenant dans la cour de la maison du signor Sforza Almeni, dans la Via de’ Servi. Par le même signor Sforza, Vincenzio fit, à Fiesole, de nombreux ornements dans un jardin, et autour de plusieurs fontaines. Il exécuta ensuite, pour le duc, quelques bas-reliefs en marbre et en bronze, qui furent très-admirés ; car, dans ce genre de sculpture, notre artiste ne le cédait à personne. Il jeta, en bronze, la grille de la nouvelle chapelle des appartements du palais, peints par Vasari, un bas-relief qui sert de porte à une armoire dans laquelle le duc renferme ses papiers importants ; et, enfin, un autre bas-relief, haut d’une brasse, et large de deux brasses et demie, représentant Moïse guérissant les Hébreux de la morsure des serpents. Vincenzio fit encore, par l’ordre du duc, la porte de la sacristie de l’église paroissiale de Prato, puis il plaça au-dessus de cette porte un tombeau de marbre, accompagne d’une Madone, du Christ et de deux enfants, entre lesquels est le portrait, en bas-relief, de Charles de Médicis, fils naturel de Cosme l’Ancien. Les restes mortels de Charles de Médicis, après avoir longtemps reposé dans une sépulture en brique, furent transportés daws le tombeau que nous venons de décrire. Malheureusement la Madone et le portrait en bas-relief sont si mal éclairés, qu’il est impossible d’apprécier leur beauté. Vincenzio sculpta, ensuite, pour orner l’extrémité du bâtiment des Magistrats, à la Monnaie, au-dessus de la loggia du côté de l’Arno, les armoiries du duc, entre deux figures colossales, représentant l’une, l’Équité, et l’autre la Sévérité. En ce moment, Vincenzio attend le marbre nécessaire pour exécuter, d’après son propre modèle, la statue du duc, qui sera assise au-dessus des armoiries, et complétera cet ouvrage, dont on ne tardera pas à voir l’achèvement, ainsi que celui du reste de la façade auquel préside Vasari, architecte de l’édifice. Vincenzio est actuellement près de terminer une Madone en marbre, portant l’Enfant Jésus. Il travaille dans le monastère degli Angeli, de Florence, où il habite les appartements jadis occupés par Messer Benedetto Varchi, duquel il sculpte, en bas-relief, un portrait qui promet d’être très-beau.

Vincenzio a dans l’ordre des Dominicains un frère nommé Frate Ignazio Danti, savant cosmographe, que le duc Cosme de Médicis a choisi pour exécuter un ouvrage qui, par sa grandeur et sa perfection, surpassera tout ce qui a jamais été entrepris dans le même genre. Voici ce dont il s’agit : Son Excellence a fait construire, sous la direction de Vasari, au second étage de son palais ducal, une immense salle, garnie tout autour d’armoires hautes de sept brasses et richement sculptées, en noyer, destinées à recevoir une collection d’objets rares et précieux. Sur les portes de ces armoires, Frate Ignazio a disposé cinquante-sept compartiments, hauts de deux brasses environ et larges à proportion, dans lesquels il a peint soigneusement, à l’huile, les tables de Ptolémée, parfaitement mesurées et corrigées, d’après les auteurs contemporains, avec les cartes de navigation, accompagnées des noms anciens et modernes, et d’échelles pour mesurer les degrés. Ces compartiments sont distribués de la manière suivante : à l’entrée principale de la salle, sur le travers des armoires, sont quatre compartiments contenant quatre demi-globes en perspective. Les demi-globes qui sont en bas représentent la terre, et ceux d’en haut le ciel avec les images et les figures célestes ; puis, en entrant à droite, on voit l’Europe en quatorze compartiments, jusqu’au milieu de la paroi, qui est vis-à-vis de la porte principale, c’est-à-dire jusqu’à l’endroit où est la fameuse horloge du Florentin Lorenzo della Volpaia. Au-dessus de l’Europe est l’Afrique, en onze compartiments. De l’autre côté de l’horloge, jusqu’à la porte principale, est l’Asie en quatorze compartiments. Au-dessus de l’Asie se trouvent les Indes-Occidentales, également en quatorze compartiments. Au-dessous de ces cinquante-sept compartiments seront autant de tableaux où seront peints, d’après nature, toutes les productions végétales et tous les animaux de chaque contrée. Au-dessus de la corniche des armoires sont des ressauts où l’on placera quelques bustes antiques d’empereurs et de princes qui ont possédé ces divers pays. Sur les parois qui montent jusqu’à la corniche du plafond seront douze tableaux, dont chacun renfermera quatre images célestes, accompagnées de leurs étoiles. Au-dessous de ces tableaux sont trois cents portraits à l’huile de personnages célèbres des cinq derniers siècles. Tous ces portraits sont de même dimension, et entourés de bordures uniformes, sculptées en noyer. Au milieu du plafond sont deux compartiments de quatre brasses de largeur, qui recevront deux grands globes de trois brasses et demie de diamètre. L’un de ces globes représentera la terre, et, à l’aide d’un mécanisme invisible, descendra du plafond, et se placera sur un pied. Lorsqu’il sera ainsi fixé, on y verra reproduits tous les tableaux d’alentour, qu’une indication particulière permettra de retrouver facilement. Sur l’autre globe seront les quarante-huit images célestes, arrangées de manière à rendre parfaites toutes les opérations de l’astrolabe. L’honneur de cette invention appartient au duc Cosme, qui voulut réunir toutes les parties du ciel et de la terre, afin que ceux qui cultivent la science de la cosmographie pussent les étudier à leur aise. J’ai cru devoir mentionner ces choses, qui attestent le mérite de frate Ignazio et la grandeur du prince qui nous convie à profiter de ces nobles travaux.

Maintenant, revenons à nos académiciens. J’ai déjà parlé, dans la biographie du Tribolo, d’Antonio di Gino Lorenzi, de Settignano. J’ajouterai ici qu’Antonio exécuta, sous la direction du Tribolo, son maître, la statue d’Esculape, qui est à Castello, et quatre enfants qui ornent la principale fontaine du même endroit. Il exécuta ensuite quelques têtes autour du nouveau vivier de Castello, qui est situé au milieu d’arbres dont la verdure se maintient pendant toutes les saisons. Dernièrement, Antonio a orné d’animaux aquatiques, en marbres variés, une fontaine isolée, qui se trouve dans le magnifique jardin des écuries, près de San-Marco. À Pise, Antonio fit, sous la direction du Tribolo, pour le tombeau du Corte, la statue de ce savant médecin et deux enfants en marbre. En ce moment, il est occupé à sculpter, pour les fontaines du duc, des animaux et des oiseaux d’une rare beauté : aussi est-il bien digne d’être au nombre des académiciens.

Antonio a un frère âgé de trente ans, nommé Stoldo di Gino Lorenzi, qui, par ses ouvrages, s’est mis au premier rang des jeunes sculpteurs les plus habiles. Il a laissé à Pise une Annonciation en marbre, qui témoigne de son talent et de son génie. Pour Luca Martini, de Pise, il a conduit à bonne fin une superbe statue que la duchesse Leonora donna ensuite à son frère don Garzia, de Tolède, qui l’a placée dans son jardin de Chiaia, à Naples. Au-dessus de la principale entrée du palais des Chevaliers de Santo-Stefano, à Pise, Stoldo a sculpté, sous la direction de Vasari, les armoiries du duc, accompagnées de deux statues, à bon droit admirées, représentant la Religion et la Justice. Stoldo a fait ensuite, par l’ordre du duc, pour le jardin Pitti, une fontaine semblable au magnifique triomphe de Neptune que l’on vit dans les mascarades qui eurent lieu à l’occasion des noces du prince. Nous ne dirons rien de plus sur Stoldo Lorenzi, qui, chaque jour, acquiert de nouveaux droits à l’estime de ses confrères à l’Académie.

Battista, surnommé del Cavalière, parce qu’il fut élève du Cavaliere Baccio Bandinelli, appartient aussi à la famille des Lorenzi de Settignano. Il a sculpté, en marbre, un Printemps, un Été et un Hiver, que Bastiano del Pace, citoyen florentin, a envoyés en France aux Guadagni qui les ont placés dans leur jardin. Toutes les personnes qui ont vu ces figures auxquelles sera jointe celle de l’Automne, s’accordent à vanter leur beauté : aussi Battista a-t-il bien mérité d’étre choisi par le duc pour exécuter les ornements et l’une des statues du mausolée de Michel-Ange Buonarroti, dont le dessin a été fourni par Giorgio Vasari. Battista est en train de mener à bonne fin cet ouvrage ainsi que le buste de Michel-Ange et quelques enfants. Des trois statues de la Peinture, de l’Architecture et de la Sculpture, destinées au tombeau du Buonarroti, la seconde a été confiée au ciseau de l’académicien Giovanni, fils de Benedetto de Casîello, et disciple de Baccio Bandinelli. Giovanni travaille aujourd’hui aux bas-reliefs du chœur de Santa-Maria-del-Fiore, dans lesquels il imite beaucoup son maître, et déploie un talent qui donne de hautes espérances, dont la réalisation est certaine, car Giovanni est extrêmement studieux. La statue de la Sculpture a été allouée à l’académicien Valerio Cioli de Settignano, dont les précédents ouvrages promettent qu’elle sera digne du tombeau de Michel-Ange. Valerio n’est encore âgé que de vingt-six ans. Il a restauré, dans le jardin du cardinal de Ferrare à Montecavallo, une foule de statues antiques auxquelles il manquait soit un bras, soit un pied, ou tout autre membre. Il a également restauré plusieurs figures pour une grande salle du palais Pitti, par l’ordre du duc, qui le chargea en outre de sculpter en marbre la statue du nain Morgante. Valerio s’acquitta de cette tâche de telle façon que jamais, peut-être, l’on ne vit portrait de monstre plus ressemblant. Il exécuta aussi la statue de Pietro, dit le Barbino, autre nain, très-spirituel et très-instruit, favori de notre duc. Les travaux de Valerio justifient pleinement le choix que Son Excellence a fait de lui pour orner d’une statue le mausolée du Buonarroti, souverain maître de tous nos académiciens.

Nous avons suffisamment parlé dans un autre endroit de Francesco Moschino, sculpteur florentin. Nous nous bornerons donc à noter ici qu’il est académicien, qu’il travaille sous la protection du duc Cosme dans la cathédrale de Pise, et qu’il s’est grandement distingué dans la décoration de la porte principale du palais ducal, lors des noces de Son Excellence.

Comme nous nous sommes pareillement occupé ailleurs de Domenico Poggini, vaillant sculpteur, auteur d’une infinité de médailles et de divers ouvrages en marbre et en bronze, nous nous contenterons de dire ici qu’il est, à juste titre, membre de notre académie, qu’il a fait à l’occasion des noces du prince plusieurs statues remarquables qui furent placées sur l’arc de triomphe de la Religion, et que dernièrement il a gravé une nouvelle médaille du duc, très-belle et très-ressemblante.

Giovanni Fancegli, ou, comme quelques-uns l’appellent, Giovanni di Stocco, est aussi académicien. On lui doit de nombreuses et bonnes sculptures en marbre et en pierre parmi lesquelles on admire surtout les armoiries, les deux enfants, et les autres ornements qu’il a placés au-dessus des deux fenêtres de la façade de la maison de Ser Giovanni Conti, à Florence.

L’habile sculpteur Zanobi Lastricati a également droit à nos éloges. Ses nombreux ouvrages en marbre et en bronze, et entre autres son beau Mercure qui est dans la cour du palais de Messer Lorenzo Ridolfi, attestent qu’il était bien digne d’être académicien.

Enfin l’Académie a admis dans son sein plusieurs jeunes sculpteurs qui ont pris une part honorable dans les travaux de décoration que l’on a exécutés à l’occasion des noces de Son Altesse. Ces nouveaux académiciens sont Fra Giovan Vincenzio, disciple de Fra Giovann’ Agnolo, Ottaviano del Collettaio, élève de Zanobi Lastricati, et Pompilio Lancia, fils de Baldassare d’Urbin, architecte et élève de Girolamo Genga. Pompilio montra beaucoup de talent dans la mascarade de la Généalogie des dieux dont les machines furent organisées en grande partie par son père Baldassare.

J’ai largement démontré combien étaient nombreux et éminents les hommes dont se compose l’Académie ; j’ai signalé la plupart des occasions que de généreux seigneurs leur ont offertes de déployer leur valeur ; de savants écrivains ont complété cette tâche en publiant la description des décorations exécutées à propos des noces de Son Excellence. Néanmoins il me semble bon d’insérer ici une relation à la fois succincte et substantielle de ces fêtes, adressée à une personne qui n’avait pu en être témoin par un de ses amis. Je crois devoir joindre à ce volume ce petit écrit pour la satisfaction des artistes, et afin que le souvenir de leurs nobles travaux se conserve plus facilement.